Décision

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Hamel c. Webster

2014 QCCQ 100

 

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

LOCALITÉ DE

QUÉBEC

« Chambre civile »

 

No :

200-22-061720-124

 

DATE :

20 janvier 2014

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L'HONORABLE ANDRÉ J. BROCHET, J.C.Q.

 

 

JACQUES HAMEL

 

            Demandeur

c.

 

MANÈS WEBSTER

 

            Défendeur

 

 

JUGEMENT

 

 

 JB3844

 
INTRODUCTION

[1]           Le demandeur, M. Jacques Hamel, poursuit le défendeur, Me Manès Webster, en responsabilité extracontractuelle. Il lui reproche 1) d'avoir écrit une procédure dont le libellé était diffamatoire, soit une requête visant à le faire déclarer plaideur quérulent et d'avoir soutenu ces propos en audition devant la Cour supérieure, 2) d'avoir abusé de son rôle d'avocat dans la perception de frais judiciaires, et 3) d'avoir tenu des propos diffamatoires le 18 janvier 2011 au cours d'une audition devant la Cour supérieure dans une instance où il n'était pas partie. Le défendeur l'aurait alors qualifié de « poseur de bombes ».

[2]           M. Hamel recherche une indemnité de 25 000 $ du défendeur.

[3]           Me Webster nie toute responsabilité et conteste chacun des éléments de la requête de M. Hamel et se porte demandeur reconventionnel pour procédure abusive de ce dernier, réclamant ses honoraires pour lesquels il a déposé un compte de 5 767,43 $.

LES FAITS

[4]           Voyons successivement les trois chefs de poursuite de M. Hamel et comment le Tribunal entend en disposer.

1.         Libellé diffamant de la requête visant à faire déclarer M. Hamel plaideur vexatoire

[5]           Dans un dossier où M. Hamel poursuivait une certaine Mme Madeleine Perron, dossier de la Cour supérieure du district de Québec no 200-17-009773-086, Me Webster présente, au nom de Mme Perron dont il est le procureur, une requête visant à faire déclarer M. Hamel plaideur vexatoire. Une requête amendée de Me Webster est signifiée à M. Hamel le 26 août 2009.

[6]           Les allégations de cette requête accablent M. Hamel sévèrement, le décrivant comme étant une personne arrogante, impolie, qui manque de respect envers autrui, méprisant, multipliant les attaques personnelles et énumérant les nombreux dossiers dans lesquels ce dernier est la partie poursuivante.

[7]           Cette requête, après procès, a fait l'objet d'une décision de l'honorable Suzanne Ouellet, j.c.s., le 27 janvier 2010, rejetant la demande de la cliente de Me Webster, Mme Perron.

[8]           M. Hamel plaide qu'il y a eu atteinte à sa réputation. S'il y a eu diffamation par cette requête ou par les propos tenus lors de son audition et si M. Hamel a été injustement traité par les écrits ou les paroles de Me Webster, son recours est prescrit puisque son action dans le présent dossier a été déposée le 17 janvier 2012 et signifiée le 16 mars suivant, alors que la loi impose d'intenter des procédures dans l'année qui suit la connaissance de la diffamation par la personne diffamée. Voici ce qui est écrit à l'article 2929 du Code civil du Québec (C.c.Q.):

2929. L'action fondée sur une atteinte à la réputation se prescrit par un an, à compter du jour où la connaissance en fut acquise par la personne diffamée.

[9]           Entre le 26 août 2009 et le 17 janvier 2012, il s'est écoulé plus d'une année. Il y a donc prescription de la requête.

 

2.         Abus des procédures visant à percevoir des frais judiciaires

[10]        M. Hamel prétend que Me Webster a abusé de sa position d'avocat et des procédures de saisie à son égard concernant des frais judiciaires dont il était redevable et pour lesquels il avait pris arrangement avec les bureaux de l'aide juridique.

[11]        Aucun document, pièce justificative, procès-verbal de saisie ou détails suffisants permettant au Tribunal de tirer une conclusion à ce sujet n'a été déposé en preuve, de sorte que ce chef de réclamation sera purement et simplement rejeté.

