David et Liard Construction inc. |
2011 QCCLP 1527 |
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[1] Le 6 juillet 2010, la travailleuse, madame Carole David, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision rendue conjointement par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) et la Société de l’assurance automobile du Québec (la S.A.A.Q.) le 2 juin 2010.
[2] Par cette décision, la CSST détermine que la lésion professionnelle dont a été victime madame David le 13 janvier 2004 a entraîné une atteinte permanente à l’intégrité physique de 2,20 % et que cette dernière a droit à une indemnité pour préjudice corporel de 1 514,70 $.
[3] Pour sa part, la S.A.A.Q. réfère madame David à la décision rendue le 13 juillet 2007 statuant sur les séquelles permanentes qui résultent de l’accident d’automobile dont elle a été victime le 2 novembre 2005.
[4] Madame David est présente à l’audience tenue à Joliette le 30 novembre 2010 et elle est représentée. L’employeur, Liard Construction inc., n’est pas représenté à cette audience. La S.A.A.Q. est partie intervenante et, après que madame David ait précisé l’objet de sa contestation, sa représentante a indiqué qu’il n’y avait en conséquence pas lieu pour elle de demeurer présente à l’audience.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] Madame David ne recherche aucune conclusion à l’encontre de la décision de la S.A.A.Q.
[6] De plus, elle convient qu’un travailleur victime d’une lésion professionnelle ne peut pas contester la conclusion de son médecin traitant concernant l’atteinte permanente à l’intégrité physique qui résulte de cette lésion.
[7] Elle soumet cependant, comme moyen préalable, que c’est une irrégularité au niveau de la procédure d’évaluation médicale prévue à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) qui a conduit la CSST à décider comme elle l’a fait, soit que c’est une atteinte permanente à l’intégrité physique de 2,20 % qui résulte de sa lésion professionnelle du 13 janvier 2004 conformément à l’avis émis par son médecin traitant, le docteur Jean-Pierre Boucher.
[8] En application de l’article 377 de la loi, elle demande donc à la Commission des lésions professionnelles de rendre la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu et de déclarer que l’atteinte permanente à l’intégrité physique qui résulte de sa lésion professionnelle est celle déterminée par le médecin à qui il fallait conférer le statut de médecin ayant charge, soit le docteur David Wiltshire.
[9] De manière subsidiaire, elle demande d’annuler la décision du 2 juin 2010 et de renvoyer le dossier à la CSST pour qu’une nouvelle décision soit rendue sur l’atteinte permanente à l’intégrité physique résultant de sa lésion professionnelle, et ce, en conformité avec la procédure d’évaluation médicale prévue par la loi.
LES FAITS SUR LE MOYEN PRÉALABLE
[10] Madame David travaille comme technicienne comptable pour le compte de l’employeur lorsque, le 13 janvier 2004, elle est victime d’un accident du travail lors duquel elle subit une tendinite de l’épaule droite. La CSST conclut à la survenance d’un tel accident en raison d’un poste de travail mal adapté et de la relation causale existante entre ce fait et l’apparition d’une tendinite à l’épaule.
[11] Le premier médecin qui suit l’évolution de la condition médicale de madame David, soit le docteur Serge Brouillet, prescrit des traitements conservateurs et, à la suite d’une résonance magnétique effectuée en septembre 2004, il demande l’opinion d’un orthopédiste, soit le docteur Lawrence Lincoln.
[12] En janvier 2005, le docteur Brouillet ajoute à son diagnostic de tendinite celui de capsulite.
[13] Le docteur Lincoln décide qu’une chirurgie est nécessaire et il effectue celle-ci le 1er mai 2006. Tel qu’il appert de son protocole opératoire, ce médecin procède alors à une bursectomie, à un détachement du ligament coraco-acromial et à une acromioplastie.
[14] Entre-temps, soit le 2 novembre 2005, madame David est victime d’un accident d’automobile lors duquel elle subit une entorse cervicodorsale et une fracture costale.
[15] À la suite de la chirurgie, le docteur Lincoln maintient un diagnostic de tendinite et il prescrit divers traitements. De plus, il prescrit un traitement en clinique de la douleur.
[16] À compter du 19 avril 2007, c’est le docteur Jean-Pierre Boucher qui suit l’évolution de la condition médicale de madame David. Ce médecin conclut aussi à la nécessité d’un traitement en clinique de la douleur et il prescrit de la physiothérapie. De plus, il ajoute au diagnostic de tendinite de l’épaule droite celui de trouble de l’adaptation avec humeur anxio-dépressive et, compte tenu de cette lésion, il dirige madame David vers un psychologue. Également, après qu’il ait pris connaissance du résultat d’une scintigraphie osseuse, il ajoute à ces diagnostics, celui d’algodystrophie réflexe sympathique du membre supérieur droit.
[17] En juillet 2007, le docteur Lincoln pose également le diagnostic d’algodystrophie réflexe sympathique du membre supérieur droit.
[18] Le 19 juillet 2007, la CSST rend une décision par laquelle elle reconnaît que ce dernier diagnostic de même que celui de trouble de l’adaptation sont reliés à l’événement accidentel dont a été victime madame David en janvier 2004.
[19] Postérieurement à cette décision, selon la recommandation du docteur Boucher, madame David continue d’être suivie en clinique de la douleur et par un psychologue.
