Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

QUÉBEC, LE 24 JUILLET 1998

 

 

RÉGION:  Québec                       DEVANT LE COMMISSAIRE:          JEAN-GUY ROY

 

 

ASSISTÉ DES MEMBRES:              PIERRE DE CARUFEL,

 Associations syndicales

 

 GAÉTAN GAGNON,

 Associations demployeurs

 

 

DOSSIER:  91508-03-9710

 

DOSSIER CSST:                              AUDIENCE TENUE LE:                 25 MAI 1998

108741869

 

DOSSIER BRP:                          À:                                                         QUÉBEC

62480431

 

                                                                                                                  

 

COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL

Direction régionale Québec                        730, boulevard Charest Est

QUÉBEC (Québec)

G1K 7S6

 

 PARTIE APPELANTE

 

MONSIEUR GAÉTAN FLEURENT

5925, avenue Banville, app. 7

QUÉBEC (Québec)

G1P 1H7

 

LES SERVICES DE PERSONNEL MANPOWER QUÉBEC LTÉE

1800, avenue McGill College, bureau 900

MONTRÉAL (Québec)

H3A 3J6

 

 PARTIES INTÉRESSÉES

 


                                               D É C I S I O N

 

Le 2 octobre 1997, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) interjette appel dune décision du 18 août 1997 du Bureau de révision de la région Québec.

 

Ce Bureau de révision, infirmant la décision du 12 mars 1997 de la CSST, déclarait alors unanimement que M. Gaétan Fleurent «doit bénéficier des prestations prévues par larticle 158 de la L.A.T.M.P. en ce que laide personnelle à domicile doit lui être accordée, et ceci rétroactivement au mois de décembre 1994».

 

Les Services de personnel Manpower Québec ltée (lemployeur), bien que dûment convoquée, n’était pas représentée à laudience.

 

Bien que lappel de la CSST ait été déposé à la Commission dappel en matière de lésions professionnelles (la Commission dappel), la présente décision est rendue par la Commission des lésions professionnelles conformément à larticle 52 de la Loi instituant la Commission des lésions professionnelles et modifiant diverses dispositions législatives (L.Q. 1997, c. 27) entrée en vigueur le 1er avril 1998.  En vertu de larticle 52 de cette loi, les affaires pendantes devant la Commission dappel sont continuées et décidées par la Commission des lésions professionnelles.

 

La présente décision est donc rendue par le soussigné en sa qualité de commissaire de la Commission des lésions professionnelles.

 

 


OBJET DE LAPPEL

 

La CSST demande à la Commission des lésions professionnelles dinfirmer la décision du 18 août 1997 du Bureau de révision et de déclarer que M. Fleurent ne peut bénéficier, conformément à larticle 158 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001) (la loi), des bénéfices accordés à titre daide personnelle à domicile.

 

 

LES FAITS

 

La Commission des lésions professionnelles, après avoir pris connaissance du dossier et après avoir entendu les parties, retient notamment les éléments suivants de la présente affaire.

 

M. Fleurent est actuellement âgé de 40 ans.

 

Les faits dans la présente affaire ne sont pas contestés.  La Commission des lésions professionnelles sen réfère, sur ce sujet, aux faits suivants rapportés dans la décision du 18 août 1997 du Bureau de révision :

 

«(...)

 

Des documents ainsi que de la preuve administrée lors de lenquête et audition, il en ressort que le travailleur fut victime dun grave accident de travail le 11 novembre 1994.  Lors de cet accident, le travailleur a subi une fracture de lapophyse transverse gauche L5 avec fracture de laileron sacré gauche avec déplacement et compression de la racine S1 gauche.  De plus, on note une fracture du bassin du type Malgaigne avec bâillement (sic) sacro-iliaque droite.  Le tout sest compliqué dune ostéomyélite post-fracture du tibia droit suite à une réduction ouverte et à une ostéosynthèse.

 

Le docteur Pierre Gourdeau procédait à l’évaluation finale du travailleur le 14 novembre 1996.

 


À cette évaluation, il y énonçait les limitations fonctionnelles suivantes :

 

«Lincapacité fonctionnelle est sévère selon lOswestry low back pain Disability Questionnaire (62 %), le Sickness Impact Profile (23,8 %) et mon évaluation clinique.

