LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES QUÉBEC MONTRÉAL, le 6 décembre 1990 DISTRICT D'APPEL DEVANT LE COMMISSAIRE : Laurent McCutcheon DE MONTRÉAL RÉGION:ILE-DE-MONTRÉAL DOSSIER: 17495-60-9003 17496-60-9003 DOSSIER CSST: 0270 854 1341 254 AUDITION TENUE LE : 23 octobre 1990 DOSSIER B.R.: 6041 8078 6042 8051 À : Montréal JEAN MILLETTE 12355, 42ième Avenue Rivière des Prairies (Québec) H1A 2G2 PARTIE APPELANTE et HÔPITAL RIVIÈRE DES PRAIRIES 7070, boulevard Perras Montréal (Québec) H1E 1A4 PARTIE INTÉRESSÉE D É C I S I O N Le 1er mars 1990, monsieur Jean Millette (le travailleur) dépose deux déclarations d'appel à l'encontre de deux décisions unanimes rendues les 30 janvier et 2 février 1990 par un bureau de révision de la région de l'Ile-de-Montréal.Les décisions portées en appel sont à l'effet : 1) De confirmer une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) qui rejette une réclamation du travailleur pour une lésion professionnelle.
2) De confirmer une décision de la Commission qui rejette une plainte du travailleur logée en vertu de l'article 32 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001).
OBJET DES APPELS Le travailleur demande à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d'appel) d'infirmer les décisions du bureau de révision, de déclarer qu'il a subi une lésion professionnelle, le 15 mai 1989, et d'annuler la mesure prise contre lui par l'employeur.
LES FAITS Le travailleur exerce la fonction d'aide en alimentation pour le compte de la partie intéressée. Son travail consiste à faire la distribution de la nourriture aux différents secteurs et il est aussi préposé au chargement et déchargement du lave-vaisselle.
Il y a rotation entre divers postes de travail à chaque semaine.
Le poste de travail, pertinent à l'appréciation du présent litige, est le poste n 2 qui est celui de la récupération de la vaisselle à la sortie du lave-vaisselle qui mesure 26 pieds de longueur. A ce poste, le travailleur est exposé à une température et à une humidité plus élevées qu'aux autres postes de travail. Une soufflerie projette de l'air chaud sur la vaisselle pour l'assécher.
Le 15 mai 1989, le travailleur signe un formulaire «Avis de l'employeur et demande de remboursement» : «Suite au travail que j'ai à effectuer au lavoir du poste n 2 se situant à l'arrière du lave-vaisselle, compte tenu de la chaleur qui se dégage du lave- vaisselle je ressens des pressions sur les deux côtés de ma tête qui me donne des douleurs.» Le travailleur quitte le travail vers 13:00 heures et se rend consulter le docteur L. Archambeault qui note ce qui suit sur une attestation médicale : «Céphalée déclenchée par chaleur. M. présente une grippe actuellement, la chaleur intense du poste n 2 lavoir semble déclencher une céphalée chez monsieur.
S.V.P. déplacer monsieur pour cinq jours.» Le 16 mai 1989, le travailleur se présente au travail et l'employeur l'affecte à un autre poste de travail pour cinq jours tel que recommandé.
Le 29 mai 1989, sous la signature de monsieur Jean Bélanger, directeur adjoint du personnel, l'employeur adresse une lettre au travailleur : «Objet : avertissement Nous sommes informés que suite à votre accident du travail du 15 mai 1989, vous avez quitté les lieux de travail à 14h00 sans vous présenter préalablement au service de santé du personnel.
Nous vous rappelons que selon les normes et pratiques de gestion du centre hospitalier, vous devez toujours, suite à un accident du travail, vous présenter au service de santé du personnel, sauf évidemment si des soins urgents sont requis. Lorsque le service de santé n'est pas ouvert, vous devez communiquer avec la coordonnatrice d'activités de garde.» Le 24 juillet 1989, la Commission rejette la réclamation du travailleur : «Il n'y a aucun fait accidentel et il n'y a aucune relation avec votre état grippal.» Le 27 juillet 1989, à la suite d'une plainte portée par le travailleur en vertu de l'article 32 de la loi, la Commission décide que : «Nous désirons vous informer que nous rejetons votre plainte deposée le 26 juin, 1989 concernant un avertissement delivré par votre employeur, Hôpital Rivière des Prairies.
