Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

RÉGION :

MONTRÉAL

MONTRÉAL, le 12 décembre 2002

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER :

124309-72-9909-R

DEVANT LA COMMISSAIRE :

Lucie Landriault, avocate

 

 

 

 

 

 

 

ASSISTÉE DES MEMBRES :

Guy Dorais,

 

 

 

Associations d’employeurs

 

 

 

 

 

 

 

André Bordeleau,

 

 

 

Associations syndicales

 

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER CSST :

102140829

AUDIENCE TENUE LE :

3 décembre 2002

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À :

Montréal

 

 

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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE PRÉSENTÉE EN VERTU DE L'ARTICLE 429.5 6 DE LA LOI SUR LES ACCIDENTS DU TRAVAIL ET LES MALADIES PROFESSIONNELLES (L.R.Q., chapitre A-3.001)

 

 

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CARMELLE NADEAU

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE REQUÉRANTE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Et

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CENTRE D'ACCUEIL LASALLE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE INTÉRESSÉE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Et

 

 

 

 

 

 

 

Commission de la santé et de la sécurité du travail

 

 

 

 

 

 

PARTIE INTERVENANTE

 

 

 

 


 

DÉCISION

 

[1]               Le 11 septembre 2002, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision/révocation en vertu de l'article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), à l'encontre d'une décision rendue le 24 juillet 2002 par la Commission des lésions professionnelles (le tribunal), décision qu'elle a reçue le 5 août 2002.  Cette requête est accompagnée d'une requête en sursis d'exécution.

[2]               Par cette décision du 24 juillet 2002, le tribunal accueille la contestation de madame Carmelle Nadeau (la travailleuse), infirme une décision du 23 août 1999 rendue par la CSST à la suite d'une révision administrative et déclare que la travailleuse a valablement contesté la décision du 29 juin 1993 sur l'emploi convenable.  De plus, le tribunal annule la décision du 29 juin 1993, retourne le dossier à la CSST afin qu'elle reprenne le programme de réadaptation de la travailleuse et déclare que la travailleuse a droit aux prestations prévues à la loi.

[3]               À l'audience du 3 décembre 2002, la travailleuse est présente et représentée. L’employeur, le Centre d’accueil Lasalle, est représenté, de même que la CSST.  La CSST dépose les notes sténographiques de l'audience du 9 avril 2002 ainsi que l'avis de convocation pour l'audience du 9 avril 2002.

L'OBJET DE LA REQUÊTE

[4]               La CSST demande à la Commission des lésions professionnelles de révoquer la décision rendue par le tribunal le 24 juillet 2002 puisqu'elle serait entachée de vices de fond de nature à l'invalider.  Elle demande de rendre la décision qui aurait dû être rendue, soit de conclure que la travailleuse n'a pas de motif raisonnable pour être relevée du défaut d'avoir demandé la révision de la décision du 29 juin 1993 avec plus de 5 ans de retard, le 12 novembre 1998.

[5]               Dans un premier temps, la CSST invoque que le tribunal a commis une erreur de compétence en se prononçant sur le fond du litige pour décider de la recevabilité de la demande de révision de la travailleuse eu égard au délai.  Le tribunal n'avait pas encore juridiction sur le fond du litige.  Or, le tribunal apprécie le fond du litige, conclut que la décision du 29 juin 1993 n'est pas «exécutable» puisque les «conditions d'application (la formation)» de celle-ci ne sont pas rencontrées et conclut que «l'on ne peut être hors délai d'une décision qui n'est pas exécutable».  À la lumière de cet exercice faussé, le tribunal conclut que la contestation de la travailleuse déposée 5 ans après la décision contestée n'est pas hors délai. Cette erreur sur la compétence entraîne la perte de juridiction du tribunal sur la question du délai et justifie la révocation de la décision du 24 juillet 2002.  D'autre part, la décision est entachée d'un vice de fond de nature à l'invalider puisque le tribunal reconnaît que l'erreur du représentant de la travailleuse constitue un motif pour prolonger le délai sans toutefois tenir compte que la travailleuse a été négligente, en n’agissant pas du 5 mars 1998 au 12 novembre 1998, contrairement à la jurisprudence constante de la Commission des lésions professionnelles.

[6]               Dans un deuxième temps, la CSST soutient que la décision du 24 juillet 2002 viole la règle audi alteram partem et notamment son droit d'être entendue.  Le tribunal a rendu une décision sur le fond du litige en annulant la décision du 29 juin 1993 alors que l'audience du 9 avril 2002 devait porter uniquement sur le hors délai de la demande de révision de la travailleuse devant la CSST.

[7]               Enfin, la CSST demande à la Commission des lésions professionnelles d'ordonner le sursis de l'exécution de la décision du 24 juillet 2002.  Selon cette décision, la travailleuse a droit à l'indemnité de remplacement du revenu qui représente une somme d'environ 125,000 00$ (depuis décembre 1994).  Si la décision est révoquée, ces sommes ne seront pas recouvrables.

LES FAITS

[8]               La travailleuse, qui est âgée de 47 ans, est victime d'une entorse cervicale au travail le 22 décembre 1991.  Cette lésion est reconnue comme lésion professionnelle.  Elle conserve de cette lésion une atteinte permanente à l’intégrité physique et des limitations fonctionnelles qui l'empêchent d'exercer son emploi d'infirmière-auxiliaire (préposée aux bénéficiaires).  Elle a droit à la réadaptation sociale prévue à l'article 145 de la loi. 

[9]               Le 29 juin 1993, la CSST rend une décision sous la plume de monsieur Jean-Pierre Brassard conseiller en réadaptation, concernant un emploi convenable qui a été déterminé avec la collaboration et l'accord de la travailleuse et dont un extrait est ici reproduit:

Suite à l'impossibilité d'un retour au travail chez votre employeur, nous avons exploré ensemble la possibilité d'un emploi convenable ailleurs sur le marché du travail.  Après avoir procédé à l'évaluation de vos possibilités professionnelles, nous avons finalement retenu l'emploi de téléphoniste-réceptionniste comme emploi convenable au revenu actuellement estimé à 16,850 00$.

 

Afin de vous rendre capable d'exercer cet emploi, nous avons retenu la mesure suivante: dactylographie 135 hrs, la formation, le matériel didactique, les déplacements, la location éventuel de dactylo, un porte copie, l'acquisition éventuelle d'un fauteuil ergonomique.  tous les frais encourus nécessitent des pièces justificatives avant remboursement.  la formation est prévue à partir du 05.07.1993 au 22.12.1993.  Après votre formation, il serait possible de vous inscrire à un club de recherche d'emploi et à prendre un moyen pour la rédaction de votre c.v. (…)

(sic)

 

 

[10]           Selon les notes évolutives du dossier de la travailleuse à la CSST, les cours qui s'échelonneront du 5 juillet 1993 au 20 décembre 1993 comprennent des cours de dactylographie, de tenue de livres, de français, de traitement de textes et d'anglais.

