Larocque (Succession de) et Rio Tinto Alcan Métal primaire (Arvida) |
2013 QCCLP 1834 |
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[1] Le 3 février 2012, monsieur Jean-Henri Larocque - succession (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles (le tribunal) une requête par laquelle il conteste une décision rendue, le 19 décembre 2011, par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme sa décision initiale du 4 octobre 2011 à la suite de l’avis rendu le 25 août 2011 par le Comité spécial des présidents portant sur l’admissibilité d’une réclamation pour une maladie pulmonaire.
[3] Dans sa décision, la CSST déclare que le travailleur n’a pas subi de maladie pulmonaire professionnelle sous forme d’amiantose et qu’il n’est pas décédé des suites ou complications d’une maladie pulmonaire professionnelle, de sorte qu’il n’a pas droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[4] Le tribunal a tenu une audience à Saguenay le 12 septembre 2012 à laquelle assistaient madame Bruyère Savard, conjointe de feu Jean-Henri Larocque, assistée de son procureur ainsi qu’une représentante de la partie intéressée, également assistée d’un procureur.
[5] Le tribunal a entendu en témoignage les médecins spécialistes, Michel Gagnon et Paolo Renzi, tous deux pneumologues.
[6] L’affaire a été mise en délibéré à cette date.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[7] La partie requérante demande au tribunal d’infirmer la décision rendue par la CSST le 19 décembre 2011 à la suite d’une révision administrative et de déclarer que le travailleur était atteint d’une maladie pulmonaire professionnelle à savoir une amiantose et qu’il est décédé des suites et complications de cette maladie.
L’AVIS DES MEMBRES
[8] La membre issue des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous deux d’avis de rejeter la requête de la succession Jean-Henri Larocque.
[9] Ils sont d’opinion que la preuve ne permet pas l’application de la présomption de maladie professionnelle prévue à l’article 29 de la loi, puisque la preuve médicale ne démontre pas de manière prépondérante la présence d’une amiantose chez le travailleur.
[10] En l’absence de l’application de la présomption, il appartenait à la succession du travailleur de démontrer au moyen d’une preuve médicale jugée prépondérante la présence d’une maladie pulmonaire professionnelle associée au diagnostic d’amiantose et tous deux sont d’avis que la preuve ne permet pas cette conclusion.
[11] Ils sont de plus d’avis qu’en raison du fait que la présomption de l’article 29 ne peut recevoir application, la partie intéressée devait également démontrer la présence d’une exposition suffisante en milieu de travail pour permettre la reconnaissance d’un risque particulier associé à la présence de l’amiante dans ce milieu, ce qui n’a pas été fait.
[12] Ils sont d’opinion que le fardeau de preuve prévu à l’article 30 de la loi n’a pas été rencontré, puisque la preuve ne démontre pas que le travailleur est porteur d’une pathologie caractéristique de son travail ni pouvant être reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[13] Le tribunal doit déterminer si le travailleur était porteur d’une maladie professionnelle de la nature d’une amiantose et déterminer le cas échéant si cette pathologie est à l’origine de son décès.
[14] La loi définit comme suit la maladie professionnelle :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[15] Afin de faciliter l’administration de la preuve en cette matière, la loi édicte une présomption dont les éléments sont ainsi déterminés à l’article 29 de la loi :
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
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1985, c. 6, a. 29.
[16] Afin de pouvoir bénéficier de cette présomption de maladie professionnelle, la preuve doit démontrer la présence de deux éléments, à savoir que le travailleur est atteint d’une maladie prévue à l’annexe 1 de la loi et, dans un deuxième temps, qu’il a exercé le travail identifié en relation avec cette maladie.
[17] Dans le cas du présent litige, c’est la section 5 de la loi qui doit recevoir application, laquelle contient les mentions suivantes :
ANNEXE I
MALADIES PROFESSIONNELLES
(Article 29)
SECTION V
MALADIES PULMONAIRES CAUSÉES PAR DES POUSSIÈRES
ORGANIQUES ET INORGANIQUES
MALADIES |
GENRES DE TRAVAIL |
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1. Amiantose, cancer pulmonaire ou mésothéliome causé par l'amiante: |
un travail impliquant une exposition à la fibre d'amiante; |
[18] Dans la présente affaire, il appartient donc à la partie requérante de démontrer la présence d’un travail impliquant une exposition à la fibre d’amiante de même qu’un diagnostic d’amiantose et cela, de manière à permettre l’application de la présomption prévue à la loi.
[19] D’entrée de jeu, le tribunal indique que les parties au présent litige n’ont pas nié que le travailleur ait pu être exposé à la fibre d’amiante lors de l’exécution de son travail chez l’employeur pendant plusieurs années.
[20] Le degré et la relativité de cette exposition n’ont cependant pas été établis et les éléments de la preuve ne permettent pas d’arriver à une conclusion précise par rapport à l’importance de cette exposition.
[21] Cela est cependant suffisant à ce stade-ci pour amener le tribunal à convenir immédiatement de la présence de l’un des deux éléments nécessaires à l’application de la présomption prévue à la section V de l’annexe I de la loi, à savoir un travail impliquant une exposition à la fibre d’amiante.
[22] La question de la durée et de l’importance de l’exposition sera cependant discutée dans le cadre de la présente décision, et ce, en relation avec la question à caractère médical sur laquelle le tribunal doit maintenant se prononcer, à savoir : le travailleur était-il ou non porteur d’une amiantose.
[23] Il y a donc lieu pour le tribunal de se pencher sur l’ensemble des éléments de la preuve et de l’argumentation soumise et de déterminer si le travailleur était porteur d’une maladie pulmonaire de la nature d’une amiantose et, le cas échéant, de déterminer si son décès est en relation avec cette pathologie.
[24] Dans l’éventualité où le tribunal en viendrait à la conclusion de la présence d’une amiantose, la présomption prévue à la loi recevra application et le litige consistera à déterminer si l’employeur est en mesure de renverser cette présomption.
