T.D. et Compagnie A |
2011 QCCLP 8327 |
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RECTIFICATION D’UNE DÉCISION
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[1] La Commission des lésions professionnelles a rendu le 21 décembre 2011, une décision dans le présent dossier;
[2] Cette décision contient des erreurs d’écriture qu’il y a lieu de rectifier en vertu de l’article 429.55 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q., c. A-3.001;
[3] Au paragraphe 83, nous lisons :
En ajoutant le pointage prévu (2,5 + 1,5 + 1 + 2 + 0.5), 7,5, à celui reconnu dans l’évaluation effectuée par l’ergothérapeute Michaud en juillet 2010 pour une aide d’assistance partielle pour la préparation du souper, pour le ménage léger et pour l’approvisionnement (2 + 0,5 + 1,5), on obtient un total de 12,5 sur 48 en application du Règlement sur les normes et barèmes de l'aide personnelle à domicile (le règlement). Ce pointage correspond à un pourcentage de 30,4.
[4] Alors que nous aurions dû lire à ce paragraphe :
En ajoutant le pointage prévu (2,5 + 1,5 + 1 + 2 + 0.5), 7,5, à celui reconnu dans l’évaluation effectuée par l’ergothérapeute Michaud en juillet 2010 pour une aide d’assistance partielle pour la préparation du souper, pour le ménage léger, le ménage lourd et pour l’approvisionnement (2 + 0,5 + 1 + 1,5), on obtient un total de 12,5 sur 48 en application du Règlement sur les normes et barèmes de l'aide personnelle à domicile (le règlement). Ce pointage correspond à un pourcentage de 30,4.
[5] Au paragraphe 116, nous lisons :
Cependant, le tribunal est d’avis que cette disposition ne permet pas au travailleur d’obtenir le remboursement du coût d’acquisition du bois lui-même qu’il a acheté de son beau-père. En effet, la loi et la jurisprudence qui l’a appliqué réfèrent à des activités ou travaux que le travailleur effectuerait. Ainsi, même une interprétation large ne peut faire en sorte que l’achat de la matière première puisse être remboursé. C’est ce qui fait que le tribunal conclut que le travailleur a le droit d’être remboursé pour le débitage, la fente, la livraison et le cordage du bois qu’il a acheté, (soit) un montant de 1 157,50 $.
[6] Alors que nous aurions dû lire à ce paragraphe :
Cependant, le tribunal est d’avis que cette disposition ne permet pas au travailleur d’obtenir le remboursement du coût d’acquisition du bois lui-même qu’il a acheté de son beau-père. En effet, la loi et la jurisprudence qui l’a appliqué réfèrent à des activités ou travaux que le travailleur effectuerait. Ainsi, même une interprétation large ne peut faire en sorte que l’achat de la matière première puisse être remboursé. C’est ce qui fait que le tribunal conclut que le travailleur a le droit d’être remboursé pour le débitage, la fente, la livraison et le cordage du bois qu’il a acheté, pour un montant de 1 157,50 $.
[7] À la page 25, nous lisons :
Dossier 450391-31-1109
DÉCLARE que le travailleur a droit au remboursement de 1 157,50 $ pour la fourniture de son bois de chauffage pour l’hiver 2011-2012.
[8] Alors que nous aurions dû lire :
Dossier 450391-31-1109
DÉCLARE que le travailleur a droit au remboursement de la fourniture de son bois de chauffage pour l’hiver 2011-2012, en fonction du montant maximum annuel prévu par la loi.
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Martin Racine |
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Me Michelle Labrie |
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LORD, LABRIE, NADEAU AVOCATS |
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Représentante de la partie requérante |
T.D. et Compagnie A |
2011 QCCLP 8327 |
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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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Québec |
21 décembre 2011 |
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Région : |
Québec |
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Dossiers : |
439782-31-1105 450391-31-1109 |
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Dossier CSST : |
115376998 |
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Commissaire : |
Martin Racine, juge administratif |
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Membres : |
Gaétan Gagnon, associations d’employeurs |
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Pierre Banville, associations syndicales |
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T... D... |
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Partie requérante |
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et |
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[Compagnie A] |
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Partie intéressée |
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Dossier 439782-31-1105
[1] Le 25 mai 2011, monsieur T... D... (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 16 mai 2011, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST déclare irrecevable la contestation d’une décision dans laquelle elle met fin à l’allocation d’aide personnelle à domicile à compter du 30 juillet 2006. De plus, elle y confirme celle qu’elle a initialement rendue le 23 février 2011 et déclare que les nouveaux diagnostics de tendinite à l’épaule gauche, épicondylite au coude gauche et de tendinite au poignet gauche ne sont pas reliés à la lésion professionnelle du 30 juin 1998.
