Décision

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Modèle de décision CLP - octobre 2008

Fraser et Huot

2012 QCCLP 5364

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec

22 août 2012

 

Région :

Montréal

 

Dossiers :

407997-71-1004      459408-71-1201

 

Dossier CSST :

133416966

 

Commissaire :

Jean-François Clément, juge administratif

 

Membres :

Claude St-Laurent, associations d’employeurs

 

Paul Auger, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Valérie Fraser

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Joëlle Huot

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

Dossier 407997

[1]           Le 12 avril 2012, madame Valérie Fraser, la travailleuse, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), le 16 mars 2010, à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme sa décision initiale du 7 janvier 2010 et déclare que la travailleuse est capable d’exercer son emploi prélésionnel depuis le 2 décembre 2009 de sorte qu’elle n’a pas droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu.

Dossier 459408

[3]           Le 4 janvier 2012, la travailleuse dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue par la CSST, le 24 novembre 2011, à la suite d’une révision administrative.

[4]           Par cette décision, la CSST déclare irrecevable la demande de révision de la travailleuse quant à l’évaluation médicale entérinée par son médecin, déclare non-conforme le bilan des séquelles fait le docteur Chartrand et modifie la décision du 9 septembre 2011.

[5]           Elle déclare que la lésion professionnelle du 22 mai 2008 a entraîné une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique de la travailleuse de 3.8 % et qu’elle a droit une indemnité pour préjudice corporel, en plus des intérêts.

[6]           Une audience est tenue à Montréal le 31 juillet 2012, en présence de la travailleuse et de son procureur. Quant à Joëlle Huot, l’employeur, il est absent bien que dûment convoqué.

[7]           Le délibéré débute donc le jour même.

 

L’OBJET DES CONTESTATIONS

Dossiers 407997 et 459408

[8]           La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le syndrome ou névrome de Morton est relié à l’événement initial du 22 mai 2008.

[9]           Elle demande de retenir les limitations fonctionnelles et l’atteinte permanente émises par le docteur Chartrand, incluant un déficit anatomo-physiologique supplémentaire de 1.5 % pour le syndrome ou névrome de Morton. La date de consolidation à retenir est le 26 février 2010 et la travailleuse a droit à des orthèses.

[10]        Comme elle est incapable d’effectuer son emploi d’entraîneuse de boxe, elle a droit à la poursuite de l’indemnité de remplacement du revenu.

 

L’AVIS DES MEMBRES

[11]        Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs partagent le même avis.

[12]        Le médecin qui a charge est la docteure Guimond qui a été suivie de la docteure Belzile, puis la docteure Guimond a repris le flambeau en janvier 2010. Le docteur Chartrand ne peut être considéré comme le médecin qui a charge de la travailleuse, sauf pour l’évaluation des limitations fonctionnelles et de l’atteinte permanente.

[13]        Le tribunal ne peut se prononcer sur la question de la relation entre le syndrome ou névrome de Morton et l’événement initial puisque ce diagnostic n’a été retenu que par le docteur Chartrand qui n’est pas le médecin qui charge de sorte que son avis ne lie pas la CSST ni le présent tribunal au sens de l’article 224 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). On ne peut donc accorder le déficit anatomo-physiologique relié à ce diagnostic.

[14]        Le premier rapport final et le rapport complémentaire préparés par la docteure Guimond sans procéder à un examen et sans connaître l’état de la travailleuse est teinté de la fausse impression laissée par leur dernière rencontre, six mois auparavant, alors que la travailleuse allait mieux. Cela fait en sorte qu’on doit écarter ces rapports.

[15]        Il faut donc retenir le rapport corrigé quant à la date de consolidation mais comme la docteure Guimond a mentionné qu’elle ne remplirait pas le rapport d’évaluation médicale, les conclusions du docteur Chartrand quant aux séquelles permanentes sont liantes au sens de l’article 224 de la loi.

[16]        La travailleuse est incapable de reprendre son emploi prélésionnel en raison des limitations fonctionnelles qui lui sont décernées de sorte que le droit à l’indemnité de remplacement du revenu se poursuit. Elle a aussi droit au paiement d’orthèses, à titre d’assistance médicale.

