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[1] Le 3 mars 2006, monsieur Steve Adams (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 20 février 2006 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST déclare irrecevable la demande de révision du travailleur parce que produite hors délai. Elle confirme donc la décision initiale de refuser au travailleur le remboursement de prothèses auditives numériques (prothèses numériques).
[3]
L’audience est tenue à Saint-Jérôme le 26 septembre 2006 en présence du
travailleur. Bien que convoquée, la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique
(l’employeur) n’est pas représentée à l’audience. Conformément à l’article
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande au tribunal de reconnaître qu’il a demandé la révision de la décision de la CSST rendue le 25 novembre 2005 à l’intérieur du délai prévu par la loi.
[5] Le travailleur demande d’autoriser le remboursement de prothèses numériques.
L’AVIS DES MEMBRES
[6] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous deux d’avis que la contestation devrait être accueillie. Ils considèrent que le travailleur a démontré un motif raisonnable qui lui permet d’être relevé du défaut d’avoir contesté la décision de la CSST dans le délai prévu par la loi. La preuve démontre que le travailleur a un réel besoin de prothèses numériques. Ainsi que le confirme le rapport du médecin spécialiste, des prothèses auditives analogiques (prothèses analogiques) ne satisfont nullement aux besoins du travailleur. Des prothèses numériques permettront de pallier les conséquences de sa lésion professionnelle et favoriseront le maintien de son autonomie.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la demande de révision du travailleur à la CSST est recevable. Dans l’affirmative, elle doit déterminer si le travailleur a droit au remboursement de prothèses numériques telles que le prescrit le médecin qu’il a consulté, le docteur Michel Marceau.
[8] Pour les motifs qui suivent, le tribunal conclut que la demande de révision de la décision du 25 novembre 2005 reçue à la CSST le 9 janvier 2006 est recevable car le travailleur a fait la démonstration d’un motif raisonnable afin d’être relevé du défaut d’avoir respecté le délai de contestation. Le tribunal conclut également que le travailleur a droit au remboursement du coût des prothèses numériques.
[9]
L’article
358.2. La Commission peut prolonger le délai prévu à l'article 358 ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s'il est démontré que la demande de révision n'a pu être faite dans le délai prescrit pour un motif raisonnable.
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1997, c. 27, a. 15.
[10] Le travailleur a été au service de l’employeur de 1953 jusqu’à sa retraite en 1988. En juin 1992, la CSST reconnaît qu’il est atteint de surdité professionnelle bilatérale de type neurosensoriel. Une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique de 8,55% est accordée au travailleur en octobre 1992.
[11] Depuis 1992, le travailleur a recours à des prothèses analogiques défrayées par la CSST. Le dernier remplacement des prothèses analogiques a été autorisé en mars 1999.
[12] Le 15 novembre 2005, le travailleur consulte le docteur Michel Marceau, oto-rhino-laryngologiste. À la suite des examens clinique et audiométrique qu’il pratique, le médecin adresse à la CSST un rapport dans lequel il pose un diagnostic de surdité neurosensorielle bilatérale avec effondrement des discriminations auditives bilatéralement. Il prescrit le traitement suivant :
Des prothèses auditives de type numérique sont médicalement recommandées et prescrites dans le cas présent.
Prescription d’une aide technique pour l’écoute de la télévision.
[13] Le 24 novembre 2005, madame Paulette Girard, audioprothésiste, envoie à la CSST une demande d’autorisation pour des prothèses numériques, un système d’amplification pour la télévision et pour le téléphone.
[14] Le même jour, un agent d’indemnisation, monsieur Michel Hamel (l’agent), écrit les notes suivantes sur la demande d’autorisation lesquelles sont confirmées par la décision rendue le lendemain 25 novembre 2005 :
Refusé - pas de déformation de l’oreille et monsieur est retraité
Pour système infra-rouge et téléphone amplifiée, resoumettre avec [coûts] et tarifs pour le service de réadaptation. (sic)
[15] Le 15 décembre 2005, une conseillère en réadaptation, madame Line Pellerin (la conseillère) écrit les notes suivantes sur la demande du 24 novembre lesquelles sont confirmées par une décision rendue le lendemain 16 décembre :
Acceptation système infra-rouge + amplificateur téléphone
[16] Le tribunal constate que la demande du travailleur a été scindée de sorte que la CSST a rendu deux décisions. La première concerne les prothèses numériques, traitée et refusée par un agent d’indemnisation et la seconde concerne les appareils relatifs au téléphone et à la télévision traitée et acceptée plus tard par le service de la réadaptation.
