Modèle de décision CLP - juin 2011

Domtar inc. (Usine de Windsor)

2012 QCCLP 7737

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Sherbrooke

4 décembre 2012

 

Région :

Estrie

 

Dossier :

458477-05-1112

 

Dossier CSST :

134387307

 

Commissaire :

Jacques Degré, juge administratif

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Domtar inc. (Usine de Windsor)

 

Partie requérante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

[1]           Le 29 décembre 2011, Domtar inc. (Usine de Windsor) (l’employeur) dépose une contestation à l’encontre d’une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 6 décembre 2011 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Cette décision confirme deux décisions datées du 9 septembre 2011.

[3]           La première énonce que le motif invoqué ne permet pas de conclure que l'employeur est obéré injustement par l’imputation du coût des prestations liées à la lésion professionnelle de monsieur Mario Boucher (le travailleur). En conséquence, la décision de lui en imputer la totalité des coûts est maintenue.

[4]           La seconde énonce qu’il n’existe aucune relation entre le handicap du travailleur et sa lésion professionnelle puisque l’analyse du dossier démontre que le handicap n’a joué aucun rôle déterminant dans le phénomène qui a provoqué la lésion, qu’il n’a pas prolongé de façon appréciable la période de consolidation et qu’il n’a pas contribué à augmenter la gravité de la lésion, ni les frais de la réparation. En conséquence, la décision d’en imputer la totalité des coûts à l’employeur est maintenue.

[5]           Une audience se tient devant la Commission des lésions professionnelles à Sherbrooke, le 31 août 2012, à laquelle assistent madame Line Provencher, la représentante de l'employeur, qui est accompagnée de sa procureure. Au terme de l’audience, la procureure requiert un délai jusqu’au 21 septembre afin de produire un complément de preuve, soit une mise à jour du dossier du travailleur, une opinion médicale, ainsi que son argumentation écrite. À la suite d’une prolongation de délai accordée pour des motifs jugés valables, le tribunal reçoit les documents et l’argumentation de la procureure le 19 octobre 2012 et l’affaire est alors prise en délibéré. Deux documents additionnels parviennent tardivement au tribunal le 1er novembre 2012, documents dont la production avait été requise lors de l'audience du 31 août. Par conséquent, ceux-ci furent considérés dans le cadre du délibéré.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[6]           L’employeur demande de déclarer qu’il est obéré injustement et demande de transférer la totalité du coût des prestations pour la période du 16 juin 2009 au 19  octobre 2009 aux employeurs de toutes les unités, en raison de l’apparition d’une maladie intercurrente qui a empêché le travailleur d’effectuer l’assignation temporaire disponible et autorisée par son médecin.

[7]           L’employeur demande également de déclarer que le travailleur présentait déjà un handicap lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle du 9 avril 2009. Il requiert donc un partage de l’imputation de 25 % à son dossier et de 75 % aux dossiers des employeurs de toutes les unités.

LA PREUVE

[8]           Le travailleur exerce le métier d’électricien pour l'employeur depuis le mois de septembre 1983.

[9]           Le 9 avril 2009, alors âgé de près de 54 ans, le travailleur subit une lésion professionnelle qu'il décrit ainsi au Relevé d’accident daté du lendemain :

J’ai mis le pied droit sur un tuyau au lieu du barreau d’échelle. J’ai perdu pied, j’ai glissé et je me suis retenu avec la main gauche.

 

[10]        Le travailleur poursuit son travail et consulte pour la première fois le 15 avril suivant.

[11]        Son médecin, le docteur Delisle, pose alors le diagnostic d'entorse cervicale et d'entorse à l’épaule gauche pour lequel il prescrit un traitement symptomatique et des restrictions temporaires. Le 22 avril, il les reconduit pour deux semaines additionnelles.

[12]        Le 7 mai 2009, une radiographie simple de la colonne cervicale du travailleur se lit ainsi :

Il n’y a pas de pincement significatif des espaces discaux.

Déformation cunéiforme antérieure du corps vertébral C6 avec perte de hauteur d’environ 20 à 30 % au niveau de l’aspect antérieur de ce corps vertébral, qui pourrait représenter des séquelles d’ancienne fracture consolidée.

Discrète ébauche d’ostéophyte antérieur C5-C6.

Les trous de conjugaison apparaissent libres sur les clichés en oblique.

Il n’y a pas d’autre lésion ostéo-articulaire significative décelée par ailleurs sur film simple.

 

 

[13]        Le 15 mai 2009, le docteur Delisle maintient les restrictions de travail jusqu’à nouvel ordre et prescrit des traitements de physiothérapie de même qu’une imagerie par résonance magnétique. Dans sa réquisition, il écrit que le travailleur est connu pour une fracture par tassement au niveau C6, post-traumatique, survenue il y a 22 ans. Il souligne la présence d’une entorse récente avec cervicobrachialgie gauche C7 et une dysesthésie C7 gauche.

[14]        Le 3 juin 2009, la CSST accepte la réclamation du travailleur pour un accident survenu le 9 avril 2009 et qui lui a causé une entorse cervicale et une entorse à l’épaule gauche. Cette décision est devenue finale en l'absence de contestation.

[15]        Le 16 juin 2009, alors qu’il est période de vacances, le travailleur s’inflige une entorse à la cheville gauche et doit cesser le travail.

[16]        Le 25 juin 2009, l’imagerie prescrite par le docteur Delisle se lit ainsi :

Constatations :

 

C2-C3 : Uncarthrose plus marquée à droite, entraînant un discret rétrécissement foraminal droit.