 

LES FAITS ET LES MOTIFS

[17]        La Commission des lésions professionnelles doit décider de la question de la capacité de la travailleuse d’exercer son emploi, du droit à l’indemnité de remplacement du revenu de même que des questions accessoires inhérentes à leur détermination.

[18]        Le tribunal doit également décider de la question de l’atteinte permanente à l’intégrité physique et de l’indemnité pour préjudice corporel.

[19]        La lésion professionnelle subie par la travailleuse survient le 22 mai 2008, alors qu’elle est toujours étudiante, à temps plein, et qu’elle occupe un emploi d’été de peintre.

[20]        À la fin de sa journée de travail, elle décide de ranger une échelle coulissante qui est alors en pleine extension lorsque la partie du haut glisse brusquement et lui écrase le pied droit.

[21]        Le diagnostic de la lésion professionnelle est celui d’une fracture ouverte au pied droit, plus particulièrement aux deuxième et troisième métatarsiens.

[22]        À cette période, elle occupe également un emploi au Studio Uni-boxe de l’Ancienne-Lorette, comme entraîneuse de boxeurs, emploi qu’elle occupe même à temps partiel pendant l’année scolaire.

[23]        La travailleuse n’est pas suivie par son médecin de famille pour cette lésion mais plutôt par des médecins de la Clinique d’urgence du Centre hospitalier de l’Université Laval, à Québec.

[24]        Selon le témoignage de la travailleuse et les attestations médicales au dossier, c’est la docteure Chantal Guimond qui rencontre la travailleuse le plus fréquemment, qui la suit et qui établit un plan de traitement.

[25]        La travailleuse a choisi la docteure Guimond en ce qu’elle a accepté de la rencontrer à plusieurs reprises dans le cadre de l’évolution de cette pathologie. C’est la docteure Guimond qui a assuré le suivi du dossier en vue de sa consolidation et qui a produit le rapport final. Elle est donc le médecin qui a charge de la travailleuse.[2]

[26]        Toutefois, la preuve révèle que la docteure Guimond s’est absentée pour un congé de longue durée à compter de l’été 2009, de sorte qu’elle a vu la travailleuse le 3 juillet 2009 pour une dernière fois avant ce départ.

[27]        À compter du 6 août 2009, le tribunal constate que la travailleuse rencontre la docteure Mireille Belzile, en médecine du sport.

[28]        La travailleuse mentionne que c’est la docteure Guimond qui l’a référée à la docteure Belzile laquelle a assuré le suivi jusqu’à la visite du 16 décembre 2009.

[29]        En conséquence, la docteure Belzile est devenue le médecin qui a charge de la travailleuse, à compter du mois d’août 2009 et ce, jusqu’à la prochaine visite chez la docteure Guimond, le 11 janvier 2010.

[30]        Comme la Commission des lésions professionnelles le mentionnait dans l’affaire Fortin et Société Groupe Emballage Pepsi Canada,[3] un travailleur ne peut avoir qu’un seul médecin qui a charge à la fois, soit celui qu’il choisit à un moment donné dans le temps ou sur un aspect particulier du dossier. L’unicité du médecin qui a charge découle notamment de l’effet liant de ses constatations médicales et du risque de l’émission d’avis contradictoires pour lequel rien n’est prévu dans la loi, contrairement au cas où le médecin du travailleur et celui désigné par la CSST ou l’employeur se contredisent.

[31]        En rencontrant un médecin de garde lors d’une visite à l’urgence ou à une clinique externe, un travailleur lui confère le statut de médecin qui a charge et il en va ainsi successivement des autres médecins qui peuvent le remplacer, par la suite.[4]

[32]        Il doit en effet toujours exister un médecin qui a charge, mais seulement qu’un à la fois sur un sujet donné.

[33]        En conséquence, la docteure Guimond a repris son statut de médecin qui a charge à compter de la visite du 11 janvier 2010.

[34]        Quant au docteur Bernard Chartrand, il ne peut pas être considéré médecin qui a charge de la travailleuse puisqu’il ne l’a pas traitée, ne pas l’a soignée, n’a pas établi de plan de traitements pour elle, etc.