Nous ne pouvons y donner suite car votre céphalée n'a pas été reconnue comme étant due à un fait accidentel.
Conséquemment, je vous avise que ce dossier est fermé et qu'aucune autre action ne sera entreprise par notre service.
Veillez agréer, monsieur, mes salutations les meilleures.» Le 30 janvier 1990, le bureau de révision confirme la décision de la Commission rendue le 24 juillet 1989 à l'effet que le travailleur n'a pas subi de lésion professionnelle.
Le 2 février 1990, le bureau de révision confirme la décision de la Commission, du 27 juillet 1989, qui rejette la plainte du travailleur.
En plus de son témoignage, le travailleur fait témoigner : Madame Josée Benoit, aide alimentaire; Monsieur Rosaire Blais, aide alimentaire; Monsieur Claude Généreux, vice-président du syndicat.
Pour sa part, l'employeur fait témoigner : Madame Suzanne Paulhus, responsable du service de santé; Monsieur Jean Bélanger, directeur adjoint du personnel.
De la preuve testimoniale et documentaire offerte par les parties, la Commission d'appel rapporte les faits essentiels pertinents au présent litige.
La politique en vigueur : accident du travail La politique en vigueur est déposée sous la cote (E-2) et un extrait de celle-ci est reproduit dans une brochure destinée au personnel (T-11).
Le travailleur admet qu'il connaît la teneur de cette politique qui s'adresse à l'ensemble du personnel composé de 1800 travailleurs.
Il ressort de la preuve que, lorsqu'un travailleur est victime d'un accident du travail, après l'avoir déclaré à son supérieur immédiat et complété le formulaire «Avis de l'employeur», le travailleur doit se présenter au service de santé de l'employeur avec en main, un formulaire du service de santé (T-9).
Au bureau de santé ou bureau médical, le travailleur est reçu par une infirmière qui : «- propose ou administre les premiers soins; - recommande de quitter le travail si nécessaire; - propose un mode de transport approprié pour se rendre consulter à l'extérieur de l'établissement; - recommande de voir un médecin ou de se rendre à l'hôpital; - propose une période de repos sur les lieux si nécessaire; - recommande de retourner au travail s'il y a lieu; - complète le formulaire apporté par le travailleur avec ses recommandations.» En cas d'urgence, la politique veut que le travailleur n'ait pas à suivre la politique.
Le travailleur n'est pas examiné par un médecin au bureau de santé.
En dehors des heures de fonctionnement du bureau de santé, le coordonnateur des soins infirmiers est appelé à remplir les fonctions de l'infirmière.
Le travailleur n'est pas tenu de suivre les recommandations de l'infirmière. S'il ne s'y conforme pas, le bureau de santé informe le service du personnel.
Non respect de la politique Il est en preuve, que le travailleur ne s'est pas présenté au bureau de santé après avoir déclaré un accident du travail ou une lésion professionnelle. Une discussion est engagée entre son représentant syndical et la responsable du bureau de santé.
L'interprétation du travailleur et du représentant syndical, monsieur Généreux, est à l'effet que la politique de l'employeur ne respecte pas les dispositions de la loi. Pour cette raison, le travailleur a décidé de quitter les lieux sans se rendre au bureau médical. Il déclare qu'il avait des maux de tête et qu'il avait besoin de prendre de l'air et de consulter un médecin.
État de santé du travailleur Il est admis que le travailleur souffrait d'une grippe depuis quelques jours. Il déclare toutefois, qu'il n'avait pas de maux de tête à son arrivée au travail, le lundi 15 mai 1989, et que ses malaises se sont manifestés après une période de travail au poste n 2.
L'employeur dépose sous la cote (E-1) des formulaires d'absence signés par le travailleur. Il s'agit d'absences au travail d'une durée d'une journée pour le motif : mal de tête. Les journées sont les suivantes : 26-06-88 7-08-88 20-09-88 27-10-88 25-01-90 7-03-90 1-04-90 3-05-90 3-08-90 21-10-90 Autres travailleurs Trois autres travailleurs qui exercent les mêmes fonctions que l'appelant ont témoigné à l'effet que, lorsqu'ils travaillaient au poste n 2, ils étaient incommodés par des maux de tête. Ils attestent que la température est élevée de même que l'humidité à ce poste de travail.