 

C3-C4 : Légère arthrose facettaire

 

C4-C5 : Légère arthrose facettaire

 

C5-C6 : Discrète uncarthrose. Légère arthrose facettaire.

 

C6-C7 : Hernie discale médio-latérale gauche, à large rayon de courbure, indentant modérément le sac thécal et légèrement le cordon médullaire. Uncarthrose gauche réduisant modérément le foramen.

 

C7-D1 : Petite hernie discale postéro-médiane.

 

D1-D2 : petite hernie discale postéro-médiane.

 

D2-D3 : Petite hernie discale postéro-latérale droite.

 

D3-D4 : Petite hernie discale postérieure paramédiane droite.

 

Pas de sténose spinale. Le corps vertébral de C6 présente une perte de hauteur d’environ 30 %, sans anomalie de signal de la moelle osseuse, sans rétropulsion postérieure, compatible avec l’ancienne fracture compressive connue. La moelle épinière est de calibre et de signal normaux. (…).

 

Conclusion :

 

Hernie discale C6-C7 gauche. Modifications dégénératives de la colonne cervicale. Sténose foraminale. Petites hernies discales dorsales hautes. Ancienne fracture compressive de C6. (…).

 

 

[17]        Le 29 juin 2009, le docteur Lebel, neurologue, écrit au docteur Delisle et tire la Conclusion suivante de l’étude de conduction nerveuse et l’électromyogramme réalisés le même jour :

Ce patient a donc présenté un tableau correspondant à une radiculopathie C6 surtout sensitive, mais avec une légère composante motrice qu’on peut objectiver à l’EMG. Il s’agit probablement d’un étirement radiculopathie lorsqu’il s’est retrouvé pendu par son bras peut-être en plus qu’il s’est infligé une petite hernie discale qu’on pourra voir à l’imagerie. Il me dit qu’il a eu une IRM à Longueuil jeudi dernier et le résultat n'est pas encore connu. Il n’y a aucun doute que ce patient a présenté, si c’était le cas, une petite hernie radiculopathie traumatique par contusion ou étirement de la racine C6 gauche. Les troubles sensitifs moteurs sont quand même mineurs, mais s’ils sont mineurs ils sont nets.

 

Le pronostic dépendra évidemment de ce que vous allez retrouver à l’IRM.

 

 

[18]        Le 8 juillet 2009, le docteur Delisle pose le diagnostic de hernie discale C6-C7 gauche avec radiculopathie C6 gauche.

[19]        Le 17 juillet 2009, le docteur Blanchard, neurochirurgien, examine le travailleur. Devant la légèreté des symptômes et n’étant pas en possession du résultat de l’électromyogramme, il suggère une seconde consultation deux mois plus tard avec l’espoir de voir une résolution spontanée des symptômes sans avoir à intervenir chirurgicalement. Il autorise de plus la poursuite des travaux légers, ce que fait également le docteur Delisle le 19 août suivant.

[20]        Le 30 septembre 2009, le docteur Blanchard constate à l’examen qu’il persiste une légère faiblesse au niveau du triceps. Comme la condition persiste depuis plus de cinq mois et que l’atteinte documentée à l’électromyogramme concorde avec l’atteinte observée à l’imagerie, il inscrit le travailleur sur la liste en prévision d’une discoïdectomie C6-C7 avec « fusion instrumentation » afin d’accélérer le dossier. Il note que si la condition s’améliore, l’intervention pourra alors être annulée. Il autorise le retour au travail comme prévu avec la même restriction, soit de ne pas effectuer de mouvement d’extension du cou.

[21]        Le 2 octobre 2009, la docteure Labrie prolonge l’arrêt de travail du travailleur en lien avec son entorse à cheville gauche, et ce, jusqu’au 18 octobre inclusivement. Le médecin note qu’elle ne le reverra qu’au besoin et seulement si les symptômes devaient persister.

[22]        Le lundi 19 octobre 2009, le travailleur reprend les travaux légers chez l'employeur.

[23]        Le 11 décembre 2009, la CSST conclut que le nouveau diagnostic de hernie discale C6-C7 gauche est en relation avec l’événement du 9 avril 2009. Cette décision est devenue finale en l’absence de contestation.

[24]        Le 13 janvier 2010, le docteur Delisle note que la hernie discale cervicale C6-C7 gauche et la cervicobrachialgie sont résolues.

[25]        Le 20 janvier 2010, le docteur Blanchard signe le Rapport final et consolide, avec séquelles permanentes, la lésion professionnelle, une hernie discale C6-C7 gauche.

[26]        Le 2 février 2010, le docteur Blanchard produit le Rapport d’évaluation médicale.

[27]        À l'examen physique, le médecin constate que le travailleur présente toujours une douleur au niveau du cou et une sensation de picotements au niveau du membre supérieur gauche qui est intermittente.

[28]        Il écrit que l’atteinte radiculaire a complètement récupéré, mais que comme le travailleur ressent une irritation au niveau de la colonne cervicale, il suggère, à titre préventif, une limitation fonctionnelle permanente qui consiste à éviter d’accomplir de manière répétitive ou fréquente des mouvements d’amplitudes extrêmes en flexion, extension ou rotation de la colonne cervicale. Il accorde une atteinte permanente de 3 %, soit 2 % pour une hernie discale non opérée et 1 % pour l’hypoesthésie, territoire C7 gauche.

[29]        Le 11 mars 2010, le docteur Langlois, orthopédiste, examine le travailleur à la demande de l'employeur.