[17] À l’audience, le travailleur affirme se souvenir d’avoir parlé à l’agent qui lui a dit de contester s’il n’est pas d’accord avec la décision du 25 novembre 2005. Le travailleur affirme avoir par la suite envoyé une lettre à l’agent le 5 décembre 2005 (lettre du 5 décembre 2005). Il dépose une copie non signée de celle-ci. Le travailleur soutient avoir contesté la décision dans le délai imparti sans toutefois se souvenir de la date exacte de la mise à la poste de la lettre qu’il dépose. Il n’y a aucune copie de cette lettre au dossier.
[18] La seule lettre émanant du travailleur présente au dossier est adressée à la conseillère. Cette lettre n’est pas datée. Une estampille de la CSST portant la date du 9 janvier 2006 s’y retrouve (lettre du 9 janvier 2006) :
Je vous remercie d’être prêt à payer les aides techniques suivants dont un sysrème infra_rouge et un amplificateur pour le téléphone.
Mais deux aides techniques sont moins importants.
Ce dont j’AI Besoin ce sont de bonnes prothèses auditives. (sic)
[19] Questionné à l’audience sur le contenu de cette lettre, le travailleur affirme n’avoir pas attendu d’avoir toutes les réponses à sa demande initiale pour contester la décision du 25 novembre 2005. Il dit ne pas comprendre pourquoi il est inscrit le 9 janvier 2006 sur cette lettre et affirme l’avoir postée bien avant, en décembre. Il insiste pour faire valoir qu’il a expédié cette lettre après celle envoyée à l’agent le 5 décembre. Il n’a pas pris de « chance » et voulait insister sur l’importance des prothèses numériques pour lui et en plus, ce n’était pas la même personne qui lui avait écrit la première fois.
[20] Le témoignage du travailleur est apparu au tribunal très crédible et sans hésitation dans le déroulement de l’ordre des évènements. Le tribunal accorde foi à son témoignage. Malgré l’absence de mention au dossier d’une conversation entre le travailleur et l’agent et l’absence de la lettre du 5 décembre 2005 par laquelle le travailleur conteste la décision du 25 novembre, il est clair que le travailleur avait l’intention de contester cette décision. Le tribunal croit le travailleur quand il affirme avoir parlé à l’agent à ce sujet et qu’il a envoyé une lettre de contestation dans le délai imparti.
[21] Lors de son témoignage, l’épouse du travailleur corrobore les dires de son époux sur la confection des lettres, c'est-à-dire que c’est le travailleur qui les écrivait à la main. Ensuite, elle les transcrivait à la machine à écrire.
[22] Nul ne sait ce qu’il est advenu de la lettre du 5 décembre 2005. Il n’y a aucune preuve de la réception de cette lettre à la CSST. Dans ce contexte, la preuve n’est pas suffisante pour permettre au tribunal de conclure que la contestation a été produite dans le délai.
[23] Peu après l’envoi présumé de la lettre du 5 décembre 2005, le travailleur a reçu la seconde décision qui accorde cette fois une partie de sa demande initiale. Cette décision est rendue le 16 décembre, rappelons-le. Par la suite, le travailleur écrit à la conseillère dans les trente jours de cette décision. C’est la lettre du 9 janvier 2006. Il est entendu qu’il ne conteste pas cette dernière décision, elle lui est favorable. Il remercie la conseillère pour l’acceptation des aides techniques pour le téléphone et la télévision mais réitère son besoin plus important pour des prothèses numériques.
