Trad et Tabac Dynasty inc. |
2010 QCCLP 5299 |
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[1] Le 22 décembre 2009, monsieur Mohamad Trad (le travailleur) dépose, à la Commission des lésions professionnelles, une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 15 décembre 2009, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 5 octobre 2009 et déclare que le travailleur n’a pas droit à une aide personnelle à domicile rétroactive.
[3] À l’audience tenue à Montréal le 17 juin 2010, le travailleur est présent et est accompagné de son avocat, Me Bruno Bégin. Monsieur Ahmad Trad est présent à l’audience pour Tabac Dynasty inc. (l’employeur).
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a droit à une aide à domicile rétroactive au 3 juin 2004, date de sa chirurgie. Il réclame également les intérêts dus sur cette somme à partir de sa date de réclamation.
LES FAITS
[5] À l’audience, le travailleur témoigne en langue arabe et française. Il est accompagné d’un de ses amis qui l’aide pour la traduction.
[6] Le travailleur occupait un emploi de journalier pour la compagnie Dynasty Tobacco quand l’incident s’est produit.
[7] Le 27 juillet 2001, il subit une lésion professionnelle alors qu’il soulève de façon répétitive des paquets de balles pesant environ quarante-cinq livres. Les diagnostics retenus sont ceux d’entorse lombaire sur une discopathie dégénérative et de hernie inguinale droite récidivante.
[8] L’opération pratiquée le 3 juin 2004 est une Foraminotomie L5-S1 gauche.
[9] La lésion professionnelle est consolidée le 3 octobre 2005 avec atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique et avec des limitations fonctionnelles, tel qu’il appert du rapport final du médecin qui a charge, soit le docteur R. Catchlove.
[10] Le 22 mai 2008, la Commission des lésions professionnelles entérine un accord entre les parties et conclut que la lésion professionnelle a entrainé une atteinte permanente à l’intégrité physique et psychologique de 21,60 % et des limitations fonctionnelles de classe III de l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST).
[11] Le 3 juillet 2008, le travailleur remplit avec son avocat une grille d’évaluation relative à ses besoins d’aide personnelle à domicile et en fait la demande la même date à la CSST.
[12] Le 12 août 2008, madame Caroline Huard, ergothérapeute, rencontre le travailleur à la demande de la CSST pour faire une évaluation de ses besoins d’aide personnelle à domicile. Cette ergothérapeute conclut que le travailleur a des besoins d’assistance à domicile pour :
-Hygiène corporelle (besoin d’assistance partielle);
-Préparation du dîner (besoin d’assistance complète);
-Préparation du souper (besoin d’assistance complète);
-Ménage léger (besoin d’assistance partielle);
-Ménage lourd (besoin d’assistance complète);
-Lavage du linge (besoin d’assistance partielle);
-Approvisionnement (besoin d’assistance partielle).
[13] Ces besoins d’assistance personnelle à domicile donnent au travailleur un total de 14 points sur une possibilité de 48.
[14] À la suite de cette évaluation, la CSST rend une décision le 10 octobre 2008 acceptant de verser une allocation d’aide personnelle à domicile à compter du 12 août 2008 jusqu’au 10 octobre 2008, et du 11 octobre 2008 au 10 octobre 2010. Elle accorde un montant de 886,18 $ pour la première période et de 206,78 $ à toutes les deux semaines pour la deuxième période.
[15] Le 11 novembre 2008, le travailleur demande la révision de cette décision.
[16] Le 5 mars 2009, la CSST se prononce à la suite d’une révision administrative et confirme sa décision du 10 octobre 2008.
[17] Le travailleur conteste cette décision le 11 mars 2009, et la Commission des lésions professionnelles se prononce le 25 août 2009. Par cette décision, le tribunal reconnaît au travailleur d’autres besoins d’assistance à domicile en plus de ceux déjà reconnus par la décision rendue par la CSST en date du 10 octobre 2008. Le travailleur met en preuve qu’il y a un manque d’espace chez lui pour installer certaines aides techniques recommandées par l’ergothérapeute mandatée par la CSST le 12 août 2008. De plus, certaines aides techniques (langue à souliers, lacets élastiques, enfile-bas) ne l’ont pas rendu autonome. Par conséquent, des besoins d’assistance personnelle pour le lever, l’habillage et le déshabillage lui sont également reconnus dans cette décision du 25 août 2009.