3.         Diffamation le 18 janvier 2011 au cours d'une audition devant l'honorable Marc Lesage, j.c.s.

[12]        D'autre part, dans un dossier de la Cour supérieure du district de Québec, Me Webster représentait des défendeurs contre qui on avait engagé des poursuites en responsabilité extracontractuelle, dossier 200-17-010606-085. La demanderesse de ce dossier, Mme Marie-Andrée Émond, était une connaissance intime de M. Hamel.

[13]        L'audition du recours a eu lieu le 18 janvier 2011. Au cours des représentations de fin d'audition devant le Tribunal, Me Webster, s'adressant alors vraisemblablement au procureur de la demanderesse, a l'échange suivant avec ce dernier concernant M. Hamel, dont le nom fut cité pour un motif non précisé. L'échange suivant a lieu entre les deux procureurs des parties :

Me Webster:   De toute façon vous le savez, vous étiez là, il l'a admis au procès, vous étiez là, Maître Delisle.

Me Delisle:      Il a jamais été interrogé là-dessus.

Me Webster:   Bien voyons donc, vous étiez là, Maître Delisle. Voulez-vous que je dépose le jugement?

Me Delisle:      Quel jugement que vous parlez?

Me Webster:   Le jugement en désaveu, vous étiez là, il vous désavouait puis je l'ai interrogé puis…

Me Delisle:      Moi, j'ai pas vu ça.

Me Webster:   il a admis qu'il avait posé des bombes, tout, vous étiez là.

Me Delisle:      Il a témoigné, j'ai sacré mon camp, moi j'ai pas resté là.

Me Webster:   Ça se peut que vous soyez - non, vous êtes resté.

Me Delisle:      Jamais dans 100 ans.

[14]        C'est en raison de l'utilisation de cette expression « poseur de bombes » et de sa prétendue admission qu'il avait commis cet acte que M. Hamel recherche la responsabilité de Me Webster.

[15]        Ce dernier explique qu'il n'avait aucune raison d'employer ce qualificatif à l'égard de M. Hamel et qu'il voulait simplement imager son passé criminel. En effet, ce dernier a été notamment condamné au pénitencier pour complicité après le fait dans une affaire de meurtre et a eu aussi d'autres condamnations pertinentes, certaines reliées à son rapprochement avec un groupe de motards qui utilisent parfois des bombes pour faire valoir leur point de vue.

[16]        Les paroles de Me Webster ont été prononcées en salle d'audience devant l'honorable juge Lesage de la Cour supérieure, les parties et leurs procureurs, la greffière-audiencière et le huissier audiencier ainsi qu'un témoin, M. Gilles Lefebvre. Ce dernier, opérant dans le domaine de la vente d'automobiles, est une connaissance de longue date de M. Hamel. Dans les jours, voir les heures qui ont suivi l'audition, M. Hamel a été informé de ces paroles de Me Webster.

[17]        Dans une lettre qu'il expédiait au syndic-adjoint du Barreau du Québec le 15 novembre 2011, mais qui n'a été portée à la connaissance de M. Hamel qu'à la journée du procès, Me Webster s'explique à l'égard de l'emploi de cette expression « poseur de bombes » concernant M. Hamel.

[18]        Il y écrit que c'est en tentant de le décrire comme appartenant à un groupe de motards criminalisés que Me Webster a employé l'expression « poseur de bombes », puisque cette accusation n'a jamais été portée contre M. Hamel. Voici comment s'exprime Me Webster dans cette lettre à l'égard de l'emploi de ces paroles :

« Je ne sais pas de façon si précise si M. Hamel a posé des bombes ou s'il a aidé des poseurs de bombes après leur fait, mais c'est ce que j'ai mentionné pour référer mon confrère aux antécédents de M. Hamel.

(…)

Je ne crois pas qu'avoir mentionné la vraie condamnation exacte, soit complot, dans ce contexte aurait été beaucoup plus bénéfique pour son honneur. Si ces propos ont pu blesser M. Hamel, j'en suis désolé s'ils sont inexacts.

