Marcotte et Olymel St-Hyacinthe |
2011 QCCLP 5521 |
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[1] Le 23 août 2010, le travailleur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 3 août 2010 lors d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme sa décision initiale du 11 juin 2010 et déclare que le travailleur n’a pas droit au remboursement des frais reliés à la tonte de gazon et à la taille de la haie qu’il a engagés ou qu’il entend engager.
[3] L’audience s’est tenue à Saint-Hyacinthe le 10 août 2011 en présence du travailleur et de son représentant. L’employeur a informé le tribunal de son absence.
[4] Le 16 août 2011, le tribunal a réouvert l’enquête afin d’obtenir du travailleur certains renseignements pertinents à l’égard des soumissions produites à la CSST au soutien de sa réclamation.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a droit au remboursement des frais reliés à la tonte de sa pelouse ainsi qu’à la taille de sa haie.
LES FAITS
[6] De l’analyse du dossier, du témoignage du travailleur et des documents déposés à l’audience, le tribunal retient les éléments pertinents suivants.
[7] Le travailleur occupe un poste d’emballeur chez l’employeur lorsque le 26 mai 2006, il subit une lésion professionnelle.
[8] Au terme d’une évaluation réalisée par le Dr Molina-Négro, neurochirurgien et membre du Bureau d’évaluation médicale, il est déterminé que le diagnostic à retenir en lien avec l’événement accidentel du travailleur est une entorse dorsolombaire.
[9] À la suite d’une seconde évaluation réalisée cette fois le 18 décembre 2008 par le Dr Pierre Bourgeau, neurologue et membre du Bureau d’évaluation médicale, il est déterminé que la lésion professionnelle était consolidée le 17 mars 2008, le Dr Bourgeau retenant par ailleurs que le travailleur conserve de sa lésion un déficit anatomo-physiologique évalué à 0 % ainsi que les limitations fonctionnelles que le médecin décrit ainsi:
Nous sommes d’avis que celles-ci s’imposent clairement dans le cas présent, la condition de ce requérant commandant des restrictions de classe II, soit des restrictions modérées pour le rachis lombo-sacré selon l’échelle de l’IRSST, soit le fait de :
En plus des restrictions de classe I, éviter les activités qui impliquent de :
- soulever, porter, pousser, tirer de façon répétitive ou fréquente des charges de
plus de 5 kg;
- effectuer des mouvements répétitifs ou fréquents de flexion, d’extension ou de
torsion de la colonne lombaire même de faible amplitude;
- monter fréquemment plusieurs escaliers;
- marcher en terrain accidenté ou glissant.
(Les soulignements sont du tribunal)
[10] Tel qu’il appert des notes consignées au dossier par les agents de la CSST à la suite de cette évaluation par le Dr Bourgeau, le dossier du travailleur sera soumis à un agent de réadaptation en vue de la détermination d’un emploi convenable pour le travailleur[1].
[11] Par ailleurs à cette période, des litiges soumis à la Commission des lésions professionnelles concernant l’évaluation des limitations fonctionnelles retenues feront l’objet de désistements en juillet 2009 et donneront lieu entre les parties à une transaction au sens des articles 2631 et ss. du Code Civil du Québec. C’est dans ce contexte qu’il sera déterminé que le travailleur est devenu capable d’exercer un emploi convenable de préposé à l’entretien ménager léger d’édifices publics à compter du 8 juin 2009.
[12] Le 15 juillet 2009, la Commission des lésions professionnelles rend une décision[2] par laquelle elle entérine un accord survenu entre les parties et détermine que le travailleur conserve de sa lésion professionnelle une atteinte permanente à son intégrité physique et psychique de 2,2 %.
[13] En juin 2010, le travailleur soumet à la CSST diverses soumissions visant la tonte de sa pelouse et la taille de la haie de sa résidence. Traitant de cette demande, l’agente Major note ceci :
Titre : Réception du dossier pour une intervention ponctuelle en réadaptation = demande travaux entretiens courants du domicile pour taille de la haie et tonte de la pelouse.