[25] Par ailleurs, dans l’éventualité où le diagnostic d’amiantose n’est pas retenu, cette conclusion emportera le litige, puisque la présomption prévue à l’article 29 de la loi ne pourra s’appliquer et que le fardeau de preuve prévu à l’article 30 de la loi n’aura pas été rencontré.
[26] En matière de maladie pulmonaire, la loi contient des dispositions particulières que l’on retrouve aux articles 226 à 233 :
226. Lorsqu'un travailleur produit une réclamation à la Commission alléguant qu'il est atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire, la Commission le réfère, dans les 10 jours, à un comité des maladies professionnelles pulmonaires.
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1985, c. 6, a. 226.
227. Le ministre forme au moins quatre comités des maladies professionnelles pulmonaires qui ont pour fonction de déterminer si un travailleur est atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire.
Un comité des maladies professionnelles pulmonaires est composé de trois pneumologues, dont un président qui est professeur agrégé ou titulaire dans une université québécoise.
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1985, c. 6, a. 227.
228. Ces pneumologues sont nommés pour quatre ans par le ministre, à partir d'une liste fournie par l'Ordre des médecins du Québec et après consultation du Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre.
Ils demeurent en fonction, malgré l'expiration de leur mandat, jusqu'à ce qu'ils soient nommés de nouveau ou remplacés.
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1985, c. 6, a. 228.
229. Dans les 10 jours de la demande de la Commission, un établissement au sens de la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2), malgré l'article 19 de cette loi, ou au sens de la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5), selon le cas, transmet au président du comité des maladies professionnelles pulmonaires que la Commission lui indique, les radiographies des poumons du travailleur que la Commission réfère à ce comité.
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1985, c. 6, a. 229; 1992, c. 21, a. 82; 1994, c. 23, a. 23; 2005, c. 32, a. 232.
230. Le Comité des maladies professionnelles pulmonaires à qui la Commission réfère un travailleur examine celui-ci dans les 20 jours de la demande de la Commission.
Il fait rapport par écrit à la Commission de son diagnostic dans les 20 jours de l'examen et, si son diagnostic est positif, il fait en outre état dans son rapport de ses constatations quant aux limitations fonctionnelles, au pourcentage d'atteinte à l'intégrité physique et à la tolérance du travailleur à un contaminant au sens de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1) qui a provoqué sa maladie ou qui risque de l'exposer à une récidive, une rechute ou une aggravation.
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1985, c. 6, a. 230.
231. Sur réception de ce rapport, la Commission soumet le dossier du travailleur à un comité spécial composé de trois personnes qu'elle désigne parmi les présidents des comités des maladies professionnelles pulmonaires, à l'exception du président du comité qui a fait le rapport faisant l'objet de l'examen par le comité spécial.
Le dossier du travailleur comprend le rapport du comité des maladies professionnelles pulmonaires et toutes les pièces qui ont servi à ce comité à établir son diagnostic et ses autres constatations.
Le comité spécial infirme ou confirme le diagnostic et les autres constatations du comité des maladies professionnelles pulmonaires faites en vertu du deuxième alinéa de l'article 230 et y substitue les siens, s'il y a lieu; il motive son avis et le transmet à la Commission dans les 20 jours de la date où la Commission lui a soumis le dossier.
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1985, c. 6, a. 231.
232. Un membre d'un comité des maladies professionnelles pulmonaires ou d'un comité spécial ne peut être poursuivi en justice en raison d'un acte accompli de bonne foi dans l'exercice de ses fonctions.
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1985, c. 6, a. 232.
233. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi sur les droits du travailleur qui lui produit une réclamation alléguant qu'il est atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire, la Commission est liée par le diagnostic et les autres constatations établis par le comité spécial en vertu du troisième alinéa de l'article 231 .
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1985, c. 6, a. 233.
[27] Le cheminement administratif du dossier a été respecté et six pneumologues se sont prononcés relativement aux allégations de maladie professionnelle pulmonaire en relation avec un diagnostic d’amiantose.
[28] Dans un premier temps, en date du 23 juin 2011, le Comité des maladies pulmonaires professionnelles de Sherbrooke s’est prononcé succinctement sur la réclamation du travailleur après étude du dossier. On peut lire ce qui suit au rapport rédigé le 23 juin 2011.
Au dossier, nous avons le bulletin de décès qui établit que monsieur Larocque est décédé le 10 juin 2010 d’une encéphalopathie anoxique et fibrose pulmonaire sévère à l’âge de 76 ans. Le réclamant était connu des pneumologues de la région pour une fibrose sévère avec multiples plaques pleurales et une sténose mitrale légère.
L’histoire professionnelle de ce réclamant fait état qu’il a travaillé entre 1973 et 1998 pour la compagnie Rio Tinto Alcan de Jonquière où il y a oeuvré dans l’usine pendant 31 ans 10 mois, principalement dans le travail de reconditionnement des salles de cuves.
Le comité des maladies pulmonaires professionnelles de Sherbrooke considère que le réclamant a eu une exposition significative à l’amiante. Il est atteint d’une fibrose avec plaques pleurales multiples bilatérales et que ceci doit être considéré comme une amiantose.
Le comité des maladies pulmonaires professionnelles de Sherbrooke considère donc que le réclamant était atteint d’une amiantose sévère d’origine professionnelle et qu’il est décédé des suites et complications de cette amiantose.
Il n’y a pas de DAP applicable à cette réclamation d’après notre information. Le réclamant est cependant décédé des suites et complications d’une maladie pulmonaire professionnelle.
[sic]
[29] Le tribunal constate qu’il est fait mention dans ce rapport que le travailleur a œuvré en usine à Jonquière pendant 31 ans et 10 mois, principalement au reconditionnement des salles de cuves.
[30] Bien que la preuve démontre qu’effectivement, pendant une période évaluée à un minimum de dix ans, le travailleur ait été affecté au reconditionnement des salles de cuves à l’usine d’Arvida, il a également été employé, pendant plusieurs années, à la Centrale électrique de Shipshaw.
[31] La preuve soumise au tribunal ne permet pas de conclure qu’il a été exposé de façon significative à l’amiante pendant l’ensemble de la période de 31 ans et 10 mois en emploi et la reconnaissance d’une période d’exposition indirecte d’une dizaine d’années est plus probable.
