Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Commission des lésions professionnelles |
2010 QCCS 185 |
JO 0267 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
RIMOUSKI |
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N° : |
100-05-002157-078 |
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DATE : |
8 janvier 2010 |
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L’HONORABLE |
SUZANNE OUELLET, J.C.S. |
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COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL, |
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Requérante |
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c.
COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES,
et
NORMAND MICHAUD, Intimés et
JEAN BÉLANGER, Mis en cause et
GESTION TECHNOMARINE INTER-NATIONAL, Mise en cause |
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JUGEMENT (sur requête en révision judiciaire) |
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1. Le contexte
[1] La Commission de la Santé et de la Sécurité du Travail (CSST) se pourvoit en révision judiciaire d'une décision de la Commission des Lésions Professionnelles (CLP) rendue par Me Normand Michaud, commissaire.
[2] Le 10 août 2000, Monsieur Bélanger se blesse à l'épaule gauche en déplaçant un quai alors qu'il travaille comme journalier-boiseur[1].
[3] Il s'en suit:
- différentes évaluations par le Bureau d'Évaluation Médicale;
- plusieurs décisions de la CSST,
- plusieurs révisions administratives;
- plusieurs décisions de la CLP.
[4] Entre autres, le 23 mars 2003, le travailleur produisait une nouvelle réclamation à titre de rechute, récidive ou aggravation de sa lésion reliée à la distrophie réflexe ainsi que d'un trouble d'adaptation avec humeur dépressive[2].
[5] Le 31 octobre 2003, la CSST accepte le trouble d'adaptation à titre d'aggravation, mais considère que la distrophie réflexe du membre supérieure gauche ne s'est pas détériorée[3].
[6] Le 17 mars 2004, en révision administrative, la CSST confirme la décision du 31 octobre 2003 mais, suivant entente entre les parties, la CLP reconnaît ensuite l'aggravation de la distrophie réflexe[4].
[7] Le 9 juin 2004, la CSST rend une décision dans laquelle elle détermine à 15% l'atteinte permanente à l'intégrité psychique découlant du trouble d'adaptation subit par Monsieur Bélanger le 14 mars 2003[5].
[8] Le 25 avril 2005, devant l'impossibilité de déterminer un emploi convenable à Monsieur Bélanger, la CSST reconnaît son droit à l'indemnité de remplacement du revenu jusqu'à l'âge de 68 ans[6].
[9] Le 7 octobre 2005, Santé Canada fait droit à la demande de Monsieur Bélanger d'obtenir de la marihuana séchée de l'approvisionnement de Santé Canada moyennant le paiement de celle-ci[7].
[10] Le 10 octobre 2005, le Docteur Claude Morel, médecin à la CSST, résume comme suit sa conversation avec le médecin de Monsieur Bélanger[8]:
«Dr Éric Lavoie indique qu'il a prescrit l'utilisation de la marihuana pour les effets psychotrope et anti-douleur du produit. Il indique avoir tout essayé pour le trouble d'adaptation et la souffrance (douleur chronique) du patient.
Le patient prendrait déjà la marihuana sur une base personnelle qu'il se paie avec difficulté et ça fonctionnerait; ce serait donc un dernier recours.
L'essai de Marinol et du Césonnet n'avait pas donné de résultat. L'apprentisage de techniques de relaxation fut tentée, cependant ces activités qui exigent une certaine concentration sont trop exigeantes car le patient n'aurait pas assez de réserve cérébrale à cause de la douleur chronique.
Le travailleur aurait des sautes d'humeur et serait assez irritable; tout stress lui ferait "prendre les nerfs". La personnalité du patient serait un peu en cause avec ces réactions.
La demande fut transmise le 25 août à Santé Canada. Le travailleur aurait eu des contacts avec l'organisme fédéral qui n'aurait pas d'objection. La facture devrait obligatoirement être envoyée à Monsieur Bélanger, alors qu'il aurait préféré une facturation directe à la CSST. Aucune réponse officielle par écrit ne serait rendue.
J'indique au médecin qu'une expertise sera demandée au Dr Pierre Rouillard, spécialiste en toxicomanie. Dr Lavoie a déjà fait voir le patient en psychiatrie afin d'éliminer la possibilité d'un usage illicite de ce produit.»[9]
[11] Le 12 octobre 2005, le Docteur Pierre Rouillard, psychiatre produit une expertise consistant en «l'étude d'une demande de prise de marihuana pour soulager douleur chronique»[10].
