Beddawi et Pharmacies Jean Coutu et J. Kahwati |
2013 QCCLP 700 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 6 juillet 2012, madame Bernadette Beddawi (la travailleuse), dépose une requête en révision à l’encontre d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 18 juin 2012.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles confirme la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 4 mars 2010, à la suite d’une révision administrative, et déclare que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle le 4 août 2009.
[3] L’audience sur la présente requête en révision a lieu à Montréal, le 30 janvier 2013, en présence de la travailleuse qui est représentée par avocat. L’entreprise Pharmacies Jean Coutu et J. Kahwati (l’employeur) y est également représentée par avocat. L’affaire est mise en délibéré le 30 janvier 2013.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] La travailleuse demande de révoquer et de réviser la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles, le 18 juin 2012, et de convoquer les parties pour qu’elles soient entendues de nouveau sur le fond du litige afin qu’elle puisse soumettre des éléments de preuve additionnels.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d’employeurs sont tous les deux d’avis de rejeter la requête de la travailleuse. Ils retiennent que la requête constitue clairement un appel déguisé par lequel elle demande de pouvoir bonifier sa preuve par une preuve vidéo et des témoignages additionnels dont elle ne peut même pas préciser la teneur. Ils considèrent que la travailleuse n’a pas démontré la découverte de faits nouveaux donnant ouverture à la révision. Par ailleurs, ils sont d’avis que la travailleuse n’a pas démontré que la décision, qui est bien motivée et intelligible, comportait une erreur manifeste et déterminante.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] Le tribunal siégeant en révision doit déterminer s’il y a lieu de réviser ou révoquer la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 18 juin 2012.
[7] L’article 429.49 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) prévoit qu’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel. Cependant, le législateur a prévu à l’article 429.56 de la loi que, dans certains cas, la Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision qu’elle a rendue. Cette disposition se lit comme suit :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[8] Tel qu’il a été mentionné à la travailleuse et à son représentant, à l’audience, le recours en révision n’est pas un second appel et il ne suffit pas d’être en désaccord avec une décision pour qu’il y ait matière à révision. Une décision ne peut être révisée ou révoquée que si l’un des trois motifs prévus à l’article 429.56 de la loi est établi.
[9] Les trois motifs pouvant donner ouverture à la révision ou à la révocation sont les suivants. Premièrement, lorsqu’est découvert un fait nouveau qui, s’il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente. Deuxièmement, lorsqu’une partie n’a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre. Troisièmement, lorsqu’il est démontré un vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision.
[10] Compte tenu des arguments présentés par la travailleuse, il y a lieu de s’attarder au premier et au troisième alinéa du premier paragraphe de l’article 429.56 de la loi.
[11] Au regard du premier alinéa, la jurisprudence[2] enseigne que le « fait nouveau » ne doit pas avoir été créé postérieurement à la décision du premier juge administratif. Il doit plutôt avoir existé avant cette décision, mais avoir été découvert postérieurement à celle-ci, alors qu’il était impossible de l’obtenir au moment de l’audience initiale. Il doit également avoir un effet déterminant sur le sort du litige.
[12] Quant au troisième alinéa, il y a lieu de préciser que la notion de « vice de fond … de nature à invalider la décision » a été interprétée par la Commission des lésions professionnelles[3] comme étant une erreur manifeste, de droit ou de fait, ayant un effet déterminant sur l’issue du litige.
[13] Il a été maintes fois réitéré que ce recours ne peut constituer un appel déguisé compte tenu du caractère final d’une décision de la Commission des lésions professionnelles énoncé au troisième alinéa de l’article 429.49 de la loi.
[14] Dans l’affaire C.S.S.T. et Fontaine[4], la Cour d’appel a été appelée à se prononcer sur la notion de « vice de fond ». Elle réitère que la révision n’est pas l’occasion pour le tribunal de substituer son appréciation de la preuve à celle déjà faite par la première formation ou encore d’interpréter différemment le droit. Elle établit également que la décision attaquée pour motif de vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision. Dans l’affaire Fontaine, comme elle l’avait déjà fait dans la cause TAQ c. Godin[5], la Cour d’appel invite et incite la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d'une très grande retenue dans l'exercice de son pouvoir de révision.