[30]        Au chapitre des antécédents personnels, le médecin note une fracture du corps vertébral de C6 traitée avec une orthèse durant six semaines, suivi d’une période d’arrêt de travail d’environ huit semaines.

[31]        À l’examen physique, il retient que le travailleur demeure avec une cervicobrachialgie gauche et une hypoesthésie dans le territoire de C7.

[32]        L’orthopédiste écrit qu’en raison de l’ancienne fracture de C6 et de la sténose foraminale C6-C7, le dossier du travailleur donne ouverture à un partage de coûts. Il recommande des limitations fonctionnelles additionnelles à celles déjà suggérées par le docteur Blanchard et accorde la même atteinte permanente.

[33]        Le 26 mars 2010, au Rapport complémentaire, le docteur Blanchard se dit en accord avec les limitations fonctionnelles recommandées par le docteur Langlois.

[34]        Le 6 mai 2010, la CSST informe le travailleur de son droit à la réadaptation.

[35]        Le 20 mai 2010, le docteur Langlois produit un complément d’expertise à la demande de l’employeur en lien avec une éventuelle demande de partage de coûts. Après avoir noté que le travailleur a subi une fracture du corps vertébral de C6 en 1987 l’ayant contraint au port d’une orthèse durant six semaines, suivi d’un arrêt de travail de huit semaines, il écrit :

[…]

 

Étant donné que monsieur Boucher avait subi une fracture du corps vertébral de C6 et qu’il avait développé des lésions dégénératives au niveau C6-C7 ayant entraîné une diminution du foramen ou trou de conjugaison dans lequel chemine la racine C7, il présentait une vulnérabilité accrue lors d’un traumatisme direct ou indirect au niveau du rachis cervical.

 

Étant donné que le foramen entre C6-C7 était réduit de calibre, la racine avait moins de liberté et était davantage susceptible d’être contusionnée lors d’un mouvement de rotation ou un mouvement d’inclinaison du rachis cervical.

 

La restriction de l’espace au niveau du foramen C6-C7 était également responsable d’une diminution de la capacité du foramen à s’adapter à une protusion [sic] ou hernie discale. Ainsi la hernie discale C6-C7 a contribué à diminuer davantage l’espace dans le foramen C6-C7, espace qui était déjà réduit par les lésions dégénératives qui se sont formées suite à l’accident de 1987.

 

Les lésions dégénératives suite à la fracture du corps vertébral de C6 et la hernie discale C6-C7 sont responsables du traumatisme qu’a subi la racine C7 et de la radiculopathie sensitive de C7 qui persiste.

 

En l'absence de toute lésion dégénérative à l’espace C6-C7, nous pouvons présumer que la symptomatologie causée par la hernie discale aurait eu 75 % de chance de régresser en totalité avec un traitement conservateur de 6 à 8 semaines.

 

Je suggère donc un partage de coûts, soit 25 % pour l'employeur et 75 % pour le fond [sic] consolidé.

 

[…]

 

 

[36]        Le 17 septembre 2010, les Constatations radiologiques de la radiologiste d’une radiographie pré-IRM de la colonne cervicale du travailleur se lisent ainsi :

[…]

 

Patient connu pour une déformation cunéiforme du corps vertébral de C6 en lien avec un ancien événement traumatique. Légère discopathie dégénérative C5-C6 et C6-C7. L’alignement des corps vertébraux est préservé. Il n’y a pas de sténose foraminale osseuse appréciable.

 

 

[37]         La radiologiste interprète ensuite le résultat de l’imagerie par résonance magnétique réalisée le même jour de la façon suivante :

[…]

 

On revoit la déformation cunéiforme du corps vertébral de C6, tel que décrit antérieurement. Protrusion discale à base large C6-C7 asymétrique vers la gauche faisant légèrement protrusion dans le récessus latéral gauche et engendrant une sténose foraminale modérée ipsilatérale. En comparaison avec l’étude de juin 2009, ces trouvailles sont superposables, sans modification significative du calibre ou de la morphologie de la hernie discale C6-C7.

 

Par ailleurs, les autres disques intersomatiques sont relativement préservés hormis pour un léger étalement discal circonférentiel C5-C6. Il n’y a pas d’autre sténose foraminale ou de sténose canalaire significative.

 

[…]

 

CONCLUSION :

 

Aspect inchangé de la hernie C6-C7 engendrant une sténose foraminale gauche modérée. Il n’y a toutefois pas de nouvelle hernie discale pour expliquer la nouvelle symptomatologie du patient. Déformation cunéiforme du corps vertébral de C6 connue, le plus probablement avec un ancien événement traumatique.

 

 

[38]        Le 13 janvier 2011, l’Interprétation clinique du docteur Evoy, neurologue, de l’électromyogramme réalisé le même jour se lit ainsi :

Étude électrophysiologique pouvant être considérée suggestive d’une radiculopathie C7 gauche, d’intensité légère, à un stade chronique.

 

Cliniquement, probablement douleur résiduelle au membre supérieur gauche, de type neurogène, secondaire à cette atteinte radiculaire par hernie discale C6-C7 ancienne.

 

[…]

 

 

[39]        Le 14 avril 2011, la CSST informe le travailleur qu’elle retient l'emploi de commis-vendeur à titre d’emploi convenable, lequel pourrait lui procurer un revenu annuel estimé à 19 813,20 $, et qu’elle le considère capable de l'exercer à compter du 11 avril 2011. La décision énonce de plus que la CSST continuera de lui verser des indemnités de remplacement du revenu au plus tard jusqu’au 10 avril 2012 après quoi, elle lui versera une indemnité réduite.