Conditions de travail L'employeur admet, qu'à l'époque où le travailleur a déclaré une lésion professionnelle, que la température était anormalement élevée au lavoir de l'établissement.
Des relevés de température ont été effectués une seule fois par les travailleurs sur recommandation de la Commission. La température notée était de 29 à 30 degrés WBGT.
Il est admis que l'employeur a fait installer au cours de l'été 1989 un nouveau système de climatisation au lavoir.
Il est aussi admis qu'en raison de la température élevée, l'employeur permettait aux travailleurs de prendre des pauses plus fréquentes et mettait à leur disposition du thé glacé et des serviettes d'eau froide.
Au poste de travail n 2, le travailleur est exposé à un taux d'humidité élevé en raison du séchage de la vaisselle par air propulsé. Le travailleur affecté à ce poste est confronté à une transpiration constante.
La mesure imposée au travailleur Monsieur Jean Bélanger, directeur adjoint du personnel, déclare que la lettre d'avertissement transmise au travailleur est une mesure administrative. Il reconnaît qu'en cas de récidive, le travailleur aurait pu se voir imposer une sanction disciplinaire.
Il confirme que la lettre constitue une première étape dans le processus des mesures disciplinaires.
La convention collective L'article 5.05 de la convention collective régissant les conditions de travail (E-3) prévoit que l'employeur doit, après une période d'une année, retirer du dossier du travailleur tout avis de mesure disciplinaire ou de réprimande lorsqu'il n'y a pas eu d'offense similaire dans les douze mois. A ce sujet, le témoin Bélanger, déclare que la lettre en question n'a pas été retirée du dossier.
Exposition à la chaleur Le travailleur dépose une fiche technique intitulée : Contraintes dues à la chaleur, association pour la santé et la sécurité du travail secteur affaires sociales, juin 1981, Renée Julien.
Au chapitre de la réaction physiologique dans une ambiance chaude, il est noté que la chaleur provoque une augmentation de l'irrigation cutanée qui correspond à un accroissement du rythme cardiaque entraînant une augmentation de la température de la peau et une diminution de l'irrigation sanguine. La déperdition saline et l'inconfort provoquent entre autres de violents maux de tête et des sensations de fatigue.
ARGUMENTATION Le travailleur scinde son argumentation en deux parties : la lésion professionnelle et la plainte. Quant à la lésion professionnelle, il soutient que les faits ne sont pas contestés.
Il y avait une chaleur excessive, les maux de tête se sont manifestés au cours du travail et un médecin pose un diagnostic de céphalée. Rien ne permet d'écarter sa version, il y a absence de preuve contraire.
Il soutient que la présomption de l'article 28 de la loi doit trouver son application. Même si la Commission d'appel devait prendre en considération que le travailleur avait la grippe, elle devrait considérer qu'il y a aggravation d'une condition personnelle.
Il cite le Règlement sur la qualité du milieu de travail (c., S- 2., 1r. 15) et indique que pour un travail moyen, la température ne devrait pas être supérieure à 26.7O WBGT.
Quant à la plainte logée en vertu de l'article 32 de la loi, il soutient que la politique de l'employeur pose des exigences contraires aux dispositions de la loi. En vertu de la loi, un travailleur victime d'un accident du travail n'est pas tenu de consulter un bureau médical de l'employeur. L'examen de l'employeur est prévu par la loi mais il ne peut être exigé avant la consultation du médecin du travailleur.
Enfin, le travailleur fonde ses prétentions sur une jurisprudence qu'il considère pertinente et dépose plusieurs décisions dont : Lebelle Dagenais et Zeller's Ltée CALP 02054-60-8702, Elaine Harvey, commissaire; Rancourt et Domtar [1989] CALP 778 ; Gagné et Léviton du Canada Ltée [1989] CALP 97 .
Les décisions des bureaux de révision ne sont pas rapportées.
Pour sa part, l'employeur soutient qu'il ne s'est rien passé le 15 mai 1989. Le travailleur avait la grippe et il a eu des maux de tête. On ne saurait considérer qu'il s'agit d'une blessure et appliquer la présomption de l'article 28 de la loi. Par surcroît, il n'y a pas d'événement imprévu et soudain.
