Décision

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Commission scolaire des Sommets

2010 QCCLP 5495

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Sherbrooke

Le 22 juillet 2010

 

Région :

Estrie

 

Dossier :

382400-05-0907

 

Dossier CSST :

127852036

 

Commissaire :

Micheline Allard, juge administratif

 

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Commission scolaire des Sommets

 

Partie requérante

 

 

 

 

 

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DÉCISION

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[1]           Le 2 juillet 2009, l’employeur, Commission scolaire des Sommets, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 16 juin 2009 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 9 janvier 2009. Elle déclare que l’employeur n’a pas droit à un partage de coûts en application de l’article 329 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) pour la lésion professionnelle subie par madame Claudette Maheux (la travailleuse) le 3 mai 2005.

[3]           La procureure de l’employeur a renoncé à l’audience prévue le 25 janvier 2010 à Sherbrooke. Elle a transmis un rapport médical et une argumentation écrite le 12 avril 2010, date à laquelle la cause a été mise en délibéré.

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           L’employeur demande de reconnaître que la travailleuse était déjà handicapée au moment de la survenance de sa lésion professionnelle du 3 mai 2005 et de déclarer que 90 % des coûts qui y sont reliés doivent être imputés aux employeurs de toutes les unités, et ce, en application de l’article 329 de la loi.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[5]           La Commission des lésions professionnelles doit décider si l’employeur a droit à un partage du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par la travailleuse le 3 mai 2005, et ce, en vertu de l’article 329 de la loi se lisant ainsi :

329.  Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.

 

 

[6]           L’expression travailleur déjà handicapé n’est pas définie à la loi. La jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles établit toutefois un consensus quant à l’interprétation à lui donner. Il en ressort que le travailleur déjà handicapé, au sens de l’article 329 de la loi, est celui qui, avant que ne se manifeste sa lésion professionnelle, présente une déficience physique ou psychique. Cette déficience constitue une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique et correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale. Cette déficience peut être congénitale ou acquise, latente ou apparente, mais elle doit exister avant la survenance de la lésion professionnelle et doit entraîner des effets sur la production ou sur les conséquences de cette lésion[2].

[7]           La travailleuse est âgée de 43 ans et concierge au service de l’employeur lorsqu’elle est victime d’un accident du travail le 3 mai 2005. En passant la vadrouille, elle accroche une patère qui tombe sur son épaule droite.

[8]           Lors de la première consultation médicale du 6 mai 2005, le diagnostic d’entorse à l’épaule droite est émis et un arrêt de travail est prescrit.

[9]           Le 20 mai 2005, le diagnostic de contusion à l’épaule droite avec trapézalgie droite est posé. Celui de tendinite à l’épaule droite est ajouté le 9 juin suivant.

[10]        Le 26 mai 2005, le Dr André Mathieu examine la travailleuse à la demande de l’employeur. Ce médecin conclut que la travailleuse présente une tendinite traumatique au niveau de son épaule droite, plus précisément au sus-épineux, avec une trapézalgie droite associée. Il est d’opinion que la lésion n’est pas consolidée parce que la travailleuse doit définitivement [sic] poursuivre des traitements de physiothérapie.

[11]        Le médecin de la travailleuse maintiendra son diagnostic de tendinite de l’épaule droite en juin et juillet 2005. Elle recevra des infiltrations en plus de poursuivre la physiothérapie.

[12]        Le 12 juillet 2005, le Dr Mathieu examine à nouveau la travailleuse. Il note que les amplitudes articulaires de la colonne cervicale et des épaules sont complètes et non douloureuses pour les mouvements actifs et passifs. Il conclut que la tendinite à l’épaule droite est consolidée, sans nécessité de traitement et sans atteinte permanente à l’intégrité physique ni limitations fonctionnelles.

[13]        Les traitements de physiothérapie se poursuivent tout de même. À la fin juillet 2005, le médecin de la travailleuse autorise un retour au travail un jour sur deux. Le 30 août 2005, il rapporte que la tendinite est en voie de résolution.

[14]        Le 18 octobre 2005, la travailleuse est évaluée par le Dr Jean-Maurice D’Anjou, physiatre et membre du Bureau d’évaluation médicale. À l’examen de l’épaule droite, il note une diminution des amplitudes articulaires dans toutes les directions; il conclut donc à la présence d’une capsulite. Comme diagnostic de la lésion professionnelle, il retient une contusion de l’épaule droite, une trapézalgie droite, une tendinite de l’épaule droite et l’installation d’une capsulite de l’épaule droite. Il juge la lésion non consolidée. Il suggère la poursuite de traitements de physiothérapie en insistant surtout sur une mobilisation active et assistée de l’épaule droite. Il suggère des infiltrations intra-articulaires ou des arthrographies distensives de l’épaule droite.

[15]        Le médecin de la travailleuse retient ensuite le seul diagnostic de capsulite à l’épaule droite. Les traitements suggérés par le Dr D’Anjou pour cette pathologie sont dispensés à la travailleuse.

[16]        Le médecin de la travailleuse consolide la lésion avec le diagnostic de capsulite à l’épaule droite, le 30 mars 2006, sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles.

