Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Laval

2 juin 2005

 

Région :

Montréal

 

Dossiers :

147844-72-0010-R2           148807-72-0010-R2           183172-72-0204-R2

 

Dossier CSST :

111351946

 

Commissaire :

Me Lucie Nadeau

 

Membres :

Raynald Asselin, associations d’employeurs

 

Robert Côté, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Canadien Pacifique

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Leonardo Scalia

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 11 février 2005, la compagnie Canadien Pacifique (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision d’une décision rendue le 20 décembre 2004 par la Commission des lésions professionnelles et qu’elle a reçue le 4 janvier 2005.

[2]                Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles accueille en partie la requête en révision de monsieur Leonardo Scalia (le travailleur) et elle révise la décision rendue le 8 septembre 2003 en ce qui concerne l’atteinte permanente additionnelle résultant de la récidive, rechute ou aggravation du 13 août 1999. Elle déclare que ce pourcentage additionnel est de 15,6 % et que ce pourcentage s’ajoute à celui déjà accordé par le Dr Lachapelle lors de son évaluation du 31 janvier 2000.

[3]                L’audience sur la présente requête s’est tenue à Montréal le 4 mai 2005 en présence des parties et de leurs procureurs.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]                L’employeur demande de réviser la décision rendue le 20 décembre 2004 par la Commission des lésions professionnelles et de déclarer que le travailleur conserve une atteinte permanente additionnelle à son intégrité physique uniquement de 5,75 %.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]                Les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales sont d’avis de rejeter la requête en révision de l’employeur. Il n’a pas démontré que la décision visée par la requête est entachée d’un vice de fond, et plus particulièrement, d’une erreur de compétence.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[6]                La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a lieu de réviser la décision rendue le 20 décembre 2004.

[7]                Le pouvoir de révision est prévu à l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) :

429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:

 

1°   lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2°   lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3°   lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[8]                Dans sa requête, l’employeur allègue que la décision du 20 décembre 2004 est entachée d’un vice de fond au sens du 3e paragraphe de l’article 429.56 de la loi.  La notion de «vice de fond (...) de nature à invalider la décision» a été interprétée comme signifiant une erreur manifeste, de droit ou de faits, ayant un effet déterminant sur l’issue de la contestation[2]

[9]                À l’audience, il soumet cependant que la Commission des lésions professionnelles doit appliquer le critère de l’erreur simple dans le présent dossier au motif qu’il s’agit d’une requête en révision d’une décision rendue en révision. Il invoque l’arrêt de la Cour d’appel dans Bourassa c. CLP[3]plus particulièrement les paragraphes 18 et 19. En plus de cet extrait, voici les passages pertinents de ce jugement :

            [18] Compte tenu des dispositions législatives applicables en l’espèce, de même que de la nature du problème soulevé devant la CLP, nous sommes d’avis que la décision majoritaire de notre cour dans Tribunal administratif du Québec c. Godin2doit être suivie et que la norme de contrôle qui doit être retenue est celle de la décision raisonnable simpliciter.

 

            [19] En examinant la décision de la CLP à la lumière de cette norme, nous concluons que la décision de la CLP doit être révisée. En effet, la CLP a commis une erreur manifeste dans l'application et l'évaluation de la disposition législative lui permettant de réviser la décision initiale pour une erreur de fond de nature à invalider cette décision.

 

            [20] La notion de vice de fond peut englober une pluralité de situations. Dans Épiciers unis Métro-Richelieu inc. c. Régie des alcools, des courses et des jeux3, le juge Rothman décrit ainsi un vice de fond de nature à invalider une décision :

 

The Act does not define the meaning of the terme ‘’vice de fond’’ used in section 37. The English version of section 37 uses the expression ‘’substantive... defect’’. In context, I believe that the defect, to constitute a ‘’vice de fond’’, must be more than merely ‘’substantive’’. It must be serious and fundamental. This interpretation is supported by the requirement that the ‘’vice de fond’’ must be ‘’de nature à invalider la décision’’. A mere substantive or procedural defect in a previous decision by the Régie would not, in my view, be sufficient to justify review under section 37. A simple error of fact or of law is not necessarily a ‘’vice de fond’’. The defect, to justify review, must be sufficiently fundamental and serious to be of a nature to invalidate the decision.

