Décision

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Rond Point Dodge Chrysler

2011 QCCLP 321

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saint-Jean-sur-Richelieu

17 janvier 2011

 

Région :

Richelieu-Salaberry

 

Dossier :

407679-62A-1004

 

Dossier CSST :

132191180

 

Commissaire :

Esther Malo, juge administratif

 

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Rond Point Dodge Chrysler

 

Partie requérante

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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DÉCISION

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[1]           Le 16 avril 2010, Rond Point Dodge Chrysler (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 7 avril 2010 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 27 janvier 2010. Elle déclare que l’employeur doit assumer la totalité du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par monsieur Michel Tremblay (le travailleur) le 2 octobre 2007.

[3]           Le 5 novembre 2010, le représentant de l’employeur, monsieur Olivier Tremblay, communique avec le tribunal pour l’informer qu’il désire procéder par argumentation écrite. Il demande une prolongation de délai d’un mois pour produire son argumentation et le tribunal prolonge le délai jusqu’au 15 décembre 2010. Le 9 décembre 2010, il produit son argumentation et la cause est mise en délibéré à cette dernière date.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           Le représentant de l’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles d’imputer 5 % des coûts de la lésion professionnelle à son dossier et 95 % des coûts aux employeurs de toutes les unités.

LES FAITS

[5]           Le travailleur occupe un poste de mécanicien chez l’employeur depuis environ 2002. Il est âgé de 53 ans lors de la survenance de la lésion professionnelle.

[6]           Le 2 octobre 2007, le travailleur ressent une brûlure et une douleur au côté droit de son dos et à l’épaule droite, en voulant enlever un roulement sur une roue avec un extracteur.

[7]           Le 22 octobre 2007, la CSST accepte la réclamation du travailleur et déclare que celui-ci a subi un accident du travail le 2 octobre 2007, soit une entorse dorsale.

[8]           Le 21 janvier 2008, une résonance magnétique de l’épaule droite est pratiquée. Le docteur Stéphane Chénier, radiologue, est d’avis que le travailleur présente une tendinopathie calcifiée modérée de la coiffe des rotateurs. Il note également de l’arthrose hypertrophique acromio-claviculaire avec une composante inflammatoire. L’œdème osseux prédominant à la clavicule distale pourrait suggérer un début d’ostéolyse post-traumatique à ce niveau.

[9]           Le 22 janvier 2008, le docteur M. J. Gauthier diagnostique une tendinite traumatique de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite.

[10]        Le 25 février 2008, le docteur Serge Tohmé, chirurgien orthopédiste, examine le travailleur à la demande de l’employeur. Il conclut que l’entorse dorsale est consolidée à la date de son examen. Cependant, la tendinite de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite n’est pas résolue. Il est d’avis que l’arthrose acromio-claviculaire est une condition personnelle préexistante qui aura une incidence sur la durée de récupération de la pathologie à l’épaule droite.

[11]        Le 2 mai 2008, la CSST déclare que le diagnostic de bursite calcifiée de l’épaule droite n’est pas relié à l’événement du 2 octobre 2007. Elle déclare que le travailleur continuera de recevoir l’indemnité de remplacement du revenu en raison de l’entorse dorsale et de la tendinite de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite.

[12]        Le 2 juillet 2008, le travailleur reçoit un lavage calcique.

[13]        Le 5 septembre 2008, une arthro-résonance magnétique est pratiquée. La docteure Julie Brien, radiologue, est d’avis que celle-ci révèle une tendinopathie sans déchirure du supra-épineux. Il y a aussi une tendinopathie avec plus ou moins de déchirures des fibres supérieures du sous-scapulaire. Par contre, il y a une déchirure fort probable de l’intervalle de la coiffe et une tendinopathie sans déchirure significative de la longue portion du tendon du biceps dans son trajet intra-articulaire. Enfin, il y a une diminution des modifications inflammatoires à l’articulation acromio-claviculaire et des modifications dégénératives de degré au moins modéré.

[14]        Le 26 novembre 2008, la docteure Nadia Lachance, chirurgienne orthopédiste, mentionne que la situation s’est compliquée lorsque le travailleur a développé une capsulite adhésive. Cette condition risque fortement de prolonger la période de consolidation et conjointement avec la tendinopathie de la coiffe, de donner des limitations fonctionnelles permanentes plus sévères que celles qu’aurait pu engendrer une simple résection.

[15]        Le 10 décembre 2008, la CSST déclare que les diagnostics d’entorse, d’arthrose acromio-claviculaire et de capsulite de l’épaule droite sont reliés à l’événement du 2 octobre 2007.

[16]        Le 11 février 2009, le travailleur subit une résection de la clavicule distale droite.