[40]        Le 26 mai 2011, l’employeur demande à la CSST de reconsidérer sa décision d’imputation, y joint l’opinion du 20 mai du docteur Langlois, et demande l’application des articles 326 et 329 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

[41]        Le 8 septembre 2011, un agent de la CSST procède à l’analyse de la demande de l'employeur.

[42]        Relativement à la demande en vertu de l’article 326 de la loi, l’agent écrit que le médecin qui a charge du travailleur n’a pas rempli de formulaire d’assignation temporaire, que celle-ci n’était pas encadrée tel que prévu à la loi, et qu’il n’y a eu aucune démonstration d’interruption de soins ou traitements. Quant à la demande en vertu de l’article 329, l’agent écrit qu’il ne peut l’accorder[2].

[43]        Le 9 septembre 2011, la CSST informe l'employeur que le motif invoqué ne permet pas de conclure qu’il est obéré injustement par l’imputation du coût des prestations liées à la lésion professionnelle du travailleur et que la décision de lui en imputer la totalité des coûts est maintenue.

[44]        Le même jour, la CSST informe l'employeur qu’il n’existe aucune relation entre le handicap du travailleur et sa lésion professionnelle puisque l’analyse du dossier démontre que le handicap n’a joué aucun rôle déterminant dans le phénomène qui a provoqué la lésion, qu’il n’a pas prolongé de façon appréciable la période de consolidation et qu’il n’a pas contribué à augmenter la gravité de la lésion, ni les frais de la réparation. En conséquence, la décision de lui en imputer la totalité des coûts est maintenue.

[45]         Le 19 septembre 2011, l'employeur demande la révision des décisions rendues le 9 septembre précédent.

[46]        Le 6 octobre 2011, au soutien de sa demande révision, l'employeur fait parvenir à la CSST une lettre du médecin qui a charge du travailleur, le docteur Delisle, laquelle se lit en partie comme suit :

[…]

 

Le 16 juin 2009, nous apprenons que le travailleur est victime d’un accident personnel. Le diagnostic émis, « entorse à la cheville gauche ». Monsieur fut donc en arrêt de travail pour ce problème de santé. […]

 

Lors de ces visites du 8 juillet 2009, 19 août 2009 et 16 septembre 2009, selon mes évaluations médicales, monsieur était apte à exécuter un travail avec des restrictions médicales. D’ailleurs, dès la consolidation de cette lésion, le 18 octobre 2009, monsieur a repris le travail autorisé.

 

Pendant cette période, nous avons poursuivi les traitements et investigation de la lésion au rachis cervical.

 

[…]

 

1.     Nous confirmons que nous étions au fait du genre de travail modifié offert par l'employeur et que nous n’avons pas cru nécessaire de compléter le formulaire « assignation temporaire ».

 

[…]

 

2.     Nous confirmons que monsieur était apte à exécuter un travail modifié chez son employeur n’eut été de l’accident personnel du 16 juin 2009.

 

[…]

 

 

[47]        Le 6 décembre 2011, à la suite d’une révision administrative, la CSST confirme les deux décisions rendues le 9 septembre précédent. La réviseure écrit notamment ce qui suit :

Analyse de l’article 329 :

 

[…]

 

Les éléments au dossier permettent de conclure qu’il y a présence d’un handicap préexistant chez le travailleur. En effet, le travailleur présente un antécédent de fracture au niveau C6.

 

[…]

 

La Révision administrative estime que les éléments soumis par l'employeur ne permettent pas de conclure qu’il existe une relation entre le handicap reconnu chez le travailleur et la lésion professionnelle survenue le 19 avril 2009.

 

[…]

 

Analyse selon l’article 326 :

 

[…]

 

En l’espèce il ne saurait être question d’une interruption de l’assignation temporaire puisque lors de l’arrêt de travail du 16 juin 2009, aucune assignation temporaire respectant les règles de l’article 179 de la Loi n’était en vigueur et autorisée par le médecin du travailleur. En effet, une assignation temporaire ne peut pas être autorisée à rebours et la Révision administrative n’est pas en mesure, même avec la lettre transmise par le médecin qui a charge du travailleur, de conclure à l’existence d’une assignation temporaire respectant les trois conditions de l’article 179 de la Loi.

 

[…]

 

 

[48]        Le 29 décembre 2011, l'employeur porte cette décision en appel devant la Commission des lésions professionnelles, d’où le présent litige.

[49]        Le 2 février 2012, le travailleur informe la CSST qu’il ne travaille pas et qu’il prendra sa retraite de chez l’employeur le 1er mai.

[50]        Le 16 octobre 2012, le docteur Langlois signe une opinion médicale au soutien de la demande de partage de coût de l'employeur et y joint trois extraits de littérature médicale[3].

[51]        L’orthopédiste écrit d’abord qu’en subissant un traumatisme par compression du corps vertébral de C6, on ne peut nier que les espaces discaux C5-C6 et C6-C7 ont subi un traumatisme par compression axiale, susceptible d’entraîner des lésions au niveau de l’annulus fibrosus et rendant les disques plus vulnérables. Il indique qu’au moment de la survenance de la lésion professionnelle, il y a présence d’un disque C6-C7 vulnérable et de lésions dégénératives secondaires au traumatisme par compression axiale, réduisant le foramen gauche à C6-C7, tel que démontré à l’imagerie.