 

               [21] La notion est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d’une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.

 

____________

2 C.A. Montréal 500-09-009744-004, le 18 août 2003 ( J.E. 2003-1695 )

3 [1996] .R.J.Q. 608 (C.A.), 613-614

 

 

[10]           La soussignée ne peut faire droit à la prétention de l’employeur. La Cour d’appel dans cette affaire, plus particulièrement au paragraphe 18, traite de la norme de contrôle applicable lorsque les tribunaux de droit commun sont appelés à réviser, dans le cadre d’une requête en révision judiciaire en vertu de l’article 846 du Code de procédure civile, les décisions rendues en révision par la Commission des lésions professionnelles en vertu de l’article 429.56 de la loi. Elle retient la norme du «raisonnable simpliciter». C’est ce que la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision a rappelé récemment dans l’affaire Jacques et Procureur général du Québec[4].

[11]           Puis la Cour d’appel rappelle qu’en vertu de l’article 429.56 de la loi, la notion de vice de fond correspond à une erreur manifeste, de droit ou de faits, qui est déterminante sur l’issue du litige. Lorsque la Commission des lésions professionnelles doit décider s’il y a ouverture en révision en raison d’un vice de fond de nature à invalider la décision, c’est le critère de l’erreur manifeste et déterminante qui s’applique.

[12]           Rien dans les propos de la Cour d’appel ne soutient la distinction soumise par l’employeur découlant du fait qu’il s’agisse ici d’une seconde requête en révision. Cette requête est toujours soumise en vertu de la même disposition, l’article 429.56 de la loi. Pour avoir gain de cause, l’employeur doit démontrer qu’il existe une nouvelle cause de révision en rapport avec la décision rendue en révision.

[13]           La Commission des lésions professionnelles en révision doit donc se demander si la décision du 20 décembre 2004 comporte un vice de fond soit une erreur manifeste et déterminante.

[14]           Avant d’analyser les erreurs alléguées par l’employeur, une brève mise en contexte doit être faite. La preuve documentaire est très volumineuse. Rappelons uniquement les faits nécessaires à la compréhension du litige.

[15]           Le 7 mai 1996, le travailleur a subi un grave accident du travail dont les conséquences sont ainsi résumées dans la décision contestée :

[19]      En date du 7 mai 1996, le travailleur est victime d’un grave accident du travail qui lui occasionne une fracture par éclatement de L1 avec une atteinte de la queue de cheval.  Une chirurgie de décompression de la fracture de L1 avec fusion de T12 à L2 est pratiquée dans les jours suivants. L’atteinte de la queue de cheval se caractérise, entre autres, par une vessie neurogène, un intestin neurogène et une atteinte de la fonction sexuelle. La lésion est consolidée le 11 novembre 1998 et entraîne une atteinte permanente à l’intégrité physique du travailleur évaluée à plus de 100% par les différents spécialistes concernés.

 

 

[16]           Les contestations initiales des deux parties visaient plusieurs objets de litige : l’admissibilité d’une récidive, rechute ou aggravation d’ordre psychique survenue le 2 février 2000, les conclusions médicales relatives à la récidive, rechute ou aggravation survenue le 13 août 1999 sur le plan physique, le remboursement de frais relatifs à des travaux d’entretien du domicile, la capacité de travail du travailleur. Une première décision disposant de ces contestations a été rendue par la Commission des lésions professionnelles le 8 septembre 2003 (ci-après appelée «le premier commissaire»).

[17]           Le travailleur a présenté une requête en révision à l’encontre de cette décision alléguant qu’elle comportait deux vices de fond, l’un concernant l’irrecevabilité de la réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation sur le plan psychologique et l’autre concernant l’évaluation du pourcentage d’atteinte permanente résultant de la récidive, rechute ou aggravation du 13 août 1999.

[18]           Le 20 décembre 2004, la Commission des lésions professionnelles (ci-après appelée «la seconde commissaire») a accueilli partiellement cette requête en révision au motif que le premier commissaire avait commis une erreur manifeste et déterminante en entérinant une évaluation non conforme au Règlement sur le barème des dommages corporels[5] (le barème). C’est la décision visée par la présente requête.

