Paradis et Location Val ltée |
2008 QCCLP 3757 |
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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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Québec |
3 juillet 2008 |
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Région : |
Saguenay-Lac-Saint-Jean |
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270373-02-0509-R 281015-02-0601-R 301612-02-0610-R 311792-02-0703-R 324912-02-0708-R |
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Dossier CSST : |
121716252 |
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Commissaire : |
Jean-Luc Rivard, avocat |
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Membres : |
Jean-Guy Verreault, associations d’employeurs |
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Pierre Morel, associations syndicales |
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Bertrand Paradis |
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Partie requérante |
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et |
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Location Val ltée |
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Partie intéressée |
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et |
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Commission de la santé et de la sécurité du travail |
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Partie intervenante |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 18 février 2008, monsieur Bertrand Paradis (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision d’une décision rendue le 21 janvier 2008 par la Commission des lésions professionnelles.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles dispose de cinq contestations logées par le travailleur.
[3] Particulièrement, la Commission des lésions professionnelles dispose des cinq litiges comme suit :
Dossier 270373-02-0509 :
ANNULE la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 30 août 2005 à la suite d’une révision administrative quant au dossier R-121716252-13;
DÉCLARE sans objet la requête de monsieur Bertrand Paradis, le travailleur, quant au dossier R-121716252-13;
DÉCLARE irrecevable la requête du travailleur quant au dossier R-121716252-14;
ANNULE la décision rendue par la CSST le 30 août 2005 à la suite d’une révision administrative quant au dossier R-121716252-15;
DÉCLARE sans objet la requête déposée par le travailleur à l’encontre de cette décision.
Dossier 281015-02-0601 :
ANNULE la décision rendue par la CSST le 25 janvier 2006 dans le dossier R-121716252-16;
DÉCLARE sans objet la requête du travailleur à l’encontre de cette décision;
PREND ACTE du désistement de la requête du travailleur concernant le dossier R-121716252-17;
CONSTATE que le travailleur n’a pas droit au remboursement du médicament Apo-Flurazepam.
Dossier 301612-02-0610 :
ACCUEILLE en partie la requête de monsieur Bertrand Paradis, le travailleur;
MODIFIE la décision rendue par la CSST le 18 octobre 2006 à la suite d’une révision administrative dans le dossier R-121716252-18;
DÉCLARE que le diagnostic de hernie discale cervicale C5-C6 fait partie de la rechute, récidive ou aggravation du 3 juin 2004;
DÉCLARE que les diagnostics de hernie discale lombaire et d’entorse cervicale ne font pas partie la rechute, récidive ou aggravation du 3 juin 2004.
Dossier 311792-02-0703 :
REJETTE la requête du travailleur concernant le dossier R-121716252-19;
CONFIRME la décision rendue le 26 février 2007 par la CSST à ce niveau;
DÉCLARE que la CSST était justifiée de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 31 octobre 2006;
ANNULE la décision rendue par la CSST dans le dossier R-121716252-20;
DÉCLARE sans objet la requête du travailleur à ce niveau.
Dossier 324912-02-0708 :
REJETTE la requête déposée par le travailleur concernant le dossier R-121716252-21;
CONFIRME la décision rendue par la CSST à la suite d’une révision administrative le 31 juillet 2007 à ce sujet;
DÉCLARE que la CSST était justifiée de maintenir la suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu en date du 16 avril 2007;
REJETTE la requête du travailleur concernant le dossier R-121716252-22;
CONFIRME la décision rendue à la suite d’une révision administrative le 31 juillet 2007 concernant le fait que la rechute, récidive ou aggravation du 3 juin 2004 a entraîné une atteinte permanente supplémentaire à l’intégrité physique et psychique de 22 % et que le travailleur a droit en conséquence à une indemnité pour préjudice corporel de 12 755,82 $ en plus des intérêts;
CONFIRME la décision quant au surplus;
REJETTE la requête du travailleur concernant le dossier R-121716252-23;
CONFIRME la décision rendue par la CSST le 31 juillet 2007 à la suite d’une révision administrative à ce sujet;
DÉCLARE irrecevable la demande de révision du travailleur du 12 juin 2007;
REJETTE la requête du travailleur en ce qui concerne le dossier R-121716252-24;
CONFIRME la décision rendue par la CSST à la suite d’une révision administrative en date du 31 juillet 2007 à ce sujet;
DÉCLARE que la décision du 7 juin 2007 réclamant au travailleur le remboursement de frais de déplacement de 54,09 $ est annulée, la demande de révision du travailleur devenant sans objet.
