Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

RÉGION :

Montérégie

LONGUEUIL, le 13 février 2001

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER :

144924-62-0008

DEVANT LE COMMISSAIRE :

Me Richard L. Beaudoin

 

 

 

 

 

 

 

ASSISTÉ DES MEMBRES :

Mme Suzanne Blais

 

 

 

Associations d’employeurs

 

 

 

 

 

 

 

Mme Osane Bernard

 

 

 

Associations syndicales

 

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER CSST :

113041909

AUDIENCE TENUE LE :

30 janvier 2001

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À :

Longueuil

 

 

 

 

 

 

_______________________________________________________

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LUCIE BENOÎT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE REQUÉRANTE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PRODUITS ÉLECTRIQUES BEZO LTÉE

 

 

et

 

 

PRODUITS D’ÉCLAIRAGE EXACTA CANADA LTÉE (faillie)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIES INTÉRESSÉES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

DÉCISION

 

 

[1]               Le 21 août 2000, Lucie Benoît (la travailleuse) conteste par requête une décision de la révision administrative de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (C.S.S.T.) rendue le 14 août 2000 qui confirme une décision de la C.S.S.T. du 17 mai 2000. Cette dernière refuse le paiement des travaux d’entretien, soit le grand ménage de son logement.

[2]               Les parties sont convoquées à une audience le 30 janvier 2001. La travailleuse est présente et représentée. La Commission des lésions professionnelles a pris connaissance du dossier, de la preuve soumise, de l’argumentation et délibéré.

OBJET DU RECOURS

[3]               La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’elle a droit au remboursement des frais encourus pour faire effectuer son grand ménage, conformément aux dispositions de l’article 165 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

PREUVE

[4]               La travailleuse, née le 5 octobre 1959, subit une lésion professionnelle le 13 juin 1997. Le diagnostic retenu est une tendinite de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite. Elle subit également, le 13 novembre 1997, une lésion professionnelle soit un tunnel carpien bilatéral[2].

[5]               La C.S.S.T., le 5 octobre 1999, entérine l’avis d’un membre du bureau d’évaluation médicale et détermine que la lésion professionnelle du 13 juin 1997 a entraîné une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. La travailleuse a donc droit à la réadaptation.

[6]               L’atteinte permanente pour la tendinite de la coiffe des rotateurs est évaluée à 2 %.

[7]               Les limitations fonctionnelles sont :

« Madame Benoît voit (lire doit) éviter de :

 

-      Travailler avec le membre supérieur droit en position d’élévation ou d’abduction de plus de 90°;

 

-      Les mouvements d’abduction, d’élévation et de rotation de l’épaule droite contre résistance forte de façon répétitive;

 

Au niveau des tunnels carpiens, il n’y a aucune limitation fonctionnelle qui doit être retenue. »

 

 

[8]               Le 16 mai 2000, la travailleuse fait parvenir à la C.S.S.T. une demande de payer les frais de grand ménage et joint à sa demande des soumissions.

[9]               La C.S.S.T. refuse et la révision administrative confirme cette décision, d’où le litige actuel.

[10]           À l’audience, la travailleuse déclare qu’elle n’a pas fait le grand ménage depuis trois ans car elle en est incapable. La douleur à l’épaule reprend lorsqu’elle soulève son bras et son épaule bloque. Le nécessaire va-et-vient, au-dessus des épaules, pour faire ce type de ménage est le mouvement qui lui est le plus difficile.

[11]           Avant la lésion professionnelle de juin 1997, elle effectuait ce type de ménage.

[12]           Elle n’a pas déboursé les frais requis dans les soumissions qu’elle a produites.

ARGUMENTATION

[13]           Le représentant de la travailleuse soumet qu’il y a lieu de distinguer les dispositions de l’article 158 de la loi des dispositions de l’article 165. Ainsi, il ne s’agit pas d’aide nécessaire au maintien à domicile ou au retour à domicile, mais de travaux d’entretien courant du domicile lorsque la travailleuse a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique.

[14]           Le dossier révèle que la travailleuse est droitière, la preuve à l’audience démontre qu’elle effectuait ses travaux d’entretien de type grand ménage et que les limitations fonctionnelles qui l’affectent maintenant l’empêchent d’effectuer cet entretien.

[15]           Il y a lieu d’évaluer l’atteinte permanente grave en fonction des limitations fonctionnelles découlant de la lésion professionnelle. Il ne s’agit pas de faire une équation entre la gravité et le besoin de façon abstraite, mais d’examiner les limitations fonctionnelles spécifiques de la travailleuse, concrètement, afin d’évaluer le besoin.

[16]           Au soutien de son argumentation, il soumet des résumés de décisions apparaissant au « Memento »[3] préparé par la Commission des lésions professionnelles.

AVIS DES MEMBRES

[17]           La membre issue des associations d’employeurs est d’avis que la travailleuse n’a pas payé ces frais d’entretien et qu’elle n’a donc pas droit à leur remboursement. Par ailleurs, s’il y a lieu d’accorder ce droit au remboursement, les travaux remboursés ne doivent être que ceux que la travailleuse ne peut accomplir à cause des limitations fonctionnelles dont elle est atteinte.

[18]           La membre issue des associations syndicales est d’avis que les limitations fonctionnelles qui affectent la travailleuse l’empêchent d’effectuer le lavage des murs, plafonds et vitres, que les dispositions de l’article 165 de la loi permettent de rembourser ces frais. Il y a lieu de distinguer cet article de l’article 158 de la loi.