[32] De l’avis du tribunal, le Comité s’est prononcé sans preuve sur la durée de l’exposition du travailleur.
[33] En regard du deuxième élément soulevé dans le rapport du Comité des maladies pulmonaires professionnelles de Sherbrooke, le tribunal constate qu’on y souligne la présence de plaques pleurales multiples bilatérales. Le tribunal indique immédiatement que la présence de plaques pleurales n’est pas remise en cause par les parties.
[34] Cependant, comme cet élément a été commenté par les pneumologues experts entendus à l’audience, il en sera discuté plus avant dans la présente décision.
[35] Deux mois après le rapport du Comité des maladies pulmonaires professionnelles, soit le 24 août 2011, le Comité spécial des présidents se réunit et les trois membres présents apposent leurs signatures sur le rapport date du 25 août 2011, lequel contient les éléments suivants :
La révision du dossier, particulièrement radiologique, démontre que les principales anomalies que l’on retrouve sur l’imagerie disponible sont celles d’épisodes d’oedème pulmonaire réversibles. Un scan thoracique en dehors de ces épisodes est rapporté par le radiologiste comme sans atteinte interstitielle de fibrose. Les bilans de fonction respiratoire multiples au dossier démontrent tout au plus de petits volumes pulmonaires et une capacité de diffusion près de 70%.
Par ailleurs, le réclamant avait un problème de fibrillation auriculaire chronique et présentait fréquemment des épisodes de détresse respiratoire pour lesquels il était hospitalisé quelques jours avec amélioration graduelle sans évidence de surinfection ou pneumonie. Les principales anomalies que l’on retrouve sur l’imagerie radiologique lors des investigations est la présence d’un oedème pulmonaire qui s’améliore avec le traitement médical.
Par ailleurs, le réclamant avait des plaques pleurales témoignant d’une exposition à l’amiante dans son travail.
À notre avis, il n’était pas porteur d’amiantose.
Le Comité spécial des présidents considèrent donc qu’il n’a pas en main les éléments pour établir le diagnostic d’amiantose chez ce réclamant et considère que le réclamant n’est pas décédé de maladie pulmonaire professionnelle. Le Comité considère que le contexte prépondérant est celui d’un problème d’insuffisance cardiaque avec oedème pulmonaire récurrent. Le réclamant n’était donc pas atteint de maladie pulmonaire professionnelle et n’est pas décédé d’une maladie pulmonaire professionnelle.
[sic]
[Nos soulignements]
[36] Le tribunal retient qu’après revue du dossier du travailleur et après avoir pris connaissance du rapport du Comité des maladies pulmonaires professionnelles, les pneumologues, membres du Comité spécial des présidents, analysent les principaux éléments du dossier du travailleur et constatent la présence d’épisodes d’œdème pulmonaire réversibles, l’absence d’atteinte interstitielle de fibrose démontrée par scan thoracique, de même que des résultats des bilans de fonction respiratoire qui démontrent une capacité de diffusion de près de 70 %, en présence cependant de petits volumes pulmonaires.
[37] Le Comité convient de la présence de plaques pleurales témoignant d’une exposition à l’amiante en milieu de travail et le tribunal rappelle ici que cela n’est pas nié dans le cadre du présent litige.
[38] Après avoir considéré la présence d’un problème de fibrillation auriculaire chronique et d’épisodes de détresse respiratoire avec amélioration graduelle et après avoir noté la présence d’un œdème pulmonaire qui s’améliore après traitement médical, le Comité est d’avis que le travailleur n’est pas porteur d’amiantose.
[39] Les trois pneumologues membres de ce Comité considèrent donc que le travailleur n’était pas atteint d’une maladie pulmonaire professionnelle et qu’il n’est pas décédé d’une telle maladie.
[40] C’est cet avis qui est à l’origine de la décision rendue par la CSST, le 4 octobre 2011, laquelle est confirmée le 19 décembre suivant à la suite d’une révision administrative, d’où le présent litige.
[41] Le tribunal n’est pas lié par les conclusions émises par le Comité spécial des présidents et peut les modifier selon les éléments jugés prépondérants de la preuve qui lui est soumise.
[42] En l’espèce, les principaux éléments à caractère médical sur lesquels le tribunal doit se pencher sont, outre les documents à caractère médical déjà au dossier, les rapports et les documents déposés au dossier par les pneumologues Gagnon et Renzi, de même que les témoignages qu’ils ont rendus à l’audience.
[43] Le 15 mars 2012, le pneumologue Michel P. Gagnon produit un rapport d’expertise médicale à la demande des procureurs de la succession Larocque.
[44] Le docteur Gagnon est d’avis que le travailleur était porteur d’une amiantose d’origine professionnelle.
[45] Dans son rapport, le médecin dresse l’histoire de la maladie actuelle, discute des tests de fonction respiratoire, des rapports des examens radiologiques et répond aux questions du procureur relativement à la condition professionnelle du travailleur et à la relation entre un diagnostic d’amiantose d’origine professionnelle et le décès de ce dernier.
[46] D’entrée de jeu, le docteur Gagnon convient que le travailleur « n’est pas décédé d’une condition pathologique découlant de son travail, mais plutôt d’une insuffisance cardiaque ayant entraîné une réanimation et une encéphalopathie anoxique terminale ».
[47] Cette question étant évacuée du litige, le tribunal doit donc analyser la preuve médicale et les éléments évalués par le docteur Gagnon dans l’optique de la démonstration prépondérante ou non de la présence d’une maladie pulmonaire professionnelle de la nature d’une amiantose.
[48] Le tribunal est d’avis de rapporter ci-après certains des éléments contenus au rapport d’expertise déposé et commenté par le docteur Gagnon :
HISTORIQUE DE LA MALADIE :
Ce patient était suivi en pneumologie depuis l’été 2009. La raison initiale de consultation était une dyspnée progressive. Un diagnostic de fibrose pulmonaire a été portée sur la base des tests de fonction pulmonaire. L’imagerie radiologique était cependant moins claire sur le diagnostic d’une pathologie interstitielle. On confirme la présence de plaques pleurales. Aucun traitement particulier ne sera offert au départ. Cette dyspnée va s’aggraver de façon plutôt rapide sur une observation de moins d’un an.