[35]        Il l’a rencontrée ponctuellement, uniquement dans le but d’évaluer les séquelles de la lésion professionnelle puisque que la docteure Guimond avait mentionné dans le cadre de son deuxième rapport final qu’elle ne le ferait pas. À la recommandation de son avocat, la travailleuse a donc rencontré le docteur Chartrand pour l’évaluation des séquelles permanentes, de sorte qu’il devenait le médecin qui charge à ce sujet, sous réserve des motifs élaborés ultérieurement dans la présente décision.[5]

[36]        Il est vrai que sur son deuxième rapport final, la docteure Guimond inscrit qu’il y a absence d’atteinte permanente mais il s’agit d’une erreur manifeste puisqu’en présence d’une cicatrice vicieuse, il est clair que la travailleuse a droit d’être indemnisée.

[37]        En indiquant l’absence d’atteinte permanente alors qu’il en existe manifestement une selon le Règlement sur le barème des dommages corporels[6] (le barème), la docteure Guimond commet, ni plus ni moins, qu’une erreur d’interprétation du barème qui constitue un sujet d’ordre juridique et non médical.[7]

[38]        Ceci étant dit, il est important de noter que le présent dossier n’a pas été référé au Bureau d’évaluation médicale. En conséquence, le tribunal est lié par les conclusions du médecin qui a charge selon les dispositions de l’article 224 de la loi :

224.  Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 .

__________

1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.

 

 

[39]        Il ne saurait donc être question d’un débat médical sur les sujets prévus à l’article 212 de la loi, vu de l’absence de référence au Bureau d’évaluation médicale.

[40]        Il s’agit plutôt ici d’identifier le médecin qui a charge, à un moment donné et sur un sujet donné, pour se déclarer lié par ses conclusions sur les points prévus à l’article 212 de la loi.

[41]        Ainsi, la travailleuse demande au tribunal de fixer la date de consolidation au 26 février 2010, selon la conclusion du docteur Chartrand. Or, le docteur Chartrand n’est pas le médecin qui a charge sur cette question.

[42]        Pendant la période où elle a été le médecin qui a charge, la docteure Belzile n’a pas fixé de date de consolidation précise. Dans son rapport du 16 décembre 2009, elle indique que la consolidation sera acquise, de façon prévisible, dans une période de plus 60 jours, ce qui n’est pas précis et ne correspond pas à une date particulière.

[43]        En conséquence, la date à retenir est celle du 2 décembre 2009 fixée dans le rapport de la docteure Guimond du 26 février 2010 faisant suite à la visite tenue le 11 janvier 2010. C’est elle qui était le médecin qui a charge à l’époque de ce rapport et, cette constatation lie la CSST ainsi que le tribunal au sens de l’article 224 de la loi.

[44]        Le tribunal ne peut pas non plus accueillir la prétention de la travailleuse que le syndrome ou névrome de Morton est relié à l’événement initial.

[45]        Premièrement, le présent tribunal n’est pas saisi de cette question.

[46]        Il est vrai que la Commission des lésions professionnelles bénéficie de larges pouvoirs en vertu de l’article 377 de la loi :

377.  La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.

 

Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.

__________

1985, c. 6, a. 377; 1997, c. 27, a. 24.

 

 

[47]        Toutefois, la compétence de la Commission des lésions professionnelles est circonscrite à l’article 369 de la loi :

369.  La Commission des lésions professionnelles statue, à l'exclusion de tout autre tribunal :

 

1° sur les recours formés en vertu des articles 359 , 359.1 , 450 et 451 ;

 

2° sur les recours formés en vertu des articles 37.3 et 193 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1).

__________

1985, c. 6, a. 369; 1997, c. 27, a. 24.

 

[48]        En conséquence, le tribunal ne peut se prononcer que sur les recours formulés à l’encontre des décisions qui sont portées devant lui.