[17]        Le 1er mai 2009, l’employeur produit une demande de partage de coûts en vertu de l’article 329 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). Cette demande est rejetée, d’où le présent litige.

[18]        Le 17 juin 2009, la docteure Lachance produit un rapport final consolidant la tendinite de la coiffe des rotateurs, l’entorse, la capsulite et l’arthrose acromio-claviculaire de l’épaule droite à la même date. Elle est d’avis que la lésion professionnelle entraîne une atteinte permanente à l’intégrité physique et des limitations fonctionnelles.

[19]        À la même date, la docteure Lachance produit un rapport d’évaluation médicale. Elle rappelle que le travailleur a subi une résonance magnétique qui démontrait la tendinopathie de la coiffe et l’hypertrophie acromio-claviculaire avec arthrose importante à l’acromio-claviculaire droite. Elle est d’avis que la lésion professionnelle entraîne un déficit anatomo-physiologique de 4 % pour une atteinte des tissus mous du membre supérieur droit avec séquelles fonctionnelles, une ankylose permanente incomplète de l’épaule droite au niveau de l’abduction et de la rotation externe. Enfin, elle suggère des limitations fonctionnelles.

[20]        Le 26 juin 2009, la CSST déclare que la lésion professionnelle entraîne une atteinte permanente à l’intégrité physique de 4,4 %.

[21]        Le 15 novembre 2010, le docteur Tohmé produit une opinion médicale sur dossier à la demande de l’employeur. Il mentionne que l’arthrose acromio-claviculaire, bien qu’acceptée en relation avec le fait accidentel par la CSST, est une condition préexistante à l’événement qui a été aggravée par celui-ci. La calcification au niveau des tendons de la coiffe est aussi une condition personnelle préexistante.

[22]        Il est donc évident qu’il s’agit d’un handicap de maladie dégénérative acromio-claviculaire. Selon le docteur Tohmé, il n’est pas normal pour une personne de 53 ans de présenter une tendinopathie calcifiée des trois tendons de la coiffe des rotateurs qualifiée de modérée par le radiologiste ainsi qu’une arthrose hypertrophique. Normalement, il est habituel de retrouver des modifications dégénératives légères chez des personnes du même groupe d’âge que celui du travailleur, mais pas aussi sévères affectant la totalité de l’épaule.

[23]        Le docteur Tohmé ajoute que la résection de la clavicule distale est purement adressée à une pathologie d’arthrose acromio-claviculaire et nullement à une pathologie de tendinite de la coiffe des rotateurs ou capsulite. Selon lui, il est clair que le déficit anatomo-physiologique et les limitations fonctionnelles secondaires à la chirurgie sont en relation avec la condition personnelle préexistante et n’ont aucun rapport avec la pathologie lésionnelle au niveau de l’épaule droite.

[24]        Le docteur Tohmé conclut que la tendinite, l’entorse et la capsulite auraient été consolidées dans un délai beaucoup plus court, soit huit semaines, et celles-ci n’auraient possiblement pas laissé de séquelles, n’eut été de la condition personnelle.

L’ARGUMENTATION DE L’EMPLOYEUR

[25]        Le représentant de l’employeur prétend que le travailleur est déjà handicapé lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle. Sa déficience, l’arthrose acromio-claviculaire et la calcification de la coiffe des rotateurs, correspond à une déviation par rapport à la norme biomédicale. Cette déficience a eu un effet significatif sur les conséquences de la lésion professionnelle.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[26]        La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a lieu d’accorder un partage de coûts à l’employeur au motif que le travailleur était déjà handicapé lors de la manifestation de sa lésion professionnelle du 2 octobre 2007 au sens de l’article 329 de la loi.

[27]        Le principe général d’imputation est énoncé au premier alinéa de l’article 326 de la loi :

326.  La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

 

 

[28]        Par ailleurs, l’article 329 de la loi prévoit une exception dans le cas d’un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle:

329.  Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.

 

 

[29]        L’employeur doit d’abord présenter sa demande avant l’expiration de la troisième année qui suit celle de la lésion professionnelle. En l’espèce, ce délai est respecté puisque l’employeur a produit sa demande le 1er mai 2009.

[30]        La notion de travailleur déjà handicapé n’est pas définie dans la loi. La jurisprudence a établi depuis l’affaire Municipalité Petite-Rivière St-François[2], que le travailleur déjà handicapé au sens de l'article 329 de la loi est celui qui présente une déficience physique ou psychique qui a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur les conséquences de cette lésion.