[15] Ainsi, un juge administratif saisi d'une requête en révision ne peut pas écarter la conclusion à laquelle en vient le premier juge administratif qui a rendu la décision attaquée et y substituer sa propre conclusion au motif qu'il n'apprécie pas la preuve de la même manière que celui-ci.
[16] De plus, la jurisprudence[6] enseigne que la révision n’est pas une occasion qui est donnée à une partie de pouvoir faire réévaluer la preuve par un autre juge administratif ni de compléter ou de bonifier la preuve ou l’argumentation qu'elle a précédemment présentée.
[17] Il y a lieu de rapporter les faits suivants pour bien cerner le litige dont était saisi le premier juge administratif.
[18] La travailleuse occupe l’emploi de chef du comptoir postal chez l’employeur qui opère une pharmacie.
[19] Le 8 octobre 2009, elle soumet une réclamation à la CSST invoquant s’être fait mal au bas du dos au travail en soulevant des boîtes, en date du 4 août 2009. Le diagnostic initialement posé est celui d’entorse lombaire. Par la suite, d’autres diagnostics sont aussi posés, soit ceux de lombalgie, lombalgie chronique, lombosciatalgie gauche, hernie discale L5-S1 et discopathie dégénérative lombaire.
[20] La CSST refuse la réclamation de la travailleuse au motif qu’il n’y a pas de relation entre l’entorse lombaire et l’événement du 4 août 2009. La travailleuse conteste cette décision jusque devant la Commission des lésions professionnelles.
[21] La première juge administrative est donc appelée à déterminer si la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 4 août 2009. Lors de cette audience, les deux parties sont représentées par avocat. La travailleuse témoigne sur les circonstances entourant l’événement. Il y a dépôt de divers documents de part et d’autre. Puis, à la fin de l’audience, chaque avocat soumet ses arguments.
[22] Dans le cadre de sa décision, après avoir précisé l’objet du litige, décrit les faits, et analysé la preuve en fonction des règles de droit pertinentes, la première juge administrative conclut que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle le 4 août 2009.
[23] Plus spécifiquement, la première juge administrative expose d’abord les règles de droit aux paragraphes [7] à [10].
[24] Puis, aux paragraphes [11] à [37], elle fait une revue exhaustive de la preuve. Il y a lieu de noter que, dans le cadre de la requête en révision, aucun reproche n’est formulé relativement à la description des faits.
[25] Finalement aux paragraphes [38] à [52], la première juge administrative expose les différents motifs qui l’amènent à refuser la réclamation de la travailleuse.
[26] En outre, au paragraphe [38], elle retient que, malgré la présence d’un diagnostic de blessure, soit celui d’entorse lombaire, la preuve soumise ne lui permet pas de conclure que la travailleuse puisse bénéficier de l’application de la présomption de lésion professionnelle prévue à l’article 28 de la loi.
[27] À ce propos, elle reprend un extrait de la décision rendue par une formation de trois juges administratifs dans l’affaire Boies et CSSS Québec-Nord[7], qui énumère différents indices généralement pris en considération pour décider si une blessure est arrivée sur les lieux du travail alors que le travailleur ou la travailleuse est au travail.
[28] Puis, à partir de la preuve soumise par les parties, la première juge administrative reprend plusieurs de ces indices et explique dans une décision bien motivée pourquoi elle ne peut conclure à l’application de la présomption de l’article 28 de la loi. En outre, elle analyse la preuve soumise au regard du délai de déclaration de la lésion à l’employeur, du délai de consultation médicale, de la poursuite du travail régulier malgré la survenance de l’événement et de la condition médicale personnelle préexistante dont la travailleuse est atteinte au niveau lombaire.