[19]           La présente requête concerne donc uniquement le pourcentage d’atteinte permanente supplémentaire à l’intégrité physique découlant de la rechute d’août 1999 (conclusion du dossier numéro 148807-72-0010). L’employeur fait valoir que la seconde commissaire a commis une erreur de compétence en se prononçant sur une question qui ne faisait pas l’objet du litige lors de l’audition tenue devant le premier commissaire, ce qui constitue un vice de fond.

[20]           Les faits pertinents concernant l’évaluation des séquelles résultant de la récidive, rechute ou aggravation du 13 août 1999 sont les suivants. L’évaluation des séquelles a fait l’objet d’un avis du Bureau d’évaluation médicale, avis émis par le Dr Hany Daoud, orthopédiste, le 24 janvier 2000. Le Dr Daoud conclut à une augmentation du déficit anatomo-physiologique de 5 % pour une fracture du corps vertébral de L1 avec instabilité. Les séquelles antérieures étaient de 16 % alors que les séquelles actuelles sont de 21 %. Les séquelles supplémentaires sont accordées pour une perte d’amplitude en rotation droite et gauche, pour une atrophie du mollet et pour une atteinte sensitive de S1.

[21]           Le 31 janvier 2000, le travailleur est évalué par le Dr Jacques Lachapelle, neurologue. Le travailleur produira également au dossier une expertise médicale du Dr Marc Filiatrault, physiatre, effectuée le 21 avril 2001. La seconde commissaire résume ainsi ces deux évaluations :

[22]      L’évaluation du docteur Lachapelle est complémentaire à celle du docteur Daoud en ce qu’elle évalue l’atteinte de la queue de cheval du point de vue neurologique. Il y a lieu de citer l’extrait suivant de son rapport qui se rapporte plus particulièrement à ce syndrome :

 

« […]

 

Il persiste jusqu’à maintenant un syndrome de la queue-de-cheval avec douleurs anales en partie secondaires à la dénervation du sphincter, une difficulté au contrôle du sphincter vésical, une perte de l’érection en partie secondaire à une maladie personnelle (maladie de Peyronie du pénis), une atrophie des muscles intrinsèques du pied droit et du jumeau droit, une faiblesse des mouvements des orteils à droite et un déficit sensitif en selle plus important à droite et s’étendant de S5 à S2 à gauche et de S5 à S1 à droite. L’examen permet d’infirmer l’hypothèse d’une atteinte médullaire que soulevait le docteur Tremblay dans son évaluation orthopédique en décrivant une hyperréflexie des réflexes achilléens. »

 

[23]      Le docteur Lachapelle établit le bilan suivant des séquelles en ce qui concerne les lésions neurologiques :

 

« […]

 

Bilan des séquelles neurologiques antérieures :

 

·         Code 211 167, atteinte médullaire de classe I :  5%

 

Bilan des séquelles actuelles :

 

·         Aucun DAP n’est accordé pour le traumatisme crânien sans commotion cérébrale.

 

·         Atteinte motrice de classe II de la racine S1 droite, code 111 738 :  3%

 

·         Je n’ai pas retrouvé dans les tables les codes d’évaluation des séquelles sensitives des dermatomes sacrés mais je crois qu’un DAP de 5% serait juste et raisonnable. »

 

[24]      Le travailleur est également évalué à sa demande par le docteur Marc Filiatrault, physiatre, en date du 26 avril 2001. À l’examen, le docteur Filiatrault note lui aussi une atteinte multi-étagée des racines sacrées de S1 à S5 du côté droit et de S2 à S5 du côté gauche. Il diffère cependant d’opinion avec le docteur Lachapelle en ce qui concerne l’évaluation de ces séquelles. Il fait les commentaires suivants à l’égard de l’évaluation du docteur Lachapelle :

 

« […]

 

Le patient, durant la même période, est évalué par Dr Lachapelle, neurologue, pour évaluer les séquelles de l’atteinte de la queue de cheval. Il met dans les séquelles antérieures le code pour atteinte médullaire classe I déjà émis par les docteurs Tremblay et Godin, orthopédistes, mais précise à juste titre dans les séquelles actuelles qu’il s’agit plutôt d’une atteinte multi-étagée des racines sacrées de S2 à S5 et non pas d’une atteinte de la moelle.