ANALYSE ET RÉSULTATS :
Appel au T : monsieur nous confirme que la résidence qu’il habite est sa propriété et que c’est lui qui effectuait des travaux d’entretien courant du domicile avant sa lésion professionnelle dont la tonte de la pelouse ainsi que la taille de la haie. Il nous dit qu’il était « en forme » et qu’il pelletait sa cour à la pelle. Il nous dit également que l’appareil qui est utilisé pour la coupe et taille de la haie a un poids supérieur à 12 livres.
Décision : l’article #165 de la LATMP prévoit qu’un travailleur accidenté qui garde une atteinte permanente grave suite à sa lésion, a droit aux remboursements des frais qu’il engage pour faire faire des travaux qu’il exécutait lui-même avant l’événement. Les travaux doivent être des travaux d’entretien courant du domicile.
Donc : le T a droit à la réadaptation en vertu de l’article #145 de la LATMP = 2.2 %. Il confirme la propriété de sa résidence ainsi que sa responsabilité des travaux d’entretien tant qu’à la tonte de la pelouse et de la taille de la haie ainsi que pour le déneigement.
Nous ne pouvons estimer que le pourcentage de 2 % est une atteinte grave étant au contraire, l’un des plus bas pourcentages dans le barème des dommages corporels. Nous avons quand même regardé en complémentarité, les limitations fonctionnelles émises formellement étant le reflet de la capacité résiduelle du T à exécuter ses travaux d’entretien. Ces dernières sont :
[…]
La grille des exigences physiques rapporte pour la tonte de gazon des exigences faibles pour la région du tronc pour un homme.
Nous refusons donc le remboursement des frais d’entretien courant du domicile en ce qui concerne la taille de la haie et la tonte de la pelouse étant donné qu’il n’y a pas présence d’une atteinte permanente grave et que la nature des actions à poser pour exécuter ces travaux n’est pas incompatible avec la capacité résiduelle du travailleur. En ce sens, il importe de mettre en évidence que les limitations fonctionnelles émettent le caractère fréquent et répétitif en ce qui concerne la manipulation de poids et que le T a toute liberté d’utiliser un appareillage de coupe pour la taille de la haie moins lourde que le 12 livres prescrit. De plus, la taille de la haie n’est pas une action répétitive et fréquente puisque cette action est faite au maximum une fois par année. Il n’y a pas de demande de flexion répétitive pour exécuter cette action puisque la coupe se fait généralement en position debout et/ou dans un escabeau devant soi. En ce qui concerne la coupe du gazon, la flexion du tronc est nécessaire à la vidange du sac de récupération de l’herbe et n’est pas une action fréquente lors de la tonte hebdomadaire. Le T a aussi le choix de ne pas attendre que le sac soit plein à rebords avant d’effectuer la vidange et il existe des supports permettant que le sac de récupération d’herbe soit vidé dans un sac pour les rebus tout en permettant que la personne demeure debout sans se pencher de façon répétitive.
Nous remarquons également que le T semble effectivement avoir eu la capacité physique de faire ce type de travaux d’entretien de façon contemporaine puisqu’il n’y a eu aucune demande de remboursement pour les années 2008 et 2009 à ce sujet.
Avis au T que nous refusons le remboursement. T nous répond qu’il va nous en donner des nouvelles. [sic]
[14] Le 11 juin 2010, la CSST rend une décision refusant la demande présentée par le travailleur. Dans sa décision, la CSST indique « qu’elle ne peut payer les travaux d’entretien suivants : tonte de la pelouse + taille de la haie ».
[15] Cette décision sera confirmée le 3 août 2010 lors d’une révision administrative, d’où le présent litige. Dans sa décision, le réviseur reconnaît que le travailleur a droit à la réadaptation que requiert son état, mais refuse la réclamation du travailleur au motif principal que celui-ci n’a pas démontré être incapable d’exécuter lui-même les travaux d’entretien courant du domicile que sont la tonte de la pelouse et la taille des haies, principalement parce que de telles activités ne contreviennent pas aux limitations fonctionnelles qui lui ont été reconnues. Dans son dispositif, la CSST en révision indique : « que le travailleur n’a pas droit au remboursement des frais reliés à la tonte de gazon et à la taille de la haie qu’il a engagés ou qu’il entend engager ».
