Décision

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Paris et Bétons préfabriqués Trans-Canada inc.

2008 QCCLP 2467

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Drummondville

Le 24 avril 2008

 

Région :

Mauricie-Centre-du-Québec

 

Dossier :

288180-04B-0605

 

Dossier CSST :

129141610

 

Commissaire :

Lise Collin

 

Membres :

Alexandre Beaulieu, associations d’employeurs

 

Julie Bouchard, associations syndicales

 

 

Assesseure :

Guylaine Landry-Fréchette

______________________________________________________________________

 

 

 

Jacques Paris

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Bétons préfabriqués Trans-Canada inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 1er mai 2006, monsieur Jacques Paris (le travailleur) dĂ©pose Ă  la Commission des lĂ©sions professionnelles une requĂŞte par laquelle il conteste une dĂ©cision rendue le 29 mars 2006 par la Commission de la santĂ© et de la sĂ©curitĂ© du travail (CSST) dans le cadre d’une rĂ©vision administrative.

[2]                Par cette dĂ©cision, la CSST confirme sa dĂ©cision initiale du 3 fĂ©vrier 2006 et dĂ©clare que le travailleur n’a pas subi de lĂ©sion professionnelle.

[3]                Le travailleur est prĂ©sent et reprĂ©sentĂ© Ă  l’audience tenue devant la Commission des lĂ©sions professionnelles le 14 fĂ©vrier 2008. BĂ©tons prĂ©fabriquĂ©s Trans-Canada inc. (l’employeur) sont reprĂ©sentĂ©s.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                Le travailleur invoque l’article 29 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et demande au tribunal de dĂ©clarer qu’il a subi une maladie professionnelle en ce que le phĂ©nomène de Raynaud qui l’affecte est une maladie causĂ©e par des vibrations et qu’elle rĂ©sulte du fait qu’il a exercĂ© un travail impliquant des vibrations.

[5]                De façon subsidiaire, le travailleur invoque l’article 28 de la loi et demande Ă  la Commission des lĂ©sions professionnelles de dĂ©clarer que l’engelure Ă  l’index droit qu’il a subie Ă  la mĂŞme date est une lĂ©sion professionnelle.

L’AVIS DES MEMBRES

[6]                Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs sont d’avis d’accueillir la contestation du travailleur. La preuve dĂ©montre de façon prĂ©pondĂ©rante que ce dernier est porteur d’une maladie causĂ©e par des vibrations et qu’il exerce un travail impliquant des vibrations, de sorte que la prĂ©somption de maladie professionnelle s’applique et qu’elle n’a pas Ă©tĂ© repoussĂ©e par l’employeur.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[7]                La Commission des lĂ©sions professionnelles doit dĂ©cider si le travailleur a subi une lĂ©sion professionnelle le 16 janvier 2006.

[8]                Après avoir pris connaissance de la preuve et reçu l’avis des membres issus des associations syndicales et d’employeurs, la Commission des lĂ©sions professionnelles conclut que le phĂ©nomène de Raynaud est une maladie professionnelle. Cette conclusion repose sur les Ă©lĂ©ments suivants. 

[9]                La lĂ©sion professionnelle est dĂ©finie comme suit Ă  l’article 2 de la loi :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1.

 

[10]           Afin de faciliter la preuve dont le fardeau repose sur les Ă©paules du travailleur, le lĂ©gislateur a prĂ©vu une prĂ©somption de lĂ©sion professionnelle Ă  l’article 28 de la loi :

28.  Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est Ă  son travail est prĂ©sumĂ©e une lĂ©sion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 28.

 

 

[11]           D’emblĂ©e, la Commission des lĂ©sions professionnelles Ă©carte la thèse dĂ©fendue de façon subsidiaire par le reprĂ©sentant du travailleur Ă  l’effet que l’engelure Ă  l’index droit qui s’est manifestĂ©e le 16 janvier 2006 constitue une lĂ©sion professionnelle. En effet, mĂŞme si la symptomatologie du travailleur s’est manifestĂ©e alors qu’il Ă©tait exposĂ© au froid, le diagnostic d’engelure n’a jamais Ă©tĂ© posĂ©. La preuve mĂ©dicale indique plutĂ´t que le diagnostic contemporain Ă  l’évĂ©nement est celui de phĂ©nomène de Raynaud.

