Poulin et Abitibi-Consolidated du Canada |
2008 QCCLP 770 |
|
||
COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
||
|
||
|
||
Québec |
11 février 2008 |
|
|
||
Région : |
Québec |
|
|
||
|
||
Dossier CSST : |
121298921 |
|
|
||
Commissaire : |
Jean-Luc Rivard, avocat |
|
|
||
Membres : |
Aubert Tremblay, associations d’employeurs |
|
|
Gilles Dubé, associations syndicales |
|
|
|
|
______________________________________________________________________ |
||
|
||
|
||
Partie requérante |
|
|
|
|
|
et |
|
|
|
|
|
Abitibi-Consolidated du Canada |
|
|
Partie intéressée |
|
|
|
|
|
|
|
|
______________________________________________________________________
______________________________________________________________________
[1] Le 19 janvier 2007, monsieur Michel Poulin (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 2 novembre 2006 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 3 juillet 2006 et déclare que le travailleur n’a pas droit au remboursement des frais de garde d’enfants puisqu’il ne répond pas aux critères d’admissibilité de l’article 164 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) pour avoir droit à cette aide.
[3] À l’audience tenue à Québec le 5 février 2008, le travailleur était présent et représenté par Me David Monaghan. Abitibi-Consolidated du Canada (l’employeur) avait avisé, par écrit, le tribunal de son absence et celle de sa procureure.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de conclure qu’il a droit au remboursement des frais de garde pour son enfant encourus depuis le mois de mai 2006.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d’employeurs sont tous deux d’avis que le travailleur n’a pas droit au remboursement de frais de garde d’enfants en vertu de l’article 164 de la loi.
[6] Le témoignage du travailleur et l’analyse du dossier ne permettent pas de conclure que le travailleur rencontre les critères d’admissibilité au remboursement des frais de garde d’enfants en vertu de l’article 164 précité.
[7] Le travailleur demande le remboursement des frais de garde de son enfant puisque la Direction de la protection de la jeunesse l’oblige à la présence d’une tierce personne lorsque celui-ci en a la garde durant la fin de semaine. Le travailleur allègue que l’environnement de son domicile n’est pas sécuritaire en raison de la présence d’une route et d’un plan d’eau à proximité.
[8] Les membres sont d’avis que les critères de l’article 164 ne sont pas rencontrés puisque le travailleur n’accomplit pas une activité dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation et il n’est pas hébergé ou hospitalisé dans une installation prévue par la loi durant la période où il réclame les frais de garde de son enfant. La réclamation du travailleur doit donc être rejetée.
LES FAITS ET LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[9] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a droit au remboursement des frais de garde de son enfant à compter du mois de mai 2006.
[10] Le tribunal réfère à l’article 164 de la loi qui prévoit les conditions d’admissibilité au remboursement des frais de garde d’enfants :
164. Le travailleur qui reçoit de l'aide personnelle à domicile, qui accomplit une activité dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation ou qui, en raison de sa lésion professionnelle, est hébergé ou hospitalisé dans une installation maintenue par un établissement visé au paragraphe 2° de l'article 162 peut être remboursé des frais de garde d'enfants, jusqu'à concurrence des montants mentionnés à l'annexe V, si :
1° ce travailleur assume seul la garde de ses enfants;
2° le conjoint de ce travailleur est incapable, pour cause de maladie ou d'infirmité, de prendre soin des enfants vivant sous leur toit; ou
3° le conjoint de ce travailleur doit s'absenter du domicile pour se rendre auprès du travailleur lorsque celui-ci est hébergé ou hospitalisé dans une installation maintenue par un établissement ou pour accompagner le travailleur à une activité que celui-ci accomplit dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation.
__________
1985, c. 6, a. 164; 1992, c. 21, a. 80.
[nos soulignements]
[11] Le tribunal fait remarquer dans un premier temps que l’article 164 sur les frais de garde d’enfants est prévu au chapitre de la réadaptation de la loi, plus particulièrement au chapitre de la réadaptation sociale.