[11]           Le 16 juillet 1993, lors d'une rencontre entre le conseiller en réadaptation et la travailleuse, le conseiller note au dossier :

(Elle) voulait me voir pour me demander de suivre un cours par jour (plutôt que deux) soit dactylo, soit anglais.  Selon elle c'est exigeant et elle a peur de rechuter.  Longue discussion sur les attitudes à prendre et réagir positivement aux activités nouvelles ainsi qu'à un certain temps à prendre pour mieux vivre ce changement.

(sic)

 

 

[12]           Le 3 septembre 1993, le conseiller en réadaptation écrit au dossier:

Rencontre avec la T.

Elle revienne sur sa demande de suivre qu'un cours par semaine, soit la dactylographie et laisser temporairement son cours d'ang.  Je ne vois pas pourquoi je changerais de décision. De plus, elle me fait part qu'elle veut déménager à Québec.  Ça fait longtemps qu'elle y pense.  (…) Vient de terminer ses cours de dactylo et anglais avec plus de 72 %. Ce qui est très bon.

(sic)

 

 

[13]           Le 30 septembre 1993, la travailleuse informe le conseiller en réadaptation qu'elle déménage à Lévis.  Elle n'a toutefois pas terminé ses cours au Collège de secrétariat moderne de Montréal et doit entreprendre les cours de français et d'informatique (DOS-Lotus 1, 2, 3, Word Perfect débutant).

[14]           La CSST indique au dossier que la travailleuse déménage en raison de difficultés avec son ami et parce qu'elle voulait revenir en région après ses cours, ce qui, selon le conseiller, ne constitue pas des raisons valables.  Il considère que la travailleuse manque à ses responsabilités.  Il y a d'autres indications au dossier selon lesquelles la travailleuse cherche du soutien moral auprès de sa famille qui demeure à Québec.

[15]           La CSST fait part à la travailleuse qu'elle trouve déplorable ce déménagement avant la fin de ses cours.  Il n'est pas certain qu'elle puisse suivre à St-Romuald un cours équivalent, la CSST a déjà engagé 4,570 00 $ pour ses cours dans une institution de Montréal et il y a une incertitude concernant les délais et la suite du plan. 

[16]           Le conseiller en réadaptation dirige travailleuse vers différentes écoles à Québec mais l'avise que son plan de réadaptation ne sera pas prolongé après le 22 décembre 1993. 

[17]           Le 29 octobre 1993, la CSST écrit à la travailleuse, l'avise qu'elle peut suspendre ou mettre fin à son plan individualisé de réadaptation si elle refuse de se prévaloir des mesures prévues à son plan.  La CSST lui rappelle qu'elle a quitté la région de Montréal, qu'elle a abandonné son programme de formation qui a débuté le 5 juillet 1993 et qui devait se terminer le 10 décembre 1993, que le cours avaient déjà été payés et qu'elle a été informée des impacts de son déménagement à Lévis en ce qui a trait à un retard dans l'atteinte des objectifs prévus au plan pouvant même compromettre son plan.  La CSST lui demande de s'inscrire à un cours de français et un cours d'informatique et l'avise qu'elle a cinq jours pour appliquer ces mesures.  Ses cours devront débuter le 10 novembre 1993, à défaut de quoi, la CSST sera dans l'obligation de mettre fin au plan individualisé et de suspendre ses indemnités de remplacement du revenu.  La CSST conclut qu'aucune prolongation n'est accordée à son plan de réadaptation qui doit se terminer le 22 décembre 1993.

[18]           La CSST obtient du collège de Montréal le remboursement des frais de scolarité payés à l'avance et rembourse la travailleuse du coût de ses cours dans la région de Québec.

[19]           Le 26 novembre 1993 la travailleuse débute son cours de français qu'elle terminera en décembre 1993.  Elle suit aussi 2 jours sur 3 de cours de Word Perfect mais elle dit ne pas pouvoir continuer pour le moment parce que cela est lourd vu les cours de français et vu que les cours sont intensifs.  Elle doit suivre la dernière journée de cours le 2 février 1994 qui comprend notamment l'évaluation. 

[20]           Le 9 février 1994, lors d'un entretien téléphonique, la travailleuse avise monsieur Serge Boivin, conseiller en réadaptation à la CSST, que le cours a été reporté en avril 1994.  Le conseiller lui explique qu'il ne peut modifier le plan individualisé de réadaptation déjà établi en date du 29 juin 1993, uniquement pour une journée de formation.  Le 9 février 1994, donc, la CSST rend une décision dans laquelle elle conclut que la travailleuse est apte à exercer l'emploi convenable de téléphoniste-réceptionniste à compter du 23 décembre 1993.  Lors de ce téléphone, la travailleuse avise le conseiller que, le 3 décembre 1993, elle a subi un accident d'automobile (un dérapage), que sa douleur au niveau cervical a augmenté et qu'elle a suivi des traitements de chiropraxie.  Le conseiller lui dit qu'il ne s'agit pas d'une rechute en relation avec son dossier à la CSST mais que, si elle désire que la CSST se prononce sur une rechute, elle devra produire une réclamation avec attestation médicale à l'appui.

[21]           Le 26 avril 1994, la travailleuse dépose à la CSST une réclamation pour une rechute, récidive ou aggravation du 3 décembre 1993.  Le 31 mai 1994, la CSST rend une décision dans laquelle elle refuse la réclamation pour le motif qu'il n'y a pas de preuve d'aggravation et que les traitements suivis n'ont pas été prescrits par un médecin.  La travailleuse ne demande pas la révision de cette décision.

[22]           Le 19 mai 1994, la travailleuse demande verbalement à la CSST de lui rembourser le coût de traitements d'ostéopathie, et l'agent l'informe qu'elle peut déposer une réclamation à la CSST à cet effet.

[23]           Le 22 juin 1994, la travailleuse revient habiter dans la région de Montréal.

[24]           Le 22 novembre 1995, la CSST écrit à la travailleuse, lui rappelle que la CSST a conclu qu'elle était capable d'exercer un emploi convenable depuis le 23 décembre 1993 et lui demande si elle travaille, précisant qu'il faut, deux ans après la date où un travailleur est devenu capable d'exercer à plein temps un emploi convenable, procéder à la revalorisation de son indemnité réduite de remplacement du revenu.  La travailleuse répond à cette lettre le 28 novembre 1995.