[18] La CSST applique donc cette décision du 25 août 2009 de la Commission des lésions professionnelles et lui octroie désormais un pointage de 18,5 points. Un montant de 577 $ lui est versé aux deux semaines pour l’année 2008 et de 592 $ aux deux semaines pour l’année 2009.
[19] Le 17 septembre 2009, le travailleur demande à la CSST de se prononcer sur son droit de recevoir une allocation d’aide personnelle à domicile depuis le 3 octobre 2005 (date de la consolidation) jusqu’au 11 août 2008. Il précise dans sa lettre que si cette demande lui est refusée par la CSST, il présentera une nouvelle demande, cette fois rétroactive à la date de l’accident soit le 27 juillet 2001.
[20] Le 5 octobre 2009, la CSST décide que l’aide personnelle à domicile n’est pas rétroactive et que le travailleur n’a pas droit de recevoir une allocation d’aide personnelle à domicile depuis le 3 octobre 2005, date de la consolidation.
[21] Le 15 décembre 2009, la CSST confirme cette décision dans une autre décision rendue à la suite d’une révision administrative.
[22] Le 22 décembre 2009, le travailleur conteste cette décision auprès de la Commission des lésions professionnelles.
[23] Le 4 mai 2010, le travailleur dépose à la Commission des lésions professionnelles une expertise effectuée le 7 avril 2010 et datée du 14 avril 2010 par madame Mylène Fortier, ergothérapeute. Elle évalue les besoins en aide personnelle à domicile du travailleur pour la période débutant le 17 juin 2004[1] et se terminant le 11 août 2008.
[24] Elle y précise en fin de rapport que les besoins d’assistance du travailleur, soit ceux relatifs au lever, à l’hygiène corporelle, à l’habillage, au déshabillage, à la préparation du dîner, à la préparation du souper, au ménage léger et lourd, au lavage du linge et à l’approvisionnement sont les mêmes pour la période du 17 juin 2004 au 11 août 2008 que ceux qui s’appliquaient à partir du 11 août 2008. Le total de points est le même, soit de 18,5.
[25] Il n’y a pas eu d’évaluation formelle des besoins du travailleur avant l’expertise faite le 12 août 2008 par l’ergothérapeute à la demande de la CSST.
[26] Certains documents au dossier ainsi que le témoignage du travailleur décrivent cependant son état et son degré d’autonomie avant cette date du 12 août 2008.
[27] Tout d’abord, le travailleur a été opéré le 3 juin 2004. Cette opération a laissé des séquelles et des limitations. Le travailleur dit en audience que sa conjointe devait « beaucoup l’aider » après sa chirurgie, que c’était « beaucoup moins le cas » avant cette chirurgie. Le travailleur témoigne en audience qu’après la chirurgie, sa conjointe l’aide beaucoup pour le lever, l’hygiène corporelle, l’habillage et le déshabillage, la préparation du dîner et du souper, le ménage léger et lourd, le lavage du linge et l’approvisionnement
[28] Une évaluation effectuée en ergothérapie le 9 novembre 2005 au centre HTB pour un programme de reconditionnement indique ce qui suit :
« Ses douleurs ont un impact significatif sur son niveau d’indépendance dans les activités de la vie quotidienne et domestiques avec une diminution de son rendement occupationnel. Il rapporte que sa qualité de vie a beaucoup diminué et qu’il souffre de cette situation, car il était un homme très actif. Il se déclare dépendant de son épouse et de ses enfants pour l’habillage du bas du corps (mettre chaussettes et sous-vêtements) car la flexion lombaire est très douloureuse que ce soit en position assise ou debout. Il demande assistance aussi pour la douche (se laver les pieds). En dehors de cela il a les capacités de mouvement pour atteindre toutes les parties de son corps avec plus ou moins de douleur. L’impact au niveau de sa participation aux tâches domestiques est limité car son épouse reste en charge de cela ».