[24] La lettre du 9 janvier 2006 ne reproduit pas exactement le contenu de la lettre datée du 5 décembre 2005 dans laquelle il conteste explicitement la décision de l’agent. Il s’agit d’un rappel. Cette lettre peut toutefois être considérée comme une demande de révision de la décision de l’agent. Elle a été traitée comme telle.
[25] En somme, selon la preuve prépondérante, le travailleur croyait de bonne foi avoir dûment contesté la décision de l’agent avant même de recevoir la décision de la conseillère. Toutefois, il répond à celle-ci en insistant sur les prothèses numériques.
[26] Par ailleurs, le travailleur a certainement pu être confondu par le traitement de sa demande à la CSST. Il a fait une seule demande par l’intermédiaire de son médecin pour différents appareils. Il reçoit toutefois deux décisions, issues de deux fonctionnaires, à deux dates éloignées de quelques semaines et qui peuvent apparaître contradictoires pour un profane.
[27] Le tribunal comprend que la demande du travailleur qui concerne les prothèses numériques a été traitée par un agent sous l’angle de l’assistance médicale et la demande qui concerne les aides techniques a été traitée par une conseillère sous l’angle de la réadaptation. Tout cela n’a rien de limpide vu de l’extérieur. Le processus est de nature à confondre le bénéficiaire peu familier dans ces matières. Toutefois, il a été prudent et diligent.
[28]
Dans ce contexte très particulier, le traitement de l’ensemble de la
demande du travailleur peut être considéré comme étant un tout bien qu’il ait entrainé
deux décisions distinctes. En conséquence, en application de l’article
[29] À tout évènement, la demande de révision de la décision du 25 novembre 2005 est recevable. Il y a lieu de se prononcer sur le mérite de la contestation.
[30] Les dispositions de la loi pertinentes au remboursement de prothèses numériques se retrouvent aux chapitres de l’assistance médicale et de la réadaptation :
Assistance médicale
188. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à l'assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion.
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1985, c. 6, a. 188.
189. L'assistance médicale consiste en ce qui suit:
...
4° les prothèses et orthèses au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes, des tissus, des gamètes et des embryons, les services ambulanciers et la disposition des cadavres (chapitre L-0.2), prescrites par un professionnel de la santé et disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie de l'assurance maladie du Québec ou, s'il s'agit d'un fournisseur qui n'est pas établi au Québec, reconnu par la Commission;
5° les soins, les traitements, les aides techniques et les frais non visés aux paragraphes 1° à 4° que la Commission détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.
__________
1985, c. 6, a. 189; 1992, c. 11, a. 8; 1994, c. 23, a. 23; 1999, c. 89, a. 53; 2001, c. 60, a. 166.
194. Le coût de l'assistance médicale est à la charge de la Commission.
Aucun montant ne peut être réclamé au travailleur pour une prestation d'assistance médicale à laquelle il a droit en vertu de la présente loi et aucune action à ce sujet n'est reçue par une cour de justice.
__________
1985, c. 6, a. 194.
198.1. La Commission acquitte le coût de l'achat, de l'ajustement, de la réparation et du remplacement d'une prothèse ou d'une orthèse visée au paragraphe 4° de l'article 189 selon ce qu'elle détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.
Dans le cas où une orthèse ou une prothèse possède des caractéristiques identiques à celles d'une orthèse ou d'une prothèse apparaissant à un programme administré par la Régie de l'assurance maladie du Québec en vertu de la Loi sur l'assurance maladie (chapitre A-29) ou la Loi sur la Régie de l'assurance maladie du Québec (chapitre R-5), le montant payable par la Commission est celui qui est déterminé dans ce programme.
__________
1992, c. 11, a. 11; 1999, c. 89, a. 53.
Réadaptation
145. Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 145.
148. La réadaptation physique a pour but d'éliminer ou d'atténuer l'incapacité physique du travailleur et de lui permettre de développer sa capacité résiduelle afin de pallier les limitations fonctionnelles qui résultent de sa lésion professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 148.
151. La réadaptation sociale a pour but d'aider le travailleur à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s'adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l'accomplissement de ses activités habituelles.
