Centre Gestion Équipement Roulant |
2011 QCCLP 2300 |
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[1] Le 17 septembre 2010, Centre Gestion Équipement Roulant (l’employeur) dépose, à la Commission des lésions professionnelles, une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 23 août 2010, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 27 avril 2010 et déclare que l’employeur doit assumer la totalité du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par monsieur Jonathan Hogue (le travailleur) le 13 février 2007.
[3] Le 2 février 2011, monsieur Jeason Paquin, représentant de l’employeur, produit au tribunal un argumentaire en lieu et place de sa présence à l’audience du 23 février 2010. À cette date, le tribunal met l’affaire en délibéré.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande au tribunal d’accueillir sa requête, d’infirmer la décision de la CSST et de déclarer qu’il a droit à un partage d’imputation de l’ordre de 10 % à son dossier financier et de 90 % aux employeurs de toutes les unités.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[5] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’employeur a droit à un partage de l’imputation du coût des prestations versées au travailleur en raison de sa lésion professionnelle et, le cas échéant, dans quelle proportion.
[6]
L’article
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[7] Cet article prévoit entre autres que le coût des prestations peut être transféré, lorsque l’employeur démontre que l’imputation à son dossier financier aurait pour effet de l’obérer injustement.
[8]
Le troisième alinéa de l’article
[9] L’employeur soumet que l’imputation des coûts de la lésion professionnelle, postérieurs au 18 janvier 2008, à l’effet de l’obérer injustement compte tenu du refus du travailleur de se soumettre à une chirurgie méniscale, laquelle n’a eu lieu qu’en janvier 2010. La preuve à ce sujet est limitée à un commentaire du médecin de l’employeur contenu dans une expertise datée du 4 novembre 2008 :
[…]
Comme il avait déjà ses billets d’avion et que son voyage était déjà payé, il n’a pas pu être opéré à ce moment-là. Par la suite, le docteur Langevin est parti pour les États-Unis et depuis cette date soit le mois de janvier 2008, il est en attente d’une consultation avec le docteur Makinen. Cependant, il a repris son travail régulier depuis la fin de 2007 et il est toujours actuellement en travail régulier.
[…]
[10]
Dans le présent dossier, l’accident est survenu le 13 février 2007 et la
demande de transfert est datée du 16 décembre 2009. La demande n’a donc pas été
déposée dans le délai d’un an prévu au troisième alinéa de l’article
[11]
L’article
352. La Commission prolonge un délai que la présente loi accorde pour l'exercice d'un droit ou relève une personne des conséquences de son défaut de le respecter, lorsque la personne démontre un motif raisonnable pour expliquer son retard.
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1985, c. 6, a. 352.
[12] L’employeur n’a formulé aucun motif pour expliquer son retard. Le dossier n’en révèle pas davantage. Dans ce contexte, le tribunal conclut que la demande de l’employeur fondée sur l’article 326 est irrecevable puisque produite hors délai.
[13] À tout événement et uniquement aux fins de la discussion, le tribunal considère que la preuve ne permettrait pas de conclure dans le sens souhaité par l’employeur. Le commentaire du médecin de l’employeur ne suffit pas à expliquer tout le délai ou à le faire reposer sur le travailleur. Les aléas du système de santé semblent expliquer une partie du délai invoqué. La situation est donc différente de celle examinée par le tribunal dans l’affaire Le Paris inc.[2] où il avait donné gain de cause à l’employeur dans une situation comparable.
[14]
Reste la demande de l’employeur concernant l’article
[15]
Dans certaines circonstances, effectivement, l’employeur peut demander
que l’imputation se fasse autrement que suivant le premier alinéa de l’article
329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.
L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.
[16] Le tribunal constate que cette seconde demande de transfert d’imputation de l’employeur a été déposée dans le délai imparti à cet article puisqu’elle a été produite le 16 décembre 2009, soit avant l’expiration de la troisième année qui suit la survenance de la lésion.
[17] Pour bénéficier de cette disposition, l’employeur doit, d’une part, démontrer que le travailleur était déjà handicapé au moment où une lésion professionnelle s’est manifestée et, d’autre part, que cette condition a eu un impact sur la survenance ou sur les conséquences de cette lésion.
[18] La notion de travailleur handicapé n'est pas définie par la loi. Selon les principes qui se dégagent de l’affaire Municipalité Petite-Rivière-St-François et C.S.S.T.-Québec[3] et qui ont été repris de façon très majoritaire par la suite[4], un travailleur handicapé est une personne qui présente, au moment de la manifestation de sa lésion professionnelle, une déficience, physique ou psychique, qui entraîne des effets sur la production de sa lésion professionnelle ou sur les conséquences de cette lésion.
[19] L'employeur qui désire obtenir un partage de l'imputation du coût des prestations dues en raison d'une lésion professionnelle subie par un travailleur doit tout d'abord démontrer que ce dernier présente une déficience, à savoir une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique qui correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale.
[20] Quant à la notion de déviation par rapport à la norme biomédicale, dans Sodexho Canada inc., le tribunal précise ce qu’il faut entendre[5] :
[49] En proposant cette définition, la Commission des lésions professionnelles écarte du chapitre des déficiences les conditions personnelles retrouvées normalement chez les individus pour ne retenir que celles qui constituent des anomalies. Par ailleurs, la jurisprudence évalue le caractère normal ou anormal de la condition identifiée en la comparant à ce que l’on retrouve habituellement chez des personnes de l’âge de la travailleuse au moment de l’événement.