 

Il accorde un DAP de 3% pour atteinte motrice de la racine S1 droite classe II (code 111738). Il ne parle pas de l’atteinte sensitive de S1 classe II (DAP de 1%) mais cela avait déjà été noté dans l’évaluation du docteur Daoud au Bureau d’évaluation médicale.

 

Pour ce qui est des séquelles de S2 à S5, il ajoute que le code n’existe pas dans les tables d’évaluation du barème. Il accorde par analogie avec le pourcentage de la racine S1 un DAP de 4% (1% par racine) pour atteinte des différentes racines de S2 à S5. Cette analogie m’apparaît très juste et adéquate. Il aurait dû cependant émettre un DAP de 4% pour les racines S2 à S5 droites et un DAP de 4% supplémentaire pour les racines S2 à S5 gauches pour être en accord avec l’état de M. Scalia et son examen physique, où il décrit une diminution de sensibilité dans le territoire S2 à S5 gauche et S1 à S5 droit. Effectivement, si un patient a une atteinte S1 droite et gauche, on lui accorde généralement un DAP à la fois pour la racine S1 droite et un autre pour la racine S1 gauche.

 

[…] »

 

[25]      Dans ses conclusions sur les séquelles permanentes, le docteur Filiatrault écrit :

 

« […]

 

Du point de vue neurologique, Dr Lachapelle, lors de son évaluation, note à son examen physique, une atteinte des racines sacrées de S2 à S5 tant à gauche qu’à droite. Il faut noter d’ailleurs que ces anomalies ont été prouvées par des EMG faits antérieurement. Par analogie avec l’atteinte sensitive de la racine S1, il émet un DAP de 4% (1% par racine) pour l’atteinte sensitive classe II des racines S2 à S5. On aurait dû émettre un DAP de 4% pour les racines S2 à S5 droites et un DAP également de 4% pour les racines S2 à S5 gauches. Finalement, considérant la bilatéralité, on aurait dû également émettre un DAP de 4% supplémentaire pour être conforme avec la règle particulière no 6 que l’on retrouve au début du chapitre 4 sur le système nerveux périphérique dans le Règlement annoté sur le barème des dommages corporels. Naturellement, l’atteinte de la racine sensitive S1 avec classe II donne un DAP de 1% supplémentaire.

 

[…] »

 

[26]      C’est uniquement cet écart de 8% au niveau de l’évaluation du déficit anatomo-physiologique, se rapportant aux séquelles neurologiques de l'atteinte de la queue de cheval, qui faisait l’objet du litige devant la Commission des lésions professionnelles en ce qui concerne la question de l’atteinte permanente découlant de la récidive, rechute ou aggravation du 13 août 1999. Dans le cadre de sa contestation concernant les conclusions du Bureau d’évaluation médicale, le travailleur demandait à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître ce pourcentage additionnel de 8% conformément à l’évaluation du docteur Filiatrault. Mentionnons que l’évaluation du docteur Lachapelle, postérieure à celle du Bureau d’évaluation médicale, a été acceptée par la CSST et que le pourcentage additionnel de 8% suggéré par le docteur Filiatrault tient compte de cette évaluation.

 

 

[22]           La seconde commissaire conclut que le premier commissaire a commis une erreur manifeste et déterminante dans l’évaluation du pourcentage additionnel découlant de la récidive, rechute ou aggravation du 13 août 1999. Le premier commissaire avait retenu l’évaluation du Dr Lachapelle. Après avoir rappelé les règles de droit applicables (art. 84 de la loi et la règle particulière numéro 6 du chapitre IV du barème), elle conclut que l’évaluation du Dr Lachapelle ne pouvait être retenue parce qu’elle n’est pas conforme au barème. Ce dernier aurait dû, comme le souligne le docteur Filiatrault, accorder un déficit anatomo-physiologique de 4 % pour les racines S2 à S5 droites et un déficit anatomo-physiologique de 4 % pour les racines S2 à S5 gauches. Il aurait dû également accorder un déficit anatomo-physiologique supplémentaire de 4 % pour la bilatéralité.