[20] Le 13 mai 2008, le docteur Boucher émet un rapport final dans lequel il indique que les lésions physiques et la lésion psychique subies par madame David sont consolidées le même jour. Il indique également que ces lésions ont entraîné une atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique de même que des limitations fonctionnelles, mais qu’il ne produira pas le rapport d’évaluation médicale de ces séquelles. Il indique aussi que c’est le docteur David Wiltshire, orthopédiste, qui produira ce rapport d’évaluation en ce qui concerne les séquelles physiques, mais qu’il ne sait cependant pas vers quel psychiatre madame David doit être dirigée pour l’évaluation de ses séquelles psychiques.
[21] Après la production de ce rapport final, madame David continue de voir le docteur Boucher et de recevoir des traitements en clinique de la douleur.
[22] Le 14 août 2008, la CSST informe le docteur Wiltshire qu’il est celui que madame David à choisi à titre de « médecin substitut » chargé de procéder à l’évaluation des séquelles permanentes résultant de ses lésions au membre supérieur droit et elle lui transmet les renseignements nécessaires à cette fin.
[23] Dans le rapport d’évaluation médicale qu’il produit le 3 octobre 2008, le docteur Wiltshire conclut que la lésion subie par madame David à l’épaule droite, avec algodystrophie réflexe sympathique secondaire, justifie l’attribution d’un déficit anatomo-physiologique de 16 %, soit 2 % pour une atteinte des tissus mous du membre supérieur droit avec séquelles fonctionnelles, 3 % pour une limitation de la flexion antérieure, 5 % pour une limitation de l’abduction, 3 % pour une limitation de la rotation externe et 3 % pour une limitation de la rotation interne. Le docteur Wiltshire conclut aussi à la nécessité d’émettre les limitations fonctionnelles suivantes :
Madame David doit utiliser le membre supérieur droit seulement pour assister le membre supérieur gauche. Elle ne doit pas forcer avec le membre supérieur droit. Elle doit éviter de lever, de pousser, de tirer des poids de plus que 5 livres avec le membre supérieur droit. Elle doit éviter de lever le bras droit en plus que 45° en abduction ou élévation. Elle doit éviter d’écrire plus que 5 minutes sans avoir la chance de se reposer la main droite. [sic]
[24] À la suite d’une enquête par filature effectuée à cette même époque, la CSST demande au docteur Pierre Legendre, orthopédiste, d’examiner madame David et de formuler un avis sur la condition actuelle de son membre supérieur droit. Dans l’expertise médicale qu’il produit le 9 janvier 2009, ce médecin conclut que les traitements qui sont encore prodigués en clinique de la douleur ne sont plus nécessaires. Il conclut aussi qu’il ne résulte pas d’atteinte permanente à l’intégrité physique ni de limitations fonctionnelles des lésions physiques subies par madame David.
[25] Le 3 février 2009, la CSST transmet cette expertise médicale au docteur Boucher en invitant ce dernier à produire un rapport médical complémentaire dans lequel il exprime son opinion à l’égard des conclusions qui y sont retenues. Dans le rapport complémentaire qu’il produit le 9 février suivant, le docteur Boucher s’exprime comme suit :
1. Concernant la nature, nécessité et suffisance des Tx je partage l’avis du Dr Legendre. Aucun autre traitement ne s’avère nécessaire si ce n’est Tx de support psychologique à poursuivre dans le cadre d’une réinsertion au travail.
2. Je diffère cependant d’avis concernant l’existence et le pourcentage d’atteinte à l’intégrité physique. Il existe selon moi une séquelle de douleur chronique (# 102383 avec atteinte des tissus mous et atteinte fonctionnelle) au moins 2 % d’atteinte permanente « physique » qui s’ajoute au % « psychologique ».
3. La patiente ne pourra pas, à mon avis, faire de travail répétitif avec le membre supérieur droit, ni manipuler des charges > 2 kg. Elle pourra cependant effectuer tout travail clérical. [sic]
[26] Sur réception de ce rapport médical, la CSST note au dossier que le docteur Boucher est d’accord avec l’opinion du docteur Legendre concernant la suffisance des traitements et qu’elle est donc liée par cette conclusion de ce médecin traitant. Elle note aussi qu’elle retient les conclusions du docteur Boucher en ce qui concerne les limitations fonctionnelles et l’atteinte permanente à l’intégrité physique à reconnaître. Elle note également qu’elle rendra une décision statuant sur cette atteinte permanente seulement lorsque la lésion psychique de madame David sera consolidée.
[27] Précisons à cet égard que, à la suite du rapport final émis par le docteur Boucher en mai 2008, un psychiatre a jugé que madame David souffrait d’une dépression et que des traitements additionnels étaient nécessaires compte tenu de cette pathologie.
[28] Dans un avis émis le 4 décembre 2009 à titre de psychiatre membre du Bureau d’évaluation médicale, la docteure Hélène Fortin a retenu que madame David souffrait effectivement d’une dépression majeure et qu’un plateau thérapeutique n’était pas encore atteint au moment de son examen.
[29] En juin 2010, le psychiatre traitant de madame David a conclu que la lésion psychique de cette travailleuse était consolidée, et ce, avec une atteinte permanente à l’intégrité psychique et des limitations fonctionnelles. Le rapport d’évaluation de ces séquelles produit par ce médecin n’est pas au dossier.