[—-]
Un point important à remarquer ici est la variation rapide de l’image radiologique entre le 6 et le 7 juin. L’amélioration du 7 juin ne peut être attribuée à un processus infectieux ou à une fibrose pulmonaire.
[sic]
[49] Relativement aux tests de fonction respiratoire, le médecin écrit :
Nous avons un bilan complet de la fonction respiratoire le 27 avril 2010. Cet examen démontre un syndrome obstructif léger non réversible aux bronchodilatateurs. Les volumes pulmonaires sont diminués (CPT 74 %) et la diffusion est à la limite normale à 88 % de la prédite. Au même moment où cet examen est fait, on retrouve une hypoxémie importante (P02 49) à l’air ambiant. Un bilan précédent effectué le 17 février 2010 est différent sur plusieurs aspects le syndrome obstructif est moins marqué, le syndrome restrictif est toujours présent à un niveau comparable et nous avons une atteinte diffusionnelle modérée. Le bilan de juillet 2009 est semblable à celui de février 2010. Ces examens sont compatibles avec une fibrose pulmonaire mais celle-ci apparaît très peu évolutive dans le temps.
En 2009, une étude de la compliance pulmonaire a été faite et est fortement suggestive d’une fibrose pulmonaire.
On peut donc conclure qu’il existe des évidences physiologiques d’une fibrose pulmonaire non spécifique. Il y a cependant discordance entre l’état clinique du patient qui se détériore et les tests de fonction pulmonaire qui sont relativement stables. Ceci suggère la présence d’une autre pathologie associée (insuffisance cardiaque probable).
[sic]
[50] En regard des résultats des examens de radiologie, le docteur Gagnon s’exprime comme suit :
Nous avons plusieurs radiographies pulmonaires dans les mois précédents le décès. On décrit de discrètes opacités pulmonaires interstitielles compatibles avec une fibrose pulmonaire ou encore de la défaillance cardiaque gauche. On retrouve également des plaques pleurales calcifiées qui sont témoins d’une exposition à l’amiante.
Une tomodensitométrie thoracique faite le 16 février 2010 démontre des adénopathies médiastinales lentement évolutives, un épanchement pleural bilatéral plus marqué à droite d’apparition récente et des anomalies étendues à plusieurs lobes en verre dépoli suggérant un processus d’alvéolite aigue. Les plaques pleurales droites sont visualisées. On n’évoque pas la fibrose pulmonaire. La présence d’une défaillance cardiaque gauche ne peut être totalement éliminée.
Nous avons une autre tomodensitométrie thoracique d’août 2009, Il n’y a pas de signe de fibrose pulmonaire sur cet examen mais le rapport fait mention de signes discrets de surcharge interstitielle (insuffisance cardiaque).
[sic]
[51] Le tribunal retient que le médecin constate que, outre la présence des plaques pleurales calcifiées qui sont décrites au rapport des différentes radiographies pulmonaires effectuées avant le décès du travailleur, les examens par tomodensitométrie thoracique pratiqués en août 2009 et en février 2010 ne révèlent pas la présence de fibrose pulmonaire.
[52] Concernant le diagnostic de maladie pulmonaire professionnelle de la nature d’une amiantose, le docteur Gagnon reconnaît le caractère contradictoire des avis émis par les comités et il écrit :
Cette question est la plus importante à résoudre. Nous avons un avis contradictoire par les 2 niveaux d’évaluation de la CSST. Le comité des 3 pneumologues évaluateurs de Sherbrooke du 23 juin 2011 conclut à la présence d’une amiantose pulmonaire d’origine professionnelle et que le décès du patient est le résultat de complications de cette maladie. Le comité des Présidents du 25 août 2011 en vient à une conclusion diamétralement opposée. Il considère que les évidences ne permettent pas de conclure à une amiantose et que le décès est lié à une problématique d’origine cardiaque.
[sic]
[53] Après avoir rapporté l’avis du Comité spécial des présidents, le docteur Gagnon précise que son analyse personnelle du dossier lui permet de confirmer l’exposition à l’amiante, et ce, principalement en regard de la présence de plaques pleurales au sujet desquelles il précise cependant qu’elles sont bénignes, n’ont pas de conséquence clinique et ne prédispose pas directement au développement d’une amiantose ou d’un mésothéliome (néoplasie pleurale liée à l’exposition à l’amiante). Le médecin ajoute que la présence de telles plaques n’est qu’un témoin d’une exposition à la fibre d’amiante.
[54] Le tribunal est d’accord avec cet énoncé.
[55] Après avoir procédé à l’étude des rapports des différentes évaluations fonctionnelles respiratoires chez le travailleur, le docteur Gagnon est d’avis que ces éléments démontrent la présence d’un syndrome restrictif, non évolutif durant la période de juillet 2009 à avril 2010. Il précise que la présence de ce syndrome restrictif, dans le présent cas, ne peut aider à différentier une amiantose d’une autre pathologie pulmonaire interstitielle.
[56] Bien que les anomalies de la compliance pulmonaire puissent être en accord avec une pathologie interstitielle, le médecin est d’avis que cela « ne nous aide pas non plus à faire le diagnostic spécifique de l’amiantose. ».
[57] Le docteur Gagnon spécifie de plus que la sévérité et l’absence d’intensité du phénomène sont insuffisantes pour être impliquées directement dans le décès du travailleur.
[58] Il souligne que les deux tomodensitométries réalisées en août 2009 et en février 2010 démontrent la présence de certaines anomalies, mais ne confirment pas la présence d’une fibrose pulmonaire à laquelle on aurait pu s’attendre dans le cas d’une amiantose. Il est d’avis cependant qu’il peut y avoir présence d’une amiantose même si une tomodensitométrie thoracique produit un résultat normal ou presque normal.
[59] Il soutient ces énoncés à l’aide d’une littérature médicale dont on retrouve la description dans son rapport écrit[2].