[23]           La seconde commissaire s’exprime ainsi, distinguant bien une question d’appréciation de la preuve de celle d’une question d’application des règles du barème :

[38]      En entérinant l’évaluation du docteur Lachapelle sans se poser la question de sa conformité avec le barème, le commissaire a commis une erreur manifeste qui a eu un effet déterminant sur le sort du litige. Cette erreur doit être corrigée afin que le travailleur reçoive l’indemnité pour dommages corporels à laquelle il a droit selon la loi et le barème.

 

[39]      Le tribunal n’interviendrait pas si la preuve était contradictoire en ce qui concerne l’atteinte sensitive bilatérale des racines sacrées S2 à S5. Dans un tel cas, le commissaire au mérite aurait fort bien pu, dans le cadre de son appréciation de la preuve, préférer une évaluation à une autre et dans ce contexte, la concomitance des évaluations avec l’événement aurait pu être un élément pertinent à prendre en considération. Ce n’est cependant pas le cas en l’espèce étant donné que la preuve est unanime en ce qui concerne l’atteinte sensitive bilatérale des racines S2 à S5. La question en est une d’application du barème purement et simplement et il se trouve que, sur la base des mêmes données cliniques, la seule évaluation qui est conforme au barème est celle du docteur Filiatrault.

 

 

[24]           L’employeur fait valoir que l’évaluation des séquelles neurologiques ne pouvait pas être remise en question. Il soumet que l’évaluation du Bureau d’évaluation médicale concernait uniquement les séquelles orthopédiques.

[25]           Il plaide, avec raison, et avec jurisprudence à l’appui[6], que la Commission des lésions professionnelles tire sa compétence, en vertu de l’article 369 de la loi, des «recours formés» à l’encontre d’une décision. Deux éléments sont indispensables : une décision et une contestation en bonne et due forme de cette décision. C’est cependant dans la portée qu’il attribue ici à la décision contestée que la soussignée ne peut faire droit à sa prétention.

[26]           Il prétend que la décision de la révision administrative qui a donné lieu au litige porte uniquement sur le volet orthopédique et que les séquelles concernent uniquement le diagnostic retenu par le Bureau d’évaluation médicale, qui était celui du médecin traitant, soit celui de séquelles douloureuses de fracture instable de L1 opérée et de contusion du conus médullaire.

[27]           Cette interprétation très restrictive ne peut être retenue. La décision[7] à l’origine du litige, qui a été confirmée par la révision administrative, est celle qui donnait suite à l’avis du Dr Daoud du Bureau d’évaluation médicale, avis qui portait sur les cinq questions médicales de l’article 212 de la loi concernant la récidive du 13 août 1999. Le premier commissaire était saisi, entre autres, de la détermination du diagnostic de la rechute du mois d’août 1999 et des séquelles supplémentaires en découlant. Dans l’objet des contestations, le premier commissaire énonce clairement (paragraphe 7) que le travailleur ne remet pas en question le diagnostic retenu par le Dr Daoud. Le travailleur demandait de reconnaître, en plus, un diagnostic «d’aggravation du syndrome de la queue de cheval avec aggravation des douleurs neurogènes irradiant vers le périnée». Au paragraphe 48 de sa décision, le premier commissaire précise que le déficit anatomo-physiologique additionnel de 5 % accordé par le Dr Daoud n’est pas contesté mais que le travailleur réclame un 8 % supplémentaire suivant l’évaluation du Dr Filiatrault puisque le Dr Daoud n’évalue que les séquelles orthopédiques.

[28]           Or le premier commissaire, dans l’exercice de sa compétence et après avoir apprécié la preuve au dossier, a retenu le diagnostic demandé par le travailleur et a conclu que «l’aggravation sur le plan neurologique constatée par le docteur Filiatrault lors de son expertise s’avère tout à fait plausible avec l’évolution de la pathologie chez le travailleur, laquelle se trouve confirmée par les rapports médicaux»[8] .

[29]           Ayant reconnu ce diagnostic, l’évaluation des séquelles permanentes doit évidemment en tenir compte. Il est donc inexact de soutenir, comme le fait l’employeur, que les deux commissaires ne pouvaient se saisir des séquelles d’ordre neurologique.