[19]        Ce que Me Webster voudrait voir comme excuses dans cette lettre n'en sont absolument pas. Il admet avoir employé cette expression sans preuve pour imager davantage l'appartenance de M. Hamel, à une époque de sa vie, à un groupe de motards criminalisés, persistant toutefois à dire que ses propos sont peut-être exacts mais qu'il n'en a pas la preuve.

[20]        Dans un tel contexte, le Tribunal ne doute pas que Me Webster a prononcé ces paroles envers M. Hamel dans le but de dégrader davantage sa personne, de lui imputer un crime qu'il ignorait s'il l'avait commis et de lui retirer toute vraisemblance de dignité que tente de reconquérir M. Hamel. Les événements reliés aux groupes de motards datent quand même de plusieurs dizaines d'années, alors que les paroles prononcées par Me Webster l'ont été en 2011.

[21]        Oui, il est exact que M. Hamel a un passé criminel. Oui, il est exact qu'il s'est rendu coupable de procédures abusives pour lesquelles il a été réprimandé et condamné à l'occasion. Mais faut-il passer outre au fait qu'il reproche à un avocat d'expérience de l'avoir traité de « poseur de bombes » alors qu'il n'a jamais été reconnu coupable de ce crime?

[22]        Comme le dit M. Hamel, cette expression a maintenant une signification particulière avec les événements qui se sont produits dans quelques villes américaines au cours des récentes années.

[23]        Il n'y a pas lieu à appliquer l'immunité dont jouissent les avocats dans leurs procédures écrites ou dans la façon dont ils représentent la cause d'un client devant le Tribunal. M. Hamel, absent à l'audience du 18 janvier 2011, n'était pas concerné par les procédures aux cours desquelles les paroles diffamantes ont été prononcées, il n'était ni partie, ni témoin appelé.

[24]        Au sens de l'article 1457 C.c.Q., Me Webster a commis une faute. Il savait ou devait savoir qu'employer le qualificatif de « poseur de bombes » à l'égard M. Hamel qualifiait de façon amplifiée mais injuste ce dernier. Il l'atteignait dans sa personne même. Certes, M. Hamel n'était pas présent lorsqu'il a prononcé ces paroles, mais il savait ou devait savoir qu'elles lui seraient répétées.

[25]        Le recours de M. Hamel n'est pas prescrit. En effet, l'audition devant le juge Lesage a eu lieu le 18 janvier 2011 et M. Hamel a déposé sa procédure contre Me Webster le 17 janvier 2012 pour la signifier le 16 mars suivant, soit dans le délai de 60 jours exigé par l'article 2892 C.c.Q. La prescription d'un an de l'article 2929 C.c.Q. n'était pas acquise le 17 janvier 2012.

LES DOMMAGES

[26]        Voyons maintenant les dommages compensatoires que ces paroles ont pu causer à M. Hamel[1].

[27]        Le Tribunal n'a pas été convaincu de l'existence de ces derniers, et voici pourquoi.

[28]        D'abord, personne n'a été entendu à l'effet que son opinion de M. Hamel, après avoir entendu ou qu'on lui ait rapporté ces paroles, a changé.

[29]        Il n'y a eu aucune diffusion des propos diffamants, si ce n'est que par la procédure de M. Hamel lui-même contre Me Webster.

[30]        Aucune preuve de perte de revenus ou d'occasion d'affaire ou de quelque humiliation que ce soit de M. Hamel n'a été rapportée par ce dernier.

[31]        Il n'y a donc pas de preuve de dommages compensatoires.

[32]        D'autre part, M. Hamel réclame aussi des dommages punitifs. À ce sujet, le Tribunal accepte que ces dommages punitifs puissent exister de façon autonome à cause de leur fonction[2].

[33]        C'est l'article 4 de la Charte des droits et libertés de la personne (Charte) qui édicte que toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation dont M. Hamel demande l'application.

[34]        S'agissant, dit-il, d'une atteinte illicite et intentionnelle et en application de l'article 49 de la Charte, M. Hamel requiert condamnation de Me Webster à lui payer la somme de 2 500 $ de dommages-intérêts punitifs.