[29] Dans le même document, il y est écrit que : « la description de son horaire occupationnel journalier démontre un faible niveau d’activité avec de nombreuses périodes de repos (assis et allongé). Il se présente avec un tableau de déconditionnement important et ses mouvements sont pénibles ».
[30] Il y est aussi noté que son sommeil est perturbé et diminué, que les tolérances à la marche et aux positions assise et debout sont également fortement diminuées, de même que sa capacité à porter des charges.
[31] Dans un autre rapport de l’ergothérapeute ayant suivi le travailleur du 2 mai au 27 août 2006 au centre HTB, on mentionne ce qui suit :
« De ce fait il est limité et se limite pour atteindre certains endroits de son corps. Il est dépendant de son épouse pour se laver les pieds et questionne sur la pertinence d’une brosse à long manche pour atteindre ses pieds il répond que culturellement cette situation est acceptable et refuse d’explorer une méthode adaptative. Il lui faut en moyenne plus d’une heure pour se préparer le matin. Il en est de même pour mettre des sous-vêtements. Sinon mettre des chaussures, il évite de les lacer et met des running shoes. […] ».
[32] L’ergothérapeute du centre HTB note également que les positions assise et debout sont inconfortables après 30 minutes, que des mouvements fonctionnels tels atteindre ses orteils, croiser les jambes, sont impossibles, que les périodes de marche sont limitées ainsi que le poids et la distance des charges à porter.
L’AVIS DES MEMBRES
[33] Les membres issus des associations d’employeurs et syndicales sont tous deux d’avis de reconnaître que le travailleur a droit à des besoins d’assistance à domicile rétroactifs à sa date de chirurgie, soit le 3 juin 2004. De plus, ils sont également d’avis que le travailleur a droit aux intérêts dus sur cette somme à partir de la date de la réclamation du travailleur.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[34] Le tribunal doit déterminer si les besoins d’aide personnelle à domicile du travailleur déjà reconnus à partir du 12 août 2008 peuvent être rétroactifs à sa date de chirurgie, soit le 3 juin 2004. Le travailleur est-il bien fondé également à réclamer les intérêts sur cette somme à partir de la date de la réclamation.
[35] La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi), aux articles ci-après reproduits, prévoit que l’aide personnelle à domicile peut être accordée à un travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, est incapable de prendre soin de lui-même et d’effectuer sans aide les tâches domestiques qu’il effectuerait normalement, si cette aide s’avère nécessaire à son maintien ou à son retour à domicile :
158. L'aide personnelle à domicile peut être accordée à un travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, est incapable de prendre soin de lui-même et d'effectuer sans aide les tâches domestiques qu'il effectuerait normalement, si cette aide s'avère nécessaire à son maintien ou à son retour à domicile.
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1985, c. 6, a. 158.
159. L'aide personnelle à domicile comprend les frais d'engagement d'une personne pour aider le travailleur à prendre soin de lui-même et pour effectuer les tâches domestiques que le travailleur effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion.
Cette personne peut être le conjoint du travailleur.
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1985, c. 6, a. 159.
160. Le montant de l'aide personnelle à domicile est déterminé selon les normes et barèmes que la Commission adopte par règlement et ne peut excéder 800 $ par mois.
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1985, c. 6, a. 160; 1996, c. 70, a. 5.
161. Le montant de l'aide personnelle à domicile est réévalué périodiquement pour tenir compte de l'évolution de l'état de santé du travailleur et des besoins qui en découlent.
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1985, c. 6, a. 161.
162. Le montant de l'aide personnelle à domicile cesse d'être versé lorsque le travailleur :
1° redevient capable de prendre soin de lui-même ou d'effectuer sans aide les tâches domestiques qu'il ne pouvait effectuer en raison de sa lésion professionnelle; ou
2° est hébergé ou hospitalisé dans une installation maintenue par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5).