[12] Dans ses «considérations clinico-administratives» il écrit:
«- […]
- Il est possible que la marihuana l'aide vraiment, car il est reconnu qu'elle a des effets contre la douleur, les spasmes musculaires et les nausées, même s'il y a peu d'étude contrôlée clinique sur l'humain.
- Il est aussi démontré qu'il peut y avoir synergie entre les opiacés et le cannabis contre la douleur.»[11]
[13] Il conclut son rapport ainsi:
«- Je crois qu'un essai de thérapie cognitivo-comportementale spécifique pour la douleur doit être proposée avec une composante d'une «thérapie de l'acceptation» qui est proche d'une acceptation spirituelle de la réalité.
- Le travailleur se dit croyant, mais ses croyances ne semblent avoir été utilisées pour l'aider à mieux accepter son problème.
- D'autre part, tenant compte de toute l'histoire, de l'aspect humanitaire de la question, de l'appui que la conjointe a toujours donné au client, de l'impression qu'a le travailleur que le cannabis l'aide vraiment; et malgré les risques qu'il développpe une dépendance et des complications associées à l'utilisation chronique de la marihuana, je crois qu'il est possible qu'il y ait plus d'avantages actuellement pour le travailleur de prendre de la marihuana tel que prescrite par son médecin de famille.»[12]
[14] Par une décision du 14 mars 2006, la CSST refuse de rembourser à Monsieur Bélanger le coût de la marihuana. La CSST considère qu'il ne s'agit pas d'un médicament et que «son efficacité pour traiter ou prévenir une affection n'a pas été démontrée»[13].
[15] Le 26 mai 2006, en révision administrative, la CSST confirme cette décision[14]. Le 28 juin 2006, Monsieur Bélanger conteste cette décision devant la CLP.
[16] Le 30 novembre 2007, la CLP rend la décision qui fait l'objet de cette requête en révision[15]. Elle infirme la décision de la CSST du 26 mai 2006 et:
«Déclare que le travailleur est en droit de bénéficier du remboursement des coûts de l'achat de marihuana séchée pour la période où il est détenteur d'une autorisation de possession d'une telle substance émise par Santé Canada.»
2. La norme de contrôle
[17] En 2008, la Cour suprême révisait les paramètres de détermination de la norme de contrôle applicable aux décisions administratives.
«[47] La Cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.»[16]
[…]
«[55] Les éléments suivants permettent de conclure qu'il y a lieu de déférer à la décision et d'appliquer la norme de la raisonnabilité:
Ø Une clause privative: traduit la volonté du législateur que la décision fasse l'objet de déférence;
Ø Un régime administratif distinct et particulier dans le cadre duquel le décideur possède une expertise spéciale (p. ex. les relations de travail);
Ø La nature de la question de droit, celle qui revêt «une importance capitale pour le système juridique [et qui est] étrangère au domaine d'expertise» du décideur administratif appelle toujours la norme de la décision correcte (Toronto (Ville) c. S.C.F.P., par. 62). Par contre, la question de droit qui n'a pas cette importance peut justifier l'application de la norme de la raisonnabilité lorsque sont réunis les deux éléments précédents.»
[18] Rappelant la règle de la présomption de raisonnabilité, le Juge Binnie écrit ce qui suit:
«[146] Il devrait être présumé au départ que la norme de contrôle de toute décision administrative sur le fond est celle non pas de la décision correcte, mais bien de la raisonnabilité (appliquée selon le contexte). Le fait que le législateur a conféré le pouvoir décisionnel à un autre organisme qu'une cour de justice appelle la déférence (ou le respect judiciaire), sauf droit d'appel général prévu par la loi. La décision administrative suppose normalement l'exercice du pouvoir discrétionnaire. Nul ne conteste qu'il ne saurait alors y avoir qu'une seule décision correcte. Conformément aux règles qui régissent habituellement les litiges, on devrait aussi présumer que la décision visée par le contrôle est raisonnable, sauf preuve contraire du demandeur.»[17]
[19] Le 6 mars 2009, cet enseignement fut suivi dans l'arrêt Khosa[18].
[20] Le 27 novembre 2009, la Cour suprême rappelait ce qui suit dans l'arrêt Plourde c. Compagnie Wal-Mart du Canada inc.[19]:
«L'appelant a demandé le contrôle judiciaire de la décision de la CRT. Cette décision, qui porte sur l'interprétation d'une disposition de sa loi habilitante, commande une certaine déférence et la norme de contrôle qui doit lui être appliquée est celle de la décision raisonnable.[…]»
[21] Dès lors, les constats suivants s'imposent en l'espèce.