[52]        Le médecin écrit ensuite que les lésions dégénératives au niveau de l’articulation uncovertébrale sont des éléments importants pour expliquer l’apparition et les séquelles d’une radiculopathie. Référant à l’article de Carette jointe à son opinion, il note qu’une hernie discale est responsable d’une radiculopathie cervicale dans seulement 20 à 25 % des cas. La cause la plus fréquente étant, selon l’auteur, un empiètement foraminal au niveau de la racine nerveuse, causé par une combinaison de facteurs, incluant une perte de hauteur d’un disque et des changements dégénératifs de l’articulation uncovertébrale antérieure.

[53]        Le docteur Langlois précise ensuite que l’événement du 9 avril 2009 est un incident banal qui se produit régulièrement dans la vie de tous les jours et qui provoque rarement une radiculopathie.

[54]        Référant enfin à l’étude de l’article paru dans Spine, il écrit que 12 patients sur 13, présentant une radiculopathie secondaire à une hernie discale cervicale postéro-latérale, ont vu celle-ci régresser à la suite d’un traitement conservateur et leurs symptômes disparaître en moyenne après six mois (entre deux et 12 mois). Contrairement à ceux-ci, le docteu, secondaire aux lésions dégénératives et à la hernie discale, est demeuré avec une radiculopathie C7 gauche qui a justifié des traitements prolongés dans l’espoir d’enrayer en totalité sa symptomatologie.

[55]        L’expert écrit en conclusion que suite à un traumatisme banal, en raison d’une condition personnelle préexistante, le travailleur a développé une radiculopathie C7 gauche. En l’absence de lésion dégénérative et d’une vulnérabilité du disque C6-C7, le docteur Langlois est d’avis que le travailleur n’aurait fort probablement pas développé, suite à un traumatisme léger, une hernie discale entraînant une radiculopathie C7 qui a justifié un traitement conservateur qui s’est échelonné sur plusieurs mois.

[56]        Il est également d’opinion que cette radiculopathie a contribué à prolonger la durée du traitement puisqu’en moyenne, dans la littérature, les symptômes régressent entre deux et 12 mois. La présence d’un foramen étroit, causé par l’uncarthrose et la hernie discale, expliquerait donc les séquelles résiduelles.

L’ARGUMENTATION

L’audience du 31 août 2012 / Article 326

[57]        La procureure de l'employeur soumet que le médecin qui a charge du travailleur, le docteur Delisle, est également le médecin désigné de l'employeur. À ce titre, il est sur les lieux du travail une journée par semaine. C’est donc selon elle en toute connaissance de cause qu’il autorise le travailleur à exécuter une assignation temporaire de travail à compter du 15 avril 2009, et ce, dans le respect des conditions prévues à la loi, sans nécessité de compléter un formulaire. Comme le travailleur n’a pu être assigné entre le 16 juin 2009 et le 18 octobre 2010 uniquement en raison d’une entorse à la cheville survenue hors travail, ce dont atteste le docteur Delisle dans sa lettre du 6 octobre 2011, elle demande de déclarer que l’employeur fût obéré injustement et que le coût des prestations versées au travailleur durant cette période soit imputé au dossier des employeurs de toutes les unités. La procureure dépose des autorités pour appuyer son point de vue[4].

L’argumentation écrite du 19 octobre 2012 / Article 329

[58]        Après une revue exhaustive des points saillants du dossier, dont les opinions du docteur Langlois, la procureure souligne que le travailleur fût victime d’un accident du travail banal qui a tout de même occasionné un processus de réadaptation. Elle écrit que le travailleur était vulnérable à cause de son ancienne fracture, reconnue comme un handicap par la réviseure, et que ce handicap a certainement aggravé la lésion professionnelle. Pour elle, sans une condition personnelle préexistante, le travailleur n’aurait certes pas eu une évolution de son diagnostic d’une entorse à une hernie et des séquelles permanentes. La procureure demande donc de déclarer que 25 % du coût des prestations de la lésion professionnelle du 9 avril 2009 soit imputé au dossier de l’employeur et 75 % au dossier des employeurs de toutes les unités. Elle joint trois décisions de la Commission des lésions professionnelles à son argumentation[5].

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

Demande de partage d’imputation en vertu du second alinéa de l’article 326

[59]        La Commission des lésions professionnelles doit décider si l'employeur est obéré injustement en raison de l’impossibilité d’assigner temporairement le travailleur pour la période du 16 juin au 19 octobre 2009 pour une raison étrangère à sa lésion professionnelle.

[60]        La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[6] (la loi) prévoit notamment ce qui suit à cet égard :

179.  L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que :

 

1° le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;

 

2° ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et

 

3° ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.

 

Si le travailleur n'est pas d'accord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1), mais dans ce cas, il n'est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale.

__________

1985, c. 6, a. 179.

 

 

326.  La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

 

 

[61]        Le second alinéa de l’article 326 prévoit un transfert du coût des prestations pour l’employeur qui démontre que l’imputation faite en vertu du premier alinéa a pour effet de l’obérer injustement.

[62]        Pour ce faire, il doit démontrer qu’il subit une situation d’injustice, c'est-à-dire étrangère aux risques qu’il doit supporter, et que la proportion des coûts attribuables à cette situation soit significative par rapport aux coûts découlant de l’accident en cause.

[63]        L’empêchement d’assigner temporairement un travailleur au travail pour une raison étrangère à sa lésion professionnelle peut représenter un de ces cas.

[64]        L’assignation temporaire doit cependant répondre à certaines conditions minimales afin d’être considérée comme telle.

[65]        Elle doit d’abord être autorisée par le médecin qui a charge du travailleur.