[12]           Cela dit, la Commission des lĂ©sions professionnelles estime que les faits ne se prĂŞtent pas Ă  la dĂ©monstration d’un accident du travail puisqu’en rĂ©alitĂ©, ce que le travailleur invoque, c’est l’apparition d’un phĂ©nomène de Raynaud en raison du fait qu’il exerce depuis plusieurs annĂ©es un travail qui implique l’utilisation d’outils causant des vibrations.

[13]           De mĂŞme, il n’est pas question d’une rĂ©cidive, rechute ou aggravation d’une lĂ©sion professionnelle initiale de sorte que la preuve doit ĂŞtre examinĂ©e en fonction de la notion de maladie professionnelle que l’on trouve dĂ©finie aux articles 2, 29 et 30 de la loi, en ces termes :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1.

 

 

29.  Les maladies Ă©numĂ©rĂ©es dans l'annexe I sont caractĂ©ristiques du travail correspondant Ă  chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliĂ©es directement aux risques particuliers de ce travail.

 

Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.

__________

1985, c. 6, a. 29.

 

 

30.  Le travailleur atteint d'une maladie non prĂ©vue par l'annexe I, contractĂ©e par le fait ou Ă  l'occasion du travail et qui ne rĂ©sulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causĂ©e par un tel accident est considĂ©rĂ© atteint d'une maladie professionnelle s'il dĂ©montre Ă  la Commission que sa maladie est caractĂ©ristique d'un travail qu'il a exercĂ© ou qu'elle est reliĂ©e directement aux risques particuliers de ce travail.

__________

1985, c. 6, a. 30.

 

 

[14]           La section IV de l’annexe I, Ă  laquelle rĂ©fère l’article 29 de la loi, prĂ©voit que pour une maladie causĂ©e par les vibrations, le travailleur doit dĂ©montrer avoir exercĂ© un travail impliquant des vibrations :

ANNEXE I

 

MALADIES PROFESSIONNELLES

(Article 29)

 

SECTION IV

 

MALADIES CAUSÉES PAR DES AGENTS PHYSIQUES

 

MALADIES

GENRES DE TRAVAIL

 

 

1.       Atteinte auditive causĂ©e par le bruit:

un travail impliquant une exposition Ă  un bruit excessif;

2.       LĂ©sion musculo-squelettique se manifestant par des signes objectifs (bursite, tendinite, tĂ©nosynovite):

un travail impliquant des répétitions de mouvements ou de pressions sur des périodes de temps prolongées;

3.       Maladie causĂ©e par le travail dans l’air comprimĂ©:

un travail exécuté dans l’air comprimé;

4.       Maladie causĂ©e par contrainte thermique:

un travail exécuté dans une ambiance thermique excessive;

5.       Maladie causĂ©e par les radiations ionisantes:

un travail exposant Ă  des radiations ionisantes;

6.       Maladie causĂ©e par les vibrations:

un travail impliquant des vibrations;

7.       RĂ©tinite:

un travail impliquant l’utilisation de la soudure à l’arc électrique ou à l’acétylène;

8.       Cataracte causĂ©e par les radiations non ionisante:

un travail impliquant une exposition aux radiations infrarouges, aux micro-ondes ou aux rayons laser.

__________

1985, c. 6, annexe I.

 

(Le tribunal souligne)

 

[15]           Dans la prĂ©sente affaire, la Commission des lĂ©sions professionnelles conclut que le travailleur bĂ©nĂ©ficie de la prĂ©somption de maladie professionnelle, que cette prĂ©somption n’a pas Ă©tĂ© repoussĂ©e et qu’en consĂ©quence, il y a lieu de reconnaĂ®tre que le phĂ©nomène de Raynaud est une maladie professionnelle pour les motifs qui suivent.