[30] À la suite de cette conclusion, la CSST a donc rendu, conjointement avec la S.A.A.Q., la décision faisant l’objet du présent litige, soit celle par laquelle elle détermine qu’une atteinte permanente à l’intégrité physique de 2,20 % résulte des lésions subies par madame David au membre supérieur droit le 13 janvier 2004.
[31] Elle a ultérieurement rendu une décision statuant sur l’atteinte permanente à l’intégrité psychique résultant de la dépression dont madame David a aussi souffert et une décision déterminant que cette dernière demeure incapable d’exercer un emploi à plein temps.
[32] Lors de l’audience, madame David explique que le docteur Boucher lui a dit qu’il ne faisait pas l’évaluation des séquelles permanentes d’un travailleur victime d’une lésion professionnelle et que c’est pour cette raison qu’elle était dirigée vers le docteur Wiltshire. Il lui a aussi dit que, sur cette question, il s’en remettait aux conclusions de ce médecin.
[33] Madame David explique aussi qu’après qu’il ait pris connaissance de l’expertise médicale du docteur Legendre, le docteur Boucher l’a informée des conclusions retenues par ce médecin, et ce, en exprimant son désaccord avec celles-ci. Il lui a dit qu’il fallait à tout le moins octroyer un déficit anatomo-physiologique de 2 % pour une atteinte des tissus mous du membre supérieur, mais qu’il pouvait difficilement se prononcer plus à fond sur la question puisqu’il n’était pas celui ayant procédé à l’évaluation de sa condition aux fins de se prononcer sur l’existence de séquelles permanentes résultant de sa lésion professionnelle.
[34] Madame David explique aussi que le docteur Boucher ne l’a pas examinée avant de remplir son rapport complémentaire du 9 février 2009.
L’AVIS DES MEMBRES
[35] La membre issue des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous les deux d’avis que le moyen préalable soulevé par madame David concernant l’irrégularité de la procédure d’évaluation médicale ayant conduit à la décision du 2 juin 2010 doit être accueilli.
[36] La membre issue des associations d’employeurs estime que le dossier de madame David aurait dû être soumis au Bureau d’évaluation médicale puisque, dans son rapport complémentaire du 9 février 2009, le docteur Boucher s’est clairement dit en désaccord avec l’opinion du docteur Legendre sur la question des séquelles permanentes résultant des lésions physiques subies par cette travailleuse le 13 janvier 2004.
[37] Pour sa part, le membre issu des associations syndicales estime que le docteur Wiltshire est devenu le médecin ayant charge de madame David en ce qui concerne la détermination des séquelles permanentes résultant de ces lésions et que c’est à ce médecin et non pas au docteur Boucher que la CSST devait demander de commenter l’opinion émise par le docteur Legendre sur ce sujet.
[38] Pour des motifs différents, ils sont tous les deux d’avis que la décision du 2 juin 2010 doit être annulée et que le dossier doit être renvoyé à la CSST pour qu’une nouvelle décision soit rendue en conformité avec la procédure d’évaluation médicale prévue à la loi.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION SUR LE MOYEN PRÉALABLE
[39] La Commission des lésions professionnelles doit décider du bien-fondé de la décision rendue conjointement par la CSST et la S.A.A.Q. le 2 juin 2010 portant sur les séquelles permanentes résultant de la lésion professionnelle subie par madame David le 13 janvier 2004 et de l’accident d’automobile dont a été victime cette dernière le 2 novembre 2005.
[40] C’est en vertu des articles 448, 449 et 450 de la loi qu’une telle décision conjointe est rendue :
448. La personne à qui la Commission verse une indemnité de remplacement du revenu ou une rente pour incapacité totale en vertu d'une loi qu'elle administre et qui réclame, en raison d'un nouvel événement, une telle indemnité ou une telle rente en vertu de la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A-25) ou d'une loi que la Commission administre, autre que celle en vertu de laquelle elle reçoit déjà cette indemnité ou cette rente, n'a pas le droit de cumuler ces deux indemnités pendant une même période.
La Commission continue de verser à cette personne l'indemnité de remplacement du revenu ou la rente pour incapacité totale qu'elle reçoit déjà, s'il y a lieu, en attendant que soient déterminés le droit et le montant des prestations payables en vertu de chacune des lois applicables.
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1985, c. 6, a. 448.
449. La Commission et la Société de l'assurance automobile du Québec prennent entente pour établir un mode de traitement des réclamations faites en vertu de la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A-25) par les personnes visées dans l'article 448.
Cette entente doit permettre de:
1° distinguer le préjudice qui découle du nouvel événement et celui qui est attribuable à la lésion professionnelle, au préjudice subi par le sauveteur au sens de la Loi visant à favoriser le civisme (chapitre C-20) ou à l'acte criminel subi par une victime au sens de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (chapitre I-6), selon le cas;
2° déterminer en conséquence le droit et le montant des prestations payables en vertu de chacune des lois applicables;
3° déterminer les prestations que doit verser chaque organisme et de préciser les cas, les montants et les modalités de remboursement entre eux.
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1985, c. 6, a. 449; 1990, c. 19, a. 11; 1999, c. 40, a. 4.
450. Lorsqu'une personne visée dans l'article 448 réclame une indemnité de remplacement du revenu en vertu de la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A-25), la Commission et la Société de l'assurance automobile du Québec doivent, dans l'application de l'entente visée à l'article 449, rendre conjointement une décision qui distingue le préjudice attribuable à chaque événement et qui détermine en conséquence le droit aux prestations payables en vertu de chacune des lois applicables.