Dossier 450391-31-1109
[3] Le 30 septembre 2001, le travailleur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la CSST le 15 septembre 2001, à la suite de la révision administrative.
[4] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 11 juin 2011 et déclare que le travailleur n’a pas droit au remboursement des frais qu’il réclame pour du bois de chauffage.
[5] Une audience est tenue à Québec le 15 décembre 2011 en présence du travailleur qui est représenté. L’affaire est mise en délibéré le même jour.
L’OBJET DES CONTESTATIONS
Dossier 439782-31-1105
[6] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’être relevé du défaut d’avoir produit, dans le délai prévu à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1], une demande de révision de la décision mettant fin à son allocation d’aide personnelle à domicile.
[7] De plus, il demande de déclarer que les diagnostics de tendinite de l’épaule gauche, d’épicondylite au coude gauche et de tendinite au poignet gauche, sont reliés à sa lésion professionnelle et qu’il a droit aux prestations prévues à la loi en regard de ces diagnostics.
Dossier 450391-31-1109
[8] Le travailleur demande de déclarer qu’il a droit au remboursement des frais encourus pour l’achat de bois de chauffage au mois de juin 2011.
L’AVIS DES MEMBRES
Dossier 439782-31-1105
[9] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations médicales sont d’avis que la requête doit être accueillie.
[10] Ils considèrent que le travailleur a démontré l’existence d’un motif raisonnable pour le relever du défaut de n’avoir contesté la décision que le 8 décembre 2010. En effet, ils sont d’avis que le travailleur était justifié d’espérer que sa condition s’améliorerait en raison des propos formulés par les personnes qui l’ont évalué à l’époque et l’équipe multidisciplinaire qui le suivait. C’est ainsi qu’en circonstances particulières du dossier, le travailleur a été diligent lorsqu’il a réalisé que ses espoirs étaient vains et qu’il a contesté la décision en raison du refus de la CSST de procéder à une nouvelle évaluation.
[11] Par ailleurs, les membres considèrent que la preuve révèle que la condition du travailleur fait en sorte qu’il a droit à l’aide personnelle à domicile puisque la décision de la CSST n’était fondée que sur une prévision selon laquelle il pourrait acquérir une autonomie après qu’on lui ait fourni une prothèse et des aide techniques. Or, il s’avère qu’il n’a jamais pu porter sa prothèse et que les aides techniques sont inefficaces pour lui permettre d’accomplir les activités de la vie quotidienne et celles de la vie domestique.
[12] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont également d’avis que la preuve révèle que les pathologies diagnostiquées au membre supérieur gauche du travailleur sont reliées aux nombreuses amputations subies à son membre supérieur droit et aux conséquences de celles-ci qui ont fait en sorte qu’il ne l’utilise pratiquement plus et qu’il y a surutilisation importante de son membre supérieur gauche surtout depuis 2008, à l’époque où un syndrome de douleur régionale complexe au membre supérieur droit a été diagnostiqué. Il s’agit de la cause la plus probable de ces pathologies qui ne peuvent être expliquées par aucune condition personnelle.
Dossier 450391-31-1109
[13] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis que la requête du travailleur doit être accueillie en partie.
[14] En effet, le travailleur a une atteinte permanente grave à son intégrité physique et ce mode de chauffage est utilisé de façon principale. De plus, il effectuait antérieurement les activités afférentes à ce type de chauffage. Toutefois, ils considèrent que la loi ne permet pas de rembourser le coût d’acquisition du bois et que le travailleur n’a par conséquent droit qu’au remboursement du travail relié au débitage, au fendage, à la livraison et au cordage du bois de chauffage.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[15] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a droit à l’aide personnelle à domicile à compter du 30 juillet 2010, date à laquelle la CSST y a mis fin. Cependant, étant donné que la décision à cet effet a été rendue le 29 juillet 2010 et que le travailleur ne l’a contestée que le 8 décembre 2010, le tribunal doit décider dans un premier temps si le travailleur doit être relevé du défaut d’avoir contesté cette décision en dehors du délai prévu à la loi.