[16] À l’audience, monsieur Marcotte témoigne des circonstances l’ayant amené à présenter une demande à la CSST pour la tonte de sa pelouse et la taille de sa haie.
[17] Monsieur Marcotte explique tout d’abord que sa résidence est munie, à l’arrière et sur le côté, d’une haie formant un L et d’une longueur totale de 350 pieds, soit 200 pieds par 150 pieds. Le travailleur précise que la haie fait six pieds de largeur par environ 15 pieds de hauteur. Des photos déposées au tribunal montrent le tout.
[18] Monsieur Marcotte indique qu’avant sa lésion professionnelle, il procédait lui-même à la taille annuelle de cette haie à l’aide d’un taille-haie fonctionnant à l’essence, cet outil pesant 5,2 kilos.
[19] Pour effectuer ce travail, monsieur Marcotte explique qu’il devait grimper au sommet d’un escabeau de 8 pieds et qu’il procédait à tailler la haie un côté à la fois. Quant au sommet, monsieur Marcotte précise qu’il devait tailler celui-ci à bout de bras en raison de la hauteur de la haie. L’ensemble du travail pouvait être échelonné sur une semaine et requérait qu’il déplace constamment son escabeau pour y grimper et descendre.
[20] Le travailleur précise que la dernière coupe qu’il a lui-même effectuée à sa haie remonte en juillet 2005 puisqu’il a subi sa lésion professionnelle en mai 2006. Il a alors cessé de tailler sa haie.
[21] Il ajoute qu’en septembre 2007, il a demandé à la CSST de payer la taille de sa haie après lui avoir alors fait parvenir des soumissions. Monsieur Marcotte explique que sa demande a été acceptée, la CSST lui ayant à ce moment spécifié qu’il s’agissait d’un « paiement unique ». Au dossier, l’agent Beauchemin[3] note ceci à l’égard de cette réclamation :
Titre : Travaux d’entretien
ASPECT MÉDICAL :
T nous demande de lui rembourser les frais d’entretien de sa haie. Il dit que c’est toujours lui qui le fait et présentement, il n’est pas capable car sa condition physique actuelle ne lui permet pas. Suite à la directive, oui le T effectuait les travaux de façon habituelle, il l’a confirmé.
Nous consentons à rembourser ce [sic] frais, il doit donc nous envoyer 2 estimations et nous paierons la moins dispendieuse. De plus, le T a été informé que c’est un paiement unique donc nous ne rembourserons pas une deuxième fois.
Monsieur Fournier, représentant syndical est informé et il fera le suivi auprès du T.
[22] Le travailleur précise que par la suite, sa haie n’a plus été taillée. Monsieur Marcotte indique avoir présenté une nouvelle demande à la CSST en 2008, laquelle a été refusée. À cet égard, la note de l’agent Boisvert du 3 juillet 2008 mentionne ceci :
[…]
Frais d’entretien domicile
T nous dit être tanné de dépendre de son garçon pour l’entretien du terrain. Il nous explique que son fils travaille de longues journées dans la construction et qu’il ne veut pas lui en demander plus.
Il aimerait que la Commission paie la tonte du gazon.
Nous expliquons au T que selon la LATMP, pour être admissible à l’aide à domicile, entretien, etc., il y a des critères à respecter (présence d’APIPP).
Or, dans son dossier, nous n’avons pas d’indication que le T conservera une APIPP (Voir 209 avec signes de non-organicité et avis du BEM).
Nous lui indiquons cependant que s’il est au Centre Entrac tout l’été puisque le programme dure 8 semaines, il nous serait possible de payer la tonte de gazon puisque le voyagement, les exercice [sic] au Centre et l’entretien de son domicile pourraient être très exigeants pour lui. Nous lui indiquons qu’il devra le payer et suite aux 8 semaines du programme, nous pourrions le rembourser.