[60] Faisant référence à un extrait de littérature médicale produit avant l’audience[3], le médecin rappelle les éléments à prendre en considération en regard de l’établissement d’un diagnostic d’amiantose, en les appliquant au cas du travailleur décédé :
1) L’histoire professionnel du patient, la latence entre le début de l’exposition et les symptômes et la présence d’un marqueur de l’exposition (plaque pleurales, corps d’amiante dans le lavage bronchoalvéolaire ou sur un tissu biopsique.
Le patient était à la retraite depuis plus de 10 ans et la période de latence entre le début de l’exposition et les manifestations cliniques est tout à fait compatible avec les données connues de cette maladie (période de latence de 20 à 30 ans). Les plaques pleurales sont présentes.
2) L’évidence d’une fibrose interstitielle pulmonaire définie par un ou plusieurs des éléments suivants : râles crépitants à l’auscultation pulmonaire, diminution des volumes pulmonaires avec ou sans diminution de la diffusion, la présence à la radiographie pulmonaire ou à la tomodensitométrie d’une fibrose interstitielle ou une évidence histologique de fibrose pulmonaire.
Chez notre patient, tous les éléments n’y sont pas mais on en retrouve 2 : la présence de râles crépitants (consultation en pneumologie du 17 juillet 2009) mais surtout la présence d’un syndrome restrictif avec atteinte de la diffusion.
3) L’exclusion d’une autre cause de pathologie pulmonaire interstitielle.
Il n’y a pas d’élément ici qui permet de croire à une autre condition qui pourrait expliquer les anomalies fonctionnelles respiratoires de ce patient. L’insuffisance cardiaque complique l’interprétation radiologique mais celle-ci n’explique pas le syndrome restrictif pulmonaire persistant et la diminution de la compliance pulmonaire.
Il s’agit d’un cas complexe où il est difficile d’être catégorique mais le poids de l’évidence milite en faveur de la présence d’amiantose.
[sic]
[61] Relativement à la littérature déposée par le docteur Gagnon et consultée par le tribunal, le tribunal est d’avis de reproduire ici une partie du texte contenue à la page 697 de l’ouvrage cité[4] dans lequel on retrouve la définition suivante de l’amiantose :
NONMALIGNANT DISEASE OUTCOMES
Asbestosis
Asbestosis is the interstitial pneumonitis and fibrosis caused by inhalation of asbestos fibers. After asbestos exposure, asbestosis becomes evident only after an appreciable latent period. The duration and intensity of exposure influence the prevalence of radiographically evident parenchymal pulmonary fibrosis. In work sites around the world that meet recommanded control levels, high exposure to asbestos is now uncommon and clinical asbestosis is becoming a less severe disease that manifests inself after a longer latent interval.
Asbestosis specifically refers to interstitial fibrosis caused bye the deposition of asbestos fibers in the lung (Figure 3). It does not refer to visceral pleural fibrosis, the subpleural extensions of fibrosis into the interlobular septae or lesions of the membranous bronchioles.
[sic]
[Notre soulignement]
[62] À l’audience, le docteur Gagnon apportera certaines précisions concernant le syndrome restrictif en indiquant que les données recueillies révèlent la présence d’un tel syndrome restrictif lorsque la majorité des relevés des fonctions respiratoires exprimée en CPT (Capacité pulmonaire totale) descend en-dessous de 85 comme c’est le cas dans le présent dossier.
[63] Il est également d’avis que la preuve démontre ici la présence d’une exposition à l’amiante sur une période d’environ 11 années, c’est ce qui concorde avec la présence d’un délai de latence de dix ans avant l’apparition des premiers symptômes chez le travailleur.
[64] Il maintient donc son opinion concernant le diagnostic d’amiantose d’origine professionnelle en raison des résultats des différents examens confirmant la présence d’un syndrome respiratoire, ce qui bien que non spécifique, permet de relier cette condition à un diagnostic d’amiantose, plus particulièrement lorsque l’histoire professionnelle révèle une exposition démontrée, comme en l’espèce, par la présence de plaques pleurales calcifiées, et ce, bien que les examens par tomodensitométrie n’aient pas démontré la présence d’une fibrose pulmonaire.
[65] À la demande de l’employeur, le pneumologue Paolo Renzi a revu le dossier du travailleur et a déposé un rapport d’expertise médicale daté du 8 avril 2012.
[66] Au soutien de ses prétentions, le docteur Renzi a également déposé au dossier du tribunal de la littérature médicale, auteurs et ouvrages[5], dont il retiendra certains éléments dans son rapport écrit et à laquelle il fera référence pendant son témoignage.
[67] Le tribunal est d’avis de reproduire immédiatement un extrait de cette littérature[6] dans lequel on définit comme suit l’amiantose :
Asbestosis is defined as diffuse interstitial fibrosis of the lung resulting from the inhalation and retention of considerable numbers of asbestos fibers, usually after prolonged exposure [1,2]. The degree of fibrosis increases with the fiber burden, which can approach 2 X109 fibers/g of dry lung in severe asbestosis [3,4].
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9. Classification of asbestot minerals.
[sic]
[68] Cette définition apporte une précision à celle déjà identifiée précédemment par le docteur Gagnon, en ce qu’elle introduit l’ajout de la notion de rétention à celle d’inhalation de la fibre d’amiante.
[69] Au moment de la rédaction de son rapport, le docteur Renzi a pris connaissance du dossier du tribunal préparé pour l’audience ainsi que du rapport de l’expertise médicale réalisé par le docteur Michel Gagnon en date du 15 mars 2012.
[70] Parmi d’autres questions soumises par les procureurs de l’employeur au dossier, le médecin doit répondre, notamment, à celles concernant le diagnostic applicable à la condition pulmonaire, à la relation entre cette condition et une possible exposition à l’amiante dans le cadre du travail et, finalement, à la relation possible entre cette condition pulmonaire et le décès du travailleur.
[71] D’entrée de jeu, le tribunal précise que le docteur Renzi est du même avis que le docteur Gagnon en ce qui concerne l’absence de relation démontrée entre la condition pulmonaire du travailleur et son décès.