[66]        Il est en preuve que le docteur Delisle est celui qui a charge du travailleur puisqu’il assure le suivi en lien avec la lésion, prescrit le plan de traitement, de même que l’investigation paraclinique. La preuve démontre qu’il a ensuite délégué ce rôle au docteur Blanchard puisque c’est ce dernier qui signe le Rapport final, consolide la lésion et produit le Rapport d’évaluation médicale.

[67]        D’ailleurs, c’est à titre de médecin qui a charge que la CSST fait parvenir le Rapport complémentaire au docteur Blanchard à la suite de l’évaluation du 11 mars 2010 du docteur Langlois. L’assignation temporaire ayant été autorisée tour à tour par les docteurs Delisle et Blanchard, la première condition est donc remplie.

[68]        L’assignation autorisée doit ensuite répondre aux trois éléments énumérés à l’article 179 de la loi.

[69]        En l’espèce, la preuve démontre que l’assignation autorisée par les docteurs Delisle et Blanchard a toujours été accomplie par le travailleur et que la seule raison pour laquelle il a dû l’interrompre, du 16 juin au 18 octobre 2009, est une entorse à la cheville survenue dans le cadre d’une activité personnelle. Une fois cette entorse rentrée dans l’ordre, il a pu accomplir de nouveau cette même assignation, laquelle incidemment est toujours demeurée disponible dans l’intervalle.

[70]        Quelle conclusion tirer de ces circonstances en regard du respect des trois éléments de l’article 179?

[71]        En pareil cas, la Commission des lésions professionnelles considère qu’à compter du moment où la preuve démontre que c’est bel et bien le médecin qui a charge qui autorise l’assignation temporaire de travail, que le travailleur ne manifeste pas son désaccord comme la loi lui permet de le faire et, que dans les faits, il l’accomplit, il existe une présomption à l’effet qu’il est raisonnablement en mesure d’accomplir ce travail, qu’il ne comporte pas de danger pour sa santé, sa sécurité et son intégrité physique compte tenu de sa lésion, et qu’il est favorable à sa réadaptation.

[72]        Que le médecin qui a charge l’atteste a posteriori dans une lettre, comme en l’espèce, ne constitue qu’un autre élément de preuve dont la valeur probante demeure soumise à l’appréciation du tribunal.  

[73]        Le tribunal est donc d’opinion que la preuve démontre que l’assignation temporaire de travail autorisée par les docteurs Delisle et Blanchard remplissait les trois éléments de l’article 179 de la loi.

[74]        Qu’en est-il de l’absence de formulaire?

[75]        À cet égard, le présent tribunal partage l’approche adoptée par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire CSSS Québec-Nord [7]:

[28]      La finalité de l’article 179 ayant été rencontrée, le tribunal croit qu’il serait formaliste à outrance d’exiger qu'un médecin produise un formulaire standardisé simplement pour dire la même chose. On peut présumer que le médecin, en utilisant l'expression « travail léger » et le fait que la travailleuse ait effectué les tâches pour l’employeur d’un travail plus léger rencontraient, dans les faits, les objectifs de la loi.

 

[29]      Le tribunal est d’avis qu’il s’agit essentiellement d’une question factuelle qui doit être analysée dans chaque dossier. Le seul fait qu’un formulaire standardisé n’a pas été rempli en cochant chacune des cases n’est pas un élément déterminant. Il s’agit d’analyser, dans l'ensemble, les éléments factuels du dossier et de s’assurer simplement que les objectifs de l’assignation temporaire ont été rencontrés. C'est le cas dans le présent dossier.

 

 

[76]        Qu’il suffise d’ajouter que l’article 179 ne prévoit d’aucune façon l’utilisation d’un quelconque formulaire. Le dernier alinéa de cet article réfère plutôt au Rapport du médecin qui a charge à l’encontre duquel le travailleur peut manifester son désaccord. Il est donc question ici d’un rapport médical. L’utilisation d’un formulaire ne constitue donc qu’une question de forme qui ne peut, dans le cadre de l’application d’une loi à caractère social et en vertu des termes mêmes de l’article 179, l’emporter sur une question de fond.

[77]        Pour l’ensemble des motifs ci-haut mentionnés, le tribunal conclut qu’à toute époque pertinente, l’assignation temporaire de travail, autorisée par les docteurs Delisle et Blanchard, respectait toutes les prescriptions de l’article 179 de la loi.

[78]        Le tribunal n’a donc aucune hésitation à conclure que l'employeur a subi une situation d’injustice, étrangère aux risques qu’il doit supporter, entre le 16 juin 2009 et le 18 octobre 2009, soit une période de 125 jours.

[79]        La proportion des coûts attribuables à cette situation d’injustice est-elle cependant significative par rapport à l’accident en cause?

[80]        La preuve démontre que le travailleur fût assigné temporairement au travail du 9 avril au 15 juin, du 19 octobre au 10 avril 2010, et qu’il fût ensuite indemnisé à compter du 11 avril 2010. La lésion professionnelle ayant été consolidée avec séquelles permanentes, la CSST a reconnu au travailleur le droit à la réadaptation. Le 14 avril 2011, elle détermine l’emploi convenable de commis-vendeur avec le versement d’indemnités de remplacement du revenu jusqu’au 10 avril 2012 au plus tard avec, par la suite, le versement d’une indemnité réduite. Le 2 février 2012, le travailleur est toujours sans emploi et prévoit prendre sa retraite le 1er mai.

[81]        La preuve démontre donc que l'employeur n'a pu assigner temporairement le travailleur pour une période de 125 jours en raison de la situation d’injustice démontrée, sur une période totale d’indemnisation présumée au 10 avril 2012 de 856 jours. Soit une proportion de 14,6 %.