[16] La Commission des lésions professionnelles doit aussi décider si les diagnostics de tendinite à l’épaule gauche, d’épicondylite au coude gauche et de tendinite au poignet gauche sont reliés à la lésion professionnelle subie par le travailleur le 30 juin 1998 qui a affecté son membre supérieur droit.
[17] Enfin, la Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a droit au remboursement des coûts liés à l’acquisition du bois de chauffage pour l’année 2011.
[18] Avant de disposer de chacune de ces questions, il convient de relater l’essentiel de la chronologie des événements qui se sont succédés à la suite de l’accident du travail subi par le travailleur le 30 juin 1998.
[19] Ce jour-là, alors qu’il est âgé de 20 ans et qu’il occupe un poste de cuisinier serveur [pour la Compagnie A] (l’employeur), sa main droite est coincée entre le pare-choc de la remorque à la suite d’une fausse manœuvre du conducteur. Cet accident du travail entraine la perte du majeur droit. Dans le premier diagnostic qui est posé, il est question de blessure avec « section partielle des fléchisseurs » à la suite de la chirurgie réalisée le jour même par le docteur Gagnon.
[20] Le 14 août 1998, la CSST accepte le diagnostic de section des deux tendons fléchisseurs du majeur droit en lien avec l’événement du 30 juin 1998. Le travailleur retourne aux études le 31 août suivant.
[21] Le 28 septembre 1998, le docteur Lemire effectue une seconde chirurgie rendue nécessaire compte tenu d’adhérences au niveau des tendons fléchisseurs du troisième doigt de la main droite. Le bureau médical de la CSST accepte la relation entre cette seconde chirurgie et l’événement du 30 juin puisqu’il s’agit « d’une complication malencontreuse ». Le 20 octobre 1998, le travailleur débute des traitements de physiothérapie, lesquels cessent le 6 novembre suivant sur la recommandation du docteur Lemire et devant le peu d’amélioration notée au niveau des mouvements actifs.
[22] Devant l’absence de toute amélioration et l’ankylose persistante du majeur de la main droite du travailleur, le docteur Lemire effectue une troisième chirurgie le 25 février 1999 et ampute le troisième doigt de la main droite du travailleur « afin de favoriser la fonction de la main droite ». Le 8 avril 1999, le travailleur débute des traitements de physiothérapie et le 22 juin suivant, le docteur Lemire produit un rapport médical final et effectue le rapport d’évaluation médicale qui le complète.
[23] Le docteur Lemire note que le travailleur se plaint de douleurs à toute la main droite, surtout lors de mouvements de flexion avec force. Il écrit que le travailleur a une ankylose de l’annulaire droit avec un déficit d’extension ainsi que d’une perte d’habileté générale au niveau de la main droite.
[24] À l’examen, le docteur Lemire indique un rapprochement des deuxième et quatrième doigts de la main droite suite à l’amputation du majeur. Il indique une adhérence au plan profond suite à la dernière chirurgie et un déficit d’extension de 10° de l’articulation métacarpophalangienne du quatrième doigt. Il accorde une atteinte permanente de l’ordre de 7,15 %, mais aucune limitation fonctionnelle.
[25] Le travailleur retourne au travail le 1er juillet 1999, effectue un retour aux études en août. Par la suite et jusqu’en avril 2006, il occupe divers emplois, dont ceux de cuisinier, vendeur dans des quincailleries et journalier pour une municipalité.
[26] Le 29 novembre 2004, le docteur Jean Lamontagne, orthopédiste, examine le travailleur à la demande de son médecin de famille le docteur Blouin, pour une problématique au niveau de son genou gauche. À cette occasion, le docteur Lamontagne indique que le travailleur présente aussi des douleurs au niveau de sa main droite, mais avec une fonction relativement bien préservée. Il écrit ne noter aucune anomalie et ne pas croire qu’une chirurgie puisse aider à ce niveau. Le 6 décembre suivant, une radiographie simple de la main droite n’indique aucun processus d’allure évolutive.