[29] De plus, elle retient que différents éléments entachent la crédibilité du témoignage de la travailleuse. À ce sujet, elle retient notamment que la travailleuse a bonifié ces versions de l’événement au fil du temps et qu’elle a déposé sa réclamation d’accident du travail après avoir donné sa démission chez l’employeur à la suite d’une rencontre disciplinaire.
[30] Dans un premier temps, la travailleuse demande la révocation de la décision afin de pouvoir présenter de nouvelles preuves.
[31] Elle soutient qu’elle veut soumettre une preuve vidéo provenant de la caméra de surveillance de la pharmacie. Elle invoque qu’elle n’a pu utiliser cet élément de preuve lors de l’audience devant la première juge administrative puisqu’elle ne l’avait pas en sa possession. Elle reconnaît, toutefois, ne pas savoir ce que contient le vidéo de cette caméra de surveillance ni même si son poste de travail a été filmé puisqu’elle n’en a toujours pas obtenu copie.
[32] De plus, elle demande de pouvoir faire entendre des témoins qui auraient pu appuyer son témoignage quant à la survenance de la lésion professionnelle. Elle soutient qu’elle ne pouvait amener de tels témoins devant la première juge administrative parce qu’elle ne savait pas, à ce moment-là, quels collègues travaillaient avec elle lors des journées concernées par les événements. La travailleuse a fait des vérifications, après coup, et elle a alors appris que certaines personnes pourraient témoigner afin d’appuyer son témoignage.
[33] Le tribunal siégeant en révision est d’avis que ces éléments de preuve ne peuvent être considérés comme des faits nouveaux au sens du premier alinéa du premier paragraphe de l’article 429.56 de la loi. En effet, tous ces éléments de preuve existaient avant la décision et rien ne démontre que la travailleuse a été empêchée de les obtenir avant l’audience initiale. En outre, elle était représentée par avocat et, à l’écoute de l’enregistrement numérique de l’audience, chaque partie a eu l’opportunité de présenter la preuve qu’elle désirait soumettre.
[34] Ce n’est qu’une fois que la décision attaquée ait été rendue que la travailleuse, insatisfaite du résultat, désire vérifier si la caméra de surveillance contient une preuve vidéo relative à son poste de travail (ce qu’elle n’est même pas en mesure de confirmer) et qu’elle fait des vérifications auprès de collègues de travail qui pourraient être en mesure d’appuyer son témoignage.
[35] Or, par sa requête, la travailleuse cherche clairement à obtenir une nouvelle audience afin de pouvoir bonifier ou compléter la preuve, qu’elle aurait pu présenter lors de l'audition initiale, pour éventuellement obtenir une nouvelle appréciation de la preuve.
[36] Tel que mentionné précédemment, la jurisprudence[8] a maintes fois reconnu que la révision n’est pas une occasion qui est donnée à une partie de pouvoir faire réévaluer la preuve par un autre juge administratif ni de compléter ou de bonifier la preuve ou l’argumentation qu'elle a précédemment présentée.
[37] Ainsi, ces allégués de la requête ne permettent pas la révision ni la révocation de la décision.
[38] Dans un deuxième temps, la travailleuse soutient que la première juge administrative commet une erreur manifeste et déterminante en retenant qu’elle a continué son travail, sans aide, après l’événement alors qu’elle omet de tenir compte du fait qu’elle a pu poursuivre son travail en raison de la médication donnée par la pharmacienne.
[39] Le tribunal siégeant en révision estime que la travailleuse n’a pas démontré une erreur manifeste et déterminante.
[40] D’une part, il est inexact de prétendre que la première juge administrative ne tient pas compte du fait que la travailleuse a pris des médicaments donnés par la pharmacienne après la survenance de l’événement. En effet, au paragraphe [16] de la décision, alors qu’elle relate le témoignage de la travailleuse, la première juge administrative indique clairement que, après la survenance de l’événement allégué, la pharmacienne lui a donné du « tylenol ».