[12] L’article 151 de la loi précise de façon particulière le but de la réadaptation sociale en écrivant :
151. La réadaptation sociale a pour but d'aider le travailleur à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s'adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l'accomplissement de ses activités habituelles.
__________
1985, c. 6, a. 151.
[nos soulignements]
[13] De façon générale, il faut donc comprendre qu’un travailleur ne peut réclamer les frais de garde d’enfants simplement pour le motif qu’il estime en avoir besoin en raison de contraintes personnelles, des inconvénients ou des impondérables de la vie quotidienne nécessitant le recours à un service de gardiennage. En fait, c’est le contexte particulier des besoins en réadaptation qui constitue le fondement du droit au remboursement des frais de garde d’enfants. La demande doit découler des conséquences de la lésion professionnelle.
[14] En effet, l’article 164 de la loi prévoit des conditions précises que le travailleur doit rencontrer pour avoir droit au remboursement des frais de garde d’enfants. D’abord, il doit s’agir d’un travailleur qui reçoit de l’aide personnelle à domicile et qui accomplit une activité dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation ou qui, en raison de sa lésion professionnelle, est hébergé ou hospitalisé dans un établissement désigné.
[15] Dans le présent dossier, nul ne conteste que le travailleur reçoit bien de l’aide personnelle à domicile de la CSST.
[16] Toutefois, rien ne permet d’établir que le travailleur accomplit une activité dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation ou qu’il est hébergé ou hospitalisé durant la période où il réclame les frais de garde de son enfant depuis mai 2006.
[17] En effet, le fondement de la demande du travailleur s’appuie sur le fait que la Direction de la protection de la jeunesse l’oblige à la présence d’une tierce personne lorsque celui-ci a la garde de son enfant durant la fin de semaine. Le travailleur a expliqué que l’environnement de son domicile n’est pas sécuritaire en raison de la présence à proximité d’une route sur laquelle circulent des camions lourds, d’un plan d’eau et d’un ravin autour de la résidence.
[18] Au surplus, le travailleur ajoute qu’il se déplace en chaise roulante en raison d’une amputation à un membre inférieur. Il n’est pas en mesure d’assurer la sécurité de son enfant durant les sorties à l’extérieur de la maison à l’occasion des périodes de garde avec son fils de près de 3½ ans.
[19] Le tribunal est d’avis que le contexte décrit par le travailleur ne rencontre aucunement les critères d’admissibilité prévus à l’article 164 de la loi. En effet, le travailleur n’accomplit aucune activité dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation et n’est pas hébergé ou hospitalisé dans un établissement désigné en raison de sa lésion professionnelle durant la période où il réclame les frais de garde de son enfant.
[20] Bien que les motifs visant à réclamer les frais de garde sont tout à fait louables, ceux-ci relèvent plutôt d’une contrainte extérieure à la lésion professionnelle soit une demande de la Direction de la protection de la jeunesse sur la présence d’un tiers à l’occasion des périodes de garde. La demande s’appuie aussi sur un élément étranger à la lésion, soit l’environnement autour de la résidence du travailleur.
[21] Les critères d’admissibilité à l’article 164 de la loi ne permettent pas la souplesse réclamée par le travailleur. La jurisprudence établit, particulièrement dans l’affaire Brigitte Dion et Studio Martine enr.[2], ce qui suit :
« [19] Encore une fois, l’article 164 est clair; il ne s'applique qu’au travailleur qui reçoit de l’aide personnelle à domicile lorsqu’il accomplit une activité dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation ou lorsqu’il est hébergé ou hospitalisé en raison de sa lésion professionnelle. Or, tel n’est pas le cas de la travailleuse, puisqu’elle ne reçoit pas d’aide personnelle à domicile; de plus, en se rendant consulter un médecin à la demande de la CSST, elle n’accomplit pas une activité dans le cadre d’un plan individualisé de réadaptation et elle n’est ni hébergée ni hospitalisée, en raison de sa lésion professionnelle, dans une installation maintenue par un établissement visé au paragraphe 2° de l'article 162 de la loi. Par conséquent, elle n’a pas droit au remboursement des frais de garde d’enfant qu’elle a encourus en rapport avec cette visite médicale4.
