______________________________________________________________________
______________________________________________________________________
[1] Le 15 juillet 2005, monsieur Réjean Montmagny, le travailleur, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 29 juin 2005 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 10 février 2005 et déclare que le travailleur n’a pas droit au remboursement des frais de déneigement de l’entrée de son domicile pour la saison hivernale 2004-2005.
[3] Une audience est tenue à Gaspé le 22 mars 2006 en présence du travailleur. L’employeur est quant à lui absent.
[4] Le tribunal a autorisé le dépôt de documents après l’audience lesquels ont été reçus par le commissaire soussigné le 4 avril 2006. C’est à cette date que le dossier a été pris en délibéré.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a droit au remboursement des frais de déneigement de l’entrée de sa maison pour l’hiver 2004-2005.
L’AVIS DES MEMBRES
[6] Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs partagent le même avis. Pendant l’hiver 2004-2005, l’épaule du travailleur était amochée et il ne pouvait pelleter ou passer la souffleuse, ce qu’il faisait lui-même auparavant. Il a subi une chirurgie cet hiver là et une atteinte permanente grave était alors prévisible. Le tribunal n’est pas saisi des frais de déneigement pour les hivers subséquents et il est possible qu’une nouvelle chirurgie puisse améliorer l’état du travailleur et changer les choses.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] Le 16 septembre 2003, le travailleur subit une lésion professionnelle alors qu’il se rend chercher des matériaux à l’aéroport de Gaspé avec un collègue de travail. À un certain moment, une voiture bifurque et coupe le chemin au travailleur entraînant une collision. Une lésion à l’épaule gauche est aussitôt notée.
[8] Le lendemain de l’accident, une radiographie est interprétée par le radiologiste Gabriel Szabo comme démontrant une sous-luxation fixe acromio-claviculaire gauche avec déplacement. Ce même radiologiste interprète une tomodensitométrie cervicale et note une sous-luxation facettaire latérale droite à C1-C2. Une avulsion est aussi notée à C5-C6 ce qui pourrait correspondre à un aspect traumatique récent selon le radiologiste.
[9] Le 8 janvier 2004, le docteur France-Laurent Forest examine le travailleur et produit un rapport d'évaluation médicale. Les mouvements de l’épaule gauche sont limités. Il émet les limitations fonctionnelles suivantes :
« Monsieur Montmagny devra éviter les gestes répétitifs avec les mains et avant-bras plus haut que la région mid-thoracique. (côté gauche)
De plus, pour les prochains six mois, il devra éviter de manipuler plus de 10 kg avec le membre supérieur gauche. »
[10] Le déficit anatomo-physiologique attribué est de 7%. Compte tenu de cette atteinte permanente et des symptômes encore présents, le travailleur est référé en orthopédie pour une opinion finale afin de savoir si une approche additionnelle serait nécessaire.
[11] Le 5 mai 2004, la CSST reconnaît une récidive, rechute ou aggravation en lien avec l’événement initial. La luxation est rendue au stade III et il est question d’instabilité. Une chirurgie est prévue.
[12] Le 13 janvier 2005, le travailleur subit une chirurgie, soit une réparation de l’articulation acromio-claviculaire gauche. Il est hospitalisé jusqu’au 17 janvier 2005. Les suites opératoires sont favorables.
[13] Le 1er février 2005, des traitements de physiothérapie débutent en lien avec la condition de l’épaule gauche du travailleur.
[14] Le 24 février 2005, le docteur Forest note une ankylose sévère et des limitations importantes au niveau de l’épaule gauche.
[15] Le 20 juin 2005, le docteur Gabriel Jean, orthopédiste, indique qu’à la suite de la chirurgie du 3 janvier 2005, l’état du travailleur nécessite l’aide d’un homme d’entretien pour sa maison, notamment pour le déneigement.
[16] Le premier témoin entendu à l’audience est le travailleur. À l’hiver 2004-2005, son spécialiste traitant, le docteur Jean, lui avait prescrit de la physiothérapie et lui avait interdit de déneiger son entrée même à l’aide d’une souffleuse. En plus de la chirurgie subie le 13 janvier 2005, il a subi une autre chirurgie par la suite et doit en subir une troisième deux semaines après l’audience.