[82]        La preuve ne démontre pas la charge financière réelle qu’une telle proportion représente pour l’employeur par rapport à l’accident, notamment en fonction du régime de financement auquel il est assujetti. Et cette charge ne fait pas partie de la connaissance d’office du tribunal.

[83]        En certaines circonstances, la proportion déterminée est d’une importance telle qu’il est permis d’en inférer qu’elle ne peut qu’être significative, ce qui n'est pas le cas en l’espèce.

[84]        Le tribunal considère que l’employeur n’a pas démontré de manière prépondérante que la proportion des coûts attribuables à la situation d’injustice révélée par la preuve est significative par rapport aux coûts découlant de la lésion professionnelle du 9 avril 2009.

[85]        La Commission des lésions professionnelles juge que l'employeur n'a pas démontré de manière prépondérante avoir été obéré injustement et ne peut donc bénéficier d’un transfert du coût des prestations versées au travailleur pour la période du 16 juin 2009 au 18 octobre 2009.

Demande de partage d’imputation en vertu de l’article 329

[86]        La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur était déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle du 9 avril 2009.

[87]        En cas d’accident du travail, le premier alinéa de l’article 326 de la loi énonce le principe général en matière d’imputation :

326.  La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

 

[…]

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

 

 

[88]         L’article 329 prévoit une exception à ce principe :

329.  Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.

 

 

[89]        L'employeur requiert donc l’application de cette exception.

[90]        Le travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle est celui qui présente déjà une déficience physique ou psychique qui a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur ses conséquences[8].

[91]         La déficience est définie comme une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique. Elle peut être congénitale ou acquise, peut ou non se traduire par une limitation des capacités d’un travailleur de fonctionner normalement, et peut exister à l’état latent[9]. Elle doit de plus correspondre à une déviation par rapport à une norme biomédicale.

[92]        Un employeur doit donc d’abord démontrer l’existence d’une telle déficience.

[93]        Une fois cette déficience établie, l’employeur doit ensuite démontrer qu’elle a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle et/ou sur ses conséquences.

[94]        À cet effet, les critères suivants peuvent alors être pris en considération :

-       la nature et la gravité du fait accidentel;

-       le diagnostic de la lésion professionnelle;

-       l’évolution des diagnostics et de la condition du travailleur;

-       la durée de la période de consolidation;

-       la nature des soins et des traitements prescrits;

-       la compatibilité entre le plan de traitement prescrit et le diagnostic de la lésion professionnelle;

-       l’existence ou non de séquelles découlant de la lésion professionnelle;

-       l’âge du travailleur;

-       les opinions médicales.

 

 

[95]        La démonstration requiert une preuve prépondérante de nature médicale.

[96]        Une fois l’existence d’une déficience démontrée et que celle-ci a eu des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur ses conséquences, il est permis de conclure que le travailleur était déjà handicapé lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle. Il y aura ainsi lieu d’accorder un partage de coûts et en déterminer la proportion le cas échéant.

[97]        D’entrée de jeu le tribunal, bien qu’il n’y soit pas lié, reconnaît, à l’instar du palier de révision de la CSST, que le travailleur était porteur d’une déficience au moment de la survenance de la lésion professionnelle du 9 avril 2009, soit une déformation cunéiforme du corps vertébral de C6 avec perte de hauteur de 20 à 30 %, consécutive à une fracture compressive survenue en 1986 ou 1987.

[98]        Le fondement de l’argumentation de l’employeur pour demander l’application de l’article 329 repose sur l’opinion du docteur Langlois émise dans ses expertises des 20 mai 2010 et 16 octobre 2012.

[99]        L’opinion du docteur Langlois veut qu’il existe une sténose foraminale au niveau C6-C7, principalement causée par des lésions dégénératives telles que celle décrites à l’imagerie du 25 juin 2009, et qu’il attribue à la déficience. L’expert avance que ces lésions dégénératives, et la hernie discale dans une plus faible mesure, sont responsables du traumatisme qu’a subi la racine C7 à la survenue de la lésion professionnelle, et de la radiculopathie sensitive qui a ensuite persisté. Le médecin conclut qu’en l'absence de toute lésion dégénérative à l’espace C6-C7, la symptomatologie causée par la hernie discale aurait eu 75 % de chance de régresser en totalité avec un traitement conservateur de six à huit semaines.

[100]     Le tribunal considère cependant que la preuve ne supporte pas cette opinion.

[101]     Principalement, parce que l’imagerie par résonance magnétique réalisée le 17 septembre 2010 démontre que c’est la hernie discale au niveau C6-C7 qui engendre une sténose foraminale gauche modérée et non des lésions dégénératives.

[102]     Aussi, parce que le 13 janvier 2011, le docteur Evoy, neurologue, écrit que la douleur résiduelle au membre supérieur gauche du travailleur, maintenant à un stade chronique, est secondaire à une atteinte radiculaire par hernie discale C6-C7.

[103]     Ensuite, parce que dès le 29 juin 2009, avant même de connaître le résultat de l’imagerie réalisée le 25 juin précédent, et à plus forte raison celui de l’imagerie du 17 septembre 2010, ajoutant ainsi à la valeur probante de son opinion, le docteur Lebel, neurologue, écrit que le travailleur s’est infligé une petite hernie discale lorsqu’il s’est retrouvé pendu par son bras le 9 avril 2009, hernie dont les examens objectifs et l’imagerie ont effectivement démontré l’existence, et qu’il a donc présenté une radiculopathie traumatique.