__________
1985, c. 6, a. 151.
[31] Le droit au remboursement de prothèses numériques a fait l’objet de nombreuses décisions de la Commission des lésions professionnelles. Depuis 2001, un très large consensus s’est dégagé. L’octroi et le remboursement ont été reconnus soit à titre d’assistance médicale ou à titre de mesure de réadaptation selon les articles mentionnés plus haut. De plus, si le besoin réel est démontré en terme de réadaptation physique ou social, il n’est pas pertinent que le travailleur soit à la retraite ou non. Là - dessus, il n’est pas requis de reprendre dans le détail l’ensemble de cette jurisprudence[2].
[32]
Pour reconnaître le droit du travailleur, il suffit d’appliquer le paragraphe
4 de l’article
· les prothèses doivent être prescrites par un professionnel de la santé; et
· être disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie de l’assurance-maladie du Québec ou, s'il s'agit d'un fournisseur qui n'est pas établi au Québec, reconnu par la Commission.
[33]
Actuellement, aucun règlement ne pose de conditions et de limites
monétaires auxquelles serait assujetti le remboursement du coût d’une prothèse
ou d’une orthèse visée par le paragraphe 4 de l’article
[34] De plus, la loi n’exige pas que le travailleur ait une déformation physique à l’oreille à titre de prérequis pour l’octroi de prothèses numériques. Cette exigence de la CSST semble issue de ses politiques qui réfèrent aux règles et tarifs de la Régie de l’assurance-maladie du Québec (la Régie). Or, il est reconnu par la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles qui s’inspire d’un arrêt récent de la Cour d’appel du Québec qu’une politique n’est qu’une interprétation administrative. Il revient au tribunal de se prononcer en tenant compte de la loi et non des politiques. Les politiques de la CSST ne lient pas la Commission des lésions professionnelles[4].
[35] Dans le présent cas, le docteur Marceau a clairement prescrit et recommandé au travailleur des prothèses numériques. Il n’existe aucune preuve contraire. De plus les prothèses numériques sont disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie[5]. Les conditions prévues à la loi sont donc présentes.
[36] Le médecin constate le caractère « complètement désuet[es] » des prothèses analogiques que porte actuellement le travailleur. Il rapporte que malgré le port de ses prothèses analogiques, le travailleur fait constamment répéter les gens et qu’il ressent des cillements d’oreilles.
[37] Lors de son témoignage, le travailleur confirme cet état de fait. Il mentionne aussi qu’à l’extérieur, les prothèses analogiques sont devenues « pas endurables ». Elles sont intolérables au point qu’il doit les fermer ou les ajuster constamment. L’épouse du travailleur corrobore en tout point le témoignage du travailleur. Elle ajoute que le travailleur n’entend « vraiment pas comme il faut » avec ses prothèses.
[38] Le tribunal conclut que la preuve prépondérante démontre que les prothèses numériques réclamées combleront un besoin réel de réadaptation physique et sociale et maintiendront l’autonomie du travailleur. Il n’existe aucune preuve contraire.
[39] En conséquence, les dispositions de la loi ne laissent aucune discrétion à la CSST. Cette dernière doit autoriser et rembourser en entier les prothèses numériques prescrites par le médecin du travailleur. La contestation du travailleur doit être accueillie.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la contestation de monsieur Steve Adams;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 20 février 2006 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur a droit au remboursement complet du coût des prothèses auditives de type numérique telles prescrites par le docteur Michel Marceau le 15 novembre 2005 et identifiées dans la demande d’autorisation de l’audioprothésiste Paulette Girard le 24 novembre 2005.
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Jacques David |
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Commissaire |
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[1] L.R.Q. c. A-3.001
[2] Ionata et Zimmcor Groupe inc. (Faillite),
[3] Poirier et Ville de Montréal, précitée note 2
[4] Bolduc et Ville de Sherbrooke, 286504-05-0604, précité. Voir aussi CSST c.
Fontaine,
[5] Poirier et Ville de Montréal, précitée note 2
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