[72] Il écrit ce qui suit :
4. La condition pulmonaire a-t-elle causé le décès?; et
La condition pulmonaire découlant du travail n’a pas causé le décès de M. Larocque, il semblerait que sa fibrillation auriculaire avec un oedème pulmonaire a joué un rôle important sur l’anoxie cérébrale. Si l’alvéolite aigu n’était pas en relation avec une insuffisance cardiaque, il y aurait donc une autre pathologie pulmonaire de présente au moment du décès et, d’après les tests de fonction respiratoire d’avril 2010, celle-ci n’a pas contribué au décès, ces changements étant minimes au niveau des tests de fonction respiratoire.
[sic]
[73] Le docteur Renzi commente les éléments de la preuve documentaire contenus au dossier ainsi que certaines des allégations en rapport avec l’expertise déposée par le docteur Gagnon.
[74] Se prononçant sur la question de la courbe de compliance pulmonaire, le docteur Renzi écrit :
La courbe de compliance pulmonaire se retrouve à la page 65 du dossier. Cette courbe n’est pas typique d’une maladie restrictive parenchymateuse ou une amiantose comme la pression débute à un CRF élevé et à la gauche et ne se déplace qu’à droite pour la pression transpulmonaire maximale. La pression transpulmonaire maximale est en effet augmentée mais la courbe n’est donc pas déplacée vers le bas et la droite telle que l’on retrouve dans une fibrose pulmonaire ou une maladie restrictive parenchymateuse.
À la page 67 du dossier, on retrouve les tests de fonction respiratoire effectués le 17 juillet 2009 où l’on retrouve un VEMS à 94% de la valeur prédite augmentant à 98% post bronchodilatateur. Il y a en effet une maladie au niveau des petites voies aériennes, le DMM étant 54% de la valeur prédite. La capacité pulmonaire totale est à 75% de la valeur prédite et la diffusion au monoxyde de carbone est à 9.9 ml/mmlhg/min soit 69% de la valeur prédite. Le test à l’effort Jones 1 n’a pu être effectué.
[Notre soulignement]
[75] Commentant certains des rapports des examens par bronchoscopie et radiographie pulmonaires dont les résultats se retrouvent au dossier, le docteur Renzi note la présence d’une circulation pulmonaire sans congestion, d’une légère cardiomégalie, d’une hypertransparence des deux plages par MPOC sans surinfection et des calcifications pleurales le long de la ligne axillaire droite.
[76] Le médecin indique qu’il n’y a aucune fibrose pulmonaire notée sur cette radiographie pulmonaire où on indique en plus la présence d’hypertransparence aux deux plages par MPOC, ce qui, selon lui, est l’inverse d’une maladie restrictive.
[77] Le docteur Renzi attire l’attention du tribunal sur le fait qu’il n’est pas contredit, même si non démontré, qu’il y ait eu exposition de façon indirecte à l’amiante au travail. Cela étant cependant admis, il convient que cet élément peut occasionner la présence de plaques pleurales qui indiquent alors une faible exposition à l’amiante.
[78] En ce qui concerne une fibrose pulmonaire secondaire à l’amiante, soit une amiantose, il exprime l’avis, littérature à l’appui, qu’il y a nécessité d’une relation directe avec une quantité d’exposition à l’amiante importante équivalente au minimum, « à 25 fibres/ml année totale d’exposition » avant que l’on puisse considérer qu’une fibrose pulmonaire est en relation avec une amiantose.
[79] Le docteur Renzi note de plus la variation rapide de la radiologie entre le 6 et le 7 juin 2010, ce qui irait, selon lui, à l’encontre d’un processus infectieux aigu ou d’une fibrose pulmonaire, étant ici d’accord avec l’énoncé du docteur Gagnon sur la question.
[80] Le docteur Renzi précise de plus :
La seule discordance entre l’expertise du Dr Gagnon et la mienne est en fait sur le diagnostic de la présence d’une amiantose ou non. J’y reviendrai.
[sic]
[Notre soulignement]
[81] Le tribunal retient que le médecin assume qu’il y avait de l’amiante dans le milieu de travail et que le travailleur y a été exposé, à tout le moins, de façon indirecte. Ainsi, il convient que la présence des plaques pleurales calcifiées est probablement causée par l’exposition à l’amiante.
[82] Cependant, faisant référence aux articles de doctrine[7] qu’il a révisés ainsi qu’à des livres de chevet, le médecin soumet qu’il y est souligné le fait que les plaques pleurales et le mésothéliome peuvent apparaître chez des gens qui sont peu exposés à l’amiante, mais que l’amiantose et le cancer du poumon causés par l’amiante sont plus en relation avec une importante exposition cumulative à l’amiante.
[83] Il conclut, comme les auteurs, dit-il, que la présence de plaques pourraient être un indicateur d’exposition à l’amiante dans des études de population en général, mais que pour chaque cas individuel, le rôle de la présence de plaques pleurales pour déterminer qu’il y ait une exposition à l’amiante est très limité.
[84] Le docteur Renzi conclut son opinion relative aux diagnostics applicables à la condition du travailleur en indiquant la présence des éléments suivants :
2. MCAS selon les résultats de la coronarographie rapportée plus haut.
3. Insuffisance mitrale légère à modérée avec hypertension pulmonaire modérée.
4. Fibrillation auriculaire chronique anticoagulée.
5. Hypertension artérielle.
6. Pas d’évidence de fibrose pulmonaire à la première radiographie pulmonaire notée dans ce dossier et dans les deux tomographies à l’ordinateur qui ont été effectuées dans ce dossier. En plus, la normalisation de la diffusion au monoxyde de carbone lors des derniers tests de fonction respiratoire effectués le 27 avril 2010, moment où M. Larocque n’était pas en exacerbation aigüe du processus alvéolaire, va à l’encontre de toute maladie fibrosante chronique. Donc, pas de fibrose/pulmonaire,que ce soit amiantose ou autre.
7. Ancienne granulomatose pulmonaire selon les scans pulmonaires.
8. Insuffisance cardiaque lors de la dernière admission intra-hospitalière effectuée en juin 2010.
9. Maladie progressive menant à une augmentation des adénopathies médiastinales et l’apparition d’une alvéolite aiguë selon le rapport de la tomographie à l’ordinateur de février 2010 sur un épisode de six mois dont le diagnostic demeure incertain mais n’étant pas compatible avec une amiantose pulmonaire (citation omise).