[27] Alors vendeur dans une quincaillerie, le travailleur consulte le 1er avril 2006. Le docteur Melanson constate une « réactivation de la lésion ». Il note une diminution de la force et des amplitudes articulaires au niveau du quatrième doigt droit, en comparaison des amplitudes notées lors de l’évaluation du 22 juin 1999. Il suggère des traitements de physiothérapie. Le 17 mai 2006, le travailleur remplit une réclamation et le 20 juin suivant, le docteur Blouin demande une réévaluation en orthopédie. Le travailleur poursuit son travail entretemps.
[28] Le 13 juillet 2006, la CSST rend une décision qui énonce qu’elle accepte la relation entre une ankylose du quatrième doigt de la main droite et la lésion professionnelle initiale du 30 juin 1998, et ce, à titre rechute, récidive ou aggravation.
[29] Au mois d’août 2006, le travailleur débute un emploi de journalier.
[30] Le docteur Lemire examine le travailleur le 13 décembre 2006. Il indique que suite à sa lésion du 30 juin 1998, le travailleur « a fait de l’algodystrophie traitée en multiples blocs sympathiques ». Le travailleur rapporte des douleurs accrues et une sensation de raideur au niveau de sa main droite. À l’examen clinique, le docteur Lemire ne note aucune rougeur, ni œdème, ni ankylose. Il ne suggère aucun traitement plus spécifique.
[31] Le 4 octobre 2007, le docteur Blouin produit un rapport médical final et y note l’existence d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles permanentes. Le 8 novembre suivant, le travailleur informe la CSST que c’est le docteur Jacques Bouchard qui doit effectuer le rapport d’évaluation médicale le 10 décembre 2007.
[32] Le 10 décembre 2007, le docteur Bouchard examine le travailleur. Il note que ce dernier est journalier pour une municipalité et qu’il dit souffrir de dysesthésie lorsqu’il travaille au froid. Le travailleur rapporte que depuis un an, il manque de force de préhension, constate que l’extension de ses quatrième et cinquième doigts de sa main droite est incomplète et qu’il éprouve des paresthésies nocturnes. Comme le signe de Phalen est positif à l’examen, le docteur Bouchard suggère une étude par électromyogramme et une consultation en plastie. Il n’effectue pas le rapport d’évaluation médicale. Entretemps, une radiographie de l’avant-bras, du poignet et de la main droite en date du 21 décembre 2007 s’avère normale.
[33] À compter du 22 février 2008, le travailleur consulte le docteur Cloutier, plasticien, qui assure le suivi lors des rencontres suivantes, les 25 avril et 30 mai 2008. Il propose au travailleur de procéder à une ténosynovotomie de l’index, de l’annulaire et de l’auriculaire de la main droite, dans le but de ramener la flexion au niveau de ces trois doigts, ce que le travailleur accepte.
[34] Le docteur Cloutier procède à la chirurgie le 10 octobre 2008 et prescrit un arrêt de travail de deux semaines. Le travailleur fait parvenir une réclamation à la CSST à cet effet.
[35] Le 17 octobre 2008, le travailleur consulte le docteur Blouin. Ce dernier prescrit des traitements de physiothérapie et un arrêt de travail complet jusqu’au 23 novembre suivant. Devant l’intensité de la douleur à sa main droite, le travailleur consulte en urgence le docteur Labbé, le 29 octobre suivant, qui lui prescrit des médicaments antidouleurs. Le 3 novembre 2008, la CSST accepte la ténosynovotomie à titre rechute, récidive, aggravation de la lésion professionnelle initiale du 30 juin 1998.
[36] Le travailleur consulte le docteur Blouin le 14 novembre suivant et lui rapporte être incapable d’effectuer une extension et éprouver beaucoup de difficulté à effectuer une flexion de ses deuxième, quatrième et cinquième doigts de la main droite, depuis la chirurgie du 10 octobre. Il dit éprouver de la difficulté à dormir compte tenu de la douleur. Le docteur Blouin maintient l’arrêt de travail.
[37] Le 23 novembre 2008, la physiothérapeute note des amplitudes articulaires diminuées aux quatrième et cinquième doigts de la main droite. Elle suggère au docteur Blouin le port d’une orthèse.
[38] Le 28 novembre suivant, le travailleur débute des traitements d’ergothérapie et le même jour, rencontre le docteur Cloutier. Celui-ci note que les quatrième et cinquième doigts de la main droite du travailleur demeurent fléchis, mais que l’index a une meilleure extension. Il mentionne que le travailleur est agressif et évoque la possibilité de poursuite. Le docteur Cloutier désire le réévaluer en janvier 2009 et avise le docteur Blouin du comportement du travailleur.