[22] D'abord, la CLP et ses membres sont protégés par des clauses privatives étanches:
«429.49: Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.»
«429.59: Sauf sur une question de compétence, aucun des recours prévus par les articles 33 et 834 à 846 du Code de procédure civile (chapitre C-25) ne peut être exercé, ni aucune injonction accordée contre la Commission des lésions professionnelels ou l'un de ses membres agissant en sa qualité officielle.
Tout juge de la Cour d'appel peut, sur requête, annuler par procédure sommaire les jugements, ordonnances ou injonctions prononcés à l'encontre du présent article.»
[23] Deuxièmement, la LATMP constitue un «régime administratif distinct et particulier». Le commissaire appelé à décider possède effectivement une expertise spécialisée dans une matière qui vise l'interprétation et l'application de l'article 189(3) de la loi constitutive. Cela "relève" de la "mission" de la CLP[20] et cet exercice n'est pas «étranger à son domaine d'expertise".
[24] De façon générale, le Juge Dalphond, j.c.a. écrivait:
«[…] je retiens de mon analyse de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles que l'expertise de la CLP et de ses membres a trait à l'indemnisation des accidentés du travail, au financement du programme et à la gestion du système d'indemnisation; dans ces domaines, cette expertise dépasse largement celle de la Cour supérieure, ce qui milite aussi pour la retenue lorsque la nature du problème soulevé en révision judiciaire s'y rattache.»[21]
[25] Dans une affaire similaire, la Juge Tessier-Couture j.c.s. écrivait:
«Le droit à la réadaptation et le droit à l'assistance médicale énoncés aux chapitres IV (art. 145 à 187) et V (art. 188 à 198.1) de la Loi sont aussi au coeur du domaine d'expertise de la CLP.»[22]
[26] La problématique soulevée ici relève directement de l'indemnisation d'un accidenté du travail et au droit à l'assistance médicale prévus aux articles 188 et 189 de la LATMP.
«188. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à l'assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion.»
«189. L'assistance médicale consiste en ce qui suit:
1e les services de professionnels de la santé;
2e les soins ou les traitements fournis par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5);
3e les médicaments et autres produits pharmaceutiques;
4e les prothèses et orthèses au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes, des tissus, des gamètes et des embryons et la disposition des cadavres (chapitre L-0.2), prescrites par un professionnel de la santé et disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie de l'assurance maladie du Québec ou, s'il s'agit d'un fournisseur qui n'est pas établi au Québec, reconnu par la Commission;
5e les soins, les traitements, les aides techniques et les frais non visés aux paragrpahes 1e à 4e que la Commission détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.»
[27] Enfin, le fait de devoir recourir à la Loi sur la pharmacie et ses règlements[23], la Loi sur les aliments et drogues[24], la Loi réglementant certaines drogues et autres substances[25], le règlement sur l'accès à la marihuana à des fins médicales[26] ne change pas la norme applicable car le commissaire devait tenir compte de la législation faisant «partie de l'ordonnancement juridique ayant une incidence directe»[27]. Selon la Cour suprême, «la justesse de l'interprétation de la loi non constitutive pourra influer sur le caractère raisonnable global de la décision, mais cela tiendra à l'effet de la disposition législative en question sur la décision dans son ensemble»[28].
[28] La norme de la décision raisonnable s'applique en l'espèce.
3. La décision de la CLP du 30 novembre 2007
[29] Le raisonnement et les motifs de la décision du commissaire sont exposés aux paragraphes 52 à 83 de la décision.
[30] Situant le débat dans son contexte, le commissaire écrit:
«[55] […] il s'agit d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qui, en raison de la persistance des douleurs depuis de nombreuses années, alors que les traitements conservateurs n'apportent pas véritablement de soulagement et que la prise massive de médicaments provoque des effets secondaires et des complications importantes, se voit reconnaître la permission par les autorités compétentes, de posséder et de consommer pour son propre besoin de la marihuana. Cette permission se traduit par une exemption en vertu de la Loi règlementant certaines drogues et autres substances pour la période du 7 octobre 2005 au 10 octobre 2006, mais soumise à des conditions très strictes en regard de cette exemption.»[29]
[31] Il énonce ensuite les principes devant guider son analyse:
1. l'interprétation large et libérale des dispositions de la loi[30];
2. trouver les dispositions nécessaires qui sauront répondre aux besoins exprimés par le travailleur conformément aux articles 1 et 351 de la LATMP[31];
3. le droit à l'assistance médicale du travailleur victime d'une lésion professionnelle en vertu de l'article 188 LATMP;
4. les éléments de l'article 189 qui précisent en quoi consiste l'assistance médicale.