[sic]
[85] En témoignage, le médecin reprend et commente certains éléments de son rapport d’expertise s’attardant notamment à la nécessité d’une exposition professionnelle importante et non une simple exposition de durée indéterminée et de nature indirecte pour permettre la relation entre cette exposition et un diagnostic d’amiantose.
[86] Quant à la présence de plaques pleurales, il rappelle que cela signe la présence d’une certaine exposition mais qu’il est probable que de telles plaques puissent se retrouver en présence d’une exposition même légère. En référence à la littérature médicale, il rappelle qu’une exposition de 25 fibres/ml année est une exposition importante et significative, ce qui ne se retrouve pas dans le cas du travailleur décédé.
[87] Il explique les discrets signes de surcharge interstitielle révélés par certains examens, par la présence de problèmes cardiaques.
[88] Commentant les rapports des examens par tomodensitométrie, il précise au tribunal qu’il s’agit de l’examen qui est le plus susceptible de révéler la présence d’une fibrose pulmonaire alors que les résultats se sont révélés négatifs à deux reprises lors des examens subis par le travailleur.
[89] Concernant les résultats des tests de physiologie respiratoire subis par le travailleur, le médecin rappelle au tribunal que plusieurs causes peuvent affecter la diffusion. Ainsi, dans le cas du travailleur, comme cela est révélé à l’examen du 27 avril 2010, il y a une diffusion normale et supranormale. Il s’agit d’un test sensible pour démontrer la présence d’une fibrose pulmonaire et en raison du résultat obtenu, il conclut que celle-ci n’a pas été démontrée.
[90] En regard de l’examen pratiqué, antérieurement en juillet 2009, il considère que la diffusion à 79 % de la normale pourrait possiblement être en relation avec la présence d’une fibrose, mais qu’une fois corrigée à 109 %, force est de conclure que cet examen ne démontre pas la présence d’une fibrose pulmonaire.
[91] Commentant finalement l’ensemble des examens dont les résultats sont rapportés au dossier préparé pour l’audience, il conclut à l’absence de fibrose pulmonaire, et ce, tant en relation avec les examens cliniques, physiologiques et radiologiques.
[92] Résumant son témoignage, le docteur Renzi rappelle que l’historique de travail ne révèle qu’une exposition indirecte qui s’avère tout à fait insuffisante pour être reliée à une pathologie de la nature d’une amiantose.
[93] Il précise également que la fibrose pulmonaire n’a pas été démontrée, ni par le prélèvement des tissus, ni par le résultat des examens radiologiques performants auxquels le travailleur a été soumis.
[94] Finalement, le médecin est d’avis que le travailleur était porteur d’autres pathologies importantes, notamment un problème d’insuffisance cardiaque et qu’il n’y a pas de relation entre son décès et une pathologie d’origine pulmonaire de la nature d’une amiantose.
[95] En argumentation, le procureur de la succession fait valoir que la preuve prépondérante permet de retenir l’opinion du docteur Gagnon quant à la présence d’une pathologie pulmonaire de la nature d’une amiantose.
[96] En regard du degré d’exposition, il est d’avis qu’en l’absence d’une preuve spécifique, la présence des plaques pleurales calcifiées s’avère significative et doit amener le tribunal à conclure à la présence d’une telle exposition.
[97] Il demande donc au tribunal d’appliquer la présomption prévue à l’article de la loi, et ce, en présence d’un diagnostic d’amiantose, d’une part, et de l’exposition à la fibre d’amiante, d’autre part.
[98] De façon subsidiaire, il est d’avis que la preuve démontre que la pathologie diagnostiquée chez le travailleur est en relation de cause à effet avec les risques particuliers du travail qu’il a exécuté chez l’employeur et qu’il y a lieu de reconnaître le caractère professionnel de l’amiantose diagnostiquée chez le travailleur.
[99] Le tribunal ne peut souscrire aux prétentions du procureur de la succession de feu Jean-Henri Larocque, et ce, en raison de la preuve médicale qui ne milite pas en faveur des conclusions recherchées.
[100] Bien qu’il ne soit pas nié par les parties que le travailleur ait pu être exposé à la fibre d’amiante et bien que la preuve ne permette pas d’en déterminer l’importance, les parties ont convenu devant le tribunal que la présence des plaques pleurales notée chez le travailleur permettait d’établir de façon probable une exposition à la fibre d’amiante.
[101] Le premier élément nécessaire à l’application de la présomption est donc jugé démontré de manière prépondérante.
[102] Il en va cependant autrement de la question du diagnostic d’amiantose, puisque le tribunal est d’avis que la preuve médicale démontre de manière prépondérante que le travailleur n’était pas porteur d’une telle amiantose.
[103] À cet effet, le tribunal retient l’opinion bien documentée des trois spécialistes pneumologues qui ont formé le Comité spécial des présidents et dont le rapport est à l’origine de la décision faisant l’objet du présent litige.
[104] Le tribunal retient également comme prépondérante l’opinion du docteur Renzi en regard des différents éléments qu’il commente, tant dans son écrit du 8 avril 2012 que dans son témoignage devant le tribunal.
[105] Le tribunal est d’avis que le docteur Gagnon a rendu un témoignage de bonne foi, crédible et basé sur les éléments de la preuve qui lui a été soumise mais conclut que son témoignage n’a pas valeur de prépondérance dans le cadre du présent litige, puisque plusieurs des énoncés et constats du médecin ne comportent pas un caractère de probabilité et de prépondérance permettant au tribunal de conclure dans le sens recherché.
[106] À cet effet, de l’ensemble des éléments de la preuve soumise, le tribunal retient que le travailleur présentait des plaques pleurales calcifiées associées à une exposition à l’amiante. En l’espèce, cela a été reconnu par les parties.