[25]           Le 23 avril 1997, la travailleuse s'informe auprès de la CSST concernant le remboursement de certains médicaments.  Le 28 avril 1997, elle apporte ses factures à l'agente d'indemnisation.  Les médicaments ne sont pas remboursés parce qu'ils ne sont pas reliés à sa lésion professionnelle.  Le 17 juin 1997, la travailleuse écrit à la CSST et demande qu'on lui envoie par écrit les raisons pour lesquelles elle conclut que les médicaments ne sont pas reliés à sa lésion professionnelle.

[26]           Depuis son accident au travail, la travailleuse apporte aux représentants syndicaux copie de ses rapports médicaux, ainsi que copie des documents qu’elle reçoit de la CSST, comme ils demandent aux travailleurs de le faire.  La travailleuse leur parle régulièrement, les tient au courant de l'évolution de son état de santé ainsi que de son dossier.  Les représentants syndicaux lui disent qu'ils s'occupent de son dossier.

[27]           Parallèlement à cela, des démarches sont menées auprès de l’employeur.  Le syndicat tente de retarder la fin du lien d'emploi de la travailleuse, son poste devant normalement être fermé en décembre 1994.  En novembre 1995, un protocole d’entente est signé par le syndicat et l’employeur.  Selon cette entente, un groupe d’employés, dont la travailleuse, fera partie d’une équipe spéciale et pourront avoir accès en priorité à des postes qui deviendraient vacants.  Cette entente a pour but de prolonger le lien d’emploi de ces employés avec l’employeur jusqu’au 1er décembre 1996.  Le 30 novembre 1995, l’employeur fait parvenir une lettre à la travailleuse relativement à cette entente.  Le 1er décembre 1996, la travailleuse se retrouve en congé administratif, soit, l'équivalent d'un congédiement.  En mai 1997, la travailleuse reçoit un document faisant état des mouvements de personnel chez l’employeur et où il est fait mention de son « départ ».  La travailleuse apporte ce document au syndicat qui, le 27 mai 1997, oubliant le protocole conclu avec l’employeur, produit au nom de la travailleuse un grief concernant ce congé administratif.  Il produit aussi un deuxième grief dans lequel il reproche à l’employeur de ne pas avoir dirigé le dossier de façon à ce que la travailleuse obtienne des assurances collectives de la C.A.R.R.A.  Ces griefs doivent être entendus par un arbitre le 5 mars 1998.  La veille, le 4 mars 1998, le représentant syndical prend conscience de l'entente de 1995, se désiste des griefs et en avise la travailleuse.  La travailleuse demande des explications, demande de connaître les raisons pour lesquelles ils ont agi ainsi et demande copie des documents signés.  Le représentant lui répond qu'il n'est pas obligé de lui faire parvenir quoique ce soit.  Par la suite, la travailleuse rappelle au syndicat pour avoir plus de renseignements mais on ne retourne pas ses appels.  Le 24 septembre 1998, la travailleuse adresse une lettre au syndicat et demande un rapport complet de son dossier.  Le 28 septembre 1998, elle reçoit certaines pièces de son dossier.

[28]           Le 10 novembre 1998, par l'entremise de Me Lucille Brisson, la travailleuse dépose une plainte au ministre du travail selon l’article 47.3 du Code du travail.  Elle invoque qu'en vertu de l'article 47.2 du même code, le syndicat a agi de mauvaise foi et a fait preuve de négligence grave dans son dossier.  Le Tribunal du travail rejette la plainte de la travailleuse pour le motif qu'elle est prescrite puisqu'elle a été déposée plus de 6 mois après le 4 novembre 1998.  La travailleuse et son conjoint ont appris le 4 mars 1998 des représentants syndicaux que les griefs étaient retirés et qu'il n'y avait plus rien à faire, qu'elle n'était plus membre du centre d'accueil et qu'elle n'aurait pas d'assurance-salaire.  Selon le Tribunal du travail, le délai pour déposer la plainte a commencé à courir le 4 mars 1998 bien que la procureure de la travailleuse invoquait que cette dernière n'avait pas l'information pour comprendre véritablement comment la décision de retirer ses griefs avait été prise.  Le tribunal ajoutait «Quelqu'aberrante que puisse avoir été la façon de faire des représentants syndicaux, il n'en demeure pas moins, selon la preuve, que la requérante a fait preuve de négligence dans la défense des ses droits, elle a attendu l'écoulement des délais pour agir ou demander à l'intimé d'agir pour elle.».  La Cour supérieure rejette la  requête en révision judiciaire déposée par la travailleuse.

[29]           Le 12 novembre 1998, Me Lucille Brisson adresse une demande à la CSST pour la travailleuse.  Elle soutient que le 16 juillet 1993 et le 3 septembre 1993, la travailleuse a fait une demande de modification de son plan de réadaptation en contestant auprès de son conseiller en réadaptation sa capacité physique de s'y soumettre.  Or, aucune décision n'a été rendue sur la question.  Il s'agit, selon elle, d'une irrégularité qui a induit la travailleuse en erreur et qui a contribué à la perte de ses droits.  Ces deux demandes notées au dossier devraient, selon elle, être considérées comme une contestation ou une demande de révision de la décision du 29 juin 1993.  Me Brisson demande donc de rouvrir le dossier compte tenu de cette erreur.  Subsidiairement, elle demande de relever la travailleuse de son défaut d'avoir contesté par écrit la décision rendue le 29 juin 1993 quant à la détermination de l'emploi convenable et quant au plan de réadaptation.  Elle invoque notamment:

La présente demande est fondée sur le fait que Dame Nadeau a confié à son représentant syndical, monsieur Gilles Duchaussoy, le mandat de la représenter et de la conseiller à la suite de son accident du travail.

 

Elle lui remettait toute la correspondance reçue en croyant qu'il la conseillerait adéquatement sur les moyens appropriés de faire valoir ses droits.  Ce qu'il n'a pas fait manifestement.

 

Lorsque Dame Nadeau s'informait de l'évolution de son dossier, et ce, de façon très régulière, auprès de son représentant syndical, celui-ci la rassurait en lui disant d'être patiente et de lui faire confiance que tout avait été fait pour protéger ses droits.

 

À une occasion, la travailleuse a clairement exprimé à son représentant syndical qu'elle avait des doutes quant au fait qu'il s'était effectivement occupé de son dossier, ce à quoi le représentant lui a montré "son dossier" et lui a réitéré que tout avait été fait pour défendre ses droits, lui fallait seulement faire encore preuve de patience.

 

Éventuellement, le représentant syndical lui a fait part que des griefs seraient ou avaient été logés et que c'est à ce niveau que les conséquences de son accident de travail se régleraient.

 

La travailleuse a donc attendu l'audition des deux griefs, croyant qu'il s'agissait là du bon moyen pour faire valoir ses droits.