[4] À l’audience tenue à Saguenay le 6 juin 2008, aucune des parties n’était présente ou représentée, bien qu’elles aient été dûment convoquées.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[5] Le travailleur demande de réviser la décision rendue le 21 janvier 2008 au motif que celle-ci comporte un vice de fond ou de procédure de nature à l’invalider. Le travailleur n’identifie pas de façon spécifique la nature des erreurs présumément commises par le premier commissaire.
[6] Le travailleur soulève également de façon générale le manque d’impartialité du tribunal. Les allégations du travailleur ne sont pas illustrées par des manquements spécifiques du premier commissaire.
L’AVIS DES MEMBRES
[7] Le membre issu des associations syndicales de même que le membre issu des associations d’employeurs sont tous deux d’avis de rejeter la requête en révision du travailleur. Les membres sont d’avis que le travailleur n’a pas démontré d’erreur manifeste et déterminante de nature à invalider la décision rendue par le premier commissaire. Cette décision fort élaborée, qui s’étend sur 38 pages, dispose des litiges du travailleur de façon complète, détaillée et articulée.
[8] Les membres sont également d’avis que le dossier tel que constitué ne permet d’aucune façon de soutenir les allégations visant à remettre en cause l’impartialité du tribunal. Ce motif n’a aucunement fondement.
[9] Par ailleurs, les deux membres partagent l’avis du présent tribunal siégeant en révision au sujet de la question des citations à comparaître qui est commentée par le premier commissaire aux paragraphes 21 à 40 de sa décision.
[10] Les membres sont d’avis que le premier commissaire avait conclu que le travailleur n’avait pas fait la preuve de la notification des citations à comparaître. En conséquence, cette constatation suffisait à régler la question. Le premier commissaire n’avait donc pas, cela dit avec tous les égards, à aller plus loin en se prononçant sur les frais de déplacement avancés au témoin.
[11] Les membres sont d’avis que la Commission des lésions professionnelles n’est pas tenue à l’application des règles de procédure et de preuve civiles et que l’économie générale des règles de procédure et de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) ne suggèrent pas d’avancer des frais de déplacement aux témoins pour se présenter devant le présent tribunal.
[12] Toutefois, les membres sont d’avis que l’opinion du premier commissaire sur la question de l’avancement des frais de déplacement ne justifie pas la révision de la décision parce qu’elle porte simplement sur une question secondaire sur laquelle il n’était pas nécessaire de statuer compte tenu de sa première conclusion à l’effet qu’il n’y avait pas de preuve de notification des citations à comparaître.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[13] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la décision rendue par le premier commissaire, datée du 21 janvier 2008, doit être révisée ou révoquée.
[14] Le législateur a voulu assurer la stabilité et la sécurité juridique des parties en prévoyant à l’article 429.49 de la loi que la décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[15] L’article 429.58 de la loi traite lui aussi du caractère obligatoire des décisions de la Commission des lésions professionnelles :
429.58. Une décision de la Commission des lésions professionnelles a un caractère obligatoire suivant les conditions et modalités qui y sont indiquées pourvu qu'elle ait été notifiée aux parties.
L'exécution forcée d'une telle décision se fait, par dépôt, au greffe de la Cour supérieure du district où le recours a été formé.
Sur ce dépôt, la décision de la Commission des lésions professionnelles devient exécutoire comme un jugement final et sans appel de la Cour supérieure et en a tous les effets.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[16] Le travailleur invoque dans la présente instance que la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles est entachée d’erreurs manifestes équivalant à un vice de fond au sens du troisième paragraphe de l’article 429.56 de la loi.
[17] La Commission des lésions professionnelles doit décider s’il y a matière à réviser ou à révoquer la décision rendue par cette instance le 21 janvier 2008 conformément à l’article 429.56 de la loi qui se lit comme suit :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[18] Il y a lieu de rappeler que l’article 429.56 de la loi doit être lu en corrélation avec l’article 429.49 qui édicte qu’une décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel.