Quant à la plainte, l'employeur prétend que la Commission d'appel n'est pas compétente pour disposer du caractère disciplinaire de la mesure imposée au travailleur. Il s'agit d'un rappel à un manquement à une politique de gestion, rien d'autre. Le but de la politique est d'assurer le bon déroulement des actions à entreprendre lorsqu'un travailleur subit une lésion professionnelle. Enfin, l'employeur dépose à son tour quelques décisions sur lesquelles il fonde ses prétentions : Nadeau et CALP [1989] CALP 245 ; Barmish et D'Anjou-Bélanger CALP 02585-05-8703, [27-01-88] Bertrand Roy, commissaire; Cyr et Qit Fer et Tétane Inc. CALP 11616-09-8904, [28-05-88] Jean-Guy Roy, commissaire; Laberge et CN du Canada [1987] CALP 742 ; Exron Co. et Line Conelis [1989] CALP 535 .
MOTIFS DE LA DÉCISION 1- La lésion professionnelle La Commission d'appel doit décider si le travailleur a subi une lésion professionnelle, le 15 mai 1989. Cette notion est définie à l'article 2 de la loi : 2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par : «lésion professionnelle» : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation; «accident du travail» : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle; Il est en preuve, d'ailleurs de l'admission même de l'employeur, que le travailleur était exposé à une température anormalement élevée dans l'exécution de son travail au poste n 2 du lavoir de l'établissement. Il est aussi en preuve que le travailleur présente souvent des maux de tête, qu'il n'avait pas de maux de tête à son arrivée au travail, le 15 mai 1989, mais qu'il avait la grippe depuis quelques jours.
Vers 13:00 heures, il se plaint de maux de tête et il attribue cette situation à la température élevée à son poste de travail.
Il déclare une lésion professionnelle à son employeur et il se rend consulter un médecin, le docteur Archambeault. Celui-ci pose un diagnostic de céphalée. Ce diagnostic n'est pas contesté et de ce fait, il lie la Commission et la Commission d'appel tel que le prévoit le premier alinéa de l'article 224 de la loi : 224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1o à 5o du premier alinéa de l'article 212.
Demeure la question de savoir si la céphalée diagnostiquée constitue une lésion professionnelle. Contrairement aux prétentions du travailleur, la Commission d'appel écarte l'application de la présomption prévue par l'article 28 de la loi : 28. Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.
La céphalée ne s'aurait en l'instance constituer une blessure, puisqu'il faut la qualifier, il y a lieu de la considérer comme une maladie quoiqu'elle pourrait aussi être qualifiée de symptôme. Le nouveau Larousse médical donne cette définition : «céphalée : Terme désignant un mal de tête quel que soit l'aspect ou l'origine.» Par ailleurs, une lésion professionnelle peut aussi être une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail. Ceci nécessite toutefois la présence d'un événement imprévu et soudain. Dans la présente affaire, il n'y a pas d'événement imprévu ou soudain. La température est anormalement élevée mais il ne s'agit pas d'une situation imprévue et soudaine, la situation dure depuis longtemps et elle est connue de tous. Il ne s'aurait donc s'agir en l'espèce, d'une maladie résultant d'un accident du travail.
Cependant, une lésion professionnelle peut se manifester comme le prévoit la définition, sous la forme d'une maladie professionnelle, laquelle est aussi définie à l'article 2 : «maladie professionnelle» : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
A son arrivée au travail, le travailleur n'a pas de maux de tête, ceux-ci apparaissent au cours de l'exécution du travail. A ce sujet, le témoignage du travailleur est crédible. Trois autres travailleurs déclarent qu'il ont déjà connu des maux de tête lorsqu'ils étaient affectés au poste de travail n 2 en raison de la température élevée. Cette situation n'est pas reproduite lorsque les travailleurs sont affectés aux autres postes de travail. Par surcroît, il est rapporté, dans la littérature déposée par le travailleur, qu'une température élevée peut donner des maux de tête.
De l'avis de la Commission d'appel, ces faits prouvent de façon prépondérante, que les conditions de travail du travailleur sont responsables de l'apparition de ses maux de tête. Quant au fait qu'il était déjà porteur d'une grippe, cette situation ne change pas la relation qui existe entre la maladie et le travail.
Tout au plus, sa condition personnelle le rendait possiblement plus vulnérable sans pour autant le priver de ses droits.
Pour répondre à la notion de maladie professionnelle, la maladie doit être contractée par le fait ou à l'occasion du travail et être caractéristique ou reliée aux risques particuliers du travail.