T peu intéressé par cette option.
Nous lui indiquons que nous n’avons pas de marge de manœuvre. Le remboursement de frais engagés pour exécuter les travaux d’entretien courant du domicile est une mesure de réadaptation sociale. Pour en bénéficier, le travailleur doit donc être admissible à la réadaptation, conformément à l’article 145 de la LATMP, c’est-à-dire qu’il doit avoir subi une atteinte permanente à son intégrité physique.
T nous contactera pour nous laisser connaître ses intentions.
[23] Quant à la tonte de son gazon, le travailleur indique qu’il s’agit d’une pelouse d’une superficie de 200 pieds sur 150 pieds, entourant sa propriété. Sur les photos produites, le tribunal remarque qu’à l’avant, le terrain est en pente à partir de la rue jusqu’à la résidence et qu’on y retrouve un talus, muni de rocailles, pouvant mesurer plusieurs pieds de largeur. Sur un des côtés de la résidence, une autre rocaille apparaît. Quant à l’arrière, on ne remarque aucune dénivellation ou rocailles.
[24] Monsieur Marcotte précise de nouveau qu’avant sa lésion professionnelle, il procédait lui-même à la tonte de sa pelouse, à l’aide d’une tondeuse fonctionnant à l’essence. Par la suite, le travailleur explique que c’est son fils qui a dû s’en occuper et tel que l’a noté un agent de la CSST en juillet 2008, le travailleur déplore le fait qu’il ait dû s’en remettre à son fils pour ce faire, monsieur Marcotte se contentant depuis « d’aider celui-ci », par exemple, en ramassant les débris sur la pelouse ou en emplissant d’essence le réservoir de la tondeuse.
[25] Par ailleurs, monsieur Marcotte ajoute que la tonte du gazon requiert que l’on passe un coupe-bordure, activité qu’il réalisait également lui-même avant sa lésion professionnelle. Pour ce faire, le travailleur utilisait un coupe-bordure « à gaz », mesurant 4 pieds de hauteur.
[26] Enfin, le travailleur termine son témoignage en indiquant n’avoir exercé aucun travail après juillet 2009, moment où on a déterminé sa capacité à exercer un emploi de préposé à l’entretien ménager léger d’édifices publics dans le cadre d’une transaction avec l’employeur. Par ailleurs, monsieur Marcotte indique être en attente d’une opération pour son dos et, en ce sens, que son «dossier de CSST continue ».
[27] À la suite d’une réouverture d’enquête par le tribunal le 16 août 2011, monsieur Marcotte a indiqué au tribunal ne pas avoir fait exécuter les travaux pour lesquels des soumissions obtenues en avril 2010 ont été produites à la CSST, ayant amené la décision de la CSST du 11 juin 2010, ici en litige. En conséquence, le travailleur indique ne pas avoir payé pour de tels travaux.
L’AVIS DES MEMBRES
[28] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que la requête du travailleur doit être accueillie.
[29] Ce membre est d’avis que le travailleur conserve de sa lésion professionnelle une atteinte permanente grave au sens où l’entend la jurisprudence et que le travailleur, qui effectuait lui-même les travaux de tonte de sa pelouse et de taille de ses haies avant sa lésion professionnelle, ne peut le faire en raison des limitations fonctionnelles qu’il conserve de sa lésion, ce type de travaux contrevenant auxdites limitations fonctionnelles.
[30] En conséquence, ce membre croit que le travailleur a droit d’être remboursé des dépenses relatives à ces travaux, sous réserve qu’il fasse la démonstration à la CSST qu’il en a défrayé les coûts.
[31] Le membre issu des associations d’employeurs est également d’avis que le travailleur conserve de sa lésion professionnelle une atteinte permanente grave et qu’il ne peut plus procéder à la taille de sa haie, alors qu’il le faisait avant sa lésion professionnelle. Ce membre croit en effet que ce travail contrevient aux limitations fonctionnelles reconnues au travailleur et que le travailleur a droit d’être remboursé des dépenses qu’il a encourues à cet égard, sur présentation de pièces justificatives.