[49]        La Commission des lésions professionnelles ne peut avoir compétence pour statuer sur une question donnée à moins qu’une décision initiale n’ait été rendue par la CSST puis révisée par elle et portée en appel.[8]

[50]        La Commission des lésions professionnelles doit donc se limiter à trancher les litiges dont la substance est circonscrite par la matière traitée dans la décision sous examen. Elle ne peut disposer d’une demande totalement étrangère à la décision contestée devant elle.[9]

[51]        Or, la question de l’acceptation de ce nouveau diagnostic n’a rien à voir, de près ou de loin, avec les décisions contestées devant le présent tribunal.

[52]        Même si la travailleuse et son procureur ont fait des démarches auprès de la CSST afin qu’elle se prononce en cette matière, la négligence de la CSST à agir ne donne pas compétence au tribunal sur cette question.

[53]        De toute façon, le diagnostic de syndrome ou névrome de Morton n’a été porté que par le docteur Chartrand qui n’est pas le médecin qui a charge de la travailleuse à ce sujet.

[54]        En conséquence, ce diagnostic ne peut lier ni la CSST ni la Commission des lésions professionnelles dans le cadre des décisions qu’elles ont à rendre.

[55]        La CSST et le tribunal restent liés par le diagnostic de fracture ouverture des deuxième et troisième métatarsiens droits. Le diagnostic de syndrome ou névrome de Morton n’est pas retenu par le médecin qui a charge et ne peut donc faire l’objet d’une décision de relation avec la lésion initiale. En conséquence, il ne saurait exister de déficit anatomo-physiologique en lien avec ce diagnostic.

[56]        Il est vrai que la docteure Renaud qui voit la travailleuse ponctuellement le 6 février 2009 mentionne la présence d’une « atteinte neurologique probable » mais elle ne détermine aucun diagnostic précis et retourne le dossier à la docteure Guimond qui n’a jamais mentionné la présence d’un syndrome ou névrome de Morton.

[57]        Le tribunal est aussi saisi d’une décision de la CSST concernant le droit à l’indemnité de remplacement du revenu et à la capacité de travail de la travailleuse.

[58]        Pour pouvoir décider de la capacité de travail, il faut s’en remettre aux limitations fonctionnelles, si elles existent.

[59]        En conséquence, pour décider de la question de la capacité de travail et de celle de l’indemnité de remplacement du revenu, le tribunal doit identifier, à partir de la preuve et de la loi, les limitations fonctionnelles qui sont à retenir ou encore conclure à l’absence de limitations fonctionnelles.

[60]        La CSST s’est déclarée liée à ce sujet par l’avis de la docteure Guimond émis sur un rapport complémentaire du 14 décembre 2009 ainsi que sur un rapport final du 29 décembre 2009, selon lequel il n’y a pas d’atteinte permanente ni limitations fonctionnelles.

[61]        Le tribunal note les contradictions qui existent au sein même des avis de la docteure Guimond.

[62]        Dans son rapport complémentaire, elle se dit d’accord avec l’expertise du docteur Fadet qui prévoit l’absence de limitations fonctionnelles mais un déficit anatomo-physiologique de 1.8 % .

[63]        Plus tard, dans son rapport final, elle indique qu’il n’y a pas d’atteinte permanente, se contredisant elle-même.

[64]        Au surplus, la docteure Guimond n’était pas le médecin qui a charge de la travailleuse en décembre 2009 pour les motifs exprimés plus haut. En conséquence, son rapport complémentaire et son premier rapport final n’ont aucune valeur liante.

[65]        En effet, le rapport final doit être préparé par le médecin qui a charge :

203.  Dans le cas du paragraphe 1° du premier alinéa de l'article 199, si le travailleur a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, et dans le cas du paragraphe 2° du premier alinéa de cet article, le médecin qui a charge du travailleur expédie à la Commission, dès que la lésion professionnelle de celui-ci est consolidée, un rapport final, sur un formulaire qu'elle prescrit à cette fin.

 

Ce rapport indique notamment la date de consolidation de la lésion et, le cas échéant :

 

1° le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le barème des indemnités pour préjudice corporel adopté par règlement;

 

2° la description des limitations fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion;

 

3° l'aggravation des limitations fonctionnelles antérieures à celles qui résultent de la lésion.

 

Le médecin qui a charge du travailleur l'informe sans délai du contenu de son rapport.

