LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE
DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES
QUÉBEC MONTRÉAL, le 10 septembre 1996
DISTRICT D'APPEL DEVANT LA COMMISSAIRE: Me Anne Leydet
DE MONTRÉAL
RÉGION:
Montréal
DOSSIER CALP:
68943-60-9504
AUDIENCE TENUE LE: 4 septembre 1996
DOSSIER CSST:
072480601
DOSSIER BR:
61582146
A: Montréal
LUCIEN MARCEL
5195A, rue Pierre-Bernard
Montréal (Québec)
H1K 2R8
PARTIE APPELANTE
et
BUANDERIE CENTRALE DE MONTRÉAL
(Monsieur Jean De Lanauze)
7250, rue Joseph Daoust
Montréal (Québec)
H1N 3N9
PARTIE INTÉRESSÉE
D É C I S I O N
Le travailleur, Lucien Martel, en appelle le 20 avril 1995 auprès de la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d'appel), d'une décision unanime du Bureau de révision de Montréal (le bureau de révision) en date du 20 mars 1995.
Le bureau de révision maintient la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) rendue le 19 novembre 1993. Cette décision est à l'effet de refuser la réclamation faite par le travailleur le 14 juin 1993 et de rejeter sa demande de remboursement pour frais de traitements en psychothérapie et massothérapie. Le bureau de révision déclare que le travailleur n'a pas subi de lésion professionnelle.
OBJET DE L'APPEL
Le travailleur demande à la Commission d'appel d'infirmer la décision du bureau de révision et de déclarer qu'il a subi une lésion professionnelle lui donnant droit au remboursement des frais encourus pour la médication ainsi que pour les traitements de psychothérapie et de massothérapie suivis en juin 1993.
LES FAITS
La Commission d'appel ne s'en tiendra, dans le résumé qui suit, qu'aux faits essentiels.
Le travailleur subit un accident du travail le 30 avril 1980, se coinçant le membre supérieur gauche dans un convoyeur.
Cet accident entraîne une fracture métaphysaire distale du cubitus gauche ainsi qu'une fracture du tiers distal du radius gauche, pour laquelle le travailleur subit une réduction ouverte et fixation par plaques le 1er mai 1980. Le travailleur développe par la suite une dystrophie sympathique et est sous les soins du docteur Molina-Negro pour cette condition. Il est également vu par le docteur Martinez. Dès 1982, des évaluations de l'état psychologique du travailleur, qui retient l'attention de ses médecins, sont entreprises. Une tentative de retour au travail en décembre 1982 s'avère un échec.
Les traitements se poursuivent et le travailleur commence à suivre une psychothérapie de support en 1984. En 1985, le travailleur est pris en charge par le docteur Belzile, psychiatre, qui le traite pour une condition dépressive devenue importante. En bref, les traitements consistent en une médication antidépressive, une psychothérapie sous les soins d'un psychologue, ainsi qu'une psycho-relaxation associée au biofeedback musculaire afin de diminuer la dimension anxieuse qui entretient la condition douloureuse et dépressive.
La relation entre la condition psychiatrique du travailleur et son accident du travail est reconnue. Un déficit anatomo-physiologique psychiatrique provisoire de 20% est d'ailleurs alloué en juin 1986 par le bureau de révision, le travailleur étant par ailleurs porteur d'un déficit neuro-orthopédique évalué à 11%.
Les traitements se poursuivent. Le travailleur prend des antidépresseurs tricycliques, des antipsychotiques, une médication hypnotique et anxiolytique. Il bénéficie d'une psycho-relaxation ainsi que d'une psychothérapie individuelle sous les soins de Francesco Sinatra, psychologue.
Le travailleur est également admis en réadaptation. En juillet 1990, un taux final d'incapacité partielle permanente de 25% est alloué par la Commission, dont 10% final pour les séquelles psychiatriques. Le travailleur étant jugé incapable d'occuper un emploi rémunérateur, il bénéficie à compter de juin 1990 d'une assistance financière mensuelle dans le cadre du programme de stabilisation sociale de la Commission.