[32] Toutefois, ce membre est d’avis que la preuve offerte par le travailleur ne permet pas de conclure à son incapacité d’effectuer lui-même les travaux de tonte de sa pelouse, et ce, malgré les limitations fonctionnelles établies. En conséquence, ce membre croit que le travailleur ne peut être remboursé des dépenses encourues pour la tonte de son gazon.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[33] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a droit au paiement des frais relatifs à la tonte de sa pelouse et à la taille de ses haies.
[34] Pour les motifs suivants, le tribunal est d’avis que le travailleur aura droit au remboursement des frais qu’il réclame pour les travaux en question lorsque ceux-ci auront été effectués.
[35] À la suite de sa lésion professionnelle, le travailleur s’est vu attribuer une atteinte permanente de 2,2 % et il a été établi qu’il en a conservé des limitations fonctionnelles de classe II, tel que déterminé par le Dr Bourgeau, membre du Bureau d’évaluation médicale.
[36] Dans sa décision, la CSST en révision administrative reconnaît que dans ce contexte, le travailleur a droit à la réadaptation que requiert son état. Toutefois, la CSST refuse la réclamation du travailleur au motif principal que la tonte du gazon et la taille de la haie ne contreviennent pas aux limitations fonctionnelles du travailleur.
[37] Avec égards, la Commission des lésions professionnelles ne retient pas cette appréciation du réviseur.
[38] La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[4] (la loi) édicte ceci :
145. Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.
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1985, c. 6, a. 145.
151. La réadaptation sociale a pour but d'aider le travailleur à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s'adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l'accomplissement de ses activités habituelles.
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1985, c. 6, a. 151.
152. Un programme de réadaptation sociale peut comprendre notamment :
1° des services professionnels d'intervention psychosociale;
2° la mise en oeuvre de moyens pour procurer au travailleur un domicile et un véhicule adaptés à sa capacité résiduelle;
3° le paiement de frais d'aide personnelle à domicile;
4° le remboursement de frais de garde d'enfants;
5° le remboursement du coût des travaux d'entretien courant du domicile.
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1985, c. 6, a. 152.
165. Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année[5].
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1985, c. 6, a. 165.
(Les soulignements sont du tribunal)
[39] La jurisprudence enseigne que des travaux de tonte de pelouse et de taille de haie sont des travaux « d’entretien courant du domicile »[6].
[40] Par ailleurs, pour avoir droit au remboursement des frais qu’il engage pour ce type de travaux, un travailleur, selon les termes de l’article 165 de la loi, doit d’une part, conserver de sa lésion une « atteinte permanente grave à son intégrité physique » et, d’autre part, doit être incapable d’effectuer les travaux d’entretien courant de son domicile, travaux qu’il effectuerait normalement lui-même n’eut-été de sa lésion ».
[41] En l’espèce, le travailleur s’est vu reconnaître une atteinte permanente à son intégrité physique et psychique de 2,2 %, ce qui en soi est fort peu.
[42] La jurisprudence enseigne que l’article 165 de la loi doit cependant être lu dans le contexte de l'objet et du but recherché par la réadaptation sociale. Il y a donc lieu d'analyser le caractère grave d'une atteinte permanente en tenant compte de la capacité résiduelle du travailleur à exercer les différentes activités d’entretien courant de son domicile[7].
[43] À cette fin, le seul pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique ne suffit pas à établir la gravité de l’atteinte, mais l’on doit également prendre en considération la nature des limitations fonctionnelles établies en fonction des tâches d’entretien courant du domicile[8].
[44] Ainsi, comme le rappelait la juge administratif Langlois dans l’affaire Lalonde et Mavic Construction[9] :
[46] La jurisprudence majoritaire de la Commission des lésions professionnelle et de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles a établi que l’analyse du caractère grave d’une atteinte permanente à l’intégrité physique doit s’effectuer en tenant compte de la capacité résiduelle du travailleur à exercer les activités visées par l’article 165 de la loi. Dès lors, le pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique n’est pas le critère unique et déterminant à tenir compte. Il faut s’interroger sur la capacité du travailleur à effectuer lui-même les travaux en question compte tenu de ses limitations fonctionnelles. Soulignons que les limitations fonctionnelles mesurent l’étendue de l’incapacité résultant de la lésion professionnelle.