__________

1985, c. 6, a. 203; 1999, c. 40, a. 4.   (le tribunal souligne)

 

 

[66]        Il en va de même du rapport complémentaire :

205.1.  Si le rapport du professionnel de la santé désigné aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.

 

La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216 .

__________

1997, c. 27, a. 3.  (le tribunal souligne)

 

[67]        C’est donc à la docteure Belzile que la CSST aurait dû s’adresser en décembre 2009, ce qu’elle n’a pas fait.

[68]        De toute façon, autant le rapport complémentaire que le premier rapport final du 29 décembre 2009 ont été complétés par la docteure Guimond sans examiner la travailleuse. Elle n’avait d’ailleurs pas rencontrée cette dernière depuis le mois de juillet précédent alors que la lésion n’était pas consolidée et par conséquent, devait continuer à évoluer.

[69]        Le témoignage crédible et non contredit de la travailleuse indique que la docteure Guimond, lorsqu’elle l’a revue en janvier 2010, lui a avoué candidement qu’elle avait indiqué l’absence de séquelles permanentes en se basant sur le fait qu’en juillet précédent, la travailleuse notait une amélioration de son état.

[70]        Comment un médecin peut-il valablement se prononcer sur des questions aussi cruciales pour une travailleuse en se basant sur les souvenirs de la dernière rencontre, tenue plusieurs mois auparavant?

[71]        Cela n’est carrément pas sérieux et on ne peut se prononcer sur de telles matières en se basant sur un vague souvenir ou une impression laissée par une rencontre survenue il y a si longtemps.

[72]        Avant de poser un jugement sur les séquelles permanentes ou la date de consolidation, le médecin qui a charge doit s’assurer d’avoir en main toutes les données pertinentes et nécessaires à l’évaluation de ces questions puisque le travailleur ne peut contester son avis. Un examen est donc généralement requis à cette fin.

[73]        La travailleuse ne doit pas supporter les conséquences des mauvais agissements de son médecin.[10]

[74]        Il est évident que la docteure Guimond n’avait pas une connaissance personnelle suffisante de la condition de la travailleuse, en décembre 2009, alors qu’elle ne l’avait pas vue depuis juillet 2009.[11]

[75]        Dans l’affaire Meubles Lorenz et D’Angelo,[12] un médecin qui a charge exprime son accord avec l’avis du médecin désigné par la CSST. Toutefois, la Commission des lésions professionnelles ne lui accorde aucun effet liant puisque cet avis n’est pas basé sur un examen récent du travailleur. Le médecin dans cette affaire n’avait pas rencontré le travailleur depuis trois mois mais s’était quand même permis d’entériner les conclusions du médecin désigné. Ces principes s’appliquent en l’espèce.[13]

[76]        Dans les circonstances particulières de ce dossier, et vu notamment l’absence d’examen de la travailleuse, le tribunal estime qu’autant le rapport complémentaire que le premier rapport final ne peuvent être retenus comme liants au sens de l’article 224 de la loi.[14]

[77]        Reste donc comme seul rapport final valable celui du 26 février 2010 préparé par la docteure Guimond alors qu’elle était redevenue le médecin qui a charge de la travailleuse, lequel fait suite à une visite du 11 janvier 2010. Cet avis possède le caractère liant prévu à l’article 224 de la loi, sous réserve de l’erreur contenue au niveau de l’atteinte permanente.

[78]        Étant donné que la docteure Guimond inscrit qu’elle n’évaluera pas les séquelles, l’avis du docteur Bernard Chartrand devient donc liant. D’ailleurs, dans sa décision rendue à la suite d’une demande de révision en date du 24 novembre 2011, la CSST reconnaît que l’avis du docteur Chartrand constitue un rapport d’évaluation médicale au sens de la loi et se déclare liée par celui-ci.

[79]         Les limitations fonctionnelles se décrivent comme suit :

Cette dame ne devrait pas faire un travail en position debout avec des poids à porter plus de 10 minutes à la fois; pas de travail en terrain accidenté; pas de travail avec des montées-descentes; si elle fait un travail en position debout, autant de temps devrait être consacré à un travail en position assise dans une même jour.