[32] Le litige tel que soumis soulève l'application de l'article 189 (3) de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP)[32] et le commissaire constate à juste titre que la loi ne définit pas la notion de «médicament»[33].
[33] Amené à définir ce terme, le commissaire Michaud réfère à l'affaire CSST c. C.L.P. et Corbeil et Wilfrid Nadeau inc. Il en dresse l'historique judiciaire et réfère aux motifs pertinents élaborés par chacun des décideurs:
1. la décision de la commissaire Cusson de la CLP
«[37] À ce stade de l'analyse, la Commission des lésions professionnelles désire revenir sur la définition du terme «médicament», tel que nous l'enseignent les dictionnaires et les autres sources de référence. À la lecture des définitions aux dictionnaires, la Commission des lésions professionnelles constate que le terme «médicament» fait appel à une description très large. Il est question de toute substance ou composition représentant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies humaines. Il est aussi question de toute substance active employée pour prévenir ou traiter une affection ou une manifestation morbide. On parle de drogue, de médicament, de potion ou encore de remède. La Loi sur la pharmacie définit également le médicament en référant à toute substance ou mélange de substances pouvant être employé, entre autres, à l'atténuation des symptômes d'une maladie. Quant à la Loi sur les aliments et drogues, c'est le mot «drogue» qu'elle définit comme substances ou mélanges de substances fabriqués, vendus ou présentés comme pouvant servir, entre autres, au diagnostic, au traitement, à l'atténuation ou à la prévention d'une maladie, d'un désordre, d'un état physique anormal ou de leurs symptômes. La Commission des lésions professionnelles est donc d'avis que la définition des mots «médicament» et «drogue», alors que chacune de ces définitions réfère à toute substance ou mélanges de substance, est suffisamment large pour y inclure la marihuana lorsque celle-ci est prescrite à des fins médicales.
[38] Il est évident, dans le cas présent, que la consommation de la marihuana vise l'atténuation de la manifestation douloureuse de la maladie. Elle a donc été prescrite à des fins médicales et le but recherché s'apparente à celui d'une médication conventionnelle pour laquelle le médicament fera partie de la liste reconnue et sera distribué en pharmacie. La Commission des lésions professionnelles ne retient donc pas l'argument de la CSST voulant que la marihuana ne soit pas un médicament et qu'en conséquence, il soit impossible de considérer cette substance aux fins de l'application de l'article 189 de la LATMP.
[…]
[43] La Commission des lésions professionnelles est donc d'avis, dans la mesure où la marihuana est prescrite et qu'elle fait l'objet d'une exemption à des fins médicales par Santé Canada, que celle-ci se doit d'être considérée comme un médicament en application de l'article 189 de la LATMP. Bien entendu, il ne saurait être question de tenir un tel discours en l'absence de cette exemption. Nous ne serions d'ailleurs pas en train d'en débattre.
[44] La Commission des lésions professionnelles partage donc le point de vue élaboré par le représentant du travailleur quant au fait de reconnaître la marihuana comme médicament aux fins de l'application de l'article 189 (3) de la loi, malgré qu'elle ne le soit pas en regard de la Loi sur les aliments et drogues. Le contexte de la loi disposant des lésions professionnelles est particulier en ce qu'il prévoit que le travailleur a droit à l'assistance médicale que requiert son état, et ce, dans un contexte où tout doit être fait pour atténuer les conséquences de sa lésion professionnelle. Or, les médecins s'entendent pour dire que c'est par le biais de la consommation de la marihuana que l'on pourra, dans le cas présent, atténuer la douleur chronique. […]»
2. la révision administrative
[34] Le commissaire de la CLP confirme la décision de la Commissaire Cusson:
«[85] La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision ne peut conclure que cette démarche décisionnelle est entachée d'un vice de fond, de la nature d'une erreur manifeste et déterminante, qui serait de nature à invalider la décision rendue.»
3. le jugement de la Cour supérieuredu 12 novembre 2004
[35] La Juge Tessier-Couture, j.c.s. rejette la requête en révision judiciaire des deux décisions de la CLP.