[17] Avant sa lésion du 16 septembre 2003, il déneigeait lui-même son entrée à l'aide d’une souffleuse et d’une pelle pour les endroits où la souffleuse ne se rend pas, soit les balcons, le devant de la porte de garage et l’entrée de la porte de la cave. Il lui fallait environ 2 heures à 2 h 30 pour passer la souffleuse et environ 1 heure pour pelleter.
[18] Il a donc confié le déneigement de sa propriété à un entrepreneur pour l’hiver 2004-2005 tel que le démontre la pièce T-1. Il lui en a coûté 517.61$, taxes incluses.
[19] À l’hiver 2005-2006, comme la CSST lui avait refusé le remboursement l’hiver précédent, il n’a pas donné de contrat et personne n’a déneigé son entrée. Son épouse et un de ses enfants ont pelleté le minimum qu’il fallait pour dégager un sentier permettant d’accéder à la maison.
[20] À l’hiver 2003-2004, il a fait lui-même le déneigement jusqu’en janvier 2004 alors qu’il s’est concentré au déneigement d’une petite entrée. Il n’a jamais pu pelleter ou utiliser sa souffleuse depuis.
[21] Monsieur Michel Bujold témoigne ensuite. Il est un ami du travailleur depuis une trentaine d’années et demeure à 3 ou 4 kilomètres de chez lui. Il se sert du garage du travailleur pour réparer son propre véhicule et effectuer des changements d’huile. Il témoigne à l’effet que le travailleur passait la souffleuse lui-même avant la survenance de son accident du travail. Son jeune fils l’aidait en pelletant. Il confirme aussi qu’un entrepreneur a effectué le déneigement à l’hiver 2004-2005 puis qu’aucun déneigement n’a été effectué à l’hiver 2005-2006.
[22] La conjointe du travailleur pelletait régulièrement même avant l’accident du travail.
[23] Le travailleur témoigne à nouveau. Sa souffleuse est de modèle Arian 12 forces. Elle a une largeur d’environ 30 pouces. Bien qu’elle soit autopropulsée, elle doit être poussée dans les côtes. Or, l’entrée du travailleur n’est pas au niveau et il doit pousser sa souffleuse bien qu’elle soit autopropulsée.
[24] À partir de cette preuve, la Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a droit au remboursement des frais de déneigement pour l’hiver 2004-2005.
[25] L’article 145 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) prévoit ce qui suit :
145. Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 145.
[26] Même si aucune décision d’admission en réadaptation à proprement parler n’a été rendue, il n’en reste pas moins que la lésion initiale a laissé une atteinte permanente à l’intégrité physique du travailleur.
[27] Le but de la réadaptation sociale est énoncé à l’article 151 de la loi :
151. La réadaptation sociale a pour but d'aider le travailleur à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s'adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l'accomplissement de ses activités habituelles.
__________
1985, c. 6, a. 151.
[28] Les travaux de déneigement constituent quant à eux des travaux d’entretien courant du domicile prévus à l’article 165 de la loi :
165. Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.
__________
1985, c. 6, a. 165.
[29] La loi ne précise pas le sens qui doit être donné à l’expression « entretien courant » mais il faut comprendre qu’il s’agit des travaux d’entretien habituel et ordinaire du domicile ce que constitue certainement le déneigement[2].
[30] Quant à la question de l’atteinte permanente grave, le tribunal constate que la lésion initiale a laissé le travailleur porteur d’une atteinte de 7.95% ce qui, en-soi, n’est pas rien. Toutefois, la jurisprudence a mentionné qu’on ne devait pas s’attarder seulement au pourcentage du déficit anatomo-physiologique et qu’il fallait analyser le caractère grave d’une atteinte permanente à l’intégrité physique en tenant compte de la capacité résiduelle du travailleur à exercer des activités visées à l’article 165 de la loi[3].
[31] Or, à l’hiver 2004-2005, le travailleur devait éviter des gestes répétitifs avec les mains et avant-bras plus haut que la région mid-thoracique, du côté gauche. Ces limitations sont certainement incompatibles avec le fait de pelleter ou de pousser une souffleuse dans une entrée qui n’est pas à niveau.