[16]           Le travailleur est journalier pour le compte de l’employeur qui fabrique des panneaux de bĂ©ton. Il est nĂ© en 1951 et travaille pour le compte de l’employeur depuis 1999. Il est droitier.

[17]           Le travailleur a eu l’occasion de dĂ©crire son travail qui consiste Ă  fabriquer des panneaux de bĂ©ton qui vont entrer dans la construction d’édifices. Il doit d’abord monter ce qu’il appelle un matelas d’acier et qui est l’armature dans laquelle le bĂ©ton va ĂŞtre coulĂ©. Pour construire son armature, il utilise une pince et des broches et cette tâche est faite Ă  la main.

[18]           Par la suite, le bĂ©ton est coulĂ© dans le moule. Ces moules sont de diffĂ©rentes grandeurs, tout dĂ©pendant des commandes Ă  effectuer. Une fois la première couche de bĂ©ton coulĂ©e, elle doit ĂŞtre compactĂ©e. Pour ce faire, il utilise ce qu’il appelle un « ledger Â» qui est en quelque sorte une plaque vibrante en aluminium qui mesure environ six pouces par trois pieds et qui comprend deux moteurs Ă  air vibrant. L’outil est muni d’un long manche et fonctionne par la pression de l’air. Il s’agit d’un outil pneumatique qui ne comporte aucune protection contre les vibrations.

[19]           Cette opĂ©ration Ă©tant terminĂ©e, il pose ensuite diffĂ©rents ancrages dans le système de levage. La pose des ancrages se fait Ă  la main ou avec une « botteuse Â» Ă  air.

[20]           Il coule ensuite une deuxième couche de bĂ©ton. Après cette deuxième coulĂ©e de bĂ©ton, il utilise ce qu’il appelle un vibrateur qui est en quelque sorte un outil servant Ă  compacter le bĂ©ton, de façon Ă  s’assurer qu’il n’y ait pas de trou ou de poche d’air. Il s’agit d’un appareil muni d’un moteur Ă©lectrique avec un manche. Au bout du manche se trouve une canule et c’est cette canule qui est appliquĂ©e sur le bĂ©ton et qui vibre. NĂ©anmoins, le travailleur affirme que les vibrations se font Ă©galement sentir dans le manche qui est enduit d’un morceau de caoutchouc qu’il tient de la main droite. Cette opĂ©ration peut durer une dizaine de minutes. Il lui arrive de devoir appliquer la main gauche sur le moteur de l’appareil, ce qui implique en ressentir les vibrations, mais il arrive aussi très souvent que le moteur soit  dĂ©posĂ© par terre et n’ait pas besoin d’être manipulĂ©.

[21]           Ă€ l’occasion, le travailleur explique que certains panneaux ont les cĂ´tĂ©s apparents, par exemple des panneaux qui vont ĂŞtre placĂ©s près des fenĂŞtres, de sorte qu’il doit utiliser un autre appareil qui est en fait un tube mĂ©tallique de six pouces. C’est un outil pneumatique qui est promenĂ© sur les cĂ´tĂ©s des panneaux, de façon Ă  bien les Ă©galiser. Il soutient que cet outil « arrache les mains Â» parce que l’embout qu’il manĹ“uvre est appliquĂ© dans la paume de sa main.

[22]           Par la suite, il procède Ă  la finition du panneau et pour ce faire utilise, soit une truelle d’acier ou une règle vibrante. Ce dernier outil est composĂ© de deux tubulures en aluminium rĂ©unies par deux poignĂ©es et munies de deux moteurs pneumatiques vibrants. Il se manĹ“uvre avec l’aide d’un autre travailleur et il est promenĂ© sur le dessus du panneau.

[23]           InvitĂ© Ă  prĂ©ciser la durĂ©e de ses tâches, le travailleur estime qu’un panneau peut prendre de dix Ă  quinze minutes pour la première opĂ©ration. Règle gĂ©nĂ©rale, il en fait cinq ou six par jour. L’étape du vibrateur peut prendre une dizaine de minutes par moule et le tube pneumatique appliquĂ© sur le panneau dont les cĂ´tĂ©s sont apparents peut prendre environ deux minutes par panneau. Quant Ă  la règle vibrante, lorsqu’elle est utilisĂ©e, il s’agit d’une opĂ©ration qui prend environ de cinq Ă  six minutes par panneau.