[19] La jurisprudence est constante à l’effet que le vice de fond dont il est question à l’article 429.56 de la loi doit correspondre à une erreur manifeste de faits ou de droit ayant un effet déterminant sur le litige. Dans l’affaire Franchellini et Sousa[2] on peut lire ce qui suit :
« Quelle est la portée des termes vice de fond ou de procédure et des termes de nature à invalider la décision? La Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’en édictant l’article 429.49, le législateur a voulu assurer la stabilité et la sécurité juridique des décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles. L’article 429.56 de la loi qui permet la révision d’une telle décision doit donc être interprété restrictivement, en tenant compte des objectifs visés à l’article 429.49 de la loi.
De plus, par l’énumération des motifs donnant ouverture à la révision ou révocation d’une décision, le législateur a voulu limiter le recours au seul cas qui y sont spécifiquement énumérés. La Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’en se faisant, le législateur a manifesté son intention de restreindre la portée de ce recours. »
Une revue de plusieurs décisions de la Commission des Affaires sociales a permis à la Commission des lésions professionnelles de constater que le terme vice de fond a été interprété par la Commission des Affaires sociales comme pouvant comprendre une erreur manifeste, de faits ou de droit, qui est déterminante dans les conclusions atteintes mais ces mêmes décisions ont déclaré que le pouvoir de révision ne peut servir de prétexte à l’institution d’un appel déguisé de la décision attaquée.»
[nos soulignements]
[20] Dans une autre affaire, Rachelle Metellus et Agence des douanes et du revenu du Canada[3] la notion de vice de fond est définie comme suit :
[33] La notion de «vice de fond qui est de nature à invalider une décision» n'est pas définie par la loi La jurisprudence l'assimile à une erreur manifeste de fait ou de droit qui a un effet déterminant sur le sort du litige6. Comme le soumet la représentante de l'employeur, il ne peut s'agir d'une simple divergence au niveau de l'appréciation de la preuve ou des règles de droit en cause parce que le recours en révision ou en révocation n'est pas un second appel7. L'erreur qui donne ouverture à la révision doit être importante. Son évidence doit s'imposer à l'examen de la décision et elle doit être source d'injustice indéniable pour une partie en raison de la nature de la décision rendue. »
_______________________
6 Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783 .
7 Sivaco et C.A.L.P. [1998] C.L.P.
[21] La Cour d’appel dans l’affaire Société de l’assurance automobile du Québec et Carole Hamel[4] définissait la notion de « vice de fond » comme suit :
« [21] Il reste à déterminer cependant si la décision de la C.A.S. en appel était, aux termes du parag. 3, de l’article 24, précité, affectée d’un vice de fond.
[22] Notre Cour, sous la plume de mon collègue le juge Rothman, a, dans l’arrêt Épiceries-Unis Métro-Richelieu c. Régie des alcools, des cours et des jeux, [1996] R.J.Q., 608, défini ce qu’il fallait entendre par un vice de fond. Il écrit :
The Act does not define the meaning of the term «vice de fond» used in section 37. The English version of section 37 uses the expression «substantive...defect». Inn context, I believe that the defect, to constitue a «vice de fond», must be more than merely «substantive». It must be serious and fundamental. This interpretation is supported by the requirement that the «vice de fond» must be «de nature à invalider la décision». A mere substantive or procedural defect in a previous decision by the Régie would not, in my view, be sufficient to justify review under section 37. A simple error of fact or of law is not necessarily a «vice de fond»
(p.613-614)
[23] Il y a donc vice de fond lorsque l’on démontre que la décision comporte, pour employer les termes du juge Boily, dans Béland c. Commission de la santé et de la sécurité au travail. J.E. 94-388 (C.S.);
..... un accroc sérieux et grave lors de l’audition ou de la disposition d’un litige et dont la conséquence est de déclarer la nullité de la décision qui en découle, d’où sa révision.
[24] L’erreur dont est entachée la décision doit donc attaquer la validité même de la décision administrative, par exemple, lorsqu’elle ignore complètement une disposition de la loi ou, étant consciente de son application à l’espèce, l’écarte cependant. »
[nos soulignements]
[22] Il apparaît clair que la requête en révision ne peut servir de prétexte à une partie pour loger un nouvel appel de façon déguisée de la décision attaquée. La révision ne permet pas au présent tribunal de substituer son interprétation de la loi ou son appréciation des faits et de la preuve à celle du premier commissaire à moins de découvrir une erreur manifeste et déterminante sur l’objet de la contestation.