[39] Le 1er décembre 2008, le travailleur contacte un agent de la CSST. Ce dernier rapporte que le travailleur veut rencontrer un autre chirurgien, car pour lui, le docteur Cloutier l’a mal soigné. Il note que le travailleur prend des médicaments pour « l’angoisse, le stress et le manque de sommeil ». Il se sent angoissé et déprimé puisqu’il va perdre son travail et désire obtenir des rencontres en thérapie.
[40] Le 9 décembre 2008, le travailleur revoit le docteur Blouin qui mentionne « ankylose vs algodystrophie ainsi qu’ « éléments dépressifs secondaires ». Il prescrit Effexor et maintient l’arrêt de travail. Il écrit attendre le résultat d’une consultation en orthopédie auprès du docteur Lemire.
[41] Le docteur Blouin remplit, le 11 décembre 2008, un avis pour la CSST et indique que le travailleur éprouve une ankylose importante en flexion et est dans l’impossibilité d’effectuer une extension des deuxième, quatrième et cinquième doigts de la main droite, qu’il ne peut à toutes fins utiles utiliser. Il maintient la prescription de traitements de physiothérapie et d’ergothérapie. Il écrit attendre le résultat d’une consultation en orthopédie auprès du docteur Lemire, pour éliminer une algodystrophie. Le 16 décembre suivant, ce dernier demande une scintigraphie osseuse.
[42] Le 19 décembre 2008, la physiothérapeute note que suite aux traitements d’ergothérapie, les douleurs sont nettement augmentées au niveau des quatrième et cinquième doigts de la main droite et que le travailleur est incapable de porter son orthèse à cause de douleurs nocturnes. Au rapport suivant en date du 4 janvier 2009, la physiothérapeute mentionne une diminution de la douleur de l’ordre de 30 à 40 %, mais qu’il y a maintien constant des quatrième et cinquième doigts de la main droite en flexion.
[43] Le 14 janvier 2009, la CSST informe le travailleur qu’elle accepte de lui verser une allocation pour aide personnelle à domicile, rétroactivement au 10 octobre 2008, et ce, jusqu’au 13 février 2009. À l’évaluation, l’ergothérapeute note que le travailleur éprouve des besoins d’assistance partielle pour l’hygiène corporelle, l’alimentation, la préparation des trois repas principaux de la journée, ainsi que du ménage lourd.
[44] Le 21 janvier 2009, le docteur Blouin maintient l’arrêt de travail et le 25 janvier, la physiothérapeute note un état stable et que le travailleur semble être bien décidé à se faire amputer les quatrième et cinquième doigts de la main droite.
[45] Parallèlement à la détérioration de sa condition physique, il appert que le travailleur présente aussi des problèmes psychiques, ce qui amène d’ailleurs la Commission des lésions professionnelles à déclarer que le 9 décembre 2008, le travailleur a subi une lésion professionnelle de la nature d’une rechute, récidive ou aggravation de l’accident du travail du 9 décembre 2008, soit un trouble d’adaptation avec humeur dépressive.
[46] Le 4 mars 2009, le docteur Luc Lemire procède à une amputation en rayon des quatrième et cinquième doigts de la main droite. Le diagnostic pré et post opératoire mentionne une ankylose douloureuse des quatrième et cinquième doigts de la main droite.
[47] Le travailleur subit une autre intervention chirurgicale le 20 mai 2010. Le docteur Lemire procède à l’amputation de l’avant-bras distal droit en fonction d’un diagnostic de dysfonction de la main droite post traumatique.
[48] Il est admis au programme des amputés de l’institut de réadaptation en déficience physique de Québec (l’IRPPQ) à compter du 13 juin 2010 « pour un appareillage avec prothèse fonctionnelle, soit conventionnelle avec crochets » tel qu’il appert de la note de départ rédigée le 14 octobre 2010 par le physiatre Serge Fecteau.