MOTIFS

[19]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la travailleuse a droit au bénéfice des dispositions de l’article 165 de la loi, soit le remboursement des travaux d’entretien courant de son domicile.

[20]           Cette disposition de la loi se lit ainsi :

165. Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui - même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.

 

 

[21]           Cette disposition pose plusieurs conditions : une atteinte permanente grave à l’intégrité physique, une incapacité d’effectuer les travaux d’entretien courant du domicile et le paiement de ces travaux.

[22]           L’interprétation de cette disposition doit se faire à la lumière de l’article 1 de la loi :

1. La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.

 

Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour dommages corporels et, le cas échéant, d'indemnités de décès.

 

La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.

 

 

[23]           Dans la décision Bouthillier et Pratt & Whitney Canada inc.[4], la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles analyse cet article de la loi et la jurisprudence pertinente pour en venir à la conclusion qu’il faut analyser la capacité résiduelle de la travailleuse en fonction des travaux qu’elle ne peut plus accomplir. Elle cite en ce sens la commissaire Cuddihy dans l’affaire Chevrier et Westburne ltée[5] :

« Dans cette optique, le mot grave qui qualifie l’atteinte permanente à l’article 165 ne doit pas être considéré isolément. L’article doit être lu dans son ensemble et dans le contexte de l’objet de la loi et du but recherché par la réadaptation sociale. Il y a donc lieu d’analyser le caractère grave d’une atteinte permanente à l’intégrité physique en tenant compte de la capacité résiduelle du travailleur à exercer les activités visées par l’article 165 de la loi. Donc, pour avoir droit au remboursement des frais d’entretien pour une chose particulière, il faut que le travailleur ait une atteinte permanente qui est suffisamment grave pour l’empêcher d’accomplir ce travail d’entretien courant particulier de son domicile vu que le but d’une telle mesure de réadaptation est de rendre le travailleur autonome. »[6]

 

(nos italiques)

 

 

[24]           La mesure de la capacité d’accomplir ou non certains travaux d’entretien courant se trouve dans les limitations fonctionnelles découlant de la lésion. Ainsi, une atteinte permanente grave (en pourcentage, par exemple) résultant d’un préjudice esthétique important ne justifierait pas, en soi, un remboursement des frais d’entretien courant du domicile[7].

[25]           L’analyse de cette atteinte permanente grave doit se faire concrètement.

[26]           Les limitations fonctionnelles affectant la travailleuse sont d’éviter de travailler avec le membre supérieur droit en position d’élévation ou d’abduction de plus de 90° et d’éviter les mouvements d’abduction, d’élévation et de rotation de l’épaule droite contre résistance, de façon répétitive. Elle est incapable d’effectuer les travaux d’entretien courant qui contreviennent à ces limitations fonctionnelles.

[27]           Il s’agit donc, de l’avis de la Commission des lésions professionnelles, d’une atteinte que l’on peut qualifier de grave.

[28]           La travailleuse a démontré qu’elle effectuait ces travaux d’entretien courant auparavant et qu’elle ne peut plus les faire.

[29]           Elle n’a cependant pas encouru les frais et on ne peut donc lui rembourser.

[30]           La travailleuse demande de déclarer qu’elle aurait droit au remboursement des frais d’entretien courant s’ils étaient encourus.

[31]           La situation n’est pas sans précédent. Dans la décision Lebrun et Ville de Sept-Îles[8], la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles considère que le travailleur demande une déclaration de principe indiquant que les frais pour des travaux d’entretien courant du domicile qui sont prévisibles seront, de par leur nature, remboursables. La Commission d’appel en matière de lésions professionnelles acquiesce à cette demande.

[32]           En la présente instance, il y a lieu de déclarer qu’à la suite de la lésion professionnelle subie le 13 juin 1997, la travailleuse a une atteinte permanente grave, qu’elle est incapable d’effectuer certains travaux d’entretien courant de son domicile qu’elle effectuerait normalement, soit le grand ménage, compte tenu des limitations fonctionnelles décrites par le membre du bureau d’évaluation médicale et qu’elle a droit au remboursement des seuls frais qu’elle peut engager pour faire exécuter ces travaux.

POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de Lucie Benoît (la travailleuse);

INFIRME la décision de la révision administrative de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 14 août 2000;

DÉCLARE que la travailleuse a droit au remboursement des frais qu’elle engage pour effectuer les travaux d’entretien courant de son domicile qu’elle ne peut plus effectuer compte tenu des limitations fonctionnelles reconnues à la suite de la lésion professionnelle subie le 13 juin 1997.

 

 

 

 

Me Richard L. Beaudoin, commissaire

 

 

 

M. Richard Bélanger

R.A.T.M.P.

6735, rue de Normanville

Montréal (Québec)

H2S 2C2

 

Représentant de la partie requérante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Lucie Benoît et Productions électriques Bezo ltée et Productions d’éclairage Exacta can (faillie) et Raymond, Chabot et ass., C.L.P. 106790-62-9811, 103065-62-9807 et 103066-62-9807, le 22 mars 1999, Me L. Vallières, commissaire.

[3]           Recueil de décisions de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles et de la Commission des lésions professionnelles regroupées par thèmes et mis à jour régulièrement.

[4]           [1992] C.A.L.P. 605 .

[5]           C.A.L.P. 16175-08-8912, le 25 septembre 1990.

[6]           Note 4, p. 612.

[7]           Shaik et Général électrique du Canada inc., C.A.L.P. 19395-62-9005, le 23 octobre 1992, Me F. Dion-Drapeau.

[8]           C.A.L.P. 79061-04-9605, le 27 mars 1997, P. Brazeau, commissaire.

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