«[42] Certes, la Commission a fait état des lois et règlements autres que la LATMP et les règlements en découlant mais seulement pour souligner les diverses définitions qui y sont données, notamment pour le terme «médicament». La CLP n'a pas analysé ces lois ou règlements. Elle a suivi un raisonnement qui a conduit à une interprétation large et libérale de l'article 189.3 de sa loi constitutive, mais que le Tribunal ne peut considérer manifestement déraisonnable.
[…]
[44] Le paragraphe 3e de l'article 189 ne limite pas le terme médicaments à ceux disponibles auprès d'un pharmacien ou autrement; aucune condition spécifique ne s'applique.
[45] Devant le fait que la LATMP ne fournit aucune définition du terme médicaments, la commissaire Cusson s'en est remise aux définitions données par les dictionnaires généraux et les autres sources telles que les définitions disponibles dans d'autres lois.»
4. le jugement de la Cour d'appel du 21 décembre 2004[34]
[36] La Juge Rousseau-Houle, j.c.a. rejette la requête pour permission d'en appeler du jugement de la Cour supérieure.
[37] Partant de ces précédents, le commissaire Michaud adopte le même raisonnement et conclut que la marihuana doit être considérée comme un médicament au sens de la LATMP[35].
«[67] Le soussigné partage le point de vue émis par la commissaire Cusson et estime que la marihuana doit être considérée comme un médicament pour l'application de la Loi sur les accidents du travail et maladies professionnelles.»
[38] Il distingue de plus les éléments de preuve soumis en l'espèce de ceux prévalant dans l'affaire Succession Wasir et Bunyar-Malenfant International et CSST[36].
[39] Il analyse les avis des docteurs Lavoie[37], Bélanger[38], Rouillard[39].
[40] Ni l'employeur ni la CSST n'ont contesté la nécessité ou la valeur de ce traitement préconisé par le médecin traitant de Monsieur Bélanger et n'ont pas recouru à la procédure du bureau d'évaluation médicale comme le prévoit l'article 212 de LATMP[40].
[41] S'appuyant sur l'article 184 (5) de la LATMP, le commissaire réitère que toutes les mesures jugées utiles doivent être prises pour atténuer les conséquences d'une lésion professionnelle:
«184. La Commission peut:
[…]
5e prendre toute mesure qu'elle estime utile pour atténuer ou faire disparaître les conséquences d'une lésion professionnelle.»
[42] Par ces motifs, il accueille la demande de remboursement des coûts d'achat de marihuana séchée de Monsieur Bélanger et ce, pour la période où il détient une autorisation de possession émise par Santé Canada.
[43] Le Tribunal estime que cette décision rencontre la norme de raisonnabilité.
[44] Le processus décisionnel est transparent, motivé et appuyé par des précédents jurisprudentiels.
[45] Le recours aux définitions d'autres lois de même qu'aux dictionnaires était utile en regard du contexte législatif spécifique de la LATMP et de l'absence de définition du terme dans cette loi.
[46] La conclusion qui en résulte appartient «aux issues possibles en regard des faits et du droit»[41].
[47] De plus, le caractère raisonnable de la décision découle du régime administratif distinct et particulier de la LATMP. Son raisonnement respecte les préceptes suivants:
1. L'objectif et la finalité de la LATMP
«Art. 1. La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.
Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture de soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d'indemnités de décès.
La présente lui confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.
Art. 188. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à l'assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion.
Art. 194. Le coût de l'assistance médicale est à la charge de la Commission.
Aucun montant ne peut être réclamé au travailleur pour une prestation d'assistance médicale à laquelle il a droit en vertu de la présente loi et aucune action à ce sujet n'est reçue par une cour de justice.
2. L'interprétation large et libérale de la LATMP
[48] Dans cette optique, le Commissaire Michaud énumère, à titre comparatif, des précédents de la CLP où certains traitements tels l'ostéopathie, la massothérapie, l'acupuncture et des produits naturels ont été accordés malgré que leur efficacité ne soit pas unanimement reconnu par la communauté médicale et scientifique[42].
[49] J'ajouterais que le contexte particulier de la LATMP prévoit que le travailleur a droit à l'assistance médicale que requiert son état[43], et ce, «dans un contexte où tout doit être fait pour atténuer les conséquences de sa lésion professionnelle»[44].