 

 

[80]         La recommandation concernant les orthèses plantaires ne constitue pas une limitation fonctionnelle, notion qui réfère à ce qui découle d'une atteinte permanente à l'organisme, atteinte qui empêche celui-ci de remplir l'une ou l'autre des fonctions qu'il est normalement en mesure de remplir. Les limitations fonctionnelles sont la manifestation fonctionnelle de ce déficit de l'organisme[15] et réfèrent à la limitation d'une fonction, comme: se pencher, marcher, effectuer des mouvements de rotation ou de torsion, etc.[16]

[81]        Cette recommandation constitue plutôt une prescription d’assistance médicale au sens des articles 188 et 189 de la loi :

188.  Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à l'assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion.

__________

1985, c. 6, a. 188.

 

 

189.  L'assistance médicale consiste en ce qui suit :

 

1° les services de professionnels de la santé;

 

2° les soins ou les traitements fournis par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5);

 

3° les médicaments et autres produits pharmaceutiques;

 

4° les prothèses et orthèses au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes et des tissus et la disposition des cadavres (chapitre L-0.2), prescrites par un professionnel de la santé et disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie de l'assurance maladie du Québec ou, s'il s'agit d'un fournisseur qui n'est pas établi au Québec, reconnu par la Commission;

 

5° les soins, les traitements, les aides techniques et les frais non visés aux paragraphes 1° à 4° que la Commission détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.

__________

1985, c. 6, a. 189; 1992, c. 11, a. 8; 1994, c. 23, a. 23; 1999, c. 89, a. 53; 2001, c. 60, a. 166; 2009, c. 30, a. 58.

[82]        Or, la question des orthèses n’est pas devant le présent tribunal et ce dernier ne peut s’en saisir pour les mêmes motifs que ceux élaborés précédemment quant à la question du syndrome ou névrome de Morton.

[83]        La prescription du docteur Chartrand n’est pas liante car le sujet des soins demeure entre les mains de la docteure Guimond.

[84]        Comme la lésion professionnelle entraîne des séquelles permanentes, le médecin qui a charge pourra prescrire des orthèses en remplacement de celles en possession de la travailleuse et les parties pourront faire valoir leurs recours si elles l’estiment approprié.

[85]        Quant aux conclusions du docteur Chartrand en matière d’atteinte permanente, le tribunal rappelle que le déficit anatomo-physiologique de 1.5 % donné en relation avec le syndrome ou névrome de Morton ne peut être accordé.

[86]        Reste donc le déficit anatomo-physiologique de 3.5 % pour une cicatrice vicieuse auquel doit s’ajouter un pourcentage pour douleurs et perte de jouissance de la vie (DPJ) de 0.3 % pour un total de 3.8 %.

[87]        Il est évident que la travailleuse ne peut reprendre l’emploi d’entraîneuse de boxe qu’elle occupait auparavant et qu’elle aurait continué d’occuper n’eut été de sa lésion professionnelle.

[88]        L’article 79 de la loi mentionne ce qui suit :

79.  Le travailleur victime d'une lésion professionnelle alors qu'il est un étudiant visé dans l'article 10 ou un étudiant à plein temps a droit à l'indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer l'emploi rémunéré qu'il occupe ou qu'il aurait occupé, n'eût été de sa lésion, de poursuivre ses études ou d'exercer un emploi en rapport avec l'achèvement de ses études.

__________

1985, c. 6, a. 79.

 

 

[89]        En effet, l’emploi d’entraîneuse de boxe fait en sorte qu’elle doit travailler continuellement debout, qu’elle doit effectuer des transferts de poids d’une jambe à l’autre lorsqu’elle reçoit les coups sur des gants prévues à cette fin, lesquels ont un certain poids, ce qui contrevient aussi aux limitations fonctionnelles.

[90]        Elle a donc droit à la poursuite du versement de l’indemnité de remplacement du revenu sous réserve des sommes qu’elle gagne depuis environ un an dans certains emplois, dont certains sont en lien avec le cours de photographie qu’elle a suivi.