Le psychologue met fin aux traitements en novembre 1991, l'état psychiatrique du travailleur s'étant stabilisé.
Depuis, le travailleur fait du bénévolat auprès d'organismes communautaires indépendants, siégeant notamment sur divers conseils d'administration.
Le travailleur témoigne qu'en mars-avril 1993, il a commencé à se sentir déprimé. Il avait envie de pleurer, se sentait anxieux et présentait une certaine confusion de la mémoire. Ses collègues sur les divers conseils d'administration l'ont vu dépérir. Le travailleur ne se présentait pas à toutes les réunions auxquelles il était convoqué et faisait moins de consultations qu'à l'habitude. Le travailleur avait l'impression que «ses affaires grossissaient» et qu'il n'arrivait plus à s'en occuper. Bref, il se recroquevillait de plus en plus sur lui-même. Cet état de choses s'est empiré au point où le travailleur a décidé de consulter à nouveau le docteur Belzile en juin 1993.
Dans un rapport médical en date du 8 juin 1993, le docteur Belzile fait état d'une réactivation du trouble anxio-dépressif pour lequel le travailleur avait été traité jusqu'en 1991. Il prescrit du Rivotril, une dizaine de séances de massothérapie ainsi qu'un soutien psychiatrique. Le docteur Belzile revoit le travailleur le 25 juin 1993 et lui prescrit à nouveau de la médication anxiolytique et antidépressive, ainsi qu'un soutien psychologique.
Le travailleur fait une réclamation auprès de la Commission le 14 juin 1993.
Dans un compte de soins et de traitements transmis à la Commission le 10 août 1993, le psychologue Francesco Sinatra écrit que le travailleur présente des symptômes de dépression majeure, pour lesquels un travail thérapeutique a été entrepris «en vue d'éviter des risques de décompensation psychotique et séquelles du stress post-traumatique» subi suite à l'accident du travail de 1980. Le travailleur a suivi huit séances de psychothérapie entre le 9 juin et le 8 août 1993.
Dans une lettre du 5 octobre 1993, le docteur Belzile écrit ce qui suit :
«Ce patient présente une réactivation d'un trouble anxio-dépressif par ailleurs chronique consécutif à un accident du travail survenu le 30 avril 1980.
Il s'agit en effet d'un trouble anxio-dépressif chronique qui, par périodes, présente des phases d'exacerbation dépressives et anxieuses.
Présentement il présente une telle phase et nous nous devons de le voir en thérapie de soutien et en contrôle de la médication psychotrope anxiolytique et antidépressive dans le but de le ramener à son état antérieur à l'aggravation actuelle.
La médication actuelle est la suivante : Surmontil 12.5 mg, au coucher et Rivotril 0.5 mg, 1/2 co. le soir au souper et 2 co. au coucher.»
Dans une note manuscrite de novembre 1993 rajoutée à cette lettre, le docteur Belzile indique que le travailleur va bien.
On retrouve enfin au dossier, sept reçus de la Fédération québécoise des masseurs et massothérapeutes pour des séances de massothérapie.
À l'audience, le travailleur a déposé une lettre du psychologue Sinatra en date du 3 septembre 1996, dans laquelle ce dernier confirme avoir constaté une rechute en 1993 du trouble anxio-dépressif majeur présenté par le travailleur à la suite de son accident du travail.
Le 19 novembre 1993, la Commission refuse la réclamation du travailleur pour les motifs suivants :
«Nous vous informons que nous ne pouvons accepter votre réclamation du début juin 1993 et votre demande de traitements (psychothérapie, massothérapie).