[23] La jurisprudence pose également le principe qu'il ne peut s'agir d'une simple question d'appréciation de la preuve ou des règles de droit en cause parce que le recours en révision n'est pas un second appel[5]. Dans un arrêt[6] récent, la Cour d'appel rappelle cette règle dans les termes suivants :
« [21] La notion (de vice de fond de nature à invalider une décision) est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d'une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.
[22] Sous prétexte d'un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d'ajouter de nouveaux arguments1. »
_______________
1. Voir: Y. OUELLETTE, Les tribunaux administratifs au Canada, Procédure et Preuve, Montréal, Les Éditions Thémis, 1997, p. 506-508. J.P. VILLAGI, dans Droit public et administratif, Vol. 7, Collection de droit 2002-2003, Éditions Yvon Blais, 2002, p. 127-129.
[24] Au sujet de l’appréciation de la preuve, la Commission des lésions professionnelles réfère à une décision qui posait bien le problème dans l’affaire Larouche et Produits Forestiers Donohue[7] dans laquelle on peut lire ce qui suit :
« La question de l’appréciation de la preuve est au cœur même de la compétence du tribunal. Il est tout à fait vrai qu’un commissaire aurait pu apprécier cette preuve différemment et aurait pu faire droit à l’appel. Mais le choix auquel en est arrivé le premier commissaire doit être respecté surtout lorsque, comme en l’espèce, celui-ci a eu l’occasion de voir et d’entendre des témoins qu’il a qualifiés de crédibles. On sait que, même en matière civile, une Cour d’appel n’intervient qu’exceptionnellement lorsque le jugement qui lui est soumis repose sur la crédibilité des témoins.
Ici, il est évident que le travailleur plaide de nouveau sa cause, soulève les mêmes arguments déjà soumis à l’appréciation du premier commissaire. Ce dernier a disposé de l’appel dans un sens différent de celui souhaité par le travailleur, mais, comme l’a maintes fois rappelé la Commission d’appel, la divergence d’opinion dans l’appréciation de la preuve, à partir des mêmes faits, n’est pas un motif qui donne ouverture à révision pour cause à moins qu’il ne soit démontré que le premier commissaire a commis une erreur manifeste et déterminante ce qui n’est pas le cas en l’espèce. »
[nos soulignements]
[25] Au surplus, le tribunal souligne que la Cour d’appel a réitéré à nouveau ces principes dans une décision rendue le 7 septembre 2005 dans l’affaire C.S.S.T. et Jacinthe Fontaine et C.L.P[8] :
« [50] En ce qui concerne les caractéristiques inhérentes d’une irrégularité susceptible de constituer un vice de fond, le juge Fish note qu’il doit s’agir d’un «defect so fundamental as to render [the decision] invalid»46, «a fatal error»47. Une décision présentant une telle faiblesse, note-t-on dans l’arrêt Bourassa48, est «entachée d’une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige». Le juge Dalphond, dans l’arrêt Batiscan49, effectue le rapprochement avec l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam inc. de la Cour suprême du Canada, où le juge Lacobucci apportait plusieurs éclaircissements utiles sur les attributs de deux notions voisines, l’erreur manifeste et la décision déraisonnable. Il s’exprimait en ces termes50 :
Même d’un point de vue sémantique, le rapport étroit entre le critère de la décision «manifestement erronée» et la norme de la décision raisonnable simpliciter est évident. Il est vrai que bien des choses erronées ne sont pas pour autant déraisonnables; mais quand le mot «manifestement» est accolé au mot «erroné», ce dernier mot prend un sens beaucoup plus proche de celui du mot «déraisonnable». Par conséquent, le critère de la décision manifestement erronée marque un déplacement, du critère de la décision correcte vers un critère exigeant l’application de retenue. Cependant, le critère de la décision manifestement erronée ne va pas aussi loin que la norme du caractère manifestement déraisonnable.
On voit donc que la gravité, l’évidence et le caractère déterminant d’une erreur sont des traits distinctifs susceptibles d’en faire «un vice de fond de nature à invalider [une] décision».