[91]        L’article 52 de la loi mentionne en effet ce qui suit :

52.  Malgré les articles 46 à 48 et le deuxième alinéa de l'article 49, si un travailleur occupe un nouvel emploi, son indemnité de remplacement du revenu est réduite du revenu net retenu qu'il tire de son nouvel emploi.

__________

1985, c. 6, a. 52.

 

 

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

Dossier 407997

ACCUEILLE la requête de madame Valérie Fraser, la travailleuse;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 16 mars 2010, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que les limitations fonctionnelles à retenir en lien avec la lésion professionnelle du 22 mai 2008 sont les suivants :

Ø   ne devrait pas faire un travail en position debout avec des poids à porter plus de 10 minutes à la fois;

 

Ø   pas de travail en terrain accidenté;

 

Ø   pas de travail avec des montées-descentes;

 

Ø  si un travail est exécuté  en position debout, autant de temps devrait être consacré à un travail en position assise dans une même journée;

 

DÉCLARE que madame Valérie Fraser est incapable d’exercer son emploi et qu’elle a droit à la poursuite du versement de l’indemnité de remplacement du revenu, sous réserve des dispositions de l’article 52 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;

DÉCLARE que le tribunal n’est pas saisi des questions du diagnostic de syndrome ou névrome de Morton ni de la date de la consolidation de la lésion qui est celle fixée par le médecin qui a charge, soit le 2 décembre 2009.

 

Dossier 459408

REJETTE la requête de madame Valérie Fraser;

CONFIRME pour d’autres motifs la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 24 novembre 2011, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la lésion professionnelle du 22 mai 2008 a entraîné une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique de madame Valérie Fraser de 3.8 %, donnant droit à celle-ci à une indemnité pour préjudice corporel.

RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail afin de déterminer le quantum de cette indemnité.

 

 

 

 

 

            Jean-François Clément

 

 

 

 

Me Daniel Longpré

Représentant de la partie requérante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Marceau et Gouttières Rive-Sud Fabrication inc., C.L.P. 91084-62-9709, 22 octobre 1999, H. Marchand.

[3]           [2004] C.L.P. 168 .

[4]           Voir aussi Guillaume c. C.L.P., C.S. Montréal, 500-17-024444-054, 14 décembre 2005. j. Caron.

[5]           Parent et Mines Agnico Eagle ltée, C.L.P. 280601-08-0512, 18 juillet 2006, J.-F. Clément; Landry et Centre d’accueil Émilie Gamelin, [1995] C.A.L.P. 1049 .

[6]           R.R.Q., c. A-3.001, r. 2.

[7]           Polymos inc. et Morin, C.L.P. 280182-71-0512, 13 novembre 2006, F. Juteau.

[8]           Centre hospitalier affilié de Québec et Fournier, [2003] C.L.P. 1651 .

[9]           Rivest et Start Appetizing Products inc., C.L.P. 175073-61-0112, 7 juillet 2003, J.-F. Martel, révision rejetée, 7 avril 2004, L. Nadeau.

[10]         Boudreau et Ministère des transports, C.L.P. 292495-09-0606, 26 juin 2007, J.-F. Clément; Laroque et Alliance H. inc., C.L.P. 307493-64-0701, 28 août 2007, J.-F. Martel; Bacon et Général Motors du Canada ltée, [2004] C.L.P. 941 .

[11]         Lapointe et C.S.S.S. de Papineau, C.L.P. 296034-07-0607, 21 décembre 2007, S. Séguin.

[12]         2011, QCCLP 1491.

[13]         Voir aussi Guitard et Peinture G & R Lachance inc., 2011 QCCLP 2731 ; O’Connor et Cri Environnement inc., 2011 QCCLP 2977

[14]         Cliche et les Gicleurs Éclairs inc., C.L.P. 248046-32-0411, 29 mars 2005, A. Tremblay; Prévost Bastien et Au printemps gourmet, [2007] C.L.P. 379 .

[15]         Delisle et Résidence Champlain Centre-Ville, [1996] C.A.L.P. 259 .

[16]         Pothier et Houbigant ltée, [1991] C.A.L.P. 1087 .

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