La personne qui se croit lésée par cette décision peut, à son choix, la contester suivant la présente loi, la Loi visant à favoriser le civisme (chapitre C-20) ou la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (chapitre I-6), selon le cas, ou suivant la Loi sur l'assurance automobile.
Le recours formé en vertu de l'une de ces lois empêche le recours en vertu de l'autre et la décision alors rendue lie les deux organismes.
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1985, c. 6, a. 450; 1990, c. 19, a. 11; 1997, c. 27, a. 27; 1999, c. 40, a. 4.
[41] Madame David ne remet pas en cause la partie de cette décision ayant trait aux séquelles permanentes résultant de son accident d’automobile.
[42] Par ailleurs, en ce qui concerne la partie de cette décision par laquelle la CSST détermine qu’elle conserve de ses lésions physiques subies le 13 janvier 2004 une atteinte permanente à l’intégrité physique de 2,20 %, madame David convient que, dans la mesure où il faut retenir que ce pourcentage est celui établi par le docteur Boucher en sa qualité de médecin qui a charge, elle ne peut alors pas remettre en cause la conclusion de ce médecin puisque la procédure d’évaluation médicale prévue à la loi ne lui permet pas de le faire.
[43] Toutefois, à titre de moyen préalable, madame David soumet que c’est le non respect de certaines des dispositions de cette procédure d’évaluation qui a conduit la CSST à conclure comme elle l’a fait, soit qu’elle demeurait avec une telle atteinte permanente conformément à l’avis émis par son médecin traitant. Selon elle, c’est plutôt le docteur Wiltshire qui devait se voir attribuer le statut de médecin ayant charge sur la question des séquelles permanentes résultant de ses lésions au membre supérieur droit, de sorte que c’est à ce médecin que la CSST devait s’adresser pour les fins de l’application de l’article 205.1 de la loi.
[44] La Commission des lésions professionnelles en vient à la conclusion que ce moyen préalable soulevé par madame David doit être accueilli.
[45] Les articles 192 et 199 de la loi consacrent le droit du travailleur de choisir le médecin qui en aura charge à la suite de sa lésion professionnelle :
192. Le travailleur a droit aux soins du professionnel de la santé de son choix.
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1985, c. 6, a. 192.
199. Le médecin qui, le premier, prend charge d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle doit remettre sans délai à celui-ci, sur le formulaire prescrit par la Commission, une attestation comportant le diagnostic et:
1° s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée dans les 14 jours complets suivant la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la date prévisible de consolidation de cette lésion; ou
2° s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée plus de 14 jours complets après la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la période prévisible de consolidation de cette lésion.
Cependant, si le travailleur n'est pas en mesure de choisir le médecin qui, le premier, en prend charge, il peut, aussitôt qu'il est en mesure de le faire, choisir un autre médecin qui en aura charge et qui doit alors, à la demande du travailleur, lui remettre l'attestation prévue par le premier alinéa.
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1985, c. 6, a. 199.
[46] À cette dernière disposition, de même qu’aux articles 200, 201, 202 et 203 de la loi, il est fait état des obligations qui incombent au médecin qui a charge à l’endroit de la CSST. Notamment, en vertu de l’article 203, lorsqu’il juge que la lésion professionnelle du travailleur est consolidée, ce médecin doit produire un rapport final dans lequel il se prononce, le cas échéant, sur le pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique et la nature des limitations fonctionnelles qui résultent de cette lésion :
203. Dans le cas du paragraphe 1° du premier alinéa de l'article 199, si le travailleur a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, et dans le cas du paragraphe 2° du premier alinéa de cet article, le médecin qui a charge du travailleur expédie à la Commission, dès que la lésion professionnelle de celui-ci est consolidée, un rapport final, sur un formulaire qu'elle prescrit à cette fin.
Ce rapport indique notamment la date de consolidation de la lésion et, le cas échéant:
1° le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le barème des indemnités pour préjudice corporel adopté par règlement;
2° la description des limitations fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion;
3° l'aggravation des limitations fonctionnelles antérieures à celles qui résultent de la lésion.
Le médecin qui a charge du travailleur l'informe sans délai du contenu de son rapport.
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1985, c. 6, a. 203; 1999, c. 40, a. 4.
[47] Comme le prévoit l’article 204 de la loi, la CSST peut requérir d’un médecin qu’elle désigne une opinion sur toute question relative à la lésion professionnelle du travailleur. De plus, en vertu de l’article 206, elle peut soumettre le rapport médical de ce médecin désigné au Bureau d’évaluation médicale afin qu’un membre de ce Bureau infirme ou confirme ses conclusions et celles du médecin qui a charge. Ces articles se lisent comme suit :
204. La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion. Le travailleur doit se soumettre à cet examen.
La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article 115.
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1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.
206. La Commission peut soumettre au Bureau d'évaluation médicale le rapport qu'elle a obtenu en vertu de l'article 204, même si ce rapport porte sur l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 sur lequel le médecin qui a charge du travailleur ne s'est pas prononcé.
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1985, c. 6, a. 206; 1992, c. 11, a. 13.