En l'espèce, la Commission d'appel est d'avis que la céphalée diagnostiquée est reliée aux risques particuliers du travail. Il s'agit certes, d'un cas d'espèce, mais compte tenu des conditions de travail particulières au poste de travail n 2, il y a lieu de considérer que la maladie est reliée aux risques particuliers de ce travail. L'employeur a d'ailleurs amélioré la situation depuis l'été 1989, il a fait installer un nouveau système de climatisation.
En conséquence, la Commission d'appel est d'avis que le travailleur a subi une lésion professionnelle, le 15 mai 1989.
Il ne s'est absenté que pour quelques heures et, le lendemain, il était affecté à un autre poste de travail sans avoir perdu de rémunération.
2- La plainte Il s'agit de décider si la lettre d'avertissement remise au travailleur contrevient aux dispositions de l'article 32 de la loi : 32. L'employeur ne peut congédier, suspendre ou déplacer un travailleur, exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou de représailles ou lui imposer toute autre sanction parce qu'il a été victime d'une lésion professionnelle ou à cause de l'exercice d'un droit que lui confère la présente loi.
Le travailleur qui croit avoir été l'objet d'une sanction ou d'une mesure visée dans le premier alinéa peut, à son choix, recourir à la procédure de griefs prévue par la convention collective qui lui est applicable ou soumettre une plainte à la Commission conformément à l'article 253.
La Commission d'appel est d'avis que la lettre d'avertissement constitue une mesure prise par l'employeur à l'encontre du travailleur. Les prétentions de l'employeur, à l'effet qu'il s'agit d'une mesure administrative non couverte par l'article 32 de la loi, ne sont pas retenues. Les termes de l'article 32 sont suffisamment larges pour comprendre une mesure administrative si tel était le cas.
Par surcroît du témoignage de monsieur Bélanger, directeur adjoint du personnel et signataire de la lettre, celle-ci constituait une première étape dans le processus des mesures disciplinaires. En ce sens, il ne fait pas de doute qu'il s'agit d'une mesure visée dans l'article 32 de la loi.
Le travailleur ayant été l'objet d'une mesure visée par l'article 32 dans les 6 mois de la survenance d'une lésion professionnelle, il doit pouvoir compter sur la présomption de l'article 255 de la loi : 255. S'il est établi à la satisfaction de la Commission que le travailleur a été l'objet d'une sanction ou d'une mesure visée dans l'article 32 dans les six mois de la date où il a été victime d'une lésion professionnelle ou de la date où il a exercé un droit que lui confère la présente loi, il y a présomption en faveur du travailleur que la sanction lui a été imposée ou que la mesure a été prise contre lui parce qu'il a été victime d'une lésion professionnelle ou à cause de l'exercice de ce droit.
Dans ce cas, il incombe à l'employeur de prouver qu'il a pris cette sanction ou cette mesure à l'égard du travailleur pour une autre cause juste et suffisante.
En application du dernier alinéa de l'article 255 de la loi, l'employeur a le fardeau de prouver que la mesure prise contre le travailleur l'a été pour une autre cause juste et suffisante.
Rappelons d'abord, que le travailleur s'est vu servir un avertissement non pas parce qu'il a subi une lésion professionnelle mais parce qu'il ne s'est pas conformé à une politique de l'employeur qui vise le comportement des travailleurs lors d'une lésion professionnelle. C'est donc en raison de son refus de se présenter au service de santé contrairement à la politique qu'il a reçu un avertissement, ce qui ne contrevient pas aux dispositions de l'article 32 de la loi.
Comme le soutient le travailleur, la loi prévoit une procédure d'évaluation médicale et elle prévoit que l'employeur a le droit de faire examiner le travailleur et de contester les conclusions du médecin de ce dernier. Ces dispositions sont prévues dans la section I du chapitre VI de la loi intitulé : Procédure d'évaluation médicale. Tous les actes médicaux prévus par cette section sont posés par des médecins ou des professionnels de la santé tels que définis par l'article 2 de la loi : «professionnel de la santé» : un professionnel de la santé au sens de la Loi sur l'assurance-maladie (chapitre A-29).
Au sens de la Loi sur l'assurance maladie, sont des professionnels de la santé : 1. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, les expressions et mots suivants signifient ou désignent : b) «professionnel de la santé» ou «professionnel» : tout médecin, dentiste, optométriste ou pharmacien légalement autorisé à fournir des services assurés.