[30]           Dans le présent dossier, la Commission des lésions professionnelles avait compétence pour se prononcer sur le diagnostic et les séquelles permanentes concernant la récidive d’août 1999. Dans l’exercice de cette compétence, la Commission des lésions professionnelles a des pouvoirs très larges qui lui permettent de rendre la décision qui aurait dû être rendue (art. 377 de la loi). L’évaluation des séquelles permanentes se fait en fonction des diagnostics retenus, et en l’espèce, en fonction d’un diagnostic impliquant des atteintes neurologiques.

[31]           La seconde commissaire en analysant la conformité au barème pour l’évaluation des séquelles neurologiques agissait donc à l’intérieur de sa compétence.

[32]           L’employeur distingue de façon très étanche les séquelles orthopédiques et neurologiques, ce qui n’apparaît pas justifié dans les circonstances du présent dossier. Il soumet que l’expertise obtenue par le travailleur auprès du Dr Filiatrault a pu induire les deux commissaires en erreur puisque celui-ci s’est prononcé à la fois sur le volet orthopédique et sur le volet neurologique.

[33]           Il fait également valoir que l’évaluation des séquelles neurologiques avait fait l’objet de deux décisions de la CSST, rendues les 13 avril et 9 mai 2000, qui n’ont pas été contestées par le travailleur.

[34]           Il est vrai que l’évaluation du neurologue Lachapelle du 31 janvier 2001, postérieure donc à l’avis du Bureau d’évaluation médicale, a fait l’objet d’une décision de la CSST rendue le 13 avril 2000. Cette décision a été reconsidérée le 9 mai suivant, pour y distinguer les séquelles d’ordre urologique[9] (évaluation du Dr Clermont) des séquelles neurologiques. Conformément à l’évaluation du Dr Lachapelle, une atteinte permanente de 9,20 % (8 % plus 1,20 % pour douleurs et perte de jouissance de la vie) a donc été reconnue au travailleur et une indemnité pour dommages corporels correspondante lui a été payée. Les décisions des 13 avril et 9 mai 2000 n’ont pas été contestées.

[35]           Or la lecture de la décision du 20 décembre 2004 démontre que la seconde commissaire a bien saisi la problématique des évaluations d’ordre orthopédique et d’ordre neurologique et qu’elle a tenu compte des décisions déjà rendues au dossier et de celle ayant donné lieu au litige. Elle précise au paragraphe 22 que l’évaluation du Dr Lachapelle est complémentaire à celle du Dr Daoud en ce qu’elle évalue l’atteinte permanente de la queue de cheval du point de vue neurologique. Au paragraphe 26, elle souligne que «l’évaluation du docteur Lachapelle, postérieure à celle du Bureau d’évaluation médicale, a été acceptée par la CSST et que le pourcentage additionnel de 8 % suggéré par le docteur Filiatrault tient compte de cette évaluation».

[36]           Puis au paragraphe 40, elle cerne la difficulté et la solutionne sans remettre en question le caractère final des décisions déjà rendues. Elle termine sa décision en ces termes :

[40]      Comme c’est la décision qui a entériné les conclusions du Bureau d’évaluation médicale qui était contestée devant la Commission des lésions professionnelles et non la décision subséquente qui a donné suite à l’évaluation du docteur Lachapelle, il y a donc lieu d’ajouter un déficit anatomo-physiologique de 8% à l’évaluation du membre du Bureau d’évaluation médicale (docteur Daoud) pour tenir compte de l’atteinte sensitive bilatérale des racines S2 à S5 même s’il eut été plus logique d’ajouter ce déficit anatomo-physiologique à l’évaluation du docteur Lachapelle. Quoi qu’il en soit, le résultat est le même. Le déficit anatomo-physiologique total est donc de 13 %, soit 5 % déjà accordé par le membre du Bureau d'évaluation médicale (docteur Daoud) auquel s'ajoute le 8 % suggéré par le docteur Filiatrault.  À ce déficit anatomo-physiologique de 13 %, on doit également ajouter un pourcentage additionnel de 2,6 % pour douleurs et perte de jouissance de la vie selon le code 225 134 du barème.  L'atteinte permanente à l'intégrité physique du travailleur étant composée de la somme de ces deux pourcentages, elle s'établit donc à 15,6 %.

 

 

[37]           À son dispositif, elle précisera même que le pourcentage additionnel de 15,6 % à la suite de la récidive d’août 1999 s’ajoute à celui accordé par le Dr Lachapelle.