 

La veille de l'audition prévue pour les griefs, soit le 4 mars 1998, le représentant syndical Duchaussoy a communiqué par téléphone avec la travailleuse pour l'informer du fait qu'il avait été décidé qu'elle n'avait plus de droit à faire valoir et qu'il ne pouvait rien faire pour elle.

 

Comme elle ne comprenait pas véritablement le sens et la portée des paroles de son représentant syndical, elle a exigé qu'il lui fasse parvenir des preuves écrites et documentaires démontrant ce qui avait été décidé à son sujet.

 

Malgré de nouvelles promesses répétées, le représentant syndical n'a fait parvenir aucun document à la travailleuse.

 

Ce n'est qu'à la suite d'une demande écrite envoyée par courrier recommandé à son représentant syndical que la travailleuse fut mise en possession des documents démontrant que les griefs avaient été retirés purement et simplement.

 

C'est en sollicitant les conseils auprès de la soussignée que la travailleuse fut informée que les mesures qu'elle croyait avoir été prises par son représentant syndical, pour préserver ses droits suite à son accident du travail, ne l'avaient pas été conformément à la loi.

 

Toutefois, en tout temps, la travailleuse a cru de bonne foi que les mesures appropriées avaient été prises pour faire valoir tous ses droits à titre de travailleuse accidentée.

 

La travailleuse a déposé, le 10 novembre 1998, une plainte contre son syndicat en vertu de l'article 47.2 du Code du travail.  Ci-joint, une copie de ladite plainte et des documents joints.

 

Pour les motifs mentionnés ci-haut, la travailleuse demande que la Commission la relève de son défaut d'avoir contesté par écrit la décision du 29 juin 1993.

 

De plus, nous vous demandons, lors de l'analyse de la présente demande, de considérer que Dame Nadeau était durant cette période atteinte de firomyalgie et que cela la rendait dépressive et très vulnérable émotivement.  En aucun moment, elle n'a eu la capacité de voir elle-même et seule à une défense appropriée de ses droits.

 

 

[30]           Le 23 août 1999, la CSST déclare irrecevable la demande de révision du 12 novembre 1998 de la travailleuse à l'encontre de la décision du 29 juin 1993.  La CSST précise que les demandes du 16 juillet 1993 et du 3 septembre 1993 ne constituent pas une demande de révision de la décision du 29 juin 1993 puisqu'une telle demande doit être faite par écrit.  De plus, la demande de révision du 12 novembre 1998 est hors délai puisqu'elle est déposée 5 ans après la décision.  Or, la travailleuse n'a pas de motif pour être relevée du défaut d'avoir contesté dans le délai de 30 jours la décision du 29 juin 1993.  Il n'y a aucune preuve que le mandat confié au syndicat concernait spécifiquement son dossier CSST et plus particulièrement la contestation de l'emploi convenable.  De plus, en mars 1998, la travailleuse apprend qu'elle n'a plus de droits à faire valoir concernant ses griefs et ce n'est qu'en novembre 1998 qu'elle présente à la CSST une demande de révision de la décision du 29 juin 1993.  La CSST ne retient pas comme motif le fait que la travailleuse ait été trop dépressive pour faire une demande de révision; à la même période elle s'informait régulièrement de son dossier auprès de son représentant syndical et était active dans son dossier CSST en participant à son plan de réadaptation et en faisant une réclamation en avril 1994 pour une rechute.

[31]           La travailleuse conteste à la Commission des lésions professionnelles la décision du 23 août 1999 de la CSST.  La CSST intervient au litige en vertu de l'article 429.16 de la loi et demande que l'audience ne porte que sur le hors délai.  Après une deuxième demande, la Commission des lésions professionnelles acquiesce et fixe l'audience uniquement sur le hors délai.  L'avis de convocation expédié aux parties pour l'audience du 9 avril 2002 indique que l'audition ne portera que sur le moyen préliminaire concernant le hors délai de la demande de révision à la CSST.

[32]           Le 8 avril 2002, Me Bilodeau de la CSST avise la Commission des lésions professionnelles que la CSST ne sera pas représentée à l'audience du 9 avril 2002.

[33]           Le procès-verbal d'audience indique que l'audience ne portera que sur le hors délai de la demande de révision à la CSST.  Le procès-verbal complété par la commissaire indique que l'affaire est prise en délibéré sur le moyen préliminaire.

[34]           À l'audience du 9 avril 2002, la travailleuse dépose une lettre du 18 février 1994 qu'elle expédiait à monsieur Linch du syndicat.  On y lit:

J'aimerais que tu prennes connaissance, de chacune de ces formules, que je te fais parvenir dans cette enveloppe.

 

1: Tout d'abord celle daté du 29 octobre 1993 envoyée par Louisette Dombrowski.

2: Celle daté du 9 février 1994, envoyé par Serge Boivin.

3: Celle daté du 11 février 1994, envoyé par Serge Boivin.

4: Formule reçu de la Personnelle Vie.

5: Rapport médical pour la CSST.

 

Explication pour chacune d'elle

 

1: Cours de français complété.

B: Cour de bloc informatique, 3 journées de 6 heures 1/2 de reçu, non continué.

     Cause, le 3 décembre 1993, en revenant de mon cour de français, j'ai fait un dérapage avec mon auto, ce qui causa par la suite, d'autres problèmes physique.

Ces problèmes m'empêchèrent de continuer mon cour.

Depuis ce temps, je suis en traitement, et les problèmes physique continuent.

 

2: Ne peux faire de recherche d'emploi, rapport médical fait par mon médecin, et posté à la CSST le 15 février.

3: Suite à cette décision, je conteste sur ce qu'ils appellent emploi convenable (b.c.)

4: Formule de la Personnelle Vie, complétée par moi ainsi que par mon médecin, et posté par lettre recommandé, à M. Goyer le 15 février 1994 pour qu'il puisse la compléter et me la faire parvenir le plus tôt possible, cause de la date limite.

5: Rapport médical à la CSST le 15 février 1994.

 

[…]

(sic)

 

 

[35]           À l'audience du 9 avril 2002, la travailleuse témoigne.  Elle fait aussi entendre son conjoint monsieur Lucien Gingras, et messieurs Gilles Duchaussoy et Jacques Linch du syndicat.