[48] Cependant, comme le prévoit l’article 205.1 de la loi, si la CSST entend requérir l’avis d’un membre du Bureau d’évaluation médicale, elle doit au préalable, et dans la mesure où le rapport médical de son médecin désigné infirme les conclusions du médecin qui a charge quant à l’un ou plusieurs des sujets mentionnés à l’article 212 de la loi, inviter ce dernier médecin à produire un rapport complémentaire dans lequel il étaye ses conclusions. Ces deux articles se lisent comme suit :
205.1. Si le rapport du professionnel de la santé désigné aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.
La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.
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1997, c. 27, a. 3.
212. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants :
1° le diagnostic;
2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;
3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;
4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;
5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.
L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.
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1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.
[49] Si la CSST n’enclenche pas la procédure de contestation de l’opinion du médecin traitant[2] ou encore, si la teneur de l’opinion exprimée par son médecin désigné ou de celle exprimée par le médecin ayant charge dans son rapport complémentaire ne justifient pas requérir l’avis d’un membre du Bureau d’évaluation médicale, ce sont alors les dispositions de l’article 224 de la loi qui trouvent application :
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 .
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1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
[50] De plus, conformément aux dispositions de l’article 358 de la loi, une décision relative à une question d’ordre médical sur laquelle la CSST est liée en vertu de l’article 224 de la loi ne peut pas être contestée :
358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.
Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365.
Une personne ne peut demander la révision de l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l'article 284.2 ni du refus de la Commission de renoncer à un intérêt, une pénalité ou des frais ou d’annuler un intérêt, une pénalité ou des frais en vertu de l’article 323.1.
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1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14; 2006, c. 53, a. 26.
[51] Dans la présente affaire, suivant les critères élaborés par la jurisprudence à cet égard[3], il ne fait nul doute que c’est le docteur Boucher qui, à compter du 19 avril 2007, était le médecin ayant charge de madame David.
[52] Jusqu’à la chirurgie effectuée en mai 2006, c’est le docteur Brouillet qui a suivi l’évolution de la condition médicale de madame David et, après cette chirurgie, c’est le docteur Lincoln qui a assumé cette responsabilité. Cependant, à compter d’avril 2007, c’est le docteur Boucher qui a entrepris de suivre l’évolution de la condition de madame David et qui a continué de le faire de manière régulière jusqu’à ce qu’il en vienne à la conclusion, le 13 mai 2008, que la lésion professionnelle de cette travailleuse était consolidée, et ce, avec atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique de même que des limitations fonctionnelles.
[53] Même si madame David recevait des soins en clinique de la douleur et qu’elle était suivie par un psychologue durant cette période, c’est le docteur Boucher qui est demeuré responsable de l’établissement de l’ensemble du plan de traitement requis pour l’atteinte d’un plateau thérapeutique, et ce, tant en regard de sa condition physique que psychique.
[54] Après le 13 mai 2008, un psychiatre a considéré que la lésion psychique de madame David n’était pas consolidée et c’est lui qui a décidé quels étaient les traitements additionnels dont cette dernière avait besoin. C’est aussi ce psychiatre qui, ultérieurement, s’est prononcé sur les séquelles permanentes résultant de cette lésion psychique.
[55] En ce qui concerne les lésions physiques subies par madame David, c’est toutefois le docteur Boucher qui a continué de suivre l’évolution de la condition médicale de cette dernière après le mois de mai 2008.
[56] De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, le fait que ce soit le docteur Boucher qui ait en dernier lieu agi à titre de médecin traitant et qui ait produit le rapport final du 13 mai 2008 n’implique toutefois pas que ce dernier conservait ce statut aux fins de la détermination des séquelles permanentes résultant des lésions physiques subies par madame David.
[57] En effet, dans ce rapport final, le docteur Boucher indique que ces lésions ont entraîné une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles, sans toutefois préciser quelle est la nature exacte de ces séquelles. De plus, il indique que ce n’est pas lui qui produira le rapport d’évaluation de ces séquelles, mais plutôt le docteur Wiltshire, orthopédiste.
[58] Le docteur Wiltshire a été informé par la CSST le 14 août 2008 qu’il était le « médecin substitut » choisi par madame David pour faire l’évaluation de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles résultant de ses lésions au membre supérieur droit et, tel qu’il appert du rapport d’évaluation médicale produit le 3 octobre 2008, ce médecin s’est acquitté de ce mandat. Le docteur Wiltshire détermine dans ce rapport médical l’atteinte permanente qu’il faut selon lui octroyer comte tenu de la nature des lésions subies par madame David, du résultat de son examen physique et des dispositions pertinentes du Règlement sur le barème des dommages corporels[4]. Il décrit aussi les limitations fonctionnelles qu’il y a lieu d’émettre à son avis.
[59] Or, la jurisprudence du tribunal en la matière est largement majoritaire[5] et il s’en dégage les principes suivants[6].
[60] Lorsque le médecin qui suit le travailleur indique à son rapport final que la lésion professionnelle subie par ce dernier a entraîné une atteinte permanente ou des limitations fonctionnelles tout en précisant qu’il dirige ce travailleur vers un autre médecin pour l’évaluation de ces séquelles, ce médecin évaluateur acquiert alors la qualité de médecin ayant charge en ce qui concerne ces sujets et, à défaut d’être contestées, les conclusions qu’il retient dans son rapport d’évaluation médicale ont un caractère liant en vertu de l’article 224 de la loi. Il en est de même lorsque ce n’est pas le médecin traitant qui identifie celui qui procèdera à l’évaluation des séquelles permanentes, mais plutôt le travailleur qui choisit lui-même son médecin évaluateur.