[24]           Le travailleur dĂ©crit ensuite ce qui s’est passĂ© le 16 janvier 2006. La semaine prĂ©cĂ©dente, il avait Ă©tĂ© avisĂ© par son superviseur de s’habiller chaudement pour la prochaine semaine parce qu’il irait travailler Ă  l’extĂ©rieur, au chargement de matĂ©riel. Étant donnĂ© qu’on se retrouvait un peu après la pĂ©riode des fĂŞtes, il y avait moins de personnel que d’habitude.

[25]           Il travaille donc Ă  l’extĂ©rieur en compagnie d’un autre travailleur. Il ne remarque rien de spĂ©cial au niveau de sa main droite. Ă€ l’heure du midi, il se rend Ă  l’intĂ©rieur pour y prendre son repas. En enlevant ses gants, il se rend compte que son index droit est noir. Il avise son contremaĂ®tre qui lui dit d’aller Ă  l’hĂ´pital immĂ©diatement.

[26]           Le travailleur raconte que son mĂ©decin l’a questionnĂ© sur son emploi et a conclu qu’il avait un phĂ©nomène de Raynaud. Il entendait parler de cette maladie pour la première fois. Le docteur Viens qu’il a vu Ă  l’urgence l’a rĂ©fĂ©rĂ© Ă  des spĂ©cialistes notamment en chirurgie vasculaire auprès du docteur Bourgoin. Dans la note de sa consultation, le docteur Bourgoin mentionne n’avoir aucun traitement chirurgical Ă  offrir. Il a Ă©galement vu la docteure Dessureault, rhumatologue, et le docteur Germain pour le compte de son assurance groupe.

[27]           Le travailleur ajoute que six mois environ avant le 16 janvier 2006, Ă  la suite de discussions avec l’employeur et le syndicat, les travailleurs s’étaient vu offrir des gants pour contrer l’effet des vibrations des outils. Il les porte depuis lors et est affectĂ© Ă  des travaux plus lĂ©gers que ceux qu’il faisait avant le 16 janvier 2006.

[28]           Le travailleur convient qu’il fume de façon intermittente, mais de façon contemporaine au 16 janvier 2006, il ne fumait pas depuis un an. Il prend cinq Ă  six cafĂ©s par jour et ne consomme aucun mĂ©dicament Ă  l’exception d’un anti-acide pour son estomac.

[29]           Son horaire de travail  est de 7 h 30 Ă  15 h 45. Il soutient qu’il est le seul Ă  utiliser la plaque vibrante « ledger Â». En ce qui a trait aux trois autres vibrateurs qui sont utilisĂ©s, c’est lui qui les manipule dans une proportion de 95 % du temps. Il convient que l’utilisation des outils vibrants de toutes sortes peut se faire pour une durĂ©e d’une heure et demie par jour.

[30]           Il est inexact de dire qu’il faisait ce travail depuis un an, tel que mentionnĂ© aux notes Ă©volutives. Il ajoute que l’agent de la CSST voulait s’en tenir uniquement au travail de chargement qu’il a fait le 16 janvier 2006 et ne lui a pas laissĂ© l’occasion d’expliquer ses tâches habituelles.

[31]           L’analyse mĂ©dicale faite par un mĂ©decin de la CSST conclut Ă  l’absence de lien de causalitĂ© entre le phĂ©nomène de Raynaud et le travail. Le mĂ©decin, s’appuyant sur la description apparaissant aux notes Ă©volutives, retient que les tâches du travailleur sont variĂ©es, qu’il travaille trois quart d’heure par jour pour enlever les bulles dans le bĂ©ton avec une polisseuse qui vibre.