[20] On pourrait, peut-être, s’étonner d’un tel résultat, voire même le déplorer, mais le tribunal est d’avis que ni la CSST, ni la Commission des lésions professionnelles n’ont le pouvoir de modifier ces dispositions claires de la loi ou du règlement. Seul le législateur pourrait décider qu’il y a lieu de le faire.
[21] Par ailleurs, il faut bien reconnaître qu’il existe d’autres dépenses que la loi et le règlement ne permettent pas, dans l’état actuel du droit, de rembourser aux travailleurs victimes d’une lésion professionnelle. À titre d’exemple, la Commission des lésions professionnelles a déjà décidé, dans un autre dossier5, qu’un travailleur n’a pas droit, d’une part, au remboursement des frais que son médecin lui charge pour lui fournir une attestation médicale confirmant le fait qu’il ne peut utiliser les transports en commun ou qu’il doit être accompagné pour effectuer ses déplacements et qu’il n’a pas droit, d’autre part, au remboursement des frais de transport engagés par ses parents entre leur résidence et la sienne afin de le conduire à ses traitements médicaux. Un travailleur n’a pas droit, non plus, au remboursement de la perte de salaire subie par son épouse qui l’accompagne lors d'examens médicaux6 ou à la suite d’une intervention chirurgicale7. Ces exemples démontrent que le législateur n’a pas prévu rembourser intégralement, dans tous les cas, les dépenses liées à la survenance d’une lésion professionnelle. »
_____________
4 Lambert et Centre hospitalier St-Jean, [1994] C.A.L.P. 1114 .
5 Gagnon et Centco, C.L.P. 118314-61-9904, 6 décembre 1999, S. Di Pasquale.
6 Landry et Laboratoire Chrysotile inc., C.A.L.P. 49746-03-9303, 30 mars 1994, R. Jolicoeur.
7 Predmosky et Ville de Montréal, C.L.P. 205309-71-0303, 29 septembre 2003, D. Gruffy.
[nos soulignements]
[22] Le tribunal, en fait, réitère que l’article 164 de la loi précise des conditions particulières permettant le remboursement des frais de garde encourus par un travailleur. À titre d’exemple, les frais de garde d’enfants pourraient être réclamés par un travailleur séparé, vivant seul, qui en a la garde. En effet, à la suite d’une lésion professionnelle, s’il doit suivre des traitements de physiothérapie à raison de deux séances par semaine, la CSST pourra lui rembourser les frais de garde encourus à cette occasion.
[23] Par ailleurs, un(e) travailleur(euse) qui est hospitalisé(e) dans un établissement désigné à la suite d’une lésion professionnelle pourra se voir rembourser les frais de garde d’enfants encourus, par exemple pour permettre à son(sa) conjoint(e) de se rendre à son chevet.
[24] Dans le présent dossier, les frais réclamés par le travailleur débordent le cadre de l’article 164 de la loi et ne peuvent être remboursés.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la contestation déposée par monsieur Michel Poulin, le travailleur, le 19 janvier 2007;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 2 novembre 2006 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que monsieur Michel Poulin n’a pas droit au remboursement des frais de garde en vertu de l’article 164 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
|
|
|
JEAN-LUC RIVARD |
|
Commissaire |
|
|
|
|
|
|
Me David Monaghan |
|
Représentant de la partie requérante |
|
|
|
|
|
Me Marie Pedneault |
|
ABITIBI-CONSOLIDATED INC. |
|
Représentant de la partie intéressée |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.