[61] Le médecin évaluateur à qui est confié la responsabilité d’évaluer l’atteinte permanente ou les limitations fonctionnelles acquiert toutefois la qualité de médecin ayant charge seulement en ce qui concerne ces sujets et il se doit de respecter la limite du mandat qui lui es confié. Il ne peut donc pas à cette occasion, de manière directe ou indirecte, substituer son opinion à celle du premier médecin quant au bien-fondé des autres conclusions médicales retenues par ce dernier, notamment celle ayant trait au diagnostic.
[62] En outre, une divergence d’opinion entre le médecin ayant émis le rapport final et celui ayant produit le rapport d’évaluation médicale quant à l’existence même d’une atteinte permanente ou de limitations fonctionnelles, n’a pas pour effet de d’invalider les conclusions du médecin évaluateur. Celui-ci conserve son statut de médecin ayant charge sur ces questions et ce sont ses conclusions qui prévalent.
[63] Au soutien de cette position, la jurisprudence retient que le seul fait pour le médecin qui émet le rapport final d’indiquer à celui-ci que la lésion professionnelle du travailleur a entraîné une atteinte permanente ou des limitations fonctionnelles, sans préciser quel est le pourcentage de cette atteinte ou sans décrire quelles sont exactement les limitations à émettre, ne satisfait pas aux exigences de l’article 203 de la loi.
[64] Notamment, dans l’affaire Trudel et Transelec/Common inc. et CSST[7], la Commission des lésions professionnelles s’exprime comme suit à ce sujet :
[…]
[44] Or, si c’est le docteur Rehel qui a dirigé le travailleur vers le docteur Nault pour l’évaluation des séquelles de sa lésion professionnelle, ce dernier devenait le médecin ayant charge du travailleur sur ces questions5.
[…]
[47] La procureure du travailleur invoque par ailleurs le fait que le docteur Nault conclut à l’absence de limitations fonctionnelles alors que le docteur Jean avait indiqué qu’il y en avait, ce qui ne peut selon elle être accepté : elle plaide que le docteur Nault était lié par la conclusion du docteur Jean quant à l’existence de limitations fonctionnelles découlant de la lésion professionnelle.
[48] Encore une fois, le tribunal a effectué une revue de la jurisprudence sur cette question. Or, il en ressort de façon majoritaire qu’un seul médecin peut agir au même moment ou sur le même aspect d’un dossier, afin d’éviter une situation où il y aurait production de rapports médicaux contradictoires6. Il en ressort que plusieurs médecins peuvent agir de façon concurrente, mais sur des aspects différents du dossier, et que le médecin ayant charge de façon plus générale du travailleur peut déléguer certains aspects particuliers à d’autres médecins.
[49] Par contre, un médecin vers qui un travailleur est dirigé pour agir sur un ou des sujets précis du dossier ne peut remettre en cause et infirmer des conclusions sur des sujets déjà réglés par le médecin ayant charge du travailleur7. Ainsi, un médecin chargé d’évaluer l’atteinte permanente ne peut par exemple remettre en question le diagnostic ou la date de consolidation de la lésion professionnelle déterminés par le médecin ayant eu charge du travailleur précédemment et s’étant prononcé sur ces questions.
[50] Il importe cependant de préciser qu’il ressort clairement de la jurisprudence que cela ne vaut que si le sujet sur lequel il y a apparente contradiction a été complètement réglé par le premier médecin et respecte ainsi les exigences de l’article 2038. Ainsi, le bref formulaire « Rapport final » ne suffit pas et doit être complété par un rapport d’évaluation médicale, à moins qu’il ne comporte les éléments requis par l’article 203. Ainsi, si le premier médecin n’évalue pas l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles, le second médecin a toute liberté pour les évaluer, incluant pour conclure qu’il n’y en a pas, l’article 203 référant au « pourcentage d’atteinte permanente » et à « la description des limitations fonctionnelles » et non simplement à leur existence. La commissaire Joëlle L’Heureux s’exprimait notamment comme suit sur le sujet dans l’affaire Colgan9 qui a ensuite fait jurisprudence :
[…]
[51] Le tribunal souligne que la pertinence des questions de la CSST quant à l’existence d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles sur le bref rapport final que doit compléter le médecin, bien que ne correspondant pas exactement à ce qui est exigé à l’article 203, s’explique aisément : la réponse à ces questions permet de déterminer si une évaluation exhaustive devra être faite. Advenant une réponse négative, le dossier est en effet fermé. Cette façon de procéder respecte le libellé de l’article 203 selon lequel le médecin indique « le cas échéant […] le pourcentage d’atteinte permanente […] la description des limitations fonctionnelles […] ». Ainsi, si le médecin indique qu’aucune atteinte permanente et aucune limitation fonctionnelle ne résultent de la lésion professionnelle, il n’y a pas lieu d’aller plus loin, les exigences de l’article 203 étant respectées. Dans le cas contraire, il doit y avoir évaluation de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. En fait, un médecin de famille dans le doute et ne connaissant pas bien le barème des atteintes permanentes et les usages en matière de reconnaissance et de rédaction des limitations fonctionnelles n’a qu’à répondre « oui » aux questions de savoir s’il en découle de la lésion professionnelle pour qu’il y ait ensuite évaluation par un médecin plus compétent en la matière. Il apparaît dès lors raisonnable de privilégier l’opinion de ce second médecin lorsque le premier ne s’est pas avancé à évaluer l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles, s’étant limité à indiquer à la CSST qu’il en subsisterait.