[41] D’autre part, cet élément n’est pas nécessairement contradictoire avec l’affirmation au paragraphe [43] selon laquelle la travailleuse a poursuivi son travail « sans aide » après l’événement. En effet, l’expression « sans aide » peut faire référence ici au fait que la travailleuse a continué à effectuer son travail en étant « seule » sans personne pour l’aider dans ses tâches.
[42] Il est vrai que, dans le cadre de ces motifs, la première juge administrative ne revient pas sur le fait que la travailleuse avait pris du Tylenol. Cependant, il est bien établi par la jurisprudence[9], que le premier juge administratif n’a pas à reprendre tous les éléments de la preuve dans les détails, ni à commenter tous les faits en autant qu’il réponde aux questions en litige et que l’on comprenne les fondements de sa décision. Or, c’est exactement ce que fait la première juge administrative dans une décision bien structurée où elle dispose clairement de différents éléments qui l’amènent à conclure que la travailleuse n’a pas démontré par une preuve prépondérante qu’une blessure est survenue au travail alors qu’elle était au travail.
[43] Ainsi, il n’est pas démontré que la décision comporte une erreur manifeste et déterminante.
[44] Les motifs soumis par la travailleuse ne permettent pas de révoquer ni de réviser la décision.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de madame Bernadette Beddawi, la travailleuse.
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Monique Lamarre |
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Me Robert Armand Tobgi |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Don Alberga |
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NORTON ROSE CANADA S.E.N.C.R.L. |
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Représentant de la partie intéressée |
[1] L.R.Q. c. A-3.001.
[2] Bourdon c. Commission des lésions professionnelles, [1999] C.L.P. 1096 (C.S.); Pietrangelo et Construction NCL, C.L.P. 107558-73-9811, 17 mars 2000, A. Vaillancourt; Nadeau et Framatome Connectors Canada inc., C.L.P. 110308-62C-9902, 8 janvier 2001, D. Rivard, 2000LP-165; Soucy et Groupe RCM inc., C.L.P. 143721-04-0007, 22 juin 2001, M. Allard, 2001LP-64; Provigo Dist. (Maxi Cie) et Briand, C.L.P. 201883-09-0303, 1er février 2005, M. Carignan; Lévesque et Vitrerie Ste-Julie, C.L.P. 200619-62-0302, 4 mars 2005, D. Lévesque; Roland Bouchard (succession) et Construction Norascon inc. et als, C.L.P. 210650-08-0306, 18 janvier 2008, L. Nadeau.
[3] Voir notamment Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783 .
[4] [2005] C.L.P. 626 (C.A.).
[5] Tribunal administratif du Québec c. Godin, [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.).
[6] Vêtements Peerless inc. et Doan, [2001] C.L.P. 360 ; Thériault et Isolation Norbec inc., C.L.P. 40017-62-9205, 16 octobre 1995, B. Lemay; Veaudry et Emballages Mitchell Lincoln ltée, C.L.P. 27493-61-9103, 28 juin 1994, Marie Lamarre; Lessard et Les produits miniers Stewart inc., C.L.P. 88727-08-9705, 19 mars 1999, J.-G. Roy, requête en révision judiciaire rejetée, [1999] C.L.P. 825 (C.S.).
[7] 2011 QCCLP 2775 .
[8] Précitée note 6.
[9] Langlois et C.L.S.C. Hochelaga-Maisonneuve, C.L.P. 89822-63-9706, 21 janvier 1999, C. Demers; Mitchell inc. c. C.L.P., C.S. Montréal, 500-05-046143-986, 21 juin 1999, j. Courville; Manufacture Lingerie Château inc. c. C.L.P., C.S. Montréal, 500-05-065039-016, 1er octobre 2001, j. Poulin; Duguay et Boîte Major inc., C.L.P. 133845-71-0003, 19 juillet 2002, C.-A. Ducharme; Beaulieu et Commission scolaire des Phares, C.L.P. 128786-01A-9912, 24 février 2006, C.-A. Ducharme.
AVIS :
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