DÉCISION
[1] Le 15 août 2000, monsieur Denis Ouellet (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles, une requête par laquelle il conteste une décision rendue le 2 août 2000 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) agissant en révision en application de l'article 358.3 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001) (la LATMP).
[2] Par cette décision, la CSST en révision rejette une demande de révision logée par le travailleur le 27 avril 2000 et confirme une décision rendue en première instance par la CSST le 4 avril 2000, décision par laquelle celle-ci refuse au travailleur le remboursement de frais de déneigement «encourus après l'hiver 1999-2000».
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[3] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d'infirmer la décision de la CSST en révision, de déclarer qu'il a droit au remboursement des frais de déneigement engagés pour l'année 2000-2001, soit la somme de 250 $, et d'ordonner à la CSST de lui rembourser les frais en cause pour cette année 2000-2001 et pour les années à venir.
[4] Le travailleur était présent et dûment représenté par procureur à l'audience tenue par la Commission des lésions professionnelles le 29 janvier 2001 alors que «Excavation Leqel 1993 ltée» (l'employeur) était absent et que la CSST était également absente à cette audience, n'étant pas intervenue dans le cadre du présent dossier.
LES FAITS
[5] La Commission des lésions professionnelles se réfère d'abord à l'ensemble de la preuve médicale, factuelle et administrative colligée au dossier tel que constitué, en retenant plus spécialement pour valoir comme s'ils étaient ici au long récités, les notes évolutives de la CSST pour la période s'étendant du 26 novembre 1999 au 2 mai 2000, le rapport d'évaluation médicale émis le 15 février 2000 par le docteur Richard Lirette, orthopédiste ayant charge du travailleur, une réponse circonstanciée adressée le 2 mai 2000 par la CSST au travailleur en réponse à une contestation effectuée par ce dernier le 27 avril 2000, une argumentation écrite produite par le travailleur à la CSST en date du 4 juillet 2000, un rapport circonstancié émis le 31 août 2000 par le docteur Richard Lirette, orthopédiste ayant charge du travailleur, et, enfin, le texte de la décision initiale rendue par la CSST le 4 avril 2000.
[6] La Commission des lésions professionnelles se réfère également au résumé des faits tels que retenus et relatés par la CSST en révision dans la décision qui est contestée en l'instance. Ce résumé se lit comme suit :
«(…)
Le travailleur a présenté une fracture de la douzième vertèbre dorsale avec un écrasement résiduel d'environ 55 %. Suite à cette lésion, l'atteinte permanente du travailleur pour cette fracture est de 7 %, soit 4 % pour l'écrasement et 3 % pour la perte de flexion de la charnière - lombaire à 80 degrés.
La Révision administrative constate que le travailleur a bénéficié, pour l'hiver 1999-2000, d'une mesure d'exception dans le cadre d'un programme particulier de réadaptation. En effet, les frais de déneigement lui ont été remboursés pour l'hiver 1999-2000. Cette mesure particulière n'est pas un droit acquis, la Révision administrative doit décider si le travailleur a droit au remboursement de ses frais pour l'année 2000-2001, selon les normes en vigueur.
(…)»
[7] Enfin, la Commission des lésions professionnelles prend évidemment aussi en compte le témoignage du travailleur entendu à son audience du 29 janvier 2001.
[8] Dans le cadre de ce témoignage, le travailleur rappelle d'abord que la CSST a accepté de rembourser les frais de déneigement engagés pour l'année 1999-2000, soit un montant identique à celui réclamé pour l'année 2000-2001 se chiffrant à 250 $, et qu'elle a refusé d'assumer ces mêmes frais pour les années subséquentes y incluant l'année 2000-2001.
[9] Le travailleur affirme avoir fait affaires, pour l'année 2000-2001, avec le même entrepreneur que pour l'année 1999-2000, soit monsieur Jean-Paul Montminy.
[10] Le travailleur précise que les travaux de déneigement en cause consistent dans le déneigement d'un «driveway» qui est d'une grandeur approximative de 900p2 et qui peut servir au stationnement de deux véhicules automobiles.
[11] Le travailleur explique par ailleurs à la Commission des lésions professionnelles qu'antérieurement à l'accident du travail dont il a été victime en octobre 1999, il effectuait lui-même les travaux de déneigement en cause lorsqu'il n'était pas retenu à l'extérieur de chez lui par son travail, auquel cas il les confiait à un entrepreneur de façon à ce que son épouse ne soit pas obligée d'effectuer elle-même ce travail qu'il juge beaucoup trop lourd pour elle.