 

Lhandicap fonctionnel est :

 

M. Fleurent doit éviter daccomplir les activités qui impliquent de

 

- soulever un poids maximum de 20 kg : soulever, porter, pousser ou tirer fréquemment des charges de plus de 5 kg;

- travailler en position accroupie;

- ramper ou grimper (ex. : monter sur des échelles, des échafaudages, des rampes daccès etc., ou en descendre);

- marcher en terrain accidenté ou glissant (ex. : maintenir l’équilibre du corps afin d’éviter de tomber en marchand (sic), en restant debout ou en courant sur des surfaces étroites, glissantes ou animées de mouvements irréguliers);

- marcher longtemps;

- effectuer des mouvements de flexion, dextension et de torsion de la colonne lombaire surtout sils sont associés à des manipulations de charges;

- subir des vibrations de basses fréquences sur tout le corps (ex. : conduite de véhicule lourd) ou des contrecoups à la colonne vertébrale);

- utiliser fréquemment les escaliers.

 

De plus, le caractère continu de la douleur et son effet sur le comportement et sur la capacité de concentration sont incompatibles avec tout travail manuel régulier.  On peut toutefois envisager une activité de type clérical où lindividu peut contrôler lui-même le rythme et lhoraire.

 

(...)»

 

À laudience, la procureure de la CSST a déposé la dernière décision de cette instance, soit celle du 13 mai 1997, concernant l’évaluation de latteinte permanente à lintégrité physique ou psychique dont souffre M. Fleurent à la suite de sa lésion professionnelle du 11 novembre 1994.  Celle-ci totalise 101,80 % et est ainsi répartie :

 


 

 

Déficit anatomo-physiologique comprenant un pourcentage pour

bilatéralité (sil y a lieu)

 

53,00 %

 

Déficit anatomo-physiologique additionnel pour une lésion bilatérale

 

  1,00 %

 

Douleurs et perte de jouissance de la vie pour le déficit anatomo-

physiologique

 

22,20 %

 

Préjudice esthétique

 

13,00 %

 

Douleurs et perte de jouissance de la vie pour le préjudice esthétique

 

  2,60 %

 

Douleurs et perte de jouissance (autre)

 

10,00 %

 

 

Relativement au déficit anatomo-physiologique de 53 %, il se répartit ainsi :

 

Vessie neurogène :                                 30 %

Bassin et radiculopathie

S1 gauche :                                              13,5 %

Lésion au tibia :                                        5 %

Lésion au membre inférieur droit :   2,5 %

Hernie incisionnelle                                  0,2 %

Déficit de nature orthopédique :            21 %

 

Le 18 février 1997, M. Fleurent fait parvenir à son conseiller en réadaptation  une demande daide financière quil libelle ainsi :

 

«Monsieur, lors de notre rencontre, le 13 février dernier, je vous ai fait part des frais encourus de ma part pour une assistance daide pour certains travaux domestiques, compte tenu quil y a certaines tâches que je ne peux accomplir tel que laver les planchers, passer laspirateur, déplacer certains meubles, enlever et nettoyer les vitres des fenêtres, déplacer les appareils électroménagers, nettoyer le bain et la céramique, etc.

 

Les frais encourus sont de 71,25 $ par semaine.  Ces frais sont directement reliés à mon incapacité physique et à mes limites fonctionnelles sévères suite à un accident de travail survenu le 11 novembre 1994.  Actuellement je demeure seul.»

 


La CSST, le 12 mars 1997, informe M. Fleurent que les dispositions de larticle 158 de la loi ne lui permettent pas daccepter sa demande compte tenu quil nest pas incapable de prendre soin de lui-même, décision dont celui-ci demande la révision le 1er avril 1997.

 

Le Bureau de révision, le 18 août 1997, conclut unanimement que les dispositions de larticle 158 de la loi sappliquent à M. Fleurent et que celui‑ci a ainsi droit à laide personnelle à domicile, et ce, rétroactivement à décembre 1994.  Cest de cette décision du Bureau de révision dont la CSST interjette appel le 2 octobre 1997.