[32]           Monsieur Yves Harvey est directeur de production depuis six ans. Il convient que l’on fabrique de cinq Ă  six panneaux par jour. Cependant, il est impossible que l’utilisation de la plaque vibrante « ledger Â» prenne de dix Ă  quinze minutes par panneau. Ă€ son avis, c’est plutĂ´t la moitiĂ© du temps. En ce qui a trait au vibrateur, il peut ĂŞtre utilisĂ© pendant cinq Ă  six minutes, tout dĂ©pendant de la grandeur du panneau Ă  mouler. Pour ce qui est du tube Ă  air, il est d’accord pour dire que cela prend environ deux minutes. Cet outil n’est cependant pas utilisĂ© Ă  tous les jours puisque son utilisation dĂ©pend du fait qu’ils ont des commandes de panneaux Ă  cĂ´tĂ©s ouverts ou non. Quant Ă  la règle vibrante, son utilisation peut ĂŞtre de cinq Ă  six minutes par panneau, mais encore lĂ , elle n’est pas utilisĂ©e Ă  tous les panneaux.

[33]           Monsieur Harvey soutient qu’il est inexact de dire que le travailleur est le seul Ă  ĂŞtre affectĂ© Ă  des tâches qui impliquent l’utilisation d’outils vibrants. Ils sont deux ou trois Ă  ĂŞtre affectĂ©s Ă  ces tâches et cette tâche peut totaliser une heure trente par jour. Ă€ sa connaissance, il n’y a pas d’autres travailleurs qui sont affectĂ©s par une maladie de Raynaud en raison de leur travail.

[34]           Il soutient que la vibration du vibrateur se fait au bout de la canule et non pas dans le tuyau par lequel on le tient.

[35]           Tel que dĂ©jĂ  dit, la preuve mĂ©dicale dĂ©montre que lors de la consultation mĂ©dicale initiale du 16 janvier 2006, c’est un diagnostic de phĂ©nomène de Raynaud qui est posĂ©. En l’absence de contestation au sujet du diagnostic, c’est ce diagnostic qui lie le tribunal aux fins de sa discussion.

[36]           L’on trouve au dossier le rapport de la consultation effectuĂ©e auprès de la docteure Michelle Dessureault, rhumatologue. Elle Ă©crit que les symptĂ´mes ont dĂ©butĂ© le 16 janvier 2006 alors que le travailleur s’est infligĂ© une engelure Ă  l’index droit. Il a consultĂ© Ă  l’urgence et a Ă©tĂ© rĂ©fĂ©rĂ© en chirurgie vasculaire auprès du docteur Bourgoin. Ce dernier a fait effectuer un Doppler artĂ©riel des membres supĂ©rieurs qui dĂ©montre une dominance cubitale bilatĂ©rale possiblement constitutionnelle, nettement plus marquĂ©e au membre supĂ©rieur droit.

[37]           Ă€ l’issue de son examen, elle Ă©met comme impression diagnostique un phĂ©nomène de Raynaud secondaire Ă  plusieurs facteurs : rĂ©trĂ©cissement constitutionnel d’une artère radiale, tabagisme, utilisation excessive de cafĂ©ine, exposition chronique au froid, exposition chronique aux outils vibrants. Au chapitre des recommandations, elle suggère de diminuer l’apport en cafĂ©ine, de cesser le tabac, d’éviter d’utiliser des outils vibrants sur des pĂ©riodes prolongĂ©es de plus de trente minutes.

[38]           La preuve rĂ©vèle Ă©galement que le travailleur a Ă©tĂ© rĂ©fĂ©rĂ© au docteur Michel Lebel, neurologue. Dans sa note de consultation du 14 novembre 2006, le docteur Lebel Ă©crit que le travailleur lui est rĂ©fĂ©rĂ© pour une possibilitĂ© de canal carpien. Le travailleur prĂ©sente des symptĂ´mes d’engourdissements au niveau des mains, plus Ă  droite qu’à gauche qui se manifestent le jour comme la nuit, Ă  l’index et au majeur. Ces symptĂ´mes peuvent persister pendant plusieurs jours puis finissent par disparaĂ®tre. Le docteur Lebel ajoute que le travailleur a aussi un phĂ©nomène de Raynaud au niveau de l’index et du majeur.