[31]        Dans un premier temps, l’employeur doit établir par une preuve prépondérante que le travailleur est porteur d’une déficience avant la manifestation de sa lésion professionnelle. Selon la jurisprudence, cette déficience constitue une perte de substance ou une altération d'une structure ou d'une fonction psychologique, physiologique ou anatomique et correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale. Elle peut aussi exister à l'état latent, sans qu'elle se soit manifestée avant la survenance de la lésion professionnelle.

[32]        S’il réussit à faire cette démonstration, l’employeur doit prouver dans un deuxième temps que cette déficience a une incidence sur l’apparition ou la production de la lésion professionnelle ou sur ses conséquences.

[33]        L’employeur prétend que le travailleur est porteur d’une condition personnelle préexistante assimilable à un handicap, soit l’arthrose acromio-claviculaire et la calcification au niveau de la coiffe des rotateurs.

[34]        Selon le tribunal, la preuve prépondérante établit que le travailleur est porteur d’une déficience. La calcification au niveau de la coiffe des rotateurs constitue une déficience, soit une perte de substance ou une altération d'une structure.

[35]        Cependant, la Commission des lésions professionnelles ne peut conclure que l’arthrose acromio-claviculaire constitue un handicap, puisqu’il s’agit de la lésion professionnelle reconnue par la CSST. En effet, la CSST déclare le 10 décembre 2008 que le diagnostic d’arthrose acromio-claviculaire est relié à la lésion professionnelle du 2 octobre 2007. De plus, l’employeur n’a pas contesté cette décision.

[36]        Or, la jurisprudence a établi que l'employeur ne peut invoquer comme déficience la lésion professionnelle elle-même.[3] Ce diagnostic ne peut donc être considéré comme un handicap.

[37]        Le tribunal note que l’employeur n’invoque aucune autre condition personnelle préexistante que l’arthrose acromio-claviculaire et la calcification au niveau de la coiffe des rotateurs.

[38]        Toutefois, même si la Commission des lésions professionnelles considérait que l’employeur a démontré que la calcification au niveau de la coiffe des rotateurs correspond à une déviation par rapport à la norme biomédicale, il conclurait quand même que cette calcification n’a pas d’incidence sur les conséquences de la lésion professionnelle.

[39]        En effet, tous les traitements, sauf le lavage calcique, sont en relation avec les diagnostics acceptés par la CSST. Or, le lavage calcique n’engendre pas de coûts significatifs. De plus, l’arthrose acromio-claviculaire et l’ostéolyse post-traumatique de l’extrémité distale de la clavicule ont justifié la résection de la clavicule distale droite.

[40]        Aussi, le tribunal considère que l’atteinte permanente à l’intégrité physique de 4,4 % pour une atteinte des tissus mous et une ankylose permanente incomplète de l’épaule et les limitations fonctionnelles découlent de la lésion professionnelle reconnue par la CSST.

[41]        Enfin, la calcification au niveau de la coiffe des rotateurs ne peut avoir prolongé la période de consolidation de la lésion professionnelle et avoir aggravé les limitations fonctionnelles. En effet, la docteure Nadia Lachance affirme que la situation s’est compliquée lorsque le travailleur a développé une capsulite adhésive. Selon elle, cette condition risque fortement de prolonger la période de consolidation et conjointement avec la tendinopathie de la coiffe, de donner des limitations fonctionnelles permanentes plus sévères que celles qu’aurait pu engendrer une simple résection. Le tribunal rappelle que la capsulite de l’épaule droite et la tendinite de la coiffe des rotateurs sont des diagnostics acceptés par la CSST.

[42]        La Commission des lésions professionnelles estime donc que la preuve médicale prépondérante n’a pas démontré que la déficience affectant le travailleur a eu une incidence significative sur les conséquences de sa lésion professionnelle. La déficience n’a pas été le facteur déterminant pour la durée de la période de consolidation, la nécessité des traitements et la détermination de l’atteinte permanente à l’intégrité physique et des limitations fonctionnelles.

[43]        Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles conclut que la totalité du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par le travailleur le 2 octobre 2007 doit être imputée à l'employeur.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de Rond Point Dodge Chrysler, l’employeur;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité au travail rendue le 7 avril 2010 à la suite d'une révision administrative;


DÉCLARE que Rond Point Dodge Chrysler doit assumer la totalité du coût des prestations reliées la lésion professionnelle subie par monsieur Michel Tremblay, le travailleur, le 2 octobre 2007.

 

 

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Esther Malo

 

 

 

 

M. Olivier Tremblay

C.M.I. Préventive du Québec inc.

Représentant de la partie requérante

 

 

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Municipalité Petite-Rivière-St-François et CSST, [1999] C.L.P. 779 .

[3]           Association Action Plus LGS inc., C.L.P. 142148-32-0006, 6 avril 2001, M.-A. Jobidon.

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