[36]           Dans sa décision du 24 juillet 2002, le tribunal conclut:

[19] Les notes évolutives de la CSST du 22 juin 1993 révèlent que l’emploi de téléphoniste-réceptionniste est retenu à titre d’emploi convenable et que la travailleuse manifeste d’entreprendre un processus de formation débouchant sur un emploi stable et rémunérateur.  Un programme de formation est établi qui permettra à la travailleuse d’occuper cet emploi à la fin de cette formation.  Parmi les cours que la travailleuse devra entreprendre, il y a un cours de dactylographie, tenue de livre, français, anglais, traitement de texte, classement.  Ces cours sont nécessaires (notre soulignement) afin de permette à la travailleuse d’acquérir la compétence lui permettant d’affronter le marché du travail.  La travailleuse a manifesté à plusieurs reprises le désir que sa formation  soit allégée en raison de difficultés d’apprentissage.  La travailleuse ayant terminé une septième année il y a plus de 25 ans, elle éprouve des difficultés à suivre la formation exigée pour occuper l’emploi convenable.  Il s’agit d’un «retour à l’école» qui est difficile au point de vue académique, malgré toute la bonne volonté de la travailleuse.

 

[20] En septembre 1993, la travailleuse avise la CSST qu’elle a réussi ses cours de dactylographie et d’anglais avec plus de 72%, mais qu'en raison de problèmes personnels elle déménage à Lévis.  La travailleuse n’a pas encore terminé son programme de formation, notamment le bloc informatique et les cours de français.  Le déménagement a entraîné un délai de formation.  Ce déménagement n’est pas un caprice de la travailleuse et était nécessaire en raison de la situation familiale, morale et physique de celle-ci, la travailleuse recherchant un appui et du support auprès de sa famille.

 

[21] La travailleuse et la CSST effectuent des démarches afin que le programme de formation soit complété.  Toutefois, la travailleuse ne complétera pas sa formation, notamment le bloc informatique.  La principale raison est que la CSST a refusé d'accorder une prolongation de la période de formation.

 

[22] La décision du 29 juin 1993 émise par la CSST en première instance établissait un programme de formation devant mener la travailleuse à occuper l’emploi de téléphoniste-réceptionniste.  Cette décision précisait que la travailleuse bénéficiait d’un cours de dactylographie de 135 heures, une cours d’anglais junior de 135 heures et de français de 135 heures, de traitement de texte de 132 heures, ainsi que le remboursement pour le matériel didactique, les frais de déplacement et de location éventuelle d’un dactylo et d’un porte-documents, l’acquisition éventuelle d’un fauteuil ergonomique.  Il est mentionné que la période de formation est prévue du 5 juillet 1993 au 22 décembre 1993.  La travailleuse était d’accord avec ce programme de formation, même si elle avait manifesté ses craintes.  Les circonstances exceptionnelles reliées à sa situation, incluant les conséquences de sa lésion professionnelle, ont entraîné des délais, mais la CSST a refusé de prolonger la période de formation.

 

[23] La décision rendue le 29 juin 1993 et chacun des éléments qu’elle contenait n’ont pas été respectés.  La CSST se devait d’émettre une autre décision concernant l’emploi convenable et les mesures de réadaptation, ce qu’elle n’a pas fait.

 

[24] Le tribunal est d’avis qu’on ne peut imposer un délai de contestation à l’encontre d’une décision qui est devenue caduque.  En effet, la décision rendue en première instance le 29 juin 1993 est spécifique et contient des éléments tous reliés les uns aux autres :  type d’emploi retenu à titre d'emploi convenable, type de formation pour permettre à la travailleuse d’occuper cet emploi et durée de la formation.  La travailleuse a tenté de faire des accommodements pour respecter l’essentiel du programme de formation retenu, solution qui n’a pas été retenue par la CSST, privant ainsi la travailleuse de la formation nécessaire afin qu’elle puisse occuper l’emploi de téléphoniste-réceptionniste.  Le programme de formation n’étant pas complété, elle ne pouvait prétendre être en mesure d’occuper cet emploi et la CSST ne peut prétendre que la travailleuse a complété le programme de formation l’amenant à occuper l’emploi convenable prédéterminé.  Le processus de réadaptation n’a pas été complété et doit donc être repris.

 

[25] La première erreur de la CSST est d’avoir déterminer un programme de formation et un emploi convenable sans s’assurer que la formation serait complétée.

[26] La deuxième erreur a été de ne pas émettre une nouvelle décision déterminant soit un nouveau programme de réadaptation professionnelle, soit un nouvel emploi convenable.  La décision du 29 juin 1993 ne peut être scindée.  L’emploi convenable dépend de la formation autorisée pour occuper cet emploi.  La formation n’ayant pas été complétée, on ne peut imposer cette décision à la travailleuse et déclarer qu’elle est capable d’occuper l’emploi convenable.  Cela tombe sous le sens.

 

[27] La décision du 29 juin 1993 doit être annulée, afin que la CSST se prononce sur la question de la réadaptation professionnelle de la travailleuse en regard de sa situation réelle.  La travailleuse ne peut pas être hors délai d’une décision qui n’est pas devenue finale, puisque les éléments essentiels de cette décision ne sont pas rencontrés.

 

[28] Mais il y a plus.  Durant toute cette période, la travailleuse s’en remettait à son syndicat afin qu’il traite le dossier et protège ses droits.  Des négociations avaient lieu avec l’employeur afin de tenter de réintégrer la travailleuse.  Celle-ci s’en remettait complètement à son syndicat qui lui garantissait que son dossier était entre bonne main, que l’on s’occupait de faire toutes les démarches nécessaires à garantir ses droits.  Par contre, la preuve a révélé que la personne qui s’occupait de son dossier ne faisait pas la différence entre les dispositions de la loi et ceux de la convention collective et, de bonne foi, croyait que les démarches auprès de l’employeur permettraient de régler le dossier de la travailleuse, incluant les démarches reliées à l’emploi convenable.  Le syndicat a tenté de réintégrer la travailleuse chez l’employeur.

 

[29] Ceci étant dit, la travailleuse a conclu que le syndicat suivait l’évolution du dossier sur les deux tableaux et que l’ensemble du dossier serait traité par les instances patronale et syndicale.

 

[30] L’inexpérience du syndicat et la surcharge de travail des représentants syndicaux ont fait en sorte que le dossier de la travailleuse n’a pas été traité dans le respect des dispositions de la loi, ce qui a pénalisé la travailleuse, ses droits n’ayant pas été protégés.  C’est d’ailleurs ce qui ressort de la décision de la Cour supérieure.

 

[31] La travailleuse a manifesté son désaccord à plusieurs reprises et a avisé le syndicat.

 

[32] La travailleuse a laissé écouler le temps, car le syndicat la rassurait et lui assurait que le dossier suivait son cours et qu’on s’occupait de son dossier.  Sur cet aspect, la preuve a démontré que la personne qu’elle rencontrait au syndicat n’était pas la personne responsable des dossiers CSST;  la travailleuse n’était pas informée de cette situation.