 

Apparaissent au dossier les deux lettres suivantes de médecins de M. Fleurent concernant sa capacité à effectuer des tâches domestiques :

 

Dr Pierre Gourdeau (1997-03-31)

 

Tel que demandé, il me fait plaisir de vous faire parvenir les informations suivantes.

 

En raison de vos limitations fonctionnelles et de votre atteinte permanente grave à votre intégrité physique, je considère que vous êtes actuellement dans limpossibilité deffectuer sans aide toutes les tâches domestiques que vous seriez normalement capable deffectuer.  Les limitations fonctionnelles octroyées dans mon évaluation médicale du 16 janvier 1997 stipulent entre autre (sic) des restrictions au niveau des soulèvements de charge et des postures à adopter.  Ces restrictions viennent en contradiction avec les tâches domestiques et les travaux dentretien que vous devez faire pour entretenir votre domicile (voir article (sic) 158 et 165 de la LATMP).

 

 

Dr Denis Blouin (1997-05-16)

 

(...)

 

En tenant compte des limitations fonctionnelles qui sont énumérées dans le rapport d’évaluation médicale du docteur Gourdeau, et l’évaluation complémentaire du docteur Daniel Cloutier qui indique une faiblesse de la paroi abdominale, il apparaît que ce patient a des besoins multiples daide partielle et complète pour certaines tâches.  Ces besoins daide partielle sont nécessairement particulièrement pour la préparation des repas, pour le ménage léger ainsi que pour lentretien des vêtements, cest-à-dire le lavage et le séchage du linge.

 


En ce qui concerne les besoins daide complète, cette aide est nécessaire pour les travaux de ménage lourds ainsi que pour lapprovisionnement du patient.

 

En conclusion, monsieur Fleurent a besoin dune aide personnelle quotidienne afin deffectuer les tâches ci-haut énumérées.

 

M. Fleurent témoigne à laudience à la demande de la CSST.

 

Dans un premier temps, M. Fleurent précise les tâches queffectuait son aide-ménagère, Mme Carole Côté, lorsquil a fait sa demande daide personnelle à son conseiller en  réadaptation en février 1997.  Elle préparait les trois repas, lavait la vaisselle, entretenait lappartement et les appareils domestiques de même quelle voyait à laver, sécher, plier et repasser le linge et à laver les fenêtres.  Elle faisait également l’épicerie.  Elle était ainsi utilisée environ de 12 à 15 heures par semaine sur une période de six jours, ne se présentant pas le dimanche.

 

Interrogé sur ses besoins de base, M. Fleurent indique quil est capable de se vêtir mais quil a cependant de la difficulté à mettre ses bas, ses souliers et, sil y a lieu, ses bottes, et ce, environ trois - quatre fois par semaine, particulièrement lorsque la température est plus humide.  Il soccupe seul de ses soins personnels.

 


M. Fleurent témoigne que dans le cadre de son programme de réadaptation, il a travaillé, au rythme de deux heures et demie par jour, du 2 septembre 1997 au 9 février 1998 comme caissier dans une station libre-service mais quil a dû arrêter compte tenu quil a dû être opéré pour une hernie inguinale.  Il na cependant pas été réengagé à ce poste.  Il envisage, à compter de septembre prochain, chercher à obtenir un emploi à temps partiel, étant donné quil ne peut travailler de 35 à 40 heures par semaine.  Lorsquil effectuait les fonctions de caissier, il prenait son automobile pour se véhiculer.

 

Interrogé sur son état actuel, M. Fleurent dit que celui-ci «commence à se dégrader», en ce sens quil a de plus en plus de difficulté à faire certaines choses, notamment à se déplacer dans son appartement et à faire certaines petites tâches, ne serait-ce que de se préparer un café.

 

Interrogé par son procureur, M. Fleurent indique qu’à cause de sa vessie neurogène, il doit changer de sous-vêtements trois - quatre fois par jour, ce qui occasionne du lavage supplémentaire.  De plus, il prend deux douches par jour.

 

Relativement au fait quil éprouve souvent des difficultés à mettre ses bas, ses souliers et ses bottes, M. Fleurent précise que lorsque Mme Côté est à son domicile il profite de son aide.