[39]           Les Ă©tudes de conduction nerveuses qu’il pratique aux membres supĂ©rieurs incluant les nerfs mĂ©dians moteurs et sensitifs, cubital moteur et sensitif et radial sensitif ne rĂ©vèlent aucune anomalie. L’électromyogramme pratiquĂ© au niveau du court abducteur du pouce et du premier interosseux dorsal est normal. Le docteur Lebel conclut Ă  un phĂ©nomène de Raynaud amĂ©liorĂ© et pour ce qui est du canal carpien que le travailleur prĂ©sente clairement mais qui n’a pas de rĂ©percussion Ă©lectro-physiologique, il recommande simplement de s’en remettre Ă  l’observation. 

[40]           Le travailleur a Ă©galement Ă©tĂ© examinĂ© le 13 juin 2006 par le docteur Guy Germain, rhumatologue, pour le compte de son assurance groupe. Le docteur Germain passe en revue l’histoire du cas et questionne le travailleur sur ses activitĂ©s professionnelles. Il note que le travailleur a repris le travail habituel, la veille de son examen, avec restriction d’utiliser des outils et appareils vibratoires pour des durĂ©es infĂ©rieures Ă  une heure et au moment de son examen, la symptomatologie est nulle. Le docteur Germain est d’avis que le travailleur prĂ©sente un phĂ©nomène de Raynaud induit et entretenu par la manipulation et l’usage d’instruments et d’appareils vibratoires au travail. Ă€ son avis, il s’agit d’une maladie professionnelle.

[41]           Au chapitre des recommandations, le docteur Germain Ă©crit que la seule thĂ©rapie efficace, c’est la suppression de l’exposition Ă  des outils vibrants. Si une exposition de moins de 60 minutes par jour continue Ă  induire les symptĂ´mes, l’exposition aux vibrations doit ĂŞtre proscrite.

[42]           De ceci, le tribunal retient que les recommandations des docteurs Dessureault et Germain sont Ă©mises dans un contexte de restrictions d’utilisation d’outils vibrants chez un travailleur dont on reconnaĂ®t qu’il est porteur d’un phĂ©nomène de Raynaud.

[43]           L’employeur a produit de la littĂ©rature provenant du site internet du Centre canadien d’hygiène et de sĂ©curitĂ© au travail (CCHST)[2] portant sur la façon de mesurer les vibrations, sur la question de savoir s’il existe des normes ou des lignes directrices en matière d’exposition aux vibrations et sur les mesures de prĂ©vention.

[44]           De la littĂ©rature produite, le tribunal en retient que :

·         Le phĂ©nomène de Raynaud est un trouble de la circulation sanguine dans les doigts;

 

·         L’exposition aux vibrations est pondĂ©rĂ©e en frĂ©quence et exprimĂ©e en mètres par seconde carrĂ©e soit en unitĂ©s d’accĂ©lĂ©ration;

 

·         Le port de gants antivibrants permet d’amortir les vibrations;

 

·         American Conference of Governmental Industrial Hygienists (ACGHI) retient la norme internationale ISO 5349 en fonction de laquelle la plupart des travailleurs peuvent ĂŞtre exposĂ©s de façon rĂ©pĂ©titive sans subir de dommage graves aux doigts. En fonction du tableau fourni, plus l’accĂ©lĂ©ration de l’outil vibrant augmente, plus la durĂ©e d’exposition journalière totale permise diminue;

 

·         Un phĂ©nomène de Raynaud peut ĂŞtre causĂ© par les vibrations produites par des outils mĂ©caniques portatifs tels que  les scies Ă  chaĂ®ne, les marteaux piqueurs, les marteaux perforateurs de roc et les burins pneumatiques;

 