 

[33] Le ou vers le 15 février 1994, la travailleuse a fait parvenir à la CSST un rapport médical indiquant qu’elle ne peut effectuer de recherche d’emploi.  Encore là, la CSST n’émet aucune décision.

 

[34] La travailleuse a donc démontré deux raisons permettant de déclarer qu’elle a valablement contesté la décision rendue le 29 juin 1993, puisqu’elle avait donné mandat à son syndicat de contester cette décision, mais celui-ci a traité le dossier comme un dossier de relation de travail, tentant de réintégrer la travailleuse dans un poste chez l’employeur et oubliant d’effectuer les démarches auprès de la CSST, et cela tout au long du processus.  On ne peut reprocher à la travailleuse l’inaction du syndicat, pas plus qu’on ne peut imposer à la travailleuse une démarche entreprise par le syndicat qui croyait pouvoir régler le dossier de la travailleuse par le processus de l’arbitrage de grief, une erreur commise de bonne foi par le syndicat.

 

[35] La deuxième raison est que les conditions d’application (la formation) de la décision rendue par la CSST le 29 juin 1993 n’ont jamais été rencontrées.  Les conclusions de cette décision ne sont jamais devenues exécutables et l’on ne peut être hors délai d’une décision qui n’est pas exécutable.  On ne peut pas fermer une porte qui n’a jamais été ouverte.  La travailleuse n’a jamais été apte à occuper l’emploi de téléphoniste-réceptionniste.  On ne peut pas lui reprocher de ne pas avoir contesté cette décision, alors qu’elle l’avait fait via son syndicat.  La CSST n’a pas rendu d’autres décisions après l’interruption de la formation alors qu’elle (la CSST) était liée par le programme de formation retenu dans le processus de réadaptation avant de pouvoir imposer à la travailleuse la décision concernant l’emploi convenable.  La CSST devait donc établir un autre emploi convenable ou reprendre le processus de réadaptation.  Le programme de réadaptation professionnelle peut être entrepris rapidement, mais doit respecter aussi les échéanciers nécessaires à l’aboutissement de ce plan de réadaptation.  Ainsi, la formation doit avoir été complétée avant que l’emploi relié à ce plan de réadaptation devienne un emploi convenable au sens de la loi.

 

[36] Compte tenu des conclusions auxquelles en arrive le tribunal concernant le plan de réadaptation et la décision de la CSST du 29 juin 1993, il y a lieu de retourner le dossier à la CSST afin qu’elle reprenne le programme de réadaptation.

 

[37] Cette question a été soumise aux parties à l’audience afin qu’elles puissent en débattre dans leur argumentation, éclairer le tribunal sur cette question et ne pas être prises par surprise par un argument qui n’aurait pas été soulevé.

 

[38] Malgré que les parties aient convenu de traiter que de la question du hors délai, cette question de hors délai emporte la décision sur le fond puisqu’un des motifs permettant de déclarer que la travailleuse a valablement contesté la décision est que cette décision n’est pas opposable à celle-ci, car le plan de réadaptation n’a pas été complété et l’emploi de téléphoniste-réceptionniste ne peut constituer un emploi convenable.

 

[39] Il y va d’une saine administration de la justice de retourner le dossier à la CSST pour qu’elle reprenne le programme de réadaptation avec la travailleuse.

 

[40] Le dossier a été pris en délibéré le 30 juin 2002 en raison de la complexité des questions soumises et du délai afin d’obtenir l’avis des membres.

 

 

L'AVIS DES MEMBRES

 

[41] Le membre issu des associations d'employeurs est d’avis de rejeter la requête en contestation de la travailleuse puisqu’elle n’a démontré aucun motif permettant de la relever du défaut de contester dans les délais la décision de la CSST du 29 juin 1993 et qu’elle a été négligente dans le cheminement de son dossier.

 

[42] Le membre issu des associations syndicales est d’avis d’accueillir la requête de la travailleuse puisqu’elle a manifesté rapidement son désaccord avec la décision déterminant l’emploi convenable.  De plus, elle a confié au syndicat le mandat de contester cette décision, ce qui n’a pas été fait.

 

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

 

ACCUEILLE la requête en contestation de madame Carmelle Nadeau;

INFIRME la décision rendue le 23 août 1999 par la révision administrative de la Commission de la santé et de la sécurité du travail;

 

DÉCLARE que madame Carmelle Nadeau a valablement contesté la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail en première instance le 29 juin 1993;

 

DÉCLARE que la décision du 29 juin 1993 doit être annulée;

 

RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail afin qu’elle reprenne le programme de réadaptation de madame Carmelle Nadeau;

 

DÉCLARE que madame Carmelle Nadeau a droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

 

L'AVIS DES MEMBRES

[37]           Conformément à la loi, les membres issus des associations d'employeurs et syndicales siégeant à l’audience du 3 décembre 2002 ont donné leur avis à la soussignée sur la décision qui devrait, selon eux, être rendue.

[38]           Les membres issus des associations syndicales et d'employeurs sont d'avis que la décision du 24 juillet 2002 doit être révoquée en ce qui concerne l'annulation de la décision du 29 juin 1993, le retour du dossier à la CSST pour la reprise du programme de réadaptation et le droit aux indemnités.  Le tribunal ne pouvait se prononcer que sur la recevabilité de la demande de révision eu égard au délai puisque les parties, dont la CSST, avaient été convoquées uniquement sur le hors délai.

[39]           D'autre part, le membre issu des associations d'employeurs est d'avis que la décision doit être révisée sur la question du délai.  Le tribunal n'a pas tenu compte que la travailleuse n'avait pas été diligente du 5 mars 1998 au 12 novembre 1998 alors qu'elle savait que son représentant syndical n'avait pas agi dans son dossier CSST.

[40]           Le membre issu des associations syndicales est d'avis que le commissaire n'a pas commis d'erreur en concluant que la travailleuse avait valablement contesté la décision du 29 juin 1993 puisque le délai était dû au syndicat qui avait été négligent dans son dossier.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[41]           La Commission des lésions professionnelles doit décider s'il y a lieu de réviser ou de révoquer la décision rendue le 24 juillet 2002.

[42]           Le pouvoir de révision ou de révocation d'une décision est prévu à l'article 429.56 de la loiqui énonce les motifs spécifiques donnant ouverture à une requête en révision. Cet article se lit ainsi:

429.56   La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:

 

1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

2°  lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.


Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

____________________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[43]           La jurisprudence des tribunaux supérieurs et de la Commission des lésions professionnelles a déterminé que les termes «vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision» doivent s'interpréter dans le sens d'une erreur manifeste de droit ou de fait ayant un effet déterminant sur l'issue de la contestation[2].