 

M. Fleurent témoigne également sur le fait quil ne peut rester debout plus dune heure, que cette situation lempêche de faire lui-même son épicerie et que cest Mme Côté qui soccupe de cette tâche.  Compte tenu quil ne peut se déplacer quavec une canne, il ne peut évidemment pas transporter de sacs d’épicerie.  De même, fait-il remarquer, il ne peut transporter de plats qui requiert lusage des deux mains pas plus quil ne peut sortir du four un plat chaud qui requiert tel usage compte tenu quil doit sappuyer sur une canne.

 

M. Fleurent indique quil utilise de façon journalière un neurostimulateur, quil porte tous les jours un corset orthopédique, quil prend des médicaments (Ativan, Empracet, Voltaren) et quil a un siège spécial pour son véhicule automobile.  Le tout a été payé ou remboursé par la CSST.


Interrogé sur la façon dont il passe ses journées, M. Fleurent indique quil ne peut faire grand chose, quil écoute la radio ou la télévision, que ses douleurs lobligent à prendre une Empracet le midi et quil se couche quelques heures dans laprès-midi.  Il se couche également environ une demi-heure ou une heure en soirée avant de gagner son lit vers 21 - 22 h.

 

M. Fleurent indique que depuis la décision du Bureau de révision il reçoit, rétroactivement à décembre 1994, une aide personnelle mensuelle de 260,86 $ et quil versait à Mme Côté, en 1997, environ 432 $ par mois.  Il lui en coûte actuellement 450 $ par mois à ce titre.

 

M. Fleurent précise quil reçoit actuellement une indemnité de remplacement du revenu et que son cas est actuellement devant la CSST pour quil soit déclaré «inemployable».

 

M. Pierre Laforce est conseiller en réadaptation à la CSST et il témoigne à la demande de cette instance.

 

M. Laforce précise quil a reçu le dossier de M. Fleurent en janvier 1997 et, lors dune première rencontre, celui-ci lui a fait valoir les besoins quil avait au niveau de ses tâches domestiques.  À sa souvenance, il na été cependant exclusivement question que des tâches domestiques et celui-ci na pas fait valoir quil était incapable de soccuper de lui-même et quil présentait certaines difficultés à se vêtir.  Cest pourquoi il a, quelques semaines plus tard, complété la grille d’évaluation où il notait que M. Fleurent navait besoin daucune aide pour ses besoins personnels et quil ainsi rendu la décision du 12 mars 1997 concernant la demande de celui-ci.

 


Relativement à l’«employabilité» de M. Fleurent, le témoin indique quun comité a effectivement reconnu, la semaine dernière, telle situation et que sa décision en ce sens sera rendue sous peu.

 

Interrogé par le procureur de M. Fleurent, M. Laforce indique quil ne sest effectivement pas rendu au domicile de celui-ci et quil na ainsi pas pu évaluer si certaines aides, de type ergonomique notamment, auraient pu faciliter lexercice de certaines de ses tâches.  Il naurait fait cette démarche, précise-t-il, que si celui-ci avait présenté des besoins pour prendre soin de lui-même et il se serait alors rendu sur place évaluer la situation.

 

Le Dr Denis Blouin est le médecin de M. Fleurent et il témoigne à la demande de celui-ci.

 

Dans un premier temps, le Dr Blouin précise que M. Fleurent prend trois sortes de médicament, soit de lAtivan avant de se coucher, lEmpracet comme analgésique et du Voltaren comme anti-inflammatoire.  Interrogé pour savoir si, selon lui, M. Fleurent peut «prendre soin de lui-même», le Dr Blouin répond que ce dernier ne le peut que «très partiellement» et il cite, à titre dhygiène personnelle, lexemple du fait quil ne peut prendre un bain et quil ne peut prendre non plus une douche comme tout le monde en ce sens quil peut être dangereux pour lui de rester debout et quil devrait prendre sa douche assis sur un banc.  Quant à la préparation de ses repas, il fait valoir que ses limitations fonctionnelles rendent difficile telle activité et quil risque de se blesser, notamment en échappant des substances chaudes; à ce sujet, il fait remarquer quil présente de linsensibilité à son pied gauche.  Il fait également valoir que M. Fleurent doit se servir de ses deux mains lorsquil retire un plat du four et que cela lui est difficile compte tenu quil a besoin de sa canne pour se soutenir.


