DÉCISION
[1] Le 6 décembre 2002, monsieur Cyril Beaulieu (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue le 4 décembre 2002 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Par celle-ci, la CSST confirme sa décision initiale du 10 octobre 2002 en déclarant que le travailleur ne peut bénéficier d’une assistance financière pour la réalisation des travaux de sablage et de vernissage des planchers de son domicile.
[3] Lors de l’audience, monsieur Beaulieu est représenté par monsieur Steve Marsan alors que la CSST l’est par Me Manon Séguin. Quant aux représentants de la corporation Construction Aquabec inc. (l’employeur), ils sont absents.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’il a droit à l’assistance financière que lui refuse la CSST. À cette fin, il s’appuie sur l’article 165 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (LATMP) dont le texte édicte ceci :
165. Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui - même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.
________
1985, c. 6, a. 165.
LES FAITS
[5] Le 8 janvier 2001, en exerçant un emploi de contremaître pour le compte de l’employeur, monsieur Beaulieu est victime d’un accident du travail. En raison de cette lésion professionnelle,
il est notamment reconnu porteur d’un déficit anatomo-physiologique de 9,50 % et des limitations fonctionnelles suivantes :
[...]
M. Beaulieu demeure avec une limitation des amplitudes articulaires de l’épaule droite ainsi qu’une perte de force et d’endurance. Il nécessite des limitations pour le membre supérieur droit, soit :
- Il ne doit pas faire de travail au-dessus de 60° d’abduction ou d’élévation.
- Il ne doit pas faire de mouvements répétitifs de l’épaule droite.
- Il ne doit pas travailler avec abduction ou élévation statique de l’épaule droite.
- Il ne doit pas soulever plus de 5 livres.
[...][2]
[6] En raison de cette situation, la CSST accepte d’accorder au travailleur le droit à des mesures de réadaptation. Durant l’audience, elle admet également que la lésion en cause entraîne une « atteinte permanente grave » au sens de l’article 165 de la LATMP et qu’elle rend monsieur Beaulieu incapable de sabler et de vernir les planchers de son domicile.
[7] Le 23 avril 2002, le travailleur demande à la CSST de lui accorder une assistance financière pour lui permettre de faire exécuter ce type de travaux.
[8] Le 10 octobre 2002, la CSST avise monsieur Beaulieu qu’elle ne peut acquiescer à cette demande. Pour ce faire, elle expose que de tels travaux « ne font pas partie de l’entretien courant du domicile puisqu’il s’agit de travaux de rénovation et de réparation ». Cependant, elle indique qu’elle pourra éventuellement assumer les frais qu’il doit engager pour peinturer des plafonds et des murs de sa résidence.
[9] Le 4 décembre 2002, à la suite d’une révision administrative, la CSST maintient cette décision. À cette occasion, elle expose ceci :
[...]
Dans le présent cas, le sablage et le vernissage des planchers sont des travaux qui ne peuvent être qualifiés de courants et qui ne peuvent être associés à la notion d’entretien en son sens généralement reconnu, ceci en raison de leur fréquence peu élevée. Ils sont plutôt assimilables à la réparation ou la rénovation d’un immeuble. De plus, en raison des qualifications requises pour l’exécution de ces travaux, nous observons qu’il est exceptionnel qu’un travailleur les ait ou les aurait lui-même exécutés.
Quant aux travaux de peinture, la décision en titre informe le travailleur des étapes à venir et du fait que la Commission analysera sa demande et se prononcera ultérieurement.
[...]
[10] Il en résulte le dépôt de la requête qui nous intéresse.
[11] Pour étayer son recours, monsieur Beaulieu explique qu’il s’est déjà chargé de sabler et de vernir les planchers de chêne de sa résidence. En effet, après la construction de sa maison en 1980, il raconte qu’il a loué l’équipement nécessaire à la réalisation de ces travaux. Dans les années qui ont suivi, il ajoute qu’il s’est aussi occupé de maintenir en bon état ces surfaces. Par contre, après vingt ans, il expose qu’il est devenu nécessaire d’appliquer un nouveau vernis sur les planchers. À défaut de le faire, il dit que ceux-ci vont se détériorer. Or, en raison du handicap qu’entraîne sa lésion professionnelle, il déclare qu’il n’est plus en mesure de s’acquitter de cette tâche. Dans ce contexte, il estime que la CSST doit défrayer les frais qu’implique l’exécution de ces travaux.
L'AVIS DES MEMBRES
[12] Le membre issu des associations des employeurs considère que des travaux de sablage et de vernissage de planchers ne peuvent être qualifiés de « courants » au sens de l’article 165 de la LATMP. Estimant qu’ils sont exceptionnels, il croit que la CSST n’a pas à en assumer les coûts.