(Les soulignements sont du soussigné)
[45] De même, la juge administratif Morin mentionnait ceci dans l’affaire Barrette et C.H. Ste-Jeanne-D’Arc[10] :
[14] […] l’analyse du caractère « grave » d’une atteinte permanente à l’intégrité physique ne doit pas se faire en regard du pourcentage de cette atteinte permanente, mais plutôt en regard de la capacité résiduelle du travailleur à exercer les travaux visés par l’article 165 compte tenu des limitations fonctionnelles qui lui ont été reconnues.
[46] Le travailleur conserve des limitations fonctionnelles importantes des suites de sa lésion. Tel que l’a déterminé le Dr Bourgeau du Bureau d’évaluation médicale, il s’agit de limitations de classe II, selon l’IRSST, soit , en plus des limitations de classe I :
Éviter les activités qui impliquent de :
soulever, porter, pousser, tirer de façon répétitive ou fréquente des charges de plus de 5 kg;
effectuer des mouvements répétitifs ou fréquents de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire même de faible amplitude;
monter fréquemment plusieurs escaliers;
marcher en terrain accidenté ou glissant.
[47] De l’avis du tribunal, en application des critères jurisprudentiels énoncés ci-dessus, de telles limitations fonctionnelles analysées dans le contexte de travaux d’entretien courant du domicile que sont des tâches de tonte de gazon et de taille de haies, permettent de qualifier l’atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique du travailleur de « grave » au sens de l’article 165 de la loi.
[48] Par ailleurs, le témoignage du travailleur n’a nullement été contredit quant au fait qu’il effectuait lui-même la tonte de sa pelouse et la taille de ses haies avant sa lésion professionnelle et que, depuis celle-ci en mai 2006, il n’a pas pu procéder à de tels travaux.
[49] La CSST en révision a rejeté la demande du travailleur au motif que la taille de la haie et la tonte de la pelouse ne contrevenait pas aux limitations fonctionnelles du travailleur.
[50] Le tribunal est d’un avis entièrement contraire.
[51] Manifestement, la dimension de la haie décrite par le travailleur, visible sur les photos produites, que ce soit dans sa longueur, sa largeur ou sa hauteur, requiert de sa part qu’il grimpe et descende à répétition d’un escabeau de 8 pieds et qu’il taille la haie, à bout de bras, dans une position que le tribunal imagine forcément peu stable.
[52] De l’avis du tribunal, de tels gestes contreviennent à la limitation fonctionnelle visant le fait de « grimper fréquemment des escaliers ». De même, ce type de travail contrevient également à la limitation fonctionnelle consistant à éviter de soulever, porter, pousser, tirer de façon répétitive ou fréquente des charges de plus de 5 kg », la preuve au dossier révélant en effet que le taille-haie du travailleur pèse 5,2 kilos. Enfin, il est manifeste de l’avis du tribunal, que l’exécution de cette tâche dans la position décrite par le travailleur aura pour effet, à tout le moins, de requérir de sa part des mouvements fréquents de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire, contrairement à la limitation fonctionnelle établie en ce sens.
[53] De même, la tonte de la pelouse du travailleur contrevient, de l’avis du tribunal, à la fois à la limitation fonctionnelle concernant la charge de 5 kilos et à celle visant à éviter des mouvements de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire, même de faible amplitude, que ce soit en raison de la fréquence requise pour vider le panier de gazon pour une pelouse de grande dimension ou encore en raison de la pente évidente de la partie avant du terrain du travailleur, sans compter la difficulté occasionnée par la présence de rocailles au-devant de la résidence et sans compter la nécessité de passer le coupe-bordure, autre tâche que le tribunal considère contrevenir aux limitations fonctionnelles du travailleur quant au poids à manipuler et aux mouvements requis de la colonne lombaire.