[51] En ce qui concerne la raison d’être de la révision pour un vice de fond de cet ordre, la jurisprudence est univoque. Il s’agit de rectifier les erreurs présentant les caractéristiques qui viennent d’être décrites. Il ne saurait s’agir de substituer à une première opinion ou interprétation des faits ou du droit une seconde opinion ni plus ni moins défafovrable51. Intervenir en révision pour ce motif commande la réformation de la décision par la Cour supérieure car le tribunal administratif «commits a reviewable error when it revokes or reviews one ogf its earlier decisions merely because il disagrees with its findings of fact, its interpretation of a statute or regulation, its reasoning or even its conclusions»51. L’interprétation d’un texte législatif «ne conduit pas nécessairement au dégagement d’une solution unique»53 mais comme «il appart[ient] d’abord aux premiers décideurs spécialisés d’interpréter»54 un texte, c’est leur interprétation qui, toutes choses égales d’ailleurs, doit prévaloir. Saisi d’une demande de révision pour cause de vice de fond, le tribunal administratif doit se garder de confondre cette question précise avec celle dont était saisie la première formation (en d’autres termes, il importe qu’il s’abstienne d’intervenir s’il ne peut d’abord établir l’existence d’une erreur manifeste et déterminante dans la première décision)55. Enfin, le recours en révision «ne doit […] pas être un appel sur la base des mêmes faits» : il s’en distingue notamment parce que seule l’erreur manifeste de fait ou de droit habilite la seconde formation à se prononcer sur le fond, et parce qu’une partie ne peut «ajouter de nouveaux arguments» au stade de la révision56. »
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46 Supra, note 12, paragr. 20.
47 Ibid., paragr. 48.
48 Supra, note 10, paragr. 21.
49 Supra, note 40, paragr. 56
50 [1997] 1 R.C.S. 748 , paragr. 60.
51 Voir l’arrêt Godin, supra, note 12, paragr. 47 (le juge Fish) et 165 (le juge Chamberland) et l’arrêt Bourassa, supra, note 20, paragr. 22
52 Ibid., paragr. 51.
53 Arrêt Amar, supra, note 13, paragr. 27.
54 Ibid., paragr. 26
55 Supra, note 10, paragr. 24.»
[nos soulignements]
[26] D’autre part, le tribunal ajoute qu’il y a erreur manifeste lorsque la décision méconnaît une règle de droit, applique un faux principe, statue sans preuve, néglige un élément de preuve important ou adopte une méthode qui crée une injustice certaine. Ces critères, bien qu’étant non exhaustifs, permettent de mieux situer cette notion[9] de vice de fond ou de procédure.
[27] Le soussigné n’a pas à se demander s’il aurait rendu la même décision, mais doit se limiter à vérifier si la décision attaquée est entachée d’une erreur à ce point fondamentale, évidente et déterminante qu’elle doit entraîner sa nullité[10].
[28] Le tribunal rappelle qu’aucune des parties n’était présente ou représentée devant le tribunal à l’occasion de l’audience tenue le 6 juin 2008 pour statuer sur le bien-fondé de la requête en révision déposée par le travailleur, le 18 février 2008, à l’encontre de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 21 janvier 2008.
[29] La requête en révision déposée par le travailleur le 18 février 2008 est plutôt laconique, vague et contient des allégations générales sans aucune référence à des éléments spécifiques de la décision visant à remettre en cause son bien fondé.
[30] En effet, le travailleur allègue de façon générale que le tribunal qui a rendu la décision le 21 janvier 2008 n’était pas impartial et que, de façon générale, l’ensemble des conclusions qu’on y retrouve n’est pas bien fondé.
[31] Le tribunal fait le constat que la seule lecture de cette requête en révision permet de conclure qu’il n’y a aucun motif de révision identifié à cette requête sous aucun des volets de l’article 429.56 de la loi.
[32] Par ailleurs, le tribunal fait le constat que la décision du 21 janvier 2008 est très détaillée, complète et articulée en rapport avec les questions en litige et les motifs au soutien de la décision.
[33] Le premier commissaire répond clairement à toutes les questions en litige en s’appuyant sur la preuve, la documentation au dossier et la jurisprudence en semblable matière. Le tribunal n’entend aucunement reprendre l’intégralité de cette longue décision de 38 pages qui répond entièrement aux contestations soumises à son attention.