[12] Interrogé sur la nature exacte des tâches inhérentes au déneigement de son «driveway», le travailleur allègue qu'il n'a pour seul équipement qu'une pelle et une "gratte", et qu'après avoir poussé la neige de chaque côté du «driveway» avec la gratte; il devait la pelleter, précisant que, sauf en ce qui a trait à une neige très légère, le poids d'une pelletée de neige devant être levée à bout de bras équivaut à une pesanteur bien supérieure à 10 kilos soulevée dans une position normale.
[13] Le travailleur insiste sur le fait que le pelletage de la neige constitue probablement l'activité la plus incompatible avec la condition de son dos et que le médecin en ayant charge l'a clairement jugé inapte ou incapable d'effectuer cette activité sans encourir des risques et des douleurs importantes au niveau de son dos.
[14] En réponse aux questions de l'assesseure médicale, le travailleur allègue par ailleurs que ses douleurs ne sont pas très importantes s'il n'effectue pas d'activités relativement exigeantes pour son dos mais que, s'il effectue une telle activité, celles-ci augmentent de façon très importante.
[15] Le travailleur précise toutefois qu'il s'adonne beaucoup à la marche, précisant qu'il a même effectué du ski de fond à trois reprises, mais qu'à la troisième reprise, il a un peu abusé de ses forces et a ressenti beaucoup de douleurs à son dos.
[16] Enfin, le travailleur réitère que même s'il est en mesure d'effectuer certains travaux peu exigeants pour son dos, l'activité de «lever des poids» et plus particulièrement celle de pelleter constitue son principal ennemi compte tenu de sa condition.
L'AVIS DES MEMBRES
[17] Le membre issu des associations d'employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous les deux d'avis que la preuve disponible établit l'existence des conditions donnant ouverture au droit du travailleur à l'indemnité réclamée, en application de l'article 165 de la LATMP et que, dans ces circonstances, il y a lieu d'accueillir sa contestation, d'infirmer la décision de la CSST en révision et de lui accorder l'indemnité réclamée au montant de 250 $ pour des frais relatifs à des travaux de déneigement déjà engagés pour l'année 2000-2001.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[18] La question dont la Commission des lésions professionnelles doit disposer dans le cadre de la présente instance, consiste à déterminer si le travailleur a ou non droit au remboursement des frais déjà engagés pour l'année 2000-2001 relativement à des travaux de déneigement d'un «driveway» situé au lieu de son domicile, le tout en application de l'article 165 de la LATMP qui se lit comme suit :
165. Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui - même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.
________
1985, c. 6, a. 165.
[19] À la simple lecture de la disposition législative précitée, il appert que le droit du travailleur au remboursement des frais engagés pour des travaux d'entretien courant de son domicile, en l'occurrence des travaux de déneigement pour l'année 2000-2001, est subordonné à l'existence des conditions prévues par le législateur comme donnant ouverture à ce droit, soit le fait que le travailleur conserve une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, le fait qu'il soit incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile faisant l'objet de sa réclamation et, enfin, le fait qu'il effectuerait normalement lui-même ces travaux si ce n'était de sa lésion professionnelle.
[20] En l'espèce, la Commission des lésions professionnelles estime que la preuve disponible établit de façon prépondérante l'existence des conditions précitées.
[21] En ce qui concerne à la première de ces conditions, soit l'existence d'une atteinte permanente grave à l'intégrité physique du travailleur en raison de sa lésion professionnelle, la Commission des lésions professionnelles considère, conformément à l'interprétation régulièrement retenue par sa jurisprudence, que la notion d'atteinte permanente grave à l'intégrité physique du travailleur et plus spécialement celle de la «gravité» même de cette atteinte permanente, doit s'évaluer en regard de l'objectif de réadaptation sociale poursuivi par le législateur et non pas uniquement en fonction de l'importance du pourcentage du déficit anatomo-physiologique fixé.
[22] Dans ce contexte, comme la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la CALP) l'exprimait notamment dans sa décision disposant de l'affaire «Chevrier et Westburne ltée» [CALP no 16175-08-8912, 25-09-90], il apparaît plus juste d'analyser le degré de gravité de la notion d'atteinte permanente conservée par le travailleur, en tenant compte de la capacité résiduelle de ce dernier à exercer les activités pour lesquelles il réclame le remboursement des frais encourus.
[23] Il est à noter que cette position a été reprise plus récemment dans les affaires «Boileau et Centre Jeunesse de Montréal» [CALP no 103631-03-9304, 1-02-99, Me Anne Vaillancourt, commissaire] et «Gastier inc. et Gilles Landry» [CLP no 118228-63-9906, 3-11-99, Me Marie Beaudoin, commissaire].