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1985, c. 6, a. 162; 1992, c. 21, a. 79; 1994, c. 23, a. 23.
163. Le montant de l'aide personnelle à domicile est versé une fois par deux semaines au travailleur.
Ce montant est rajusté ou annulé, selon le cas, à compter de la première échéance suivant l'événement qui donne lieu au rajustement ou à l'annulation.
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1985, c. 6, a. 163.
[36] Le montant de l’aide personnelle à domicile est déterminé selon les normes et barème que la CSST adopte par le Règlement sur les normes et barèmes de l’aide personnelle à domicile[3] (le Règlement). Ce montant est réévalué périodiquement pour tenir compte de l’évaluation de l’état de santé du travailleur et des besoins qui en découlent.
[37] Les articles 158 et 163 de la loi font partie du chapitre sur la réadaptation dans lequel il n’est question d’aucun délai pour réclamer quoi que ce soit. Dans l’affaire Montminy[4], le juge Daniel mentionne d’ailleurs ce qui suit :
[101] Il n’est aucunement spécifié un délai pour produire une demande particulière dans les sections touchant autant la réadaptation physique que sociale.
[38] Le tribunal est d’accord avec cette interprétation.
[39] Tout comme la réadaptation physique, la réadaptation sociale est subordonnée au droit à la réadaptation. En principe, un travailleur n’y a droit qu’une fois sa lésion consolidée puisque ce n’est qu’à ce moment que les conséquences permanentes de sa lésion professionnelle peuvent être réellement déterminées. Cependant, dans certaines circonstances, il est possible de prévoir que le travailleur conservera une atteinte permanente. Ainsi, il a été décidé que le droit d’un travailleur s’ouvre à la date où il est médicalement possible de préciser, en tout ou en partie, l’atteinte permanente résultant de la lésion professionnelle, et ce, indépendamment de la consolidation de la lésion, tel que le mentionne la juge Nadeau dans l’affaire Gagné et Provigo distribution inc.[5] :
[38] Dès qu’il est médicalement possible de déterminer des séquelles permanentes de la lésion, la condition d’ouverture au droit à la réadaptation est rencontrée. La travailleuse a dès lors droit à l’aide personnelle à domicile si les autres conditions de l’article 158 sont rencontrées.
[40] Le tribunal souscrit à cette approche.
[41] Par ailleurs, le travailleur n’a pas fait de demande formelle quant aux besoins d’assistance à domicile avant le 3 juillet 2008. Cela empêche-t-il l’octroi d’une allocation relative à ces besoins à partir du 3 juin 2004?
[42] Plusieurs décisions de la Commission des lésions professionnelles sont à l’effet qu’il n’est pas besoin d’avoir une demande formelle du travailleur à l’époque où les besoins se sont manifestés. Ainsi, dans l’affaire Grégoire[6] la juge Besse s’exprime ainsi :
[17] Toutefois, dans d’autres décisions, la Commission des lésions professionnelles a reconnu qu’une allocation pour de l’aide personnelle à domicile peut être accordée rétroactivement, même en l’absence de demande formelle du travailleur à l’époque où les besoins se sont manifestés […].
[43] De même, dans l’affaire Turgeon et C.S.S.T.[7], la juge Cusson indique ce qui suit :
[11] La Commission des lésions professionnelles tient à préciser qu’aucune évaluation des besoins d’assistance et de surveillance n’a été faite avant que le représentant du travailleur en fasse la demande en 2004, ce qui cause une difficulté majeure d’appréciation. Elle tient également à préciser que l’absence de demande du travailleur, pour une évaluation des besoins d’assistance et de surveillance avant 2004, ne peut avoir pour effet de conclure que le besoin était inexistant. Rien dans la loi n’indique qu’une telle évaluation doit être faite uniquement s’il y a une demande officielle de formulée.