En effet, l'étude des divers documents médicaux antérieurs et contemporains à cette réclamation démontre que la détérioration de votre état de santé n'est pas reliée à votre lésion mais avec une condition personnelle. De plus, prenez note que l'état de chronicité de votre lésion nous a amené :
-à vous offrir un encadrement psychologique du 15 octobre 1985 au 30 novembre 1991;
-à vous octroyer une incapacité permanente de 25%;
-à vous admettre à un programme de stabilisation sociale pour cause d'inaptitude à retourner sur le marché du travail;
-à autoriser le paiement de médicaments.»
MOTIFS DE LA DÉCISION
La Commission d'appel doit déterminer si le travailleur a subi, le ou vers le 8 juin 1993, une lésion professionnelle lui donnant droit aux mesures de réparation et d'indemnisation prévues par la
Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
La notion de lésion professionnelle est définie à l'article 2 de la loi :
«lésion professionnelle»: une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
Le travailleur a présenté, suite à son accident du travail subi le 30 avril 1980, un trouble anxio-dépressif majeur ayant requis plusieurs années de traitements en psychiatrie. Cette condition a laissé des séquelles permanentes sur le plan psychiatrique, lesquelles ont été évaluées à 10%. Le travailleur a suivi des traitements sous les soins du docteur Belzile et du psychologue Sinatra jusqu'en novembre 1991, époque à laquelle il a été jugé que sa condition était stabilisée.
Un an et demi après la fin de ces traitements, le travailleur a dû consulter à nouveau le docteur Belzile. Le travailleur témoigne avoir subi, en juin 1993, une exacerbation des symptômes reliés au trouble anxio-dépressif majeur présenté suite à son accident du travail de 1980. Tant le docteur Belzile que le psychologue Sinatra confirment que les symptômes dépressifs du travailleur ont été réactivés.
Vu l'importance de la condition psychiatrique initiale; vu les séquelles permanentes entraînées par cette condition; vu le délai relativement court d'un an et demi s'étant écoulé entre la fin des traitements, en novembre 1991, et la consultation en juin 1993; vu que les symptômes présentés en juin 1993 s'apparentent à ceux éprouvés en 1991; vu enfin l'opinion émise par le docteur Belzile et le psychologue Sinatra, il y a lieu de conclure que le travailleur a présenté, le 8 juin 1993, une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle initiale. La preuve tant factuelle que médicale est prépondérante à cet effet.
Dans ce contexte, le travailleur avait droit, à compter de juin 1993, à l'assistance médicale que requérait son état, et ce, en vertu de l'article 188 de la loi :
188. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à l'assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion.
L'article 189 de la loi se lit comme suit :
189. L'assistance médicale consiste en ce qui suit:
1E les services de professionnels de la santé;
2E les soins ou les traitements fournis par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux et modifiant diverses dispositions législatives (1991, chapitre 42) ou la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris et inuit (chapitre S-5);
3E les médicaments et autres produits pharmaceutiques;
4E les prothèses et orthèses au sens de la Loi sur la protection de la santé publique (chapitre P-35), prescrites par un professionnel de la santé et disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie de l'assurance-maladie du Québec ou, s'il s'agit d'un fournisseur qui n'est pas établi au Québec, reconnu par la Commission;
5E les soins, les traitements, les aides techniques et les frais non visés aux paragraphes 1E à 4E que la Commission détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.
Les prestations d'assistance médicale accordées à un travailleur victime d'une lésion professionnelle sont donc limitées à ce qui est expressément prévu à l'article 189.
Pour ce qui est du premier paragraphe de l'article 189, le professionnel de la santé est, selon la définition qu'en fait l'article 2 de la loi, «un professionnel de la santé au sens de la Loi sur l'assurance-maladie (chapitre A-29)», c'est-à-dire un médecin, un dentiste, optométriste ou pharmacien légalement autorisé à fournir des services assurés en vertu de cette loi.
Il a déjà été décidé par la Commission d'appel que les frais de traitements de massothérapie ne peuvent être remboursés en vertu de l'article 189, paragraphe 1, les massothérapeutes n'étant pas des professionnels de la santé au sens de la loi : CSST et Mines Gaspé, CALP 58408-01-9404, le 26 juillet 1995.