[32] Il est vrai que ce n’est pas nécessairement toujours le travailleur qui pelletait son entrée mais il le faisait lui-même régulièrement selon son témoignage non contredit à l’audience.
[33] Quant à la souffleuse, c’est toujours lui qui la passait et il s’agit là de la partie la plus importante du déneigement effectué chez le travailleur.
[34] On peut donc conclure à la présence d’une atteinte permanente grave puisque le travailleur n’a pas la capacité résiduelle d’exercer certaines activités visées par l’article 165, notamment le déneigement à l’aide d’une pelle ou d’une souffleuse.
[35] Au surplus, le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation en mai 2004 suivie de 2 chirurgies et d’une troisième qui était éminente lors de l’audience. En conséquence, bien que l’atteinte permanente de la lésion du 5 mai 2004 n’était pas établie à l’hiver 2004-2005, il était néanmoins prévisible qu’une telle attente permanente augmente et que de nouvelles limitations fonctionnelles soient établies.
[36] D’ailleurs, l’étude du Règlement sur le barème des dommages corporels[4] (barème) prévoit des déficits anatomo-physiologiques additionnels lorsqu’une chirurgie survient à une épaule. Il est donc certain qu’une atteinte permanente additionnelle sera accordée au travailleur et le tribunal estime qu’il est probable que des limitations fonctionnelles additionnelles s’ajouteront vu la sévérité de la condition.
[37] Or, même si une telle atteinte et de telles limitations fonctionnelles n’étaient toujours pas traduites sur papier à l’hiver 2004-2005, il était alors médicalement possible de prévoir que de telles séquelles seraient accordées ultérieurement. Ainsi, le droit à la réadaptation physique, sociale ou professionnelle d’un travailleur s’ouvre à la date où il est médicalement possible de préciser, en tout ou en partie, l’atteinte permanente résultant de la lésion professionnelle et ce, indépendamment de la consolidation de la lésion[5].
[38] Le cas sous étude a la particularité que la lésion professionnelle initiale avait été suivie d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles décrites dans le rapport d’évaluation médicale du 15 janvier 2004 du docteur Forest.
[39] À l’hiver 2004-2005, le travailleur était indemnisé pour une récidive, rechute ou aggravation subie le 5 mai 2004 et pour laquelle une première chirurgie a eu lieu le 13 janvier 2005. Il était donc à cette époque porteur de séquelles permanentes d’une première lésion et en phase de consolidation d’une deuxième visant le même site anatomique. On peut donc dire qu’à cette époque le travailleur était porteur d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles auxquelles allaient s’ajouter une nouvelle atteinte permanente et de nouvelles limitations fonctionnelles. Ainsi, autant la lésion initiale que la lésion en cours lors de la demande de remboursement pour les travaux de déneigement peuvent être pris en compte pour établir la présence d’une atteinte permanente grave.
[40] La preuve démontre de plus que le travailleur est incapable d’effectuer des travaux de déneigement lui-même. C’est l’avis de son spécialiste qui n’a pas été contredit par aucune autre preuve. Comme il y a incompatibilité avec les limitations fonctionnelles, il s’agit d’un motif additionnel pour arriver à cette conclusion.
[41] Mais il y a plus. À l’hiver 2004-2005, le travailleur était victime, comme le tribunal l’a déjà dit, d’une nouvelle récidive, rechute ou aggravation pour laquelle une chirurgie est survenue en janvier 2005. Il est donc évident que le travailleur était incapable de passer la souffleuse ou de pelleter son entrée alors qu’il était à compter de janvier 2005 en voie de récupérer de sa chirurgie et qu’il devait maintenir son bras gauche immobile sur l’ordre de son médecin qui a charge.
[42] Encore là, même si le travailleur était en période de consolidation et que la jurisprudence reconnaît que l’article 165 ne s’applique qu’en phase de réadaptation, soit après une telle consolidation, les faits particuliers de ce dossier permettent de tenir compte de cette incapacité.