[34] Le tribunal entend uniquement faire certaines remarques, avec tous les égards requis, en rapport avec la question des citations à comparaître qui est commentée dans la décision du 21 janvier 2008 aux paragraphes 21 à 40 qui se lisent comme suit :
« [21] Le travailleur a avisé le tribunal qu’il avait assigné sept employés de la CSST à témoigner à l’audience. Ces personnes ne sont pas présentes à l’heure fixée pour l’audience. Le tribunal apprend que le travailleur n’a pas avancé les frais de déplacement aux témoins.
[22] L’article 429.39 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles1 (la loi) prévoit ce qui suit :
429.39. Une partie qui désire faire entendre des témoins et produire des documents procède en la manière prévue aux règles de preuve, de procédure et de pratique de la Commission des lésions professionnelles.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[23] Les articles 15, 15.1 et 15.2 du Règlement sur la preuve et la procédure de la Commission des lésions professionnelles2 (le règlement) prévoient ce qui suit :
15. Un témoin peut être requis de rendre témoignage devant la Commission, d'y produire un document, ou les 2 à la fois.
D. 217-2000, a. 15; D. 618-2007, a. 14.
15.1. Le témoin est assigné au moyen d'une citation à comparaître délivrée par la Commission.
Le formulaire de citation à comparaître est signé par un commissaire et il est rempli et notifié par la partie, à ses frais, à charge d'en prouver la date de notification.
Il contient des renseignements utiles à la partie qui le remplit et au témoin.
D. 618-2007, a. 15. (nos soulignés)
15.2. La citation à comparaître doit être notifiée au moins 10 jours avant la comparution.
Toutefois, en cas d'urgence, un commissaire peut, par ordonnance spéciale inscrite sur la citation à comparaître, réduire le délai de notification qui ne peut cependant être faite moins de 24 heures avant le moment de la comparution.
D. 618-2007, a. 15.
[24] Le travailleur n’a pas déposé auprès du tribunal copie des citations à comparaître délivrées par un commissaire du tribunal et n’a pas prouvé qu’il y avait eu notification aux sept personnes concernées.
[25] Comme cette notification doit être effectuée « à ses frais », le travailleur devait aussi prouver qu’il avait avancé les frais de déplacement comme il est d’usage en cette matière au Québec, notamment à cause des dispositions du Code de procédure civile du Québec3 dont il y a lieu de s’inspirer en l’instance puisque la loi et les règles de preuve ne contiennent aucune disposition précise à ce sujet, quoique la référence d’une notification « à ses frais » réfère, selon le présent tribunal, notamment aux frais de déplacement qui doivent être avancés à un témoin4.
[26] L’article 2 du règlement précité mentionne ce qui suit :
2. La Commission n'est pas tenue à l'application des règles de procédure et de preuve civiles.
D. 217-2000, a. 2.
[27] Il n’est donc pas interdit au présent tribunal de référer aux règles de procédure civiles même s’il n’en a pas l’obligation.
[28] Le tribunal estime qu’il n’y a aucune raison pouvant faire en sorte de traiter différemment les témoins assignés dans une cause civile par rapport aux témoins assignés dans un dossier en cours devant un tribunal administratif. Pourquoi un témoin assigné devant la Cour supérieure aurait-il droit de recevoir ses frais de déplacement alors qu’il n’en serait pas ainsi pour un témoin assigné devant la Commission des lésions professionnelles?
[29] En effet, qu’un témoin soit assigné devant un tribunal administratif ou un tribunal judiciaire, il subit les mêmes tracas et doit encourir les mêmes dépenses.
[30] Il est vrai que les sept personnes assignées sont employées de la CSST et que leurs frais auraient été possiblement remboursés par leur employeur. Cela ne change rien au principe, même si la créance des sept témoins aurait été vraisemblablement transférée à leur employeur. Il revient à la partie de débourser les frais encourus par l’assignation et non pas au témoin ni à son employeur. De plus, étant donné le principe de l’égalité de tous devant la loi, le tribunal ne voit pas pourquoi on devrait déroger au principe pour cette seule raison.
[31] Le tribunal ne croit pas qu’il soit nécessaire que la notification soit faite par huissier en autant que la partie qui assigne un témoin puisse prouver cette notification. Le but sera alors respecté, soit l’information au témoin qu’il doit se rendre devant le tribunal.