[50] La preuve de cette déviation sera plus ou moins exigeante selon la nature de la condition invoquée. Ainsi, le caractère déviant peut s’inférer de certaines conditions (par exemple une malformation d’une structure ou un diabète). Cependant, lorsque la condition identifiée est une dégénérescence relevant d’un phénomène de vieillissement, la preuve doit clairement établir en quoi cette condition dévie de la normalité.
[21] Par ailleurs, la déficience peut être congénitale ou acquise et peut ou non se traduire par une limitation de la capacité du travailleur de fonctionner normalement. La déficience peut aussi exister à l'état latent sans qu'elle se soit manifestée avant la survenance de la lésion professionnelle.
[22] Une fois la déficience démontrée, la seconde étape de l’analyse consiste à déterminer si ce handicap a entraîné des effets sur la production de la lésion ou sur ses conséquences. L'employeur doit établir ces effets.
[23]
La première condition de l’application de l’article
[24] Le travailleur a subi un accident du travail le 13 février 2007 dont le diagnostic retenu est une entorse au genou droit. Il a alors 26 ans.
[25] Cette lésion professionnelle est consolidée le 22 mars 2007 par le médecin du travailleur.
[26] Le 26 juin 2007, le travailleur subit une récidive, rechute ou aggravation dont le diagnostic est une déchirure du ménisque interne du genou droit[6].
[27] Un examen par résonance magnétique est pratiqué le 5 juillet 2007 lequel est interprété par le docteur Robert Rousseau :
Opinion
1. Minime épanchement intra-articulaire avec déchirure complexe du ménisque interne.
2. Légère chondromalacie fémoro-rotulienne et fémoro-tibiale interne.
[28] Le travailleur subit une méniscectomie par arthroscopie le 18 janvier 2010.
[29] Le protocole opératoire fait état des constatations suivantes du chirurgien, le docteur Alain Quiniou :
[…]
Les cavités intra-articulaires sont visualisées. Le recessus supra-patellaire est normal. Le compartiment patello-fémoral est normal. Au niveau du compartiment interne, on note que les surfaces portantes cartilagineuses au condyle fémoral interne et au plateau tibial interne sont exemptes de pathologie. On note cependant la présence d'une déchirure en pan de clocher impliquant la corne moyenne et la corne postérieure du ménisque interne. Cette déchirure est réséquée puis balancée à l’aide du chondrotome et des pinces arthroscopiques. L’échancrure intercondylienne démontre la présence d’un ligament croisé antérieur bien vascularisé, bien implanté, de bonne qualité. Le ligament croisé postérieur est également de bonne qualité. Au niveau du compartiment latéral, on note que les surfaces cartilagineuses portantes au condyle fémoral externe et au plateau tibial externe sont exemptes de pathologie. Les cornes antérieures, moyenne et postérieure du ménisque externe sont bien palpées au niveau des surfaces caudale et céphalique qui ne montrent aucune déchirure, instabilité ou désinsertion.
[…]
[nos soulignements]
[30] La lésion est consolidée le 18 février 2010 à la suite du Rapport final du docteur Louis Roy. Le travailleur conserve une atteinte permanente, mais sans limitation fonctionnelle. Le travailleur reprend son travail régulier vers le 21 février 2010.
[31] Le 8 décembre 2010, le docteur Gilbert Thiffault, complète un Rapport d’évaluation médicale pour le compte de la CSST, il accorde une atteinte permanente de 1 % suite à la méniscectomie, sans limitation fonctionnelle. Il note également la présence de chondromalacie compte tenu des résultats de la résonance magnétique de juillet 2007. Il ne réfère toutefois pas au protocole opératoire.
[32] Au sujet de l’existence d’un handicap, l’employeur soumet essentiellement au tribunal que les éléments dégénératifs notés à la résonance magnétique et par le docteur Thiffault « sont bien connus dans les références biomédicales comme étant contributifs à la fragilité du ménisque et ainsi être en grande partie responsable lors de blessure telle que subie par monsieur Hogue ».
[33] Cette affirmation du représentant de l’employeur n’est aucunement documentée. Elle ne constitue pas une preuve directe ou indirecte. Mais il y a plus.
[34] Le protocole opératoire du docteur Quiniou, révèle l’absence de pathologie fémoro-rotulienne et fémoro-tibiale.
[35] Ainsi, la chondromalacie identifiée à l’imagerie n’est pas visualisée par le chirurgien, au contraire.
[36] Dans ce contexte, le tribunal conclut que la condition préexistante invoquée par l’employeur n’est pas prouvée. Et, si tant est qu’elle le soit, la preuve prépondérante ne permet pas de conclure qu’elle constitue un handicap en dépit de l’âge du travailleur.
[37]
Ainsi, et compte tenu du fait que l’employeur n’a pas démontré que le
travailleur était déjà handicapé au sens de l’article
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de Centre Gestion Équipement Roulant ;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 23 août 2010, à la suite d’une révision administrative ;
DÉCLARE que Centre Gestion Équipement Roulant doit assumer entièrement l’imputation des coûts des lésions professionnelles subies par monsieur Jonathan Hogue, les 13 février et 26 juin 2007.
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Jacques David |
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Monsieur Jeason Paquin |
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Shepell Fgi |
Représentant de la partie requérante
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Le Paris inc., C.L.P.
[3]
[4] Hôpital général de Montréal,
[5] C.L.P. 149700-31-0011, 9 mai 2001, C. Racine
[6] Cette lésion professionnelle, d’abord refusée à la CSST, est reconnue par la Commission des lésions professionnelles le 26 janvier 2009, dossier 334131-64-0711, J.-F. Martel
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