[54] Pour l’ensemble de ces motifs, la Commission des lésions professionnelles est donc d’avis que la requête du travailleur doit être accueillie.
[55] Cependant, le tribunal constate du dossier que le travailleur a produit à la CSST plusieurs soumissions pour les travaux de tonte de la pelouse et de taille des haies.
[56] Toutefois, la preuve est à l’effet que les soumissions en question produites à la CSST n’ont pas donné lieu aux travaux eux-mêmes. Le témoignage du travailleur est à l’effet que les travaux n’ont pas été effectués. Par ailleurs, monsieur Marcotte a confirmé, lors de la réouverture d’enquête effectuée par le tribunal le 16 août 2011, qu’il n’avait évidemment pas payé pour les travaux envisagés, mais non réalisés.
[57] Or, l’article 165 de la loi précise qu’un travailleur « qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux ».
[58] Ainsi, la jurisprudence du tribunal enseigne à cet égard que pour être remboursables, les travaux prévus par cette disposition doivent avoir été « engagés » par le travailleur[11].
[59] Dans l’affaire Benoit et Produits Électriques Bezo Ltée[12], une travailleuse demandait à la CSST que des frais de ménage, tâche qu’elle ne pouvait plus effectuer à la suite de sa lésion professionnelle, lui soient payés. Pour ce faire, la travailleuse a produit des soumissions obtenues auprès de diverses entreprises mais, selon la preuve, aucun ménage n’a été effectué et en conséquence, aucun déboursé n’a été engagé par la travailleuse.
[60] Après qu’il ait déterminé que la travailleuse avait droit, en vertu de l’article 165 de la loi, à ce que les travaux de ménage demandés par la travailleuse lui soient défrayés par la CSST, le juge administratif Beaudoin indique ceci :
[27] Il s’agit donc, de l’avis de la Commission des lésions professionnelles, d’une atteinte que l’on peut qualifier de grave.
[28] La travailleuse a démontré qu’elle effectuait ces travaux d’entretien courant auparavant et qu’elle ne peut plus les faire.
[29] Elle n’a cependant pas encouru les frais et on ne peut donc lui rembourser.
[30] La travailleuse demande de déclarer qu’elle aurait droit au remboursement des frais d’entretien courant s’ils étaient encourus.
[31] La situation n’est pas sans précédent. Dans la décision Lebrun et Ville de Sept-Îles8, la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles considère que le travailleur demande une déclaration de principe indiquant que les frais pour des travaux d’entretien courant du domicile qui sont prévisibles seront, de par leur nature, remboursables. La Commission d’appel en matière de lésions professionnelles acquiesce à cette demande.
[32] En la présente instance, il y a lieu de déclarer qu’à la suite de la lésion professionnelle subie le 13 juin 1997, la travailleuse a une atteinte permanente grave, qu’elle est incapable d’effectuer certains travaux d’entretien courant de son domicile qu’elle effectuerait normalement, soit le grand ménage, compte tenu des limitations fonctionnelles décrites par le membre du bureau d’évaluation médicale et qu’elle a droit au remboursement des seuls frais qu’elle peut engager pour faire exécuter ces travaux.
(8) C.A.L.P. 79061-04-9605, le 27 mars 1997, P. Brazeau, commissaire.
[61] Le soussigné partage le raisonnement du juge Beaudoin dans cette affaire, laquelle présente de grandes analogies avec le présent dossier.
[62] Toutefois, bien conscient de la jurisprudence établie voulant que « la Commission des lésions professionnelles ne peut disposer à l’avance et de façon exécutoire du droit du travailleur au remboursement de frais éventuels », lesquels « n’ont pas encore fait l’objet d’une réclamation à la CSST et qui n’ont pas non plus été engagés »[13] ou encore que le tribunal n’a pas à rendre de jugement déclaratoire[14], le soussigné est d’avis qu’il convient de retourner le dossier à la CSST afin qu’elle évalue si les soumissions reçues en juin 2010 peuvent servir de base au remboursement éventuel auquel aura droit le travailleur lorsqu’il fera exécuter les travaux qu’autorise le tribunal, et qu’il en défrayera les coûts, ou si de nouvelles soumissions pourront être exigées par la CSST à l’égard des travaux envisagés.