[44] La juge Lévesque mentionne le même principe dans la cause Tzimopoulos[8] :
[44] Un certain courant jurisprudentiel a également reconnu que, bien que le travailleur n’ait pas déposé de demande formelle au moment où ses besoins d’aide personnelle à domicile se sont manifestés que, néanmoins dans certains cas, ce droit peut être rétroactif avant même la date de consolidation de sa lésion professionnelle, de l’évaluation de son atteinte permanente, de son admission à la réadaptation ou même de l’évaluation de ses besoins d’aide personnelle à domicile.
[45] Le tribunal souscrit à ce courant jurisprudentiel. Dans le présent dossier, il n’y a pas de demande relative aux besoins d’assistance personnelle à domicile avant le 3 juillet 2008. Il n’y a pas non plus d’évaluation formelle de ces besoins avant le 12 août 2008. Cependant, le dossier contient suffisamment d’informations sur la condition physique du travailleur pour permettre une évaluation des besoins aux différentes époques.
[46] Ainsi, le travailleur a subi une opération fort importante le 3 juin 2004, soit une Foraminotomie L5-S1. Son témoignage non contredit nous informe qu’après cette chirurgie il a eu « beaucoup besoin » de son épouse pour les besoins d’aide personnelle à domicile ci-haut mentionnés. Avant sa chirurgie, son épouse l’aidait beaucoup moins.
[47] En 2005, l’ergothérapeute qui le voit rapporte qu’il a beaucoup de douleurs, qu’il a besoin d’aide pour l’habillage, prendre sa douche, que les tolérances à la marche et aux positions debout et assise sont diminuées de même que sa capacité à porter des charges, tel que plus amplement décrit ci-haut. L’ergothérapeute Mylène Fortier, auteur du dernier rapport d’ergothérapie, daté du 14 avril 2010 écrit ce qui suit, relativement à l’examen réalisé en physiothérapie au centre HTB :
« L’examen réalisé en physiothérapie au centre HTB révélait des amplitudes très restreintes au tronc et des mouvements résistés diminués par la douleur au membre inférieur gauche, ce qui est tout à fait comparable à la situation actuelle ».
[48] En 2006, un autre rapport rempli par un autre ergothérapeute rapporte également qu’il a des besoins, qu’il est limité pour atteindre certaines parties de son corps, que son épouse l’aide à se lever, que les positions debout et assise soutenues sont inconfortables, que des mouvements fonctionnels sont impossibles, le tout tel que plus amplement décrit dans le rapport.
[49] Si ces besoins existent en 2005 et 2006, il est d’autant plus juste de considérer que ces besoins existaient également depuis la chirurgie du 3 juin 2004, d’autant plus que le travailleur lui-même nous corrobore cela à l’audience.
[50] De plus, s’il a ces besoins en 2004, 2005 et 2006, il a également les mêmes besoins d’assistance personnelle à domicile pour l’année 2007 puisque l’ergothérapeute Mylène Fortier émet l’opinion non contestée que les besoins du travailleur sont les mêmes en 2010 qu’ils étaient en 2004.
[51] L’ergothérapeute Mylène Fortier rapporte ce qui suit :
« Les besoins identifiés à l’époque en ergothérapie démontrent bien que monsieur Trad nécessitait déjà de l’aide personnelle à domicile en date de la consolidation de sa lésion et que les difficultés ont persisté avec le temps. En effet, les besoins en aide personnelle sont toujours présents à ce jour et il a été établi que ces besoins sont en lien avec l’événement initial. Par ailleurs, notre évaluation est conforme à celle qui avait été réalisée en 2008 par madame Huard .