[13] De son côté, le membre issu des associations syndicales retient que l’exécution de ces travaux est nécessaire pour la conservation de la résidence du travailleur. Ainsi, au même titre que les travaux de peinture, il juge qu’ils sont visés à l’article 165 de la LATMP.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[14] Dans cette affaire, en vertu de l’article 165 de la LATMP, il s’agit de déterminer si le travailleur a droit d’être remboursé des coûts qu’impliquent le sablage et le vernissage des planchers de chêne de sa résidence.
[15] Pour les fins de cet exercice, il est opportun de rappeler qu’il n’est pas contesté que monsieur Beaulieu présente, en raison de sa lésion professionnelle du 8 janvier 2001, une « atteinte permanente grave à son intégrité physique » qui a pour effet de le rendre incapable d’exécuter les travaux qui nous intéressent. De même, n’eut été des conséquences de sa lésion, il est acquis que le travailleur aurait réalisé cette tâche. En effet, suivant son témoignage, il s’en est déjà chargé. Dès lors, il reste à voir si les travaux en cause sont assimilables à des « travaux d’entretien courant de son domicile » au sens de la LATMP.
[16] À cet égard, la Commission des lésions professionnelles a déjà énoncé ceci :
[...]
[ 23 ] Quant aux travaux de sablage et vernissage de planchers de bois, la Commission d’appel dans l’affaire Gagnon et Bombardier inc.7 a conclu qu’il s’agissait de travaux d’amélioration du domicile de nature volontaire. Le commissaire a retenu que des travaux du même type avait eu lieu cinq ans plutôt [sic] et que la nécessité de ces travaux n’avait pas été démontrée. Dans Fournier et Nergiflex inc.8, la Commission des lésions professionnelles réitère que de tels travaux sont des travaux d’amélioration du domicile.
[ 24 ] Par contre, la procureure de la travailleuse a soumis la décision rendue dans Lebrun et Ville de Sept-Iles 9 où les travaux de sablage et de vernissage ont été considérés comme des travaux d’entretien courant, pour les motifs suivants :
« […] la Commission d'appel ne voit aucun motif pour lequel elle ne considérerait pas des travaux de sablage et de vernissage de planchers de bois franc au même titre que des travaux de peinture intérieurs [sic] des murs et des plafonds, de tels travaux ne constituant pas moins des travaux d'entretien courant que la tonte de la pelouse et le déneigement du simple fait qu'ils sont moins fréquents. La Commission d'appel estime en effet que de tels travaux ont exactement le même objet, soit celui de « maintenir ou de conserver » le plus longtemps possible des locaux d'habitation dans un état propre à leur destination et non pas de les remplacer ou d'en réaliser de nouveaux comme dans le cas de travaux de réparation ou de rénovation, ce qui en fait des travaux d'entretien plutôt que des travaux de rénovation ou de réparation. »
[ 25 ] La soussignée partage cette dernière interprétation. La jurisprudence reconnaît généralement que la peinture vise le maintien en bon état du domicile et la Commission des lésions professionnelles considère que le vernissage des planchers de bois franc est aussi de cette nature. Certes ces travaux seront moins fréquents que la peinture mais ils n’en demeurent pas moins des travaux d’entretien. Comme l’a expliqué la Commission d’appel dans Lebrun et Ville de Sept-Iles 10, il ne s’agit pas de rénovation ou de réparation mais bel et bien d’entretien.
___________
7 30854-01-9108, 93-06-25, D. Beaulieu.
8 Précitée, note 6.
9 79061-04-9605, 97-03-27, P. Brazeau, (J9-02-05).
10 Id.
[...][3]
[17] En l’espèce, on a vu que les travaux qui nous occupent visent essentiellement à maintenir les planchers de la résidence du travailleur en bon état. D’ailleurs, après vingt ans, il est probablement grand temps d’exécuter cette opération pour en assurer la conservation. Par conséquent, compte tenu de ce qu’enseigne la jurisprudence en cette matière, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que les travaux de sablage et de vernissage des planchers de chêne du domicile de monsieur Beaulieu sont visés par l’article 165 de la LATMP.
[18] Ainsi, dans la mesure où la demande est appuyée de pièces justificatives et qu’elle se situe à l’intérieur de la limite de remboursement que prévoit l’article pertinent, il y a lieu de reconnaître que la CSST devra indemniser monsieur Beaulieu.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Cyril Beaulieu;
INFIRME la décision rendue le 4 décembre 2002 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que les travaux de sablage et de vernissage des planchers de bois du domicile de monsieur Cyril Beaulieu sont visés à l’article 165 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;
DEMANDE à la Commission de la santé et de la sécurité du travail d’indemniser monsieur Cyril Beaulieu en conséquence.
|
|
|
Me François Ranger |
|
Commissaire |
|
|
|
|
|
|
|
|
P.M. CONSULTANTS INC. (M. Steve Marsan) |
|
|
|
Représentant de la partie requérante |
|
|
|
|
|
|
|
PANNETON, LESSARD (Me Manon Séguin) |
|
|
|
Représentante de la partie intervenante |
|
|
|
|
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.