[44]           D'autre part, le recours en révision ne constitue pas une occasion additionnelle offerte aux parties de soumettre à nouveau leur litige à l'interprétation du tribunal[3].

[45]           Dans un premier temps, la Commission des lésions professionnelles constate que le tribunal, en annulant la décision du 29 juin 1993 et en statuant sur le droit de la travailleuse aux prestations prévues à la loi, a rendu une décision sur le fond du litige.  Ce faisant, le tribunal n'a pas permis à la CSST d'être entendue sur le fond du litige, commettant ainsi une erreur manifeste et déterminante qui justifie la révocation.  En effet, l'audience du 9 avril 2002 ne devait porter que sur la recevabilité de la demande de révision de la travailleuse eu égard au délai, tel qu'il appert des avis de convocation.  Cela appert aussi du procès-verbal d'audience, de l'indication par le commissaire que la cause est prise en délibéré sur un moyen préliminaire (sic) et de l'objet de la contestation tel que décrit par le commissaire dans sa décision.  Or, le tribunal se prononce sur le fond du dossier et annule la décision du 29 juin 1993.

[46]           La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision ne retient pas les arguments de la travailleuse selon lesquels la décision du tribunal ne contiendrait pas d'erreur puisqu'il était saisi, non seulement du hors délai, mais aussi des irrégularités concernant la contestation de la décision du 29 juin 1993.  La travailleuse soutient que, dans sa demande de révision ainsi que dans sa contestation devant le tribunal, elle demandait que son dossier soit rouvert puisqu'elle avait demandé la modification de son plan de réadaptation le 16 juillet 1993 et le 3 septembre 1993 et que la CSST n'avait pas rendu de décision sur ces demandes.  Ce n'est que subsidiairement et, dans la mesure où le tribunal n'acceptait pas de rouvrir le dossier, que la travailleuse demandait d'être relevée du défaut d'avoir produit une demande de révision dans le délai légal en raison de l'inaction de son syndicat.

[47]           Tel qu'il appert des notes sténographiques de l'audience du 9 avril 2002, le dossier a été présenté au tribunal essentiellement comme une demande d'extension de délai.  Les irrégularités dans le dossier et notamment, le fait que les demandes de modifications du programme d'études quant au rythme des cours n'aient pas fait l'objet d'une décision, ont été invoquées pour démontrer que la travailleuse avait contesté dans les délais.  C'est ainsi que le tribunal l'a d'ailleurs traité. 

[48]           La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision constate que le tribunal devait se prononcer sur la recevabilité de la demande de révision, soit en en reconnaissant que les demandes du 16 juillet 1993 et du 3 septembre 1993 étaient des demandes de révision, soit en prolongeant le délai pour produire la demande de révision jusqu'au 12 novembre 1998.  Vu que les parties étaient convoquées sur la question du délai uniquement, le tribunal ne pouvait statuer que sur la recevabilité de la demande de révision et ne pouvait se saisir du fond du litige et annuler cette décision.

[49]           Le fait pour le tribunal de s'être prononcé sur le fond du litige empêchant ainsi la CSST d'être entendue constitue un vice de fond qui invalide la décision du 24 juillet 2002.  En conséquence, la Commission des lésions professionnelles révoque la partie du dispositif de la décision du 24 juillet 2002 qui déclare que la décision du 29 juin 1993 doit être annulée, qui retourne le dossier à la CSST afin qu'elle reprenne le programme de réadaptation de madame Nadeau et qui déclare qu'elle a droit aux prestations prévues à la loi. 

[50]           Puisque la Commission des lésions professionnelles révoque la conclusion du commissaire selon laquelle la travailleuse aurait droit aux prestations, la Commission des lésions professionnelles n'a pas à se prononcer sur la requête en sursis d'exécution puisque la CSST n'a pas à payer à la travailleuse les indemnités de remplacement du revenu.  La requête en sursis d'exécution est donc devenue sans objet.

[51]           Dans un deuxième temps, quant à l'autre motif invoqué par la CSST, soit que le tribunal a commis une erreur en examinant le fond de la décision du 29 juin 1993 pour décider du hors délai, la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision considère qu'il y a là un vice de fond de nature à invalider la décision du 24 juillet 2002 en vertu de l'article 429.56 de la loi.

[52]           En effet, en analysant et en retenant que la demande de révision était recevable parce qu'on ne peut contester hors délai une décision non «exécutable», le tribunal commettait une erreur de droit manifeste et déterminante.  Il décidait de la recevabilité d'une demande de révision eu égard au délai en fonction de critères autres que ceux établis par la loi.

[53]           Le tribunal devait décider de la recevabilité de la demande eu égard au délai, non pas en regard de la validité de la décision sur le fond, selon les articles 358, 358.1 et 358.2 de la loi qui stipulent que:

358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.

 

(…)

________

1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14.

 

 

358.1 La demande de révision doit être faite par écrit.  Celle-ci expose brièvement les principaux motifs sur lesquels elle s'appuie ainsi que l'objet de la décision sur laquelle elle porte.

________

1997, c. 27, a. 15

 

 

358.2 La Commission peut prolonger le délai prévu à l'article 358 ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s'il est démontré que la demande de révision n'a pu être faite dans le délai prescrit pour un motif raisonnable.

_______

1997, c. 27, a. 15

 

 

[54]           Ces articles ont été interprétés maintes fois par la jurisprudence qui reconnaît que l'erreur d'un représentant peut constituer un motif raisonnable au sens de l'article 358.2.  Or, la jurisprudence constante de la Commission des lésions professionnelles, et, avant elle, celle de la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles, est à l'effet que l'erreur du représentant ne dispense pas la partie qui l'invoque de démontrer qu'elle a fait preuve de diligence, et ce, à chaque étape du processus[4].  C’est d’ailleurs ce que l'employeur avait plaidé devant le tribunal en s’appuyant sur la jurisprudence qu'il déposait.

[55]           Dans la décision du 24 juillet 2002, le tribunal indique que la travailleuse a manifesté son désaccord avec la décision à plusieurs reprises et qu'elle s'en remettait complètement au syndicat.  Il indique qu'elle a laissé couler le temps car le syndicat la rassurait et lui assurait que le dossier suivait son cours et qu'il s'en occupait.  Le tribunal indiquait que l'on ne pouvait reprocher à la travailleuse l'inaction de son syndicat.

[56]           Or, la preuve révélait qu'à partir du 4 mars 1998, le syndicat ne s'occupait plus du dossier de la travailleuse.  Le tribunal devait donc examiner si, du 5 mars 1998 au 12 novembre 1998, soit durant plus de huit mois, la travailleuse avait un motif raisonnable pour justifier son inaction et son retard à déposer une demande de révision.  Le tribunal devait décider si la travailleuse avait été diligente durant cette période, notamment.  Le tribunal n'a pas fait cet exercice. 