[32] Cependant, le tribunal croit qu’un tel témoin doit recevoir ses frais de déplacement comme le prévoit l’article 281.1 du Code de procédure civile du Québec :
281.1. La partie qui assigne le témoin doit lui avancer, pour la première journée de présence à la cour, l'indemnité pour la perte de temps et les allocations pour les frais de transport, de repas et d'hébergement prévues par règlement du gouvernement; l'assignation à témoigner doit contenir clairement l'information à ce sujet.
2002, c. 7, a. 70.
[33] Dans l’affaire Foh c. Sundang5, la Cour d’appel du Québec rappelle qu’un témoin assigné n’est pas obligé de comparaître à moins qu’on ne lui ait avancé ses frais de déplacement. D’autres décisions vont dans le même sens6.
[34] Il est vrai qu’en pratique, la plupart des témoins n’exigeront pas pareille indemnité. Toutefois, lorsqu’une telle indemnité n’a pas été avancée, le tribunal ne pourra pas conclure au défaut de comparution du témoin concerné.
[35] La preuve n’a pas non plus démontré que la notification avait eu lieu au moins dix jours avant la comparution. Tout ceci fait en sorte que le tribunal ne peut conclure que les témoins ont été dûment assignés et qu’ils avaient l’obligation de se présenter devant lui.
[36] Le travailleur n’a pas demandé la remise de l’audience pour ce motif de sorte que le tribunal a tout de même procédé.
[37] Les faits de la présente affaire sont différents de ceux soumis au commissaire saisi du dossier Hamel et Commission scolaire Marguerite-Bourgeois7.
[38] En effet, dans le présent dossier, les témoins ne se sont pas présentés à l’audience ce qui aurait fait en sorte que la question serait devenue académique.
[39] Dans l’affaire Hamel précitée, le tribunal était saisi d’une requête en cassation de citations à comparaître alors que dans le présent dossier, les témoins ne se sont tout simplement pas présentés à l’audience.
[40] Les témoins assignés par le travailleur avaient donc une raison valable de ne pas se présenter à l’audience, leurs frais n’ayant pas été avancés. »
[…] »
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1 L.R.Q., c. A-3.001.
2 (2000) 132 G.O. II, 1627.
3 L.R.Q., c. C-25.
4 Laprise et Groupe Admari inc., [1995] C.A.L.P. 1685 , révision rejetée, [1996] C.A.L.P. 1697 ; Malouin et I.C.C. Cheminées industrielles inc., C.L.P. 275860-64-0510, 21 avril 2006, C.-A. Ducharme; Goodyear Canada inc. et Leduc, [2006] C.L.P. 1567 ; Côté et Produits forestiers Tembec inc., [1993] C.A.L.P. 1600 ; Brien et Confections Style Mart Co, [1987] C.A.L.P. 370 ; Maheux et Quadrant Construction (1979) ltée, C.A.L.P. 35443-05-9201, 12 février 1996, J.-C. Danis; CSST et Michaud, 02717-01-8704, 5 avril 1991, M. Renaud.
5 [1992] RDJ 620 (C.A.).
6 Voir notamment Remo ltée c. Sbeit, REJB, 1996-29098, 5 mars 1996, (C.S.).
7 242751-62C-0408, 6 juillet 2005, R. Hudon.
[35] Le tribunal tient et ce, avec le plus grand respect pour l’opinion contraire, à commenter l’opinion émise par le premier commissaire au sujet de l’assignation à comparaître de sept employés de la CSST qui ne se sont pas présentés à l’audience tenue à Saint-Félicien le 10 décembre 2007 devant le premier commissaire.
[36] Dans un premier temps, le commissaire écrit que le travailleur n’a pas fait la preuve de la notification des citations à comparaître au paragraphe 24 de sa décision. Le soussigné est d’avis que cette seule constatation suffisait à bon droit de régler la question des citations à comparaître. Il s’agit en conséquence du motif essentiel et déterminant de la décision du premier commissaire sur la question des citations à comparaître.
[37] Toutefois, le premier commissaire poursuit ses motifs en ajoutant que la preuve ne révèle pas, non plus, que des frais de déplacement ont été avancés aux témoins. Il estime que l’article 281.1 du Code de procédure civile[11] s’applique, obligeant ainsi la partie qui assigne un témoin à lui avancer les sommes prévues par règlement du gouvernement. Il s’agit, pour le soussigné, en quelque sorte d’un « obiter » ou une opinion incidente qui n’était pas nécessaire pour appuyer sa décision en raison du motif essentiel qui avait déjà été énoncé sur l’absence de notification des citations à comparaître.