En somme, le témoin est davis que M. Fleurent ne peut se passer des services dune aide-ménagère pour salimenter adéquatement et entretenir correctement sa maison sans compter que celle-ci doit, à loccasion, laider à mettre ses bas, ses souliers et ses bottes.

 

Interrogé par la procureure de la CSST, le Dr Blouin reconnaît quil a une connaissance très limitée de laide technique que pourrait suggérer, à titre dexemple, un ergothérapeute.  Il précise également quil na pas été visiter le logement de M. Fleurent.

 

Relativement aux limitations fonctionnelles de M. Fleurent, le témoin indique en avoir pris connaissance.  Il maintient que M. Fleurent peut effectuer certaines tâches domestiques mais seulement celles qui sont légères.

 

 

AVIS DES MEMBRES

 

Les membres issus des associations syndicales et demployeurs sont davis que la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et la jurisprudence sont claires sur le fait quun travailleur ne peut recevoir de laide personnelle à domicile que si, au départ, il est incapable de prendre soin de lui-même, ce que la preuve ne révèle pas dans la présente affaire.

 

 

MOTIFS DE LA DÉCISION

 

La Commission des lésions professionnelles doit décider du droit de M. Fleurent à laide personnelle à domicile.

 


Cest larticle 158 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles qui est particulièrement visé dans la présente affaire.  Cet article se lit ainsi :

 

158.  L'aide personnelle à domicile peut être accordée à un travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, est incapable de prendre soin de lui-même et d'effectuer sans aide les tâches domestiques qu'il effectuerait normalement, si cette aide s'avère nécessaire à son maintien ou à son retour à domicile.

 

Laide personnelle à domicile est prévue au chapitre de la réadaptation dont larticle 145 en établit le principe, à savoir quun travailleur qui, en raison de sa lésion professionnelle, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure précisée audit chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.

 

Larticle 146, pour sa part, prévoit la confection dun plan individualisé de réadaptation qui, selon les besoins du travailleur, peut comprendre un programme de réadaptation physique, social et professionnel.  Un programme de réadaptation sociale peut comprendre différentes mesures, notamment le paiement de frais daide personnelle à domicile, ainsi que le prévoit larticle 158 précité.

 

De la lecture des articles précités, il faut comprendre que laide personnelle à domicile est accordée à un travailleur :

 

1.         qui souffre dune atteinte permanente à la suite dune lésion professionnelle et qui bénéficie ainsi dun plan individualisé de réadaptation;


2.         qui est incapable de prendre soin de lui-même et deffectuer sans aide les tâches domestiques quil effectuerait normalement;

3.         si cette aide est nécessaire pour son maintien ou son retour à domicile.

 

Dans la présente affaire, cest au niveau de la deuxième condition ci-haut énoncée que linterprétation des parties diverge, la procureure de la CSST soutenant que le mot «et» est conjonctif et quil faut ainsi satisfaire simultanément aux deux conditions qui y sont énoncées alors que le procureur de M. Fleurent plaide que le mot «et» est disjonctif et quil doit sinterpréter comme un «ou».  Il fait également référence à lobjectif de la loi inscrit à larticle 1 qui vise la réparation des lésions professionnelles et des «conséquences quelles entraînent pour les bénéficiaires».

 

Après analyse, la Commission des lésions professionnelles ne peut interpréter larticle 158 de la loi dans le sens souhaité par M. Fleurent.

 

Comme les articles dune loi doivent sinterpréter les uns par rapport aux autres, la Commission des lésions professionnelles est davis que les termes de larticle 162 viennent éclairer linterprétation quil faut accorder à larticle 158.  Larticle 162 de la loi se lit ainsi :

 

162.  Le montant de l'aide personnelle à domicile cesse d'être versé lorsque le travailleur:

 

1o       redevient capable de prendre soin de lui-même ou d'effectuer sans aide les tâches domestiques qu'il ne pouvait effectuer en raison de sa lésion professionnelle; ou

 

(...)