[57]           La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision conclut qu'il s'agit là d'une erreur manifeste et déterminante qui donne ouverture à la révision de la décision du 24 juillet 2002 en vertu de l'article 429.56(3) de la loi.

[58]           Cette erreur s'ajoute à celle d'avoir décidé du hors délai en fonction du bien-fondé de la décision du 29 juin 1993 en violation de la règle audi alteram partem puisque la CSST n'a pu se faire entendre sur cette question.

[59]           La Commission des lésions professionnelles révise donc la décision sur le hors délai.  Elle décide de cette question en tenant compte du dossier, des témoignages et des arguments de la travailleuse et de l'employeur tels que révélés par les notes sténographiques de l'audience du 9 avril 2002, et après avoir reçu l'avis des membres siégeant auprès d’elle le 3 décembre 2002.

[60]           Selon le témoignage de la travailleuse, le 4 mars 1998, au moment où le syndicat l'avise qu'il a retiré ses griefs, elle se rend compte que le syndicat l'a laissée tomber, « qu'il y avait probablement pas grand-chose qui avait été fait » d'autant plus que les représentants syndicaux refusaient de lui envoyer le suivi de son dossier.  Or, de mars 1998 à septembre 1998, la travailleuse n'a pas de contact avec le syndicat.  Bien qu'elle ait tenté de rejoindre les représentants syndicaux par téléphone, ils n'ont pas retourné ses appels.  Ce n'est qu'en septembre 1998, qu'elle fait une demande écrite au syndicat pour obtenir les documents relatifs à son dossier. 

[61]           Il ressort également du témoignage de la travailleuse et de celui de son mari, que ce dernier a tenté, plus d'une fois, de la convaincre de consulter, de prendre des informations, voir s'il y avait encore quelque chose à faire, quelque recours, parce qu'il considérait la situation trop injuste.  La travailleuse prenait des médicaments, suivait des traitements, savait que cela risquait d'être difficile et ne voulait pas aborder ces questions.  Son mari a finalement réussi en septembre 1998 à la convaincre de consulter un avocat.  Lorsqu'elle a pris contact avec un avocat en septembre 1998, elle a eu un rendez-vous aussitôt.

[62]           Cette preuve amène la Commission des lésions professionnelles à conclure que la travailleuse n'a pas fait preuve de diligence en retardant le dépôt de sa demande de révision au 12 novembre 1998, soit plus de huit mois après avoir appris le 4 mars 1998 que le syndicat ne s'était pas occupé de son dossier.  Bien que son mari ait tenté de la convaincre de s'informer de ses droits, la travailleuse n'a pas agi.  Le fait qu'il était difficile pour elle d'aborder cette question ne justifie pas son retard de plus de six mois avant de consulter un procureur.  De plus, la travailleuse connaissait ou aurait dû connaître l'importance des délais dans l'exercice de ses droits étant donné que lors d'un accident antérieur elle n'avait pas pu faire de demande puisque le délai était expiré.

[63]           La Commission des lésions professionnelles conclut que la travailleuse n'a pas démontré, selon l'article 358.2 de la loi, que sa demande de révision n'a pu être faite dans le délai prescrit pour un motif raisonnable.  Sa demande de révision du 12 novembre 1998 à l'encontre de la décision du 29 juin 1993 est donc irrecevable.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête en révision/révocation déposée par la Commission de la santé et de la sécurité du travail en vertu de l'article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;

RÉVISE la décision du 24 juillet 2002 en ce qui concerne la recevabilité de la demande de révision à la CSST de la décision du 29 juin 1993; et, statuant à nouveau;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 23 août 1999 à la suite d'une révision administrative;

DÉCLARE irrecevable la demande de révision du 12 novembre 1998 de madame Carmelle Nadeau à l'encontre de la décision du 29 juin 1993 de la Commission de la santé et de la sécurité du travail;

RÉVOQUE la décision du 24 juillet 2002 en ce qui concerne l'annulation de la décision du 29 juin 1993, le retour du dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail pour reprendre le processus de réadaptation, et le droit aux prestations.

DÉCLARE sans objet la requête en sursis d'exécution de la Commission de la santé et de la sécurité du travail.

 

 

 

Me Lucie Landriault

 

Commissaire

 

 

ALARIE, LEGAULT & ASSOCIÉS

(Me Lucille Brisson)

 

Représentante de la travailleuse

 

 

 

LAVERY, DEBILLY, AVOCATS

(Me Dominique L'Heureux)

 

Représentant de l'employeur

 

 

 

PANNETON, LESSARD (MONTRÉAL-3)

(Me François Bilodeau)

 

Représentant de la Commission de la santé et de la sécurité du travail

 

 

 



[1]          L.R.Q., c. A-3.001

[2]          Produits forestiers Donohue inc.  et Villeneuve [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Fernando Sousa [1998] C.L.P. 783

[3]          Côté et Produits forestiers Tembec inc. [1993] C.A.L.P. 1600

[4]          Mesumard et Friefeld, Litwin & ass. (syndic), C.L.P. 127239-71-9911, 00-09-18, Anne Vaillancourt, requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Montréal, 500-05-060727-003, 01-01-23, j. Le Bel;  voir aussi Leblanc et Centre Hospitalier régional Lanaudière, C.A.L.P. 10983-63-8812, 90-03-26, R. Brassard (J2-02-06);  Dansereau et Hôpital Maisonneuve-Rosemont, [1993] C.A.L.P. 737 , requête en révision judiciaire rejetée [1993] C.A.L.P. 1074 (C.S.);  Morin et Société des traversiers du Québec, [1994] C.A.L.P. 185 , révision rejetée [1994] C.A.L.P. 188 , requête en révision judiciaire rejetée, [1994] C.A.L.P. 449 (C.S.);  Dufour et Sanivan inc., C.A.L.P. 45216-04-9211, 94-10-05, C. Bérubé, requête en révision judiciaire rejetée, C.S. St-Maurice, 410-05-000207-944, 95-02-21, j. Legris;  Cité de Dorval et Latreille, [1995] C.A.L.P. 1572 ;  Pineault et Bombardier Canadair (Division Aéronef), C.A.L.P. 85320-60-9701, 97-05-14, B. Lemay;  Szekely et Techmire Ltée, C.AL.P. 88615-62-9705, 98-02-04, B. Roy;  Larrivée et Héneault & Gosselin inc., C.L.P. 133517-71-0003, 00-11-13, D. Gruffy;  Lefebvre et Kruger inc., C.L.P. 130303-04-0001, 00-11-27, G. Tardif

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