Pour ces raisons, nous confirmons donc que monsieur Trad nécessitait le niveau d’assistance suivant pour la période du 17 juin 2004 au 11 août 2008, soit les mêmes besoins que ceux qui s’appliquent à la période suivante à et à ce jour :
Besoins d’assistance Niveau d’assistance Cotation
Le lever Aide partielle 1.5
Le coucher Autonome 0
Hygiène corporelle Aide partielle 2.5
Habillage Aide partielle 1.5
Déshabillage Aide partielle 1.5
Soins vésicaux Autonome 0
Soins intestinaux Autonome 0
Alimentation Autonome 0
Utilisation des commodités
du domicile Autonome 0
Préparation du petit
déjeuner Autonome 0
Préparation du dîner Aide maximale 4
Préparation du souper Aide maximale 4
Ménage léger Aide partielle 0.5
Ménage lourd Aide maximale 1
Lavage du linge Aide partielle 0.5
Approvisionnement Aide partielle 1.5
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18.5 points »
[52] Le tribunal est donc satisfait, compte tenu des différents documents au dossier, du témoignage du travailleur, que les besoins d’assistance personnelle existaient depuis le 3 juin 2004 et qu’ils sont les mêmes que ceux accordés dans la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 25 août 2009, soit des besoins d’aide personnelle à domicile relatifs au lever, à l’hygiène corporelle, à l’habillage, déshabillage, préparation du dîner, préparation du souper, ménage léger, ménage lourd, lavage du linge et approvisionnement.
[53] Qu’en est-il de la demande du travailleur relative aux intérêts qui sont dus sur la somme pour l’aide personnelle à domicile rétroactive? L’article 364 de la loi prévoit que:
364. Si une décision rendue par la Commission, à la suite d'une demande faite en vertu de l'article 358, ou par la Commission des lésions professionnelles reconnaît à un bénéficiaire le droit à une indemnité qui lui avait d'abord été refusée ou augmente le montant d'une indemnité, la Commission lui paie des intérêts à compter de la date de la réclamation.
Le taux de ces intérêts est déterminé suivant les règles établies par règlement. Ces intérêts se capitalisent quotidiennement et font partie de l'indemnité.
__________
1985, c. 6, a. 364; 1993, c. 5, a. 20; 1997, c. 27, a. 20; 1996, c. 70, a. 42.
[54] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a droit à des intérêts sur le montant qui sera versé pour l’aide personnelle à compter du 3 juin 2004 jusqu’au 11 août 2008.
[55] Le paiement d’intérêts est prévu par la loi à cet article 364 dans les cas où un bénéficiaire a droit à une indemnité qui lui avait d’abord été refusée par la CSST.
[56] La première condition de l’article 364 est reconnue dans le présent dossier, à savoir que la Commission des lésions professionnelles reconnait au travailleur le droit à une aide personnelle à domicile rétroactive, ce qui lui avait été refusé auparavant par la CSST.
[57] L’aide personnelle constitue-t-elle une indemnité?
[58] Dans l’affaire Turner[9], la Commission des lésions professionnelles avait reconnu que l’aide personnelle à domicile constitue une indemnité. Tout d'abord, il avait été reconnu que le terme « indemnité » n’est pas défini par la loi, mais que le terme « prestation » tel que défini à l’article 2 de la loi couvre tous les coûts d’indemnisation versés à un bénéficiaire :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« prestation » : une indemnité versée en argent, une assistance financière ou un service fourni en vertu de la présente loi;
[59] Il s’ensuit que l’aide personnelle à domicile peut être incluse dans les coûts d’indemnisation versés à un travailleur, il s’agit d’une prestation.
[60] Toujours dans cet arrêt Turner, la Commission des lésions professionnelles a décidé que le terme « indemnité » utilisé dans la définition de « prestation » ne comprend pas les seules indemnités retrouvées au chapitre III de la loi, mais aussi celles versées en argent prévues par les autres chapitres de la loi, notamment celles versées à titre d’aide personnelle à domicile en vertu de l’article 158 de la loi.
[61] Il est également décidé dans cet arrêt que le fait de considérer l’aide personnelle à domicile comme une indemnité est en accord avec l’article 364 de la loi. En effet, à l’article 364 de la loi, le législateur a choisi de ne verser à un bénéficiaire des intérêts que sur des « indemnités » qu’il avait initialement refusées et non pas de verser des intérêts aux bénéficiaires sur toutes les catégories de prestations auxquelles ils avaient droit en vertu de la loi.