[38]           Finalement l’employeur soumet que ce n’est pas dans le cadre d’une décision donnant suite à un avis du Bureau d’évaluation médicale que l’on peut débattre de l’application du barème mais uniquement dans le cadre d’une seconde décision portant sur le pourcentage d’atteinte permanente.

[39]           Dans le présent dossier, la décision de la CSST du 3 février 2000 donnant suite à l’avis du Bureau d’évaluation médicale indique ceci :

[…]

 

Votre lésion a entraîné une atteinte permanente. Vous avez donc droit à une indemnité pour dommages corporels. Une décision sera rendue prochainement quant au pourcentage de votre atteinte permanente et à l’indemnité qui vous sera accordée.

 

[…]

 

 

[40]           Or cette seconde décision n’a jamais été rendue[10] comme on le voit généralement dans les dossiers. Le travailleur a demandé la révision de la décision du 3 février 2000. Le 28 septembre 2000, la révision administrative a confirmé celle-ci «en ce qui concerne les sujets d'ordre médical» et elle a déclaré que le travailleur «a droit à une indemnité pour dommages corporels, en raison de l'augmentation de son atteinte permanente». La Commission des lésions professionnelles était saisie de cette décision. La décision du 28 septembre 2000 reconnaît donc l’existence d’une atteinte permanente de même que le droit à une indemnité pour dommages corporels. Un commissaire saisi d’une contestation de cette décision a la compétence pour se prononcer sur l’évaluation des séquelles et notamment sur l’application des règles d’évaluation du barème.

[41]           Une seconde décision aurait précisé l’étendue de ces droits mais il est difficile de soutenir que le travailleur aurait dû contester une décision qui n’a pas été rendue.

[42]           La jurisprudence déposée[11] par l'employeur, à laquelle la soussignée souscrit, distingue les conclusions d'ordre médical des conclusions d'ordre juridique qui se rapportent à l'interprétation du règlement. Cette jurisprudence ne s'applique pas dans les circonstances du présent dossier puisque la Commission des lésions professionnelles était saisie de la question de l'évaluation de l'atteinte permanente dans son ensemble.

[43]           La Commission des lésions professionnelles conclut donc que l’employeur n’a pas démontré que la décision du 20 décembre 2004 est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider et sa requête en révision est rejetée.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête en révision de la compagnie Canadien Pacifique.

 

 

__________________________________

 

Lucie Nadeau

 

Commissaire

 

 

 

 

Me Linda Facchin

FASKEN MARTINEAU DUMOULIN, AVOCATS

Représentante de la partie requérante

 

 

Me Claude Bovet, avocat

Représentant de la partie intéressée

 

 



[1]          L.R.Q., c. A-3.001

[2]          Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ;  Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783

[3]          [2003] C.L.P. 601 (C.A.)

[4]          C.L.P. 195443-05-0212, 23 août 2004, F. Mercure, requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Sherbrooke, 450-17-001257-048, 18 mars 2005, j. Bureau

[5]          (1987) 119 G.O. II, 5576

[6]          Voir la décision rendue dans Charron et Héma-Québec, C.L.P. 175611-64-0112, 3 janvier 2003, J.F. Martel, 2002LP-170, décision qui a été suivie par plusieurs autres.

[7]          Décision de la CSST du 3 février 2000.

[8]          Paragraphe 47 de la décision du premier commissaire rendue le 8 septembre 2003.

[9]          Et préciser qu’elles découlent de la lésion initiale.

[10]        La soussignée n’a pas retracé au dossier cette décision. Questionnés à ce sujet, les deux procureurs au dossier affirment qu’ils n’ont pas eu connaissance d’une telle décision.

[11]        Ville de Laval et Allaire, C.A.L.P. 28558-61-9104, 13 avril 1993, R. Brassard; Bergeron et Transport Provost inc. (fermée), C.L.P. 136191-03B-0004, 3 novembre 2000, M. Cusson; Raymond et D.R.H.C. Direction travail, C.L.P. 149310-32-0010, 1er juin 2001, L. Langlois; Villeneuve et Bibby Ste-Croix, C.L.P. 178115-03B-0202, 5 avril 2004, G. Marquis

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