·         Le dĂ©lai qui s’écoule entre le dĂ©but de l’exposition aux vibrations et l’apparition du phĂ©nomène de Raynaud s’appelle la pĂ©riode de latence. La longueur de ce dĂ©lai varie selon le genre de facteur en cause, la durĂ©e d’exposition et la sensibilitĂ© personnelle de chaque travailleur. En gĂ©nĂ©ral, la pĂ©riode de latence est plus courte lorsque l’exposition est grave;

 

·         Le phĂ©nomène de Raynaud peut se dĂ©velopper Ă  la suite d’une maladie (comme la sclĂ©rodermie), la prise de mĂ©dicaments ou les activitĂ©s professionnelles. La cause du phĂ©nomène de Raynaud est identifiable. Il y a des Ă©lĂ©ments dĂ©clenchants comme l’exposition au froid, les Ă©motions intenses, le stress, le tabagisme et les activitĂ©s professionnelles impliquant l’utilisation d’outils vibrants.

 

 

[45]           De tout ceci, la Commission des lĂ©sions professionnelles constate d’abord que le phĂ©nomène de Raynaud est une maladie pouvant ĂŞtre causĂ©e par les vibrations.

[46]           La Commission des lĂ©sions professionnelles constate Ă©galement que la CSST dans le cadre de sa rĂ©vision administrative a dĂ©cidĂ© que le travailleur ne pouvait bĂ©nĂ©ficier de l’application de la prĂ©somption de maladie professionnelle puisque le diagnostic de phĂ©nomène de Raynaud n’est pas Ă©numĂ©rĂ© Ă  l’annexe 1 de la loi. 

[47]           Pourtant, la section 1V de l’annexe 1 prĂ©voit le cas de la maladie causĂ©e par les vibrations et puisque le phĂ©nomène de Raynaud est une maladie causĂ©e par les vibrations, la rĂ©vision administrative de la CSST aurait d’abord dĂ» examiner la demande de rĂ©vision du travailleur sous l’angle de la prĂ©somption de maladie professionnelle.

[48]           En l’espèce, la preuve rĂ©vèle Ă©galement que le travailleur effectue un travail impliquant des vibrations. Le travailleur l’affirme, monsieur Harvey en convient et l’employeur a mĂŞme produit une fiche technique d’un vibrateur industriel utilisĂ© par son entreprise, de sorte qu’il y a lieu de conclure que la prĂ©somption de maladie professionnelle s’applique. 

[49]           Ă€ l’étape oĂą il s’agit de dĂ©cider si la prĂ©somption s’applique ou pas, il y a lieu de considĂ©rer uniquement ses conditions d’application. Exiger une preuve dĂ©passant les conditions d’application de la prĂ©somption aurait pour effet de la stĂ©riliser, pour reprendre les termes utilisĂ©s par la Cour supĂ©rieure dans l’affaire Whear[3].

[50]           Cela dit, la prĂ©somption de maladie professionnelle Ă©dictĂ©e par l’article 29 de la loi n’est pas irrĂ©fragable et elle peut ĂŞtre repoussĂ©e. Ce fardeau de preuve revient Ă  l’employeur qui, en l’espèce, ne l’a pas rencontrĂ©.

[51]           En accord avec la dĂ©cision rendue dans l’affaire Tremblay et Checo Construction[4] citĂ©e par le reprĂ©sentant du travailleur, la Commission des lĂ©sions professionnelles estime que pour repousser la prĂ©somption de maladie professionnelle, l’employeur aurait dĂ» dĂ©montrer que le temps d’exposition et la frĂ©quence d’utilisation des outils vibratoires permettent de conclure Ă  l’absence de relation entre le travail exercĂ© et le phĂ©nomène de Raynaud. Cette preuve n’a pas Ă©tĂ© faite.

[52]           L’employeur n’a prĂ©sentĂ© aucune preuve sur le niveau rĂ©el de vibrations des outils utilisĂ©s ou de leurs effets sur l’apparition du phĂ©nomène de Raynaud.

[53]           La procureure de l’employeur, s’inspirant de la dĂ©cision rendue dans l’affaire Coulombe[5], argumente que le fait de travailler une heure et demie par jour avec des outils vibratoires ne peut ĂŞtre considĂ©rĂ© comme un travail impliquant une exposition aux vibrations sur des pĂ©riodes de temps prolongĂ©es.