[62] Le tribunal souscrit à la position retenue dans l’affaire Turner et considère qu’une somme versée pour l’aide personnelle est une indemnité.
[63] Plusieurs décisions récentes du tribunal[10] vont d’ailleurs dans ce sens et la Commission des lésions professionnelle a considéré que l’article 364 de la loi peut recevoir application dans le cas d’une aide personnelle à domicile.
[64] Le tribunal doit maintenant décider la date du calcul du début du calcul des intérêts. L’article 364 prévoit que les intérêts sont payables à compter de la date de la réclamation.
[65] Dans l’arrêt Montminy[11], le juge Lalonde s’exprime ainsi :
[51] Par ailleurs, cette rétroactivité du droit à l’aide personnelle à domicile ne fait pas en sorte que le travailleur puisse bénéficier des intérêts depuis le début de cette aide.
[52] Le principe « nul n’est censé ignorer la loi » s’applique dans ce cas. Le travailleur qui désire se voir reconnaître rétroactivement une aide personnelle à domicile doit en faire la demande à la CSST. Or, dans ce dossier, le travailleur ne produit une demande à la CSST que le 12 mai 2006 alors que la Commission des lésions professionnelles a considéré qu’il y avait droit depuis 1993.
[53] Le tribunal considère que d’accorder des intérêts à compter de 1993 serait déraisonnable et irait à l’encontre de l’esprit de la loi puisque le travailleur est responsable de son délai de réclamation.
[66] Le tribunal souscrit aux propos du juge Lalonde dans son interprétation, d’autant plus que l’article 364 mentionne depuis la date de la réclamation.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Mohamad Trad, le travailleur;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 15 décembre 2009, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le montant de l’aide personnelle à domicile est rétroactive au 3 juin 2004 et que cette aide doit être calculée sur la base d’un pointage de 18,5 points, tel qu’indiqué dans le rapport de l’ergothérapeute Mylène Fortier;
DÉCLARE que le travailleur a droit aux intérêts sur l’indemnité à être payée, et ce, à compter de la date de réclamation, soit le 3 juillet 2008.
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Sylvie Lévesque |
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Me Bruno Bégin |
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Représentant de la partie requérante |
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[1] L’avocat du travailleur mentionne que cette date est une coquille. Le rapport devait indiquer au lieu le 3 juin 2004, soit la date de l’opération.
[2] L.R.Q., c. A-3.001.
[3] (1997) 129 G.O. II, 7365.
[4] Montminy et St-Jérôme Bandag inc. et C.S.S.T., C.L.P. 319308-64-0706, 27 juin 2008, R. Daniel.
[5] C.L.P. 136575-61-0004, 21 septembre 2000, L. Nadeau.
[6] Grégoire et Construction Rénovatech AP inc. et C.S.S.T., C.L.P. 305789-63-0612, 24 janvier 2008, D. Besse.
[7] Turgeon et C.S.S.T., C.L.P. 295205-03B-0607, 14 décembre 2006, M. Cusson.
[8] Tzimopoulos et Provigo Distribution (div. Loblaws Qc) et C.S.S.T., C.L.P. 322442-71-0707, 11 février 2008, D. Lévesque.
[9] Turner et Centre communautaire bénévole Matawinie, (2006), C.L.P. 1151 .
[10] Montminy et St-Jérôme Bandag inc., C.L.P. 379339-64-0905, 14 janvier 2010, M. Lalonde; Philips et Centre hospitalier régional de Lanaudière, (2005) C.L.P. 251 , révision rejetée, C.L.P. 231142-63-0403, 27 janvier 2006, B. Lemay; Gauthier et Sécurité Tenox ltée, C.L.P. 335070-63-0712, 15 décembre 2008, L. Morissette, (08LP-196), Boisvert et Cascades Carton Plat inc., C.L.P. 358170-05-0809, 1er juin 2009, L. Boudreault.
[11] Précitée, note 10.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.