[35]        Le Tribunal est d'accord pour conclure que Me Webster a prononcé les paroles susdites à l'égard de M. Hamel pour atteindre davantage sa dignité, s'il était possible de le faire. Il a voulu l'abaisser davantage et a utilisé sans fondement l'expression « poseur de bombes » dans un but préjudiciable à son égard.

[36]        Il se dégage dans les paroles de Me Webster concernant M. Hamel une intention de le décrire et de lui imputer des actes autres que ceux dont il s'est rendu coupable.

[37]        M. Hamel a raison de dire que ce qualificatif de « poseur de bombes » est une association à des groupes de terroristes qui ont existé et qui ont fait l'objet de couvertures médiatiques importantes lorsqu'ils ont agi dans diverses villes américaines notamment.

[38]        Les regrets de Me Webster n'ont pas été manifestés sincèrement. Non plus que le Tribunal considère qu'il y ait quelques excuses que ce soient dans la lettre qu'il écrivait au syndic suite à une plainte de M. Hamel sur son comportement. Au contraire, cet écrit laisse subsister des doutes à l'égard des paroles qu'il sait être sans fondement.

[39]        Même devant le Tribunal, à une question de M. Hamel lui demandant s'il admettait s'être trompé, Me Webster a avancé qu'il ne savait pas si ce qu'il avait dit était vrai ou faux. Il a toutefois tenté de se reprendre par après en disant qu'il ne maintenait pas ses propos et qu'il en était désolé.

[40]        Il appert au Tribunal qu'il faut décourager une telle attitude et c'est pourquoi il imposera à Me Webster le paiement d'une somme de 500 $ à titre de dommages punitifs, s'assurant ainsi que le message est bien compris et que les paroles du genre reproché ne seront pas répétées, ni envers M. Hamel, ni envers toute autre personne.

[41]        Cette condamnation peut, pour d'aucuns, sembler modeste et manquer de conviction. Il en est tout autrement, suivant le Tribunal.

[42]        Il y a d'abord condamnation. Ensuite, elle tient compte des « circonstances appropriées » dont parle l'article 1621 C.c.Q. : il n'y a pas de dommages-intérêts d'octroyés et le contexte des paroles reprochées à Me Webster est particulièrement réservé.

[43]        Comme c'est pour l'avenir qu'il faut décider de ces dommages, le Tribunal est convaincu que même une modeste somme de 500 $ aura son effet parce qu'elle constitue un avertissement sévère de ne pas récidiver[3].

[44]        La profession d'avocat de Me Webster le rend plus vulnérable à ce genre d'impair. Il s'agit là toutefois d'une responsabilité professionnelle, qui vient avec le titre de « Maître ».

[45]        S'ajouteront à cette condamnation les frais limités aux débours encourus par M. Hamel pour la constitution de son dossier.

[46]        Dans les circonstances, la demande reconventionnelle sera rejetée.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

ACCUEILLE partiellement la requête introductive d'instance;

CONDAMNE le défendeur, Me Manès Webster, à payer au demandeur, M. Jacques Hamel, la somme de 500 $, avec l'intérêt au taux légal de 5 % l'an et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec depuis l'assignation.

 

AVEC DÉPENS limités aux débours légaux.

 

__________________________________

ANDRÉ J. BROCHET, J.C.Q.

 

M. Jacques Hamel

[…] Charny (Québec) […]

Demandeur

 

 

Armijo & Webster - Casier #103

(Me Michel Chevanel)

Procureurs du défendeur

 

 

 

Date d’audience :

4 décembre 2013

 



[1]     Prud'homme c. Prud'homme, [2002] CSC p. 85, parag. 32 et suivants.

[2]     Jean-Louis BAUDOUIN et Patrice DESLAURIERS, La Responsabilité civile, 7e édition. Cowansville: Éditions Yvon Blais, 2007, Volume 1, pages 397 et suivantes.

[3]     Préc., note 2, par. [43], page 401.

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