Le paragraphe 2 de l'article 189 ne vise que les soins ou traitements fournis par un établissement de santé publique ou conventionné au sens de la Loi sur les services de santé et les services sociaux et modifiant diverses dispositions législatives[2]. Les traitements de massothérapie et de psychothérapie reçus par le travailleur n'ont pas été fournis par un tel établissement.
En vertu du paragraphe 3 de l'article 189, les médicaments prescrits au travailleur par le docteur Belzile font partie de l'assistance médicale à laquelle il a droit. Les frais de ces médicaments doivent donc lui être remboursés.
Le paragraphe 4 de l'article 189 n'a pas d'application en l'espèce.
Pour ce qui est du paragraphe 5 de l'article 189, la Commission a adopté un Règlement sur l'assistance médicale, (1993) 125 G.O. II, 1331 (le Règlement), entré en vigueur le 31 mars 1993. Les articles 2, 3 et 6 du Règlement se lisent comme suit :
«2. Les soins, les traitements, les aides techniques et les frais prévus au présent règlement font partie de l'assistance médicale à laquelle peut avoir droit un travailleur, lorsque le requiert son état en raison d'une lésion professionnelle.
3. La Commission de la santé et de la sécurité du travail assume le coût des soins, des traitements et des aides techniques reçus au Québec, selon les montants prévus au présent règlement, si ces soins, ces traitements ou ces aides techniques ont été prescrits par le médecin qui a charge du travailleur avant que les soins ou traitements ne soient reçus ou que les dépenses pour ces aides techniques ne soient faites; à moins de disposition contraire, ces montants comprennent les fournitures et les frais accessoires reliés à ces soins, traitements ou aides techniques.
De plus, toute réclamation à la Commission concernant ces soins, traitements ou aides techniques doit être accompagnée d'une copie de l'ordonnance du médecin qui a charge du travailleur, de la recommandation de l'intervenant de la santé le cas échéant, et des pièces justificatives détaillant leur coût.
L'ordonnance du médecin peut être détaillée ou prendre la forme d'une adresse à un intervenant de la santé.
6. La Commission assume le coût des soins et des traitements déterminés à l'annexe I, jusqu'à concurrence des montants qui y sont prévus, lorsqu'ils sont fournis personnellement par un intervenant de la santé auquel a été référé le travailleur par le médecin qui a charge de ce dernier.
La Commission assume également le coût des examens de laboratoire effectués dans un laboratoire de biologie médicale au sens de la Loi sur la protection de la santé publique (L.R.Q., c. P-35) et des règlements pris en application de cette loi jusqu'à concurrence des montants prévus à l'annexe I.»
(notre soulignement)
Au chapitre des soins et traitements dispensés par des intervenants de la santé qui sont énumérés à l'annexe I du Règlement, on retrouve les soins de psychologie, tarif horaire 65 $. Par ailleurs, les soins de massothérapie ne font pas partie de l'énumération faite à l'annexe I du Règlement.
Compte tenu de la loi et du Règlement précité, le travailleur a droit au remboursement des médicaments prescrits par le docteur Belzile en vertu de l'article 189 paragraphe 3, ainsi qu'au remboursement des frais reliés aux soins procurés par le psychologue Sinatra en vertu de l'article 189 paragraphe 5. Toutefois, il n'a pas droit au remboursement des frais encourus pour ses séances de massothérapie, ceux-ci ne faisant pas partie de l'assistance médicale déterminée par la loi.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION D'APPEL EN MATIERE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES
ACCUEILLE en partie l'appel du travailleur, Lucien Marcel;
INFIRME en partie la décision rendue par le bureau de révision le 20 mars 1995;
DÉCLARE que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 8 juin 1993, lui donnant droit au remboursement des frais encourus pour ses médicaments prescrits par le docteur Belzile ainsi que pour ses traitements en psychothérapie sous les soins du psychologue Francesco Sinatra.
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Anne Leydet
commissaire
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.