[54]           La Commission des lĂ©sions professionnelles ne retient pas cet argument, car la preuve d’une utilisation prolongĂ©e n’est pas requise pour bĂ©nĂ©ficier de l’application de la prĂ©somption dans le cas d’une maladie causĂ©e par les vibrations[6].

[55]           De mĂŞme, le fait que le travailleur soit un fumeur intermittent ou non ne peut non plus servir Ă  renverser la prĂ©somption de maladie professionnelle[7], car le tribunal ne dispose d’aucune preuve mĂ©dicale sur l’incidence du tabagisme dans la manifestation du phĂ©nomène de Raynaud chez le travailleur.

[56]           L’argument de l’employeur Ă  l’effet que la docteure Dessureault a retenu un diagnostic de phĂ©nomène de Raynaud secondaire Ă  plusieurs facteurs, l’exposition aux outils vibrants venant en dernier dans la liste de ces facteurs, donc qu’il ne s’agit pas d’un facteur dĂ©terminant, ne suffit pas Ă  repousser la prĂ©somption puisqu’encore lĂ , le tribunal ne dispose d’aucune preuve sur l’incidence d’un facteur par rapport Ă  un autre. Par contre, le tribunal voit que la docteure Dessureault reconnaĂ®t que le travail avec des outils vibrants est un facteur causal du phĂ©nomène de Raynaud tout en ajoutant d’autres facteurs qui sont propres au travailleur.

[57]           Ainsi, les opinions mĂ©dicales dont dispose le tribunal, soit celles des docteurs Germain et Dessureault, reconnaissent une relation entre le phĂ©nomène de Raynaud et le travail exercĂ© par le travailleur. D’ailleurs, ils ont Ă©mis comme recommandation d’éviter l’utilisation d’outils vibrants pour une certaine durĂ©e de temps quotidienne.  Le tribunal ne retient pas l’opinion du mĂ©decin de la CSST qui repose sur des informations incomplètes, voire mĂŞme erronĂ©es.

[58]           Par consĂ©quent, la Commission des lĂ©sions professionnelles conclut que la prĂ©somption de maladie professionnelle s’applique, qu’elle n’a pas Ă©tĂ© repoussĂ©e, de sorte qu’il y a lieu de conclure que le phĂ©nomène de Raynaud est une lĂ©sion professionnelle.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requĂŞte produite le 1er mai 2006 par le travailleur, monsieur Jacques Paris;

INFIRME la décision rendue le 29 mars 2006 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail dans le cadre d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 16 janvier 2006 dont le diagnostic est un phénomène de Raynaud.

 

 

 

 

Lise Collin

 

Commissaire

 

 

 

 

M. Luc Bellemare

C.S.N. (Sherbrooke)

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Isabelle Arseneault

Groupe AST inc.

Représentante de la partie intéressée

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001

[2]           http://www.cchst.ca/reponsessst/phys_agents/vibration/vibration_measure.html?print, pp.1-7, 2007-01-16; http://www.passeportsante.net/fr/Maux/Problemes/Fiche.aspx?doc=maladie_raynaud_pm, pp,1-6,2006-12-19;

            http://www.cchst.ca/reponsessst/diseases/raynaud.html?print, pp.1-6, 2007-01-16

[3]           Whear c. Commission des lĂ©sions professionnelles, 700-17-002912-052, 28 fĂ©vrier 2006, j. D. Tingley, (05LP-267), requĂŞte pour permission d'appeler rejetĂ©e, 28 avril 2006, 500-09-016544-066

[4]           C.L.P. 116264-64-9905, 7 mars 2001, M. Montplaisir

[5]           C.L.P. 198791-08-0301, 3 novembre 2006, M. Lamarre

[6]           Groupement Forestier du Pontiac inc., C.L.P. 301316-07-0610, 20 juillet 2007, S. Séguin

[7]           Voir note 3

AVIS :
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