[107] En regard d’un diagnostic de fibrose pulmonaire, le tribunal partage cependant l’opinion émise par le docteur Renzi à l’effet qu’il n’y a pas de détection de fibrose pulmonaire lors des différents examens radiographiques et qu’il n’y a aucune confirmation d’une telle pathologie dans les rapports complétés à la suite des tomodensitométries auxquelles a été soumis le travailleur.
[108] Or, selon la littérature médicale déposée à l’audience et les témoignages entendus, il est proposé qu’un examen par tomodensitométrie à haute résolution s’avère l’examen le plus approprié pour détecter la présence de fibrose pulmonaire. Le tribunal est de cet avis.
[109] C’est ce type d’examen que le travailleur a subi et les rapports que l’on retrouve au dossier ne révèlent pas la présence de fibrose pulmonaire.
[110] De l’avis du tribunal, les conclusions de ces examens par tomodensitométrie à haute résolution s’avèrent plus concluantes que toutes les autres investigations que l’on retrouve au dossier à savoir les radiographies simples, les bronchoscopies avec biopsie, lesquelles se sont également avérées négatives et les tests de fonction respiratoire auxquels a été soumis le travailleur qui eux, ont été interprétés différemment selon les spécialistes intervenants.
[111] Quant aux tests de fonction respiratoire dont il a été question dans le cadre des témoignages et des rapports complétés par les experts, le tribunal constate qu’ils révèlent tout au plus la présence d’un léger syndrome restrictif, ce qui n’est cependant pas significatif aux fins de la reconnaissance d’un diagnostic d’amiantose.
[112] Ces tests de fonction respiratoire comportent une marge d’erreur ici possiblement amplifiée du fait de la présence d’une maladie cardiaque chronique et de l’hypertension artérielle pulmonaire ayant pu être des facteurs, d’influence et causer des modifications de la fonction pulmonaire, comme l’a souligne avec justesse le docteur Renzi.
[113] Le tribunal retient également l’explication du médecin à l’effet que la courbe de compliance pulmonaire retrouvée en l’espèce n’est pas caractéristique de la fibrose pulmonaire.
[114] Le tribunal retient de plus que le docteur Renzi commente également dans son rapport un autre aspect des tests de fonction respiratoire (DMM) et souligne, en référence cette fois au DEM 25/75 qui atteint 54 % de la valeur prédite, ce qui indique une obstruction au niveau des petites voix respiratoires, sans permettre d’établir une relation avec une fibrose pulmonaire.
[115] Dans ces circonstances, le tribunal conclut à l’absence de fibrose pulmonaire, et ce, malgré le fait que ce diagnostic se retrouve dans l’historique médical évolutif du travailleur.
[116] Ainsi, l’absence d’un tel diagnostic de fibrose ne permet pas de conclure à la présence d’une amiantose pulmonaire, cette conclusion étant renforcée par l’absence d’une démonstration d’exposition d’une durée suffisante et significative à l’amiante, ce qui empêche également de conclure à la présence d’une amiantose pulmonaire.
[117] À la lumière de l’ensemble de la preuve et en relation particulière avec l’absence de preuve d’une exposition significative, la présence non démontrée d’une fibrose pulmonaire, la présence d’un léger syndrome restrictif non significatif, l’absence d’une évidence radiologique d’amiantose tout en considérant cependant la présence de plaques pleurales relativement bénignes et sans relation avec une atteinte de la fonction respiratoire chez le travailleur, le tribunal conclut à l’absence d’une maladie pulmonaire professionnelle de la nature d’une amiantose.
[118] Cela étant, le tribunal doit également conclure que le travailleur n’est pas décédé d’une maladie pulmonaire professionnelle.
[119] Cette conclusion du tribunal empêche donc l’application de la présomption de maladie professionnelle prévue à l’article 29 de la loi et à la section V de l’annexe I.
[120] Quant au fardeau de la preuve qui incombait à la partie requérante en regard à la démonstration prépondérante de la présence des conditions énoncées à l’article 30 de la loi, force est de conclure qu’il n’a pas été rencontré.
[121] La requête de la succession du travailleur sera donc rejetée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de monsieur Jean-Henri Larocque (succession), le travailleur;
CONFIRME la décision rendue, le 19 décembre 2011, par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur décédé, monsieur Jean-Henri Larocque, n’a pas subi de lésion professionnelle pulmonaire sous forme d’amiantose;
DÉCLARE que le travailleur n’est pas décédé des suites ou des complications d’une lésion professionnelle pulmonaire;
DÉCLARE que le travailleur n’a pas droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Claude Bérubé |
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Me André Lalancette |
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LAROUCHE LALANCETTE & ASSOCIÉS |
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Représentant de la partie requérante |
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Me François Côté |
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NORTON ROSE CANADA S.E.N.C.R.L. |
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Représentant de la partie intéressée |
[1] L.R.Q., c.A-3.001.
[2] G. GAMSU et al.,« CT Quantification of Interstitial Fibrosis in Patients with Asbestosis : A Comparison of Two Methods », (1995) 164 AJR. American Journal of Roentgenology,pp. 63-68.
[3] AMERICAN THORACIC SOCIETY, « Diagnosis and Initial Management of Nonmalignant Diseases Related to Asbestos », (2004) 170 American Journal of Respiratory and Critical Care Medicine,pp. 691-715.
[4] Précitée, note 3.
[5] A. ANDRION et al.,« Pleural Plaques at Autopsy, Smoking Habits, and Asbestos Exposure », (1984) 65 European Journal of Respiratory Diseases,pp. 125-130;
R.W. PARKES, Occupational Lung Disorders, 3e éd., Oxford, Toronto, Butterworths-Heinemann, 1994, 418-420; 449-451;
Paul DE VUYST et Pierre Alain GENEVOIS, chap. 9 : « Asbestosis », dans David J. HENDRICK et al.,Occupational Disorders of the Lung : Recognition, Management, and Prevention, London, Toronto, W.B. Saunders, 2002, pp. 143-162;
B.T. MOSSMAN et A. CHURG, « Mechanisms in the Pathogenesis of Asbestosis and Silicosis », (1998) 157 American Journal of Respiratory and Critical Care Medicine,pp. 1666-1680.
[6] Précitée, note 5.
[7] Précitée, note 5.
AVIS :
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