[63] Par ailleurs, dans tous les cas, le travailleur devra faire exécuter les travaux, défrayer le coûts de ceux-ci, et ensuite en demander le remboursement à la CSST.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête du travailleur déposée le 23 août 2010;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 3 août 2010 lors d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur a droit au remboursement des travaux de tonte de la pelouse et de taille de haies, sur présentation de pièces justificatives attestant que lesdits travaux ont été effectués et qu’ils ont été payés par le travailleur.
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Michel Watkins |
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Jean Philibert |
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A.T.T.A.M. |
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Représentant de la partie requérante |
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[1] Note du tribunal : notes de l’agent Beauchemin du 5 mars 2009 et du 1er avril 2009.
[2] Marcotte et Olymel Saint-Hyacinthe et CSST, C.L.P. 370177-62B-0902, 15 juillet 2009, J.M. Dubois.
[3] Note du tribunal : note de l’agent Beauchemin du 19 septembre 2007.
[4] L.R.Q. c. A-3.001
[5] Note du tribunal : ce montant est revalorisé annuellement.
[6] Voir par exemple : Lebel et CLSC Rivières et Marées, C.L.P. 407552-01A-1004, 23 août 2010, M. Racine; Domagala et Collège Lionel-Groulx, C.L.P. 316576-71-0705, 13 décembre 2007, M. Cuddihy (révision pour cause rejetée, 30 mars 2009, M. Langlois) ; Dubé et D.R.H.C. Direction travail et Service Correctionnel du Canada, C.L.P. 178136-61-0202, 3 mai 2002, F. Poupart; Brousseau et Protection d'incendie Viking ltée, C.A.L.P.18374-61-9004, 15 septembre 1992, L. Boucher; Chevrier et Westburne ltée, C.A.L.P. 16175-08-8912, 25 septembre 1990, M. Cuddihy; Lévesque et Mines Northgate inc., [1990] C.A.L.P. 683 ; Lagassé et Construction Atlas inc., C.A.L.P.58540-64-9404, 31 octobre 1995, F. Poupart; Pinard et Russel Drummond, C.L.P.145317-02-0008, 29 novembre 2000, R. Deraiche; Paquet et Pavillon de l'Hospitalité inc., 142213-03B-0007, 12 décembre 2000, R. Savard.
[7] Chevrier et Westburne ltée, supra note 6; Boileau et Les Centres jeunesse de Montréal, C.L.P. 103621-
71-9807, 1er février 1999, Anne Vaillancourt; Filion et P.E. Boisvert auto ltée, C.L.P. 110531-63-9902,
15 novembre 2000, M. Gauthier; Thibault et Forages Groleau (1981), CLP 130531-08-0001, 130532-08-
0001, 26 mars 2001, P. Simard; Cyr et Thibault et Brunelle, C.L.P. 165507-71-0107, 25 février 2002, L. Couture.
[8] Bouthillier et Pratt & Whitney Canada inc., [1992] C.A.L.P. 605 .
[9] C.L.P. 146710-07-0009, 28 novembre 2001, M. Langlois.
[10] C.L.P. 227586-61-0402, 28 juin 2004, G. Morin.
[11] Air Canada et Chapdelaine, C.A.L.P. 35803-64-9112, 17 novembre 1995, B. Roy, (décision accueillant en partie la requête en révision) ; Ouellet et Excavation Leqel 1993 ltée, C.L.P.144557-03B-0008, 13 février 2001, P. Brazeau; Lamontagne et C.L.S.C. Samuel de Champlain, C.L.P. 175805-62-0112, 7 janvier 2004, É. Ouellet.
[12] C.L.P. 144924-62-0008, 13 février 2001, R.L.Beaudoin. Voir aussi :
[13] Ouellet et Excavation Leqel 1993 ltée, supra note 11.
[14] Lamontagne et C.L.S.C. Samuel de Champlain, supra note 11.
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