[17]        Sur le plan personnel, la travailleuse présente un diabète de type 1 depuis l’âge de 33 ans. Ce diabète est traité par insuline depuis quelques années.

[18]        D’autre part, à partir de mai 2007, la travailleuse est en arrêt de travail pour une tendinite et une capsulite de l’épaule gauche au moins jusqu’en juillet 2008 et est indemnisée en assurance salaire.

[19]        Le 15 octobre 2008, soit dans le délai prescrit par le second alinéa de l’article 329 de la loi, l’employeur présente à la CSST une demande de partage de coûts en vertu de cette disposition, demande qui est refusée en première instance et en révision administrative.

[20]        Devant la Commission des lésions professionnelles, l’employeur produit un rapport médical du 26 mars 2010 du Dr André Blouin ayant procédé à une étude du dossier. La doctrine médicale à laquelle réfère le Dr Blouin est également produite[3].

[21]        Dans son rapport, le Dr Blouin indique que les patients diabétiques, insulinodépendants ou traités par des hypoglycémiants oraux, ont comme prédisposition une tendance très forte à développer des capsulites de l’épaule et cela, dans un contexte traumatisant ou non traumatisant. La fréquence d’apparition d’une capsulite chez les diabétiques est d’environ 25 % alors que dans la population en général, cette fréquence est de l’ordre de 3 %. Chez les diabétiques, on retrouve dans plus de 50 % des cas une bilatéralité, ce qui s’est avéré être le cas pour la travailleuse avec l’apparition de sa capsulite à l’épaule gauche en 2007.

[22]        Le Dr Blouin souligne que lorsque la travailleuse a été vue en expertise par le Dr Mathieu le 12 juillet 2005, elle était asymptomatique et présentait un examen normal de l’épaule droite, sans aucune capsulite. Le Dr Blouin conclut ainsi :

Le diabète a joué un rôle tout à fait majeur et dominant dans l’émergence de la capsulite. Pour moi, il est clair que le Dr Mathieu, lorsqu’il a examiné madame pour une deuxième reprise, notait une bonne évolution sur le plan de sa contusion et tendinite traumatique et, dans ce contexte, on peut certainement dire que l’évolution de la pathologie reliée à la lésion professionnelle a guéri dans un délai raisonnable et habituel.

 

Or, l’évolution du dossier est tout autre avec présence de capsulite au niveau de cette épaule, secondaire au diabète qui s’est conjugué autant de l’épaule droite que de l’épaule gauche.

 

 

[23]        De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, l’employeur a fait la preuve prépondérante de l’existence d’un handicap préexistant chez la travailleuse au moment de la survenance de sa lésion professionnelle du 3 mai 2005.

[24]        La travailleuse était en effet porteuse d’une déficience, à savoir un diabète connu depuis 10 ans et insulinodépendant.

[25]        La Commission des lésions professionnelles retient de l’opinion du Dr Blouin que le diabète de la travailleuse a favorisé l’apparition d’une capsulite à l’épaule droite après le 12 juillet 2005. À cette date, le Dr Mathieu notait en effet un examen normal de l’épaule droite. L’évolution de la condition de la travailleuse vers une capsulite objectivée en octobre 2005 est avant tout attribuable à sa prédisposition à développer une telle pathologie en raison de son diabète.

[26]        En ce qui a trait au partage de coûts, la Commission des lésions professionnelles constate qu’il s’est écoulé onze semaines, du 3 mai au 12 juillet 2005, avant l’installation de la capsulite.

[27]        Par la suite, il s’est écoulé 37 semaines jusqu’à la consolidation le 30 mars 2006, sans aucune séquelle permanente.

[28]        La Commission des lésions professionnelles considère qu’un partage de l’ordre de 25 % des coûts au dossier de l’employeur et 75 % aux employeurs de toutes les unités est approprié.

[29]        L’employeur doit en effet assumer les coûts au moins jusqu’au 12 juillet 2005 alors que la déficience de la travailleuse n’avait pas encore eu d’impact sur la lésion professionnelle selon la preuve au dossier. Ce n’est qu’après cette date qu’une capsulite s’est installée et a prolongé la période de consolidation jusqu’au 30 mars 2006.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE en partie la requête de l’employeur, Commission scolaire des Sommets;

 

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 16 juin 2009 à la suite d’une révision administrative;

 

DÉCLARE que le coût des prestations de la lésion professionnelle du 3 mai 2005 doit être imputé à raison de 25 % au dossier de l’employeur et 75 % aux employeurs de toutes les unités.

 

 

 

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Micheline Allard

 

 

 

 

Me Valérie Lizotte

MORENCY SOCIÉTÉ D’AVOCATS

Représentante de la partie requérante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Municipalité Petite Rivière St-François et CSST-Québec, [1999] C.L.P. 779 .

[3]           Yves BERGERON, Luc FORTIN et Richard LECLAIRE, Pathologie médicale de l'appareil locomoteur, 2e éd., Saint-Hyacinthe, Edisem, Paris, Maloine, 2008, 1444 p. 590-593; A. HADDAD, L’épaule du diabétique, Fédération de rhumatologie (centre Viggo-Petersen), hôpital Lariboisière, 2, rue Ambroise-Paré, 75010 Paris.

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