[38] En effet, cette opinion du premier commissaire sur l’avance des frais de déplacement peut surprendre, d’abord en raison de l’article 2 du Règlement sur la preuve et la procédure de la Commission des lésions professionnelles[12], qui prévoit qu’elle n’est pas tenue à l’application des règles de procédure et de preuve civiles.
[39] D’autre part, tant la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) que la Commission des lésions professionnelles n’ont pas, à ce jour, imposé une telle obligation à la partie qui cite un témoin à comparaître de pourvoir à l’avance des frais de déplacement.
[40] Il importe, de plus, de souligner qu’avant les modifications législatives de 1998, qui ont notamment entraîné la création de la Commission des lésions professionnelles, la LATMP prévoyait ce qui suit, à l’article 411 :
411. Un commissaire peut ordonner à une partie de supporter tout ou partie des frais et allocations du témoin établis selon les normes et montants fixés par le président.
[…]
[41] Or, aucune ordonnance n’a été émise en vertu de cette disposition car jamais le président n’a exercé à l’époque son pouvoir de fixer des normes et montants pour les frais des témoins. Cette habilitation législative a d’ailleurs été retirée en 1998.
[42] Rappelons que la citation à comparaître est un ordre du tribunal; la personne à qui elle a été notifiée doit s’y soumettre. Si le témoin ne se présente pas, il appartient au tribunal d’apprécier les motifs qui peuvent justifier son absence. S’il invoque qu’il n’a pu se conformer à l’ordre énoncé parce qu’il n’avait pas les ressources financières pour y donner suite, il appartiendra alors au tribunal d’évaluer la situation. En l’absence d’habilitation législative, il faut donc apprécier chaque cas à son mérite.
[43] Il importe également de réaliser que les parties ont souvent très peu de ressources financières et qu’un investissement pour s’assurer la présence de témoins devant le tribunal pourrait les amener à s’en abstenir au risque de compromettre la qualité de leur preuve. Il s’agirait là d’un obstacle supplémentaire à l’accessibilité du tribunal par les parties, ce qui irait vraisemblablement à l’encontre de l’économie générale de la loi à cet égard.
[44] Le tribunal est d’avis toutefois que l’opinion du premier commissaire sur la question de l’avance des frais ne justifie pas cependant la révision de la décision parce qu’elle porte sur une question purement secondaire sur laquelle il n’était d’ailleurs pas nécessaire de statuer. Il s’agissait uniquement d’une opinion incidente émise par le premier commissaire sans qu’elle soit nécessaire pour appuyer sa décision.
[45] Quant au reste, la décision ne comporte aucune erreur manifeste et déterminante de nature à l’invalider. Il s’agit d’une décision qui répond de façon plus que raisonnable aux cinq contestations logées par le travailleur.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête en révision déposée par monsieur Bertrand Paradis, le 18 février 2008, à l’encontre de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 21 janvier 2008.
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JEAN-LUC RIVARD |
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Commissaire |
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Me Gérard Simard |
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PANNETON LESSARD |
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Représentant de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] [1998] CLP 783 .
[3] C.L.P. 137129-71-0003, 22 juin 2001, C.-A. Ducharme.
[4] C.A. 500-09-006417-984, 26 avril 2001.
[5] Sivaco et C.A.L.P., [1998] C.L.P. 180 ; Charrette et Jeno Neuman & fils inc., C.L.P. 87190-71-9703, 26 mars 1999, N. Lacroix.
[6] Bourassa c. Commission des lésions professionnelles, C.A. Montréal, 500-09-011014-016, 28 août 2003, jj. Mailhot, Rousseau-Houle, Rayle.
[7] C.L.P. 68229-09-9504, 27 octobre 1998, R. Chartier.
[8] C.A. Montréal, 500-09-014608-046 (Référence C.L.P. 151636-05-0012, 3 septembre 2003)
[9] Communauté urbaine de Montréal et Les propriétés GuenterKaussen et Ville de Westmount, [1987] R.J.Q. 2641 à 2648.
[10] CSST et Jean-Guy Simard & Fils inc., C.A.L.P. 85891-02-9702, 21 janvier 1999, J.-L. Rivard.
[11] L.R.Q., c. C-25.
[12] (2000) 132 G.O. II, 1627.
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