[24] Dans le présent cas, deux des trois limitations fonctionnelles décrites par le docteur Richard Lirette, orthopédiste ayant charge du travailleur, empêchent ce dernier d'accomplir de façon répétitive les mouvements inhérents aux travaux de déneigement de son «driveway» sans encourir un accroissement très important de ses douleurs et une possible détérioration permanente de sa condition dorso-lombaire.
[25] À cet égard, la Commission des lésions professionnelles estime que la tâche de «pelleter» inhérente aux travaux de déneigement en cause, implique nécessairement une position de flexion de la charnière dorso-lombaire ainsi que la manipulation à bout de bras de charges qui, si elles peuvent être en elles-mêmes relativement modestes, peuvent équivaloir à des charges supérieures à 10 kilos du fait qu'elles sont manipulées dans une position non ergonomique et outrepasser ainsi les limitations fonctionnelles médicalement identifiées de façon liante par le médecin ayant charge du travailleur.
[26] De plus, la Commission des lésions professionnelles ne peut ignorer le motif même dont fait état le médecin ayant charge du travailleur au soutien de ces limitations fonctionnelles, soit la «gravité de la fracture vertébrale au niveau D-12 consolidée avec un écrasement important d'environ 55 %», le travailleur demeurant par ailleurs porteur d'une cyphose de 15 degrés et présentant une perte de flexion d'environ 10 degrés.
[27] Enfin, il n'est pas contesté en l'instance que le travailleur effectuait habituellement lui-même les travaux de déneigement en cause lorsqu'il n'était pas retenu à l'extérieur par son travail, auquel cas il les confiait à un entrepreneur.
[28] Ainsi, la Commission des lésions professionnelles considère qu'en regard de l'objet de la LATMP et plus spécialement de l'objectif de réadaptation sociale qui y est poursuivi par le législateur, le travailleur présente effectivement une atteinte permanente grave à son intégrité physique et est en conséquence incapable d'effectuer les travaux de déneigement pour lesquels il réclame le remboursement des frais déjà engagés de 250 $, travaux qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était des séquelles de sa lésion professionnelle subie le 18 octobre 1999.
[29] Par ailleurs et au surplus, la Commission des lésions professionnelles croit utile d'ajouter que, même si la gravité de l'atteinte permanente conservée par le travailleur à son intégrité physique doit s'évaluer non seulement en fonction du pourcentage du déficit anatomo-physiologique mais aussi et surtout en fonction de la capacité résiduelle conservée par le travailleur eu égard à l'exécution des travaux d'entretien courant de son domicile pour lesquels il réclame le remboursement des frais engagés, et même si l'existence de cette première condition prévue par le législateur peut ainsi à elle seule, donner ouverture au droit du travailleur à l'indemnité réclamée, la seconde condition prévue par le législateur à l'article 165 de la LATMP soit celle relative à l'incapacité du travailleur n'est pas superflue et le législateur ne l'a pas prévue inutilement dans la mesure où un travailleur pourrait fort bien conserver une atteinte permanente très grave à son intégrité psychique ou même physique sans être pour autant rendu incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant en cause.
[30] Enfin, la Commission des lésions professionnelles croit aussi opportun de souligner que, si la présente décision révèle clairement la position de la Commission des lésions professionnelles quant au droit du travailleur au remboursement des frais déjà engagés pour des travaux de déneigement sur la base des faits et circonstances révélés par la preuve disponible en l'instance, elle ne peut pour autant, comme le lui demande le travailleur, disposer à l'avance et de façon exécutoire du droit de ce dernier au remboursement de frais éventuels susceptibles d'être encourus pour les années à venir, lesquels n'ont évidemment encore fait l'objet d'aucune réclamation valablement logée à la CSST non plus qu'ils ont déjà été engagés pour faire effectuer de tels travaux de déneigement.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête logée par monsieur Denis Ouellet (le travailleur) le 15 août 2000;
INFIRME les décisions respectivement rendues par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) agissant en révision et la CSST en première instance le 2 août 2000 et le 4 avril 2000;
et
DÉCLARE que le travailleur a droit, pour l'hiver 2000-2001, au remboursement des frais déjà engagés de 250 $ pour des travaux d'entretien courant de son domicile, en l'occurrence des travaux de déneigement, en application de l'article 165 de la LATMP.
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Pierre Brazeau |
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Commissaire |
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F.I.P.O.E. (M. Michel Letreiz) 545, boul. Crémazie Est, bur. 1600 Montréal (Québec) H2M 2V1 |
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Représentant de la partie requérante |
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