[43] En effet, comme la lésion initiale survenue le 16 septembre 2003 a laissé elle-même une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles, il est permis de considérer que le travailleur se trouvait autant en phase de réadaptation à l’époque pertinente qu’en phase de consolidation lui permettant ainsi de bénéficier des dispositions de l’article 165 de la loi.
[44] En pareil cas, le tribunal ne voit pas pourquoi il ne pourrait pas tenir compte des effets de la lésion non consolidée en cours pour juger de la capacité ou non du travailleur d’effectuer les travaux d’entretien courant de son domicile.
[45] En février 2005, le docteur Forest mentionne d’ailleurs qu’à la suite de la chirurgie faite le 13 janvier, le travailleur est aux prises avec une ankylose sévère et des limitations importantes de son épaule gauche. Comment penser qu’il aurait pu déneiger son entrée alors qu’il était dans un pareil état ?
[46] La preuve démontre également que c’est le travailleur qui effectuerait lui-même le déneigement à l’aide d’une souffleuse n’eût été de sa lésion professionnelle initiale. Les deux témoins entendus par le tribunal confirment ces faits.
[47] Quant au pelletage, il est vrai que le travailleur était souvent aidé de sa conjointe ou de son fils dans cette tâche auparavant. Toutefois, il s’agit là d’une partie accessoire de l’ensemble du déneigement et de toute façon, les frais de déneigement encourus à l’hiver 2004-2005 au montant de 450$ avant taxes ne couvraient certainement pas le pelletage des balcons, de l’entrée de la cave et de la porte de garage.
[48] La coutume et l’usage veulent que les contrats de déneigement comportent normalement la seule utilisation d’une charrue, d’une souffleuse ou d’une chargeuse et aucunement le pelletage des lieux non accessibles avec la machinerie. De toute façon, même si la facture déposée sous la cote T-1 incluait le déneigement à la pelle, il ne s’agit là que d’un accessoire concernant une faible superficie par rapport à l’entrée elle-même.
[49] La jurisprudence a de plus mentionné que rien dans la loi ou la jurisprudence ne permet de présumer de l’aide perpétuelle d’un conjoint ou d’un parent[6].
[50] Ainsi, la disponibilité d’un conjoint ou d’un parent pour effectuer le déneigement n’affecte pas les droits du travailleur et décider autrement porterait préjudice au travailleur qui reçoit l’aide d’un proche comparativement à celui qui n’en reçoit pas[7].
[51] La preuve a également démontré que le travailleur a bel et bien payé 517.61$ pour du déneigement de sorte que les sommes ont réellement été engagées. Le travailleur peut donc en réclamer le remboursement.
[52] Le tribunal croit donc que toutes les conditions prévues par la loi sont remplies par le travailleur de sorte qu’il a droit au remboursement des frais réclamés.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de Réjean Montmagny, le travailleur;
INFIRME la décision rendue par la CSST le 29 juin 2005 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur a droit au remboursement des frais de déneigement pour l’hiver 2004-2005, soit la somme de 517.61$.
|
|
|
Me Jean-François Clément |
|
Commissaire |
[1] L.R.Q., c. A-3001
[2] Lévesque et Mines Northgate inc. [1990] C.A.L.P. 683 ; Bacon et Général Motors du Canada ltée [2004] C.L.P. 941 ; Joly et Hydro-Québec, 121158-62B-9908, 31 mai 2000, D. Lampron.
[3] Cyr et Thibault & Brunelle, 165507-71-0107, 25 février 2002, L. Couture; Boileau et les Centres Jeunesse de Montréal, 103621-71-9807, 1er février 1999, Anne Vaillancourt.
[4] (1987) 119 G.O. II, 5576
[5] Brouty et Voyages Simone Brouty, 120748-31-9907, 15 juin 2000. P. Simard; Provigo Distribution inc. [2000] C.L.P. 456 .
[6] Gauthier et Agence de sécurité de Montréal ltée, 63709-60-9410, 13 février 1996, P. Capriolo; Favre et Temabex inc., 131104-08-9911, 19 juillet 2000, P. Prégent.
[7] Gauthier et Construction Gilbert enr., 163986-01A-0106, 15 août 2003, D. Sams.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.