 


La Commission des lésions professionnelles est davis que les conditions douverture du droit au versement de laide personnelle à domicile doivent sinterpréter, en cas de doute, en relation avec les circonstances qui font perdre ce même droit.

 

Or, le paragraphe 1o de larticle 162 de la loi ne prête guère à interprétation et laide personnelle à domicile doit cesser si le travailleur redevient capable de prendre soin de lui-même ou, et non «et», deffectuer sans aide les tâches domestiques quil ne pouvait effectuer en raison de sa lésion professionnelle.

 

Ainsi, aussitôt quune des deux circonstances ci-haut énoncées est rencontrée, le droit à laide personnelle à domicile cesse.  Un tel contexte ne peut évidemment quamener à conclure que lobtention de telle aide doit également satisfaire aux deux mêmes conditions et que le mot «et» qui réunit ces deux conditions à larticle 158 de la loi est ainsi conjonctif.

 

La Commission des lésions professionnelles comprend la situation difficile de M. Fleurent et la déception que provoquera la présente décision.  Ce tribunal se doit toutefois dinterpréter la loi à lintérieur des balises prévues par le législateur et il ne peut en étendre la portée au-delà de ce que ce dernier a prévu, même si on peut regretter que les balises quil a fixées puissent quelque peu étroites.

 


Il faut donc, dans un premier temps, déterminer si M. Fleurent peut prendre soin de lui-même.  Pour disposer de ce sujet, il faut sen référer au Règlement sur les normes et barèmes de laide personnelle à domicile pour lannée 1995[1], document déposé par la procureure de la CSST à laudience, règlement qui a été reconduit pour les années 1996, 1997 et 1998.  Il y a lieu den citer les extraits suivants :

 

«2.   ÉVALUATION DES BESOINS DASSISTANCE

PERSONNELLE ET DOMESTIQUE

 

2.1    Tableau d’évaluation des besoins dassistance

 

(...)

 

 

 

 

A-  Besoin

dassistance

complète

 

B-  Besoin

dassistance

partielle

 

C-  Aucun

besoin

dassistance

 

D-  Aucun

pointage

Inscrire

D-1, D-2 ou D-3

 

Le lever

Le coucher

Hygiène personnelle

 

          3

          3

          5

 

         1.5

         1.5

         2.5

 

          0

          0

          0

 

 

 

Habillage

 

          3

 

         1.5

 

          0

 

 

 

Déshabillage

 

          3

 

         1.5

 

          0

 

 

 

Soins vésicaux

 

          3

 

         1.5

 

          0

 

 

 

Soins intestinaux

 

          3

 

         1.5

 

          0

 

 

 

Alimentation

 

          5

 

         2.5

 

          0

 

 

 

Utilisation des commodités

du domicile

 

          4

 

          2

 

          0

 

 

 

Préparation du déjeuner

 

          2

 

          1

 

          0

 

 

 

Préparation du dîner

 

          4

 

          2

 

          0

 

 

 

Préparation du souper

 

          4

 

          2

 

          0

 

 

 

Ménage léger

 

          1

 

         0.5

 

          0

 

 

 

Ménage lourd

 

          1

 

         0.5

 

          0

 

 

 

Lavage du linge

 

          1

 

         0.5

 

          0

 

 

 

Approvisionnement

 

          3

 

         1.5

 

          0

 

 

 

Total

 

 

 

 

 

 

 

/48 points

 


(...)

 

2.4   Description des éléments évalués

 

.  Alimentation: la capacité de porter de façon autonome, de son assiette à sa bouche, une nourriture convenablement préparée, avec lutilisation, sil y a lieu, d’équipements particuliers à cette activité.

 

(...)

 

.  Préparation du déjeuner, du dîner, du souper: la capacité de préparer un repas, y compris les activités reliées au lavage de la vaisselle; chaque repas étant évalué séparément.

 

(...)

 

.  Approvisionnement: la capacité dutiliser seul, les commodités de lenvironnement requises pour effectuer les achats dutilité courante tels que l’épicerie, la quincaillerie, la pharmacie, ou pour utiliser les services dutilité courante tels que les services bancaires et postaux, en considérant, sil y a lieu, lutilisation dun aide technique ou ladaptation du domicile.»