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Références omises
[…]
[65] Également, dans l’affaire Blanchet et Aliments Trans Gras inc.[8], la Commission des lésions professionnelles s’exprime comme suit :
[…]
[121] Au surplus, le rapport d'évaluation médicale du docteur Dorion avait préséance sur le rapport final du docteur Benoît qui ne respectait pas les prescriptions de l’article 203 de la Loi puisqu’il ne contenait pas la description des limitations fonctionnelles et de l’atteinte permanente. La jurisprudence a décidé à maintes reprises que les formulaires de la CSST pour les rapports finals ne respectent pas les conditions de l’article 2036.
[122] La jurisprudence a ainsi décidé que lorsqu’il y a contradiction entre le rapport final complété par le médecin traitant et le rapport d’évaluation plus élaboré accompagnant ou complétant ce rapport final, il y a lieu de donner préséance aux conclusions élaborées dans le rapport d'évaluation médicale puisqu’il est celui qui est conforme à l’article 2037.
[123] Le tribunal estime que lorsqu’un médecin qui a charge délègue la préparation du rapport d'évaluation médicale à un autre, c’est donc qu’il accepte que cet autre médecin arrive à ses propres conclusions suite aux examens et aux tests qu’il pratiquera. Il irait contre l’autonomie professionnelle du corps médical que le médecin à qui on délègue la préparation du rapport d'évaluation médicale soit lié ou ait les mains attachées par certaines conclusions retenues par le premier médecin qui a charge sur les sujets qui sont ainsi délégués. Ainsi, lorsque, comme en l’espèce, la préparation du rapport d'évaluation médicale est déléguée, le tribunal estime que le médecin délégué ne peut revenir sur le diagnostic, la nécessité des soins ou la date de consolidation qui ont été établis par le premier médecin traitant. Cependant, même s’il conclut lui-même à la présence d’atteinte permanente ou de limitations fonctionnelles, il s’expose à ce que cette conclusion soit modifiée par le médecin délégué à qui il réfère la préparation du rapport d'évaluation médicale.
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Références omises
[…]
[66] Conformément à ces principes, il faut donc conclure que le docteur Wiltshire a clairement été mandaté pour procéder à l’évaluation de l’atteinte permanente à l’intégrité physique et des limitations fonctionnelles résultant des lésions subies par madame David au membre supérieur droit le 13 janvier 2004 et que, en s’acquittant de ce mandat par la production de son rapport d’évaluation médicale du 3 octobre 2008, il devenait le médecin ayant charge de cette travailleuse sur ces deux sujets médicaux.
[67] Il faut aussi conclure que, dans le contexte de l’application de l’article 205.1 de la loi, c’est le docteur Wiltshire et non le docteur Boucher que la CSST devait inviter à produire un rapport complémentaire dans lequel il étayait ses conclusions concernant les séquelles permanentes de madame David compte tenu de l’opinion émise le 9 février 2009 par le docteur Legendre relativement à l’absence de telles séquelles.
[68] Puisque le docteur Legendre formulait aussi dans son expertise médicale une opinion sur la suffisance des traitements, alors que le docteur Boucher jugeait qu’un suivi en clinique de la douleur devait se poursuivre, la CSST pouvait demander à ce dernier de produire un rapport complémentaire sur ce sujet puisque, à cet égard, il conservait son statut de médecin ayant charge. N’agissant plus à ce titre relativement aux séquelles permanentes, elle ne pouvait cependant pas à cette occasion demander au docteur Boucher de commenter l’opinion exprimée par le docteur Legendre sur ce sujet et, ensuite, se considérer liée par les réponses fournies au rapport complémentaire, dont celle concernant l’existence d’un déficit anatomo-physiologique de 2 %.
[69] La décision de la CSST statuant sur l’atteinte permanente à l’intégrité physique de 2,20 % résultant de la lésion professionnelle subie par madame David le 13 janvier 2004 est donc irrégulière puisque, contrairement à ce que prévoit l’article 224 de la loi, elle est rendue sur la base d’une opinion émise par un médecin qui, sur ce sujet, ne peut être considéré comme étant le médecin qui a charge de cette travailleuse.
[70] Contrairement à ce que demande madame David, la Commission des lésions professionnelles estime cependant qu’il n’y a pas lieu, en application de l’article 377 de la loi, de déclarer que l’atteinte permanente à l’intégrité physique qui résulte de cette lésion professionnelle est celle déterminée par le docteur Wiltshire à titre de médecin qui a charge dans son rapport d’évaluation médicale du 3 octobre 2008.
[71] En effet, dans la mesure où la CSST s’est prévalue de son droit de requérir l’opinion d’un médecin désigné sur des questions relatives à la lésion professionnelle de madame David, dont sur l’existence d’une atteinte permanente à l’intégrité physique, et que, sur ce sujet, cette opinion infirme celle exprimée par le docteur Wiltshire, la Commission des lésions professionnelles estime qu’il est préférable de lui renvoyer le dossier pour qu’elle reprenne, si telle est son intention, le processus de consultation du médecin qui a charge prévu par l’article 205.1 de la loi. De plus, au terme de celui-ci, la CSST pourra peut-être décider qu’il y a lieu de demander l’avis d’un membre du Bureau d’évaluation médicale.