Or, en l'instance, la politique de l'employeur ne vise pas à faire examiner le travailleur par un professionnel de la santé.
Avant de quitter les lieux du travail, le travailleur doit se présenter au service de santé ou bureau médical. Il rencontre une infirmière qui doit dispenser les premiers soins s'il y a lieu et évaluer les besoins du travailleur en fonction de la lésion qu'il présente. L'infirmière n'a pas le mandat de traiter le travailleur, de poser un diagnostic ou de compléter les formulaires d'attestations médicales prévus par la loi. Les fonctions dévolues au bureau de santé sont à l'avantage du travailleur qui recevra les premiers soins avant d'être dirigé vers un professionnel de la santé.
De l'avis de la Commission d'appel, la politique de l'employeur qui oblige un travailleur à se présenter au bureau de santé lorsqu'il subit une lésion professionnelle avant de quitter le travail, sauf s'il s'agit d'une situation d'urgence, n'est pas contraire aux dispositions de la loi.
L'établissement compte 1800 travailleurs, et l'employeur se donne une politique de gestion des absences et des accidents du travail. Compte tenu du nombre élevé de travailleurs, une telle politique est compréhensible pour assurer la gestion du dossier des accidents du travail.
La Commission d'appel doit limiter le débat à la cause de la mesure prise par l'employeur contre le travailleur et s'assurer qu'en l'instance, la politique de l'employeur ne contrevient pas aux dispositions de la loi, elle n'a pas à se prononcer sur la gestion de l'employeur, si ce n'est de s'assurer qu'elle ne contrevient pas aux dispositions de la loi.
La politique de l'employeur ne fait que poser une étape préalable au départ du travailleur de l'établissement en vue de fournir les premiers soins et d'assurer la gestion du dossier. La preuve révèle qu'en aucun temps, un travailleur sera contraint de demeurer sur les lieux du travail s'il veut quitter.
L'infirmière recommande au travailleur de se rendre consulter un professionnel de la santé. Elle peut aussi recommander au travailleur de retourner à son travail lorsqu'il s'agit de blessures mineures. Il reviendra alors au travailleur de décider ce qu'il veut faire. Il conserve son droit de consulter un professionnel de la santé de son choix.
La Commission d'appel arrive à la conclusion que la politique de l'employeur ne contrevient pas aux dispositions de la loi.
Reste à décider si la mesure imposée est contraire aux dispositions de l'article 32 de la loi.
La Commission d'appel est ici d'avis que la mesure imposée au travailleur résulte de la non observance de la politique et non pas du fait que le travailleur a subi une lésion professionnelle.
La teneur de la lettre d'avertissement est explicite. Elle précise que le travailleur a dérogé à la politique régissant le comportement du travailleur qui est victime d'un accident du travail. L'employeur ne reproche pas au travailleur d'avoir subi une lésion professionnelle, il lui reproche d'avoir dérogé à la politique en vigueur, laquelle relève du droit de gérance de l'employeur pour autant, comme c'est le cas en l'instance, qu'elle n'est pas contraire aux dispositions de la loi.
En conséquence, la Commission d'appel arrive à la conclusion que l'employeur s'est acquitté du fardeau de preuve que lui impose le deuxième alinéa de l'article 255 de la loi. Il a prouvé que la mesure prise contre le travailleur l'a été pour une autre cause juste et suffisante.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION D'APPEL EN MATIERE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES ACCUEILLE l'appel du travailleur sur la lésion professionnelle; INFIRME la décision du bureau de révision du 30 janvier 1990; DÉCLARE que le travailleur a subi une lésion professionnelle, le 15 mai 1989; REJETTE l'appel du travailleur sur la plainte logée en vertu de l'article 32 de la loi; CONFIRME la décision du bureau de révision du 2 février 1990; DÉCLARE que la mesure prise contre le travailleur l'a été pour une cause juste et suffisante autre que la lésion professionnelle subie, le 15 mai 1989.
_________________________ Laurent McCutcheon Commissaire M. DANIEL PELLETIER 7655, Henri-Bourassa Est Suite 204 Montréal (Québec) H1E 1N9 Représentant de la partie appelante MONETTE, BARAKETT ET ASSOCIÉS (Me Anne-Marie Bertrand) Place du Canada Suite 2100 Montréal (Québec) H3B 2R8 Représentante de la partie intéressée
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.