 

Le règlement précité ne fait pas de distinction entre ce qui relève de la notion de «soin» et de la notion de «tâche domestique».  Il apparaît cependant que ne doivent être inclus dans cette dernière catégorie que les quatre derniers items ci-haut mentionnés, à savoir le ménage léger, le ménager lourd, le lavage du linge et lapprovisionnement.

 


Relativement au dernier item de lapprovisionnement, le procureur de M. Fleurent a insisté, à titre subsidiaire, sur le fait que celui-ci ne pouvait effectuer lui-même, compte tenu de lobligation de marcher avec une canne, sa propre épicerie et que cette situation devait ainsi sapparenter à des soins personnels puisquelle fait alors appel à la satisfaction dun besoin fondamental, soit celui de salimenter.  La Commission des lésions professionnelles, même si elle pouvait accepter cette interprétation, ne peut évaluer que la situation de M. Fleurent relativement à ce besoin puisse être ainsi assimilée à un besoin de soin personnel.  Même si cette situation nest pas sans inconvénients pour M. Fleurent, il nen reste pas moins que dautres choix que de faire lui-même son épicerie soffre à celui-ci et que ce choix est dautant plus grand quon habite en milieu urbain.

 

Relativement à laide personnelle à domicile dont pourrait avoir besoin M. Fleurent concernant les soins de sa personne, la Commission des lésions professionnelles ne peut certes conclure de façon positive sur ce sujet, du moins dans l’état actuel des besoins de celui-ci.  Tant son témoignage que les besoins dont font état les Drs Gourdeau et Blouin dans leur lettre respective des 31 mars 1997 et 16 mai 1997 ne font essentiellement référence qu’à lassistance qui vise des tâches domestiques.   Telle est également la situation qui justifie la demande initiale daide personnelle que M. Fleurent a présentée à la CSST le 18 février 1997.

 

Le Dr Blouin a témoigné que M. Fleurent ne pouvait que «très partiellement» prendre soin de lui-même.  Il a mentionné, à ce titre, le fait quil ne pouvait prendre un bain, quil devrait avoir un banc pour prendre sa douche, que la préparation des repas était difficile et quil risquait de se blesser.

 

La Commission des lésions professionnelles convient que la situation de M. Fleurent est difficile et elle sympathise avec celui-ci.  Cependant, ce qu’énumère son médecin, le Dr Blouin, peut difficilement être retenu dans le contexte où des supports techniques, de type ergonomique à titre dexemple, pourraient faciliter à M. Fleurent lexercice de ses différentes tâches, supports dont la CSST devrait certes analyser la pertinence sur réception de la présente décision.

 


Dans les circonstances, la Commission des lésions professionnelles na dautre choix que de conclure que M. Fleurent ne satisfait pas aux conditions énoncées par le législateur à larticle 158 de la loi et quil navait ainsi pas droit de bénéficier de laide personnelle à domicile prévue à cet article.  Lappel de la CSST doit donc être accueilli.

 

 

POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFES-SIONNELLES :

 

ACCUEILLE lappel du 2 octobre 1997 de la Commission de la santé et de la sécurité du travail;

 

INFIRME la décision du 18 août 1997 du Bureau de révision de la région Québec;

 

ET

 

DÉCLARE que M. Gaétan Fleurent ne peut bénéficier de laide personnelle à domicile prévue à larticle 158 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

 

 

 

                                      

      JEAN-GUY ROY

         Commissaire


PANNETON LESSARD

(Me Christiane Desmeules)

730, boulevard Charest Est

QUÉBEC (Québec)

G1K 7S6

 

Représentante de la partie appelante

 

 

LABRIE, BELLEMARE, ANGLEHART, NADEAU & ASSOCIÉS

(Me Marc Bellemare)

1584, chemin Saint-Louis

SILLERY (Québec)

G1S 1G6

 

Représentant de la partie intervenante

 



  1  Gazette officielle du Québec, partie 2, 7 décembre 1994,

       126e année, no 50, p. 6369.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.