[72] La décision du 2 juin 2010 est donc annulée en raison de son irrégularité et le dossier renvoyé à la CSST pour qu’une nouvelle décision conjointe soit rendue. En ce qui concerne l’atteinte permanente à l’intégrité physique résultant de la lésion professionnelle subie par madame David le 13 janvier 2004, cette décision devra être rendue en conformité avec la procédure d’évaluation médicale prévue à la loi.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE le moyen préalable soulevé par la travailleuse, madame Carole David;
DÉCLARE nulle la décision rendue conjointement par la Commission de la santé et de la sécurité du travail et la Société de l’assurance automobile du Québec le 2 juin 2010 portant sur l’atteinte permanente à l’intégrité physique résultant de la lésion professionnelle subie par madame Carole David le 13 janvier 2004 et les séquelles permanentes résultant de l’accident d’automobile dont cette dernière a été victime le 2 novembre 2005;
RENVOIE le dossier de madame Carole David à la Commission de la santé et de la sécurité du travail pour qu’une nouvelle décision portant sur ces questions soit rendue, et ce, en ce qui concerne la lésion professionnelle, conformément à la procédure d’évaluation médicale prévue par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Ginette Morin |
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Me Maryse Rousseau |
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F.A.T.A. MONTRÉAL |
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Représentante de la partie requérante |
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Me Marilynn Morin |
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DUSSAULT, MAYRAND |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] L. R. Q., c. A-3.001
[2] Cette procédure peut aussi être enclenchée à l’initiative de l’employeur. Cependant, il n’y a pas lieu de faire état des dispositions applicables en pareil cas puisque ce n’est pas cette situation qui est visée par la présente affaire.
[3] Voir notamment : Marceau et Gouttière Rive-Sud Fabrication inc., C.L.P. 91084-62-9709, 22 octobre 1999, H. Marchand.
[4] (1987) 119 G.O. II, 5576
[5] Voir notamment : Landry et Centre d’accueil Émilie Gamelin, [1995] C.A.L.P. 1049 ; Morneau et Maison du soleil levant, C.L.P. 140756-08-0006, 20 mars 2001, R. Savard; Leclair et Ressources Breakwater-Mine Langlois et CSST, C.L.P. 138655-08-0004, 23 juillet 2001, P. Prégent; Fiset et Meunerie Gérard Soucy inc. et CSST, C.L.P. 179708-04B-0202, 10 mai 2002, J.-F. Clément; Di Carlo et Pharmaprix Bureau Central et CSST, C.L.P. 145258-71-0008, 7 juin 2002, L. Crochetière; Blanchet et Aliments Trans Gras inc., C.L.P. 181797-04B-0204, 10 avril 2003, J.-F. Clément; Lauzon et Restaurant Mikes, C.L.P. 187184-71-0207, 14 mai 2003, D. Gruffy; Beauchemin et Hôpital Christ-Roi, C.L.P. 193400-04B-0210, 11 août 2003, D. Lajoie; Giroux et Terminal Maritime Sorel-Tracy et CSST, C.L.P. 237761-31-0406, 18 octobre 2004, M. Beaudoin; Entreprises le Cactus Fleuri inc. et Brodeur, C.L.P. 228129-62B-0402, 26 octobre 2004, A. Vaillancourt; Zalatan et Entreprise de peinture Daniel Olivier, C.L.P.207487-31-0305, 10 novembre 2004, H. Thériault; Trudel et Transelec/Common inc. et CSST, C.L.P. 257302-01B-0502, 24 février 2006, L. Desbois, révision rejetée, 2007 QCCLP 4132 ; Lussier et Maçonnerie Jalbert inc., C.L.P. 249082-64-0411, 5 mai 2006, D. Martin; Gauthier et Groupe Alcan Métal Primaire (Énergie électrique), 2007 QCCLP 3375 ; Bois et Coop Solidarité Services à domicile Avantage, 2007 QCCLP 4610 ; Poirier et Multi-Courrier inc. et CSST, 2008 QCCLP 3908 ; Chrétien et Usinov inc., 2008 QCCLP 6575 ; Gauthier et Restaurant Edwardo inc., 2009 QCCLP 1971; Monnier et Duro vitres d’autos, 2009 QCCLP 4146; Blais et Transport S. Marois inc., 2010 QCCLP 424 ; Cossette et Marché St-Georges et CSST, 2010 QCCLP 562 ; Reid et Wiptec inc., 2010 QCCLP 3996; Houle et Michaud et CSST, 2010 QCCLP 5154 ; Quixada et Produits Intégrés Avior inc. et CSST, 2010 QCCLP 5175; Marché A. Desrochers inc. et Gagnon, 2010 QCCLP 6509 .
[6] Dans une décision rendue en 2004, la Cour d’appel préconise une autre approche, mais sauf exception, la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles n’a pas suivi celle-ci : Lapointe c. Commission des lésions professionnelles, C.A. Montréal, 500-09-013413-034, 19 mars 2004, jj. Forget, Dalphond, Rayle.
[7] Précitée, note 5.
[8] Précitée, note 5.
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