[50] Enfin:
«Il faut rappeler que la LATMP est une loi d'ordre public dont le caractère hautement social et le but réparateur font l'objet d'un large consensus. Ces considérations ont amené les tribunaux à donner à cette loi une interprétation large et libérale de façon à ce que ses bénéficiaires reçoivent les avantages qu'elle prévoit, sans plus ni moins.»[45]
3. Les pouvoirs conférés à la CLP et ses membres
«Art. 349. La Commission a compétence exclusive pour examiner et décider toute question visée dans la présente loi, à moins qu'une disposition particulière ne donne compétence à une autre personne ou à un autre organisme.
Art. 377. La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.
Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.»
4. Les fondements des décisions de la CLP
«351. La Commission rend ses décisions suivant l'équité, d'après le mérite réel et la justice du cas.
Elle peut, par tous les moyens légaux qu'elle juge les meilleurs, s'enquérir des matières qui lui sont attribuées.» (soulignements ajoutés)
[51] Le processus décisionnel est intelligible en ce qu'il suit une logique qui tient compte de ces éléments qui se dégagent d'une législation réparatrice, «d'ordre public» et à «caractère hautement social»[46].
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
[52] REJETTE la requête en révision judiciaire;
[53] Avec dépens contre la requérante.
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__________________________________ Suzanne Ouellet, j.c.s. |
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Me Lucille Giard Contentieux CSST Procureure de la requérante
Me Marie-France Bernier Commission des Lésions professionnelles Procureurs de l'intimée CLP
Me Annie Noël Picard, Sirard Procureure du mis en cause Jean Bélanger |
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Date d’audience : Domaine du droit : |
22 avril 2009 Révision judiciaire. |
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[1] Décision de la CLP, pièce R-2, par. 5.
[2] Id., p. 265.
[3] Id., p. 692.
[4] Id., p. 699, 708.
[5] Id., p. 618.
[6] Id., p. 639.
[7] Id., p. 644.
[8] Docteur Éric Lavoie.
[9] Pièce R-1, p. 158.
[10] Id., p. 513.
[11] Pièce R-1, p. 530.
[12] Id., p. 531-532.
[13] Id., p. 713.
[14] Id., p. 716-719.
[15] Pièce R-2.
[16] Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190 , par. 47.
[17] Id., par. 146; au même effet, Canada (citoyenneté et immigration) c. Khosa, [2009] 1 R.C.S. 339 , par. 4.
[18] Arrêt Khosa, précité note 17.
[19] 2009 CSC 54 , par. 34.
[20] CSST c. CLP & Corbeil & Wilfrid Nadeau inc., [2004] C.L.P. 1251 , 1258, par. 36, requête pour permission d'appeler rejetée (C.A.) 2004-12-21, 200-09-005022-048.
[21] General Motors du Canada Ltée c. Bousquet, [2003] C.L.P. 1377 (C.A.), 1386.
[22] CSST c. CLP et Corbeil et Wilfrid Nadeau Inc., [2004] C.L.P. 1251 , 1257; requête pour permission d'appeler rejetée (C.A., 2004-12-21).
[23] L.R.Q. c.P-10.
[24] L.R. 1985, ch. P-27.
[25] L.C. 1996, ch. 19.
[26] DORS 2001-277.
[27] Rodrigue BLOUIN et Fernand MORIN, Droit de l'arbitrage de grief, 5e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2000, p. 240.
[28] Société Radio-Canada c. Canada (Conseil des relations du travail), [1995] 1 R.C.S. 157 par. 48,49.
[29] Décision R-2, par. 55.
[30] Décision R-2, par. 57.
[31] Id.
[32] L.R.Q., c.A-3.001.
[33] Décision R-2, par. 61.
[34] Id., par. 62-66.
[35] Id., par. 67.
[36] Id., par. 72-73.
[37] Le médecin traitant de M. Bélanger.
[38] Psychiatre.
[39] Psychiatre à la demande de la CSST.
[40] Décision, pièce R-2, par. 79.
[41] Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, précitée note 14, par. 47.
[42] Id., par. 77-78.
[43] Art. 188 LATMP.
[44] Corbeil et Wilfrid Nadeau inc. et CSST, [2002] C.L.P. 789 , 799, requête en révision judiciaire rejetée, [2004] C.L.P. 1251 , requête pour permission d'appeler rejetée, C.A. 2004-12-21, 200-09-005022-048.
[45] Dallaire c. Québec (Commission des Affaires sociales), [1999] R.J.Q. 2342 (C.A.).
[46] Dallaire c. Québec (Commission des Affaires sociales), [1999] R.J.Q. 2342 (C.A.), par. 28.
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