[104]     Enfin, et dans une moindre mesure, en raison des résultats des radiographies simples.

[105]     En effet, la radiographie de la colonne cervicale du travailleur réalisée le 7 mai 2009 fait état de foramens qui apparaissent libres, sans autre lésion ostéoarticulaire significative décelée. Quant à la radiographie réalisée le 7 septembre 2010, bien qu’elle démontre une légère discopathie dégénérative au niveau C6-C7, elle ne démontre cependant pas pour autant de sténose foraminale osseuse appréciable.

[106]     Au surplus, force est de constater que la quasi-totalité des très nombreuses lésions dégénératives, décrites à tous les niveaux à l’imagerie par résonance magnétique du 25 juin 2009, ne sont décrites par aucun autre radiologiste ni avant, ni après le 25 juin 2009.

[107]     Considérant ce qui précède, le tribunal considère donc l’opinion du docteur Langlois de faible valeur probante et ne la retient pas puisque l’existence de lésions dégénératives significatives au niveau C6-C7 n'est pas démontrée de manière prépondérante et que la preuve tend à démontrer que ce serait davantage la hernie discale que le travailleur s’est infligé, le 9 avril 2009, qui causerait la sténose foraminale au niveau C6-C7.

[108]     Ceci est suffisant en soi pour écarter l’entièreté de l’opinion du docteur Langlois.

[109]     Cependant, d’autres éléments méritent d’être soulignés.

[110]     D’une part, la littérature médicale qui accompagne son opinion apparaît peu pertinente en l’espèce.

[111]     Ainsi, l’auteur Carette prend comme cas type à la base de son propos le cas d’une femme âgée de 37 ans, symptomatique, sans histoire de traumatisme, et qui ne présente pas de hernie discale cervicale. Ce qui est loin d’être comparable au cas sous étude. Dans l’article de la revue Spine, il y est question de sujets symptomatiques, présentant une radiculopathie causée par une hernie discale, et dont la symptomatologie se serait estompée dans un délai moyen de six mois à la suite d’un traitement conservateur. Cependant, tous les sujets de cette étude ont bénéficié d’infiltrations de cortisone en guise de traitement, contrairement au travailleur, ce qui pourrait possiblement avoir influencé la durée de la symptomatologie.

[112]      D’autre part, le docteur Langlois dans son opinion réfère à l’événement du 9 avril 2009 comme un « incident banal qui se produit régulièrement dans la vie de tous les jours » et qui entraîne rarement une radiculopathie. Avec respect, il s’agit là d’une affirmation étonnante qui ne repose sur aucune preuve de nature statistique ou épidémiologique.

[113]     La preuve démontre plutôt que l’événement du 9 avril 2009 fût suffisamment important pour causer une hernie discale au niveau C6-C7 chez un travailleur asymptomatique jusque là malgré une fracture compressive du corps vertébral de C6 survenue plus de 20 ans auparavant sans lésion dégénérative significative antérieure démontrée. La preuve démontrant que ce serait davantage la hernie discale C6-C7 consécutive à l’événement qui aurait causé la radiculopathie C7 gauche, démontrée par l’investigation clinique et paraclinique, laquelle a persisté par la suite pour la même raison.

[114]     Le tribunal considère donc que l’employeur n'a pas démontré de manière prépondérante que la déficience dont était porteur le travailleur lorsque se manifeste la lésion professionnelle du 9 avril 2009 a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle et/ou sur ses conséquences.

[115]     La Commission des lésions professionnelles juge par conséquent que le travailleur n’était pas handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle et que le coût des prestations doit en être imputé à l'employeur.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la contestation de l'employeur, Domtar inc. (Usine de Windsor);

CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 6 décembre 2011 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le coût des prestations dues en raison de l’accident du travail survenu au travailleur, monsieur Mario Boucher, le 9 avril 2009, doit être imputé à l'employeur.

 

 

 

 

__________________________________

 

Jacques Degré

 

 

Me Marie-Claude Riou

Vaillancourt, Riou et associés

Représentante de la partie requérante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Les pages 40 et 41 du dossier tel que constitué pour l’audience sont les pages 1 et 4 de la pagination originale des notes de l’agent. Selon toute probabilité, les pages manquantes renferment l’analyse de l’agent relativement à l’article 329.

[3]           Clinical practice Cervical radiculopathy, S. Carette et al., New England Journal of Medecine 2005, 353 ; 392-399, July 28 2005; Cervical radiculopathy : a review, John M. Caridi et al., HSS J. October 7(3) ; 265-272; The pathomorphologic changes that accompany the resolution of cervical radiculopathy : a prospective study with repeat magnetic resonance imaging, Bush, Keith et al., Spine, issue : volume 22(2), 15 January 1997, pp 183-186.

[4]           C.S.S.S. Québec-Nord et CSST, C.L.P. 369830-31-0902, 30 juillet 2009, J.-L. Rivard; Bombardier Aéronautique inc., C.L.P. 352775-62-0807, 12 janvier 2010, M. Watkins.

[5]           S.E.P.A.Q. (Division des parcs) et CSST, C.L.P. 243834-01B-0409, 14 janvier 2005, L. Desbois; Groupe Prodem, 2011 QCCLP 743 ; Transport Canpar S.E.C., 2011 QCCLP 1388 .

[6]           Précitée note 1.

[7]           Précitée note 4.

[8]           Hôpital général de Montréal, [1999] C.L.P. 891 .

[9]           Municipalité Petite Rivière St-François et C.S.S.T., [1999] C.L.P. 779 .

AVIS :
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