L’allocation d’aide à domicile
[49] À cette époque, la CSST lui accorde une allocation d’aide à domicile. D’ailleurs, dans une note évolutive complétée le 28 mai 2010, le conseiller en réadaptation indique que le travailleur est de retour à la maison depuis son amputation et qu’il ne pourra débuter la réadaptation avant la guérison du moignon. Il est indiqué qu’une grille d’évaluation est complétée et que le travailleur a droit à une allocation de 337,23 $ toutes les deux semaines jusqu’au 16 juillet 2010 et qu’une « réévaluation de ses besoins aura lieu afin de tenir compte de l’évolution de son état de santé et de sa situation personnelle ».
[50] Vu l’état du travailleur, il est décidé par l’équipe de l’IRDPQ qu’il doit être admis en interne et c’est ainsi qu’il demeure à cet endroit durant un mois et demi. C’est alors que débute un programme de réadaptation fonctionnelle comprenant un support psychologique, la prise en charge en physiothérapie et en ergothérapie en vue d’une réadaptation intensive.
[51] C’est au cours de ces traitements qu’un certain nombre d’aides techniques sont fournies graduellement au travailleur et que les démarches en vue de la fourniture de la prothèse et de l’apprentissage de son usage débutent. C’est après la prise de l’empreinte et le processus de fabrication que la prothèse est fournie à la mi-août. C’est aussi durant cette période que débute un processus de transfert de dominance qui n’a cependant pas été complété.
[52] Après le séjour d’un mois et demi à l’interne, le travailleur continue de bénéficier du programme de réadaptation, mais séjourne dans un hôtel à proximité.
[53] Dès les premiers moments de l’utilisation de la prothèse, le travailleur ressent une pression et des douleurs. Il en avise l’équipe multidisciplinaire composée notamment d’un médecin, d’un physiothérapeute et d’un ergothérapeute. On lui répond que c’est normal, car l’amputation de son membre est récente et que sa condition s’améliorera avec le temps.
[54] Toutefois, ce n’est pas le cas puisque les douleurs s’accentuent graduellement alors qu’il tente de porter sa prothèse pour se familiariser avec son usage. C’est ce qui fait en sorte que le travailleur ne pourra jamais la porter plus de cinq à dix minutes par jour.
[55] À cet égard, le docteur Fecteau écrit ce qui suit dans sa note de départ précitée :
Le patient s’est toujours plaint de douleurs diffuses dans le moignon et de froideurs qui apparaissaient de façon très variable et, malgré une prothèse cubitale conventionnelle bien ajustée et évaluée plusieurs fois par la prothésiste, il n’a jamais réussi à tolérer cette prothèse plus de 10 minutes à la fois et, bien qu’il aurait pu être très habile avec cette dernière, on a eu un appareillage sous-optimal, ne pouvant pratiquement pas la porter. On a essayé de trouver une étiologie organique à cette douleur du moignon.
[56] À ce sujet, il appert que le diagnostic de syndrome de douleur régionale complexe a été posé par l’orthopédiste Luc Lemire par la suite et que, le 29 juillet 2011, la CSST a décidé qu’il y avait une « relation entre ce diagnostic et la rechute du 9 octobre 2008 ».
[57] Lorsqu’il quitte l’IRDPQ à la mi-octobre pour retourner vivre chez lui, le travailleur n’a pas encore reçu toutes les aides techniques et il n’a pas eu l’occasion de les utiliser non plus dans sa vie quotidienne puisqu’il est pratiquement absent de son domicile depuis la mi-juin.
[58] Dans la note de départ précitée, le physiatre Fecteau indique que le travailleur est encouragé à tenter de mettre sa prothèse le plus souvent possible par petite périodes selon la tolérance, « et peut-être qu’un jour, il finira par s’y habituer ». Il ajoute lui avoir remis une justification « pour de l’aide domestique comme son conseiller de la CSST, monsieur Saulnier, le demandait ». Le travailleur est libéré du programme des personnes amputées, mais il est prévu qu’il sera revu en relance le 23 novembre 2011.
[59] Le même jour, le docteur Fecteau complète un document dans lequel il écrit « amputé cubital droit avec échec à l’appareillage avec prothèse fonctionnelle. Nécessité aide domestique. »
[60] D’ailleurs, dès le 6 octobre 2010, le conseiller en réadaptation est avisé par le coordonateur clinique du programme des personnes handicapées de l’IRDPQ que « malheureusement, l’appareil prothétique n’est pas un succès, puisque Monsieur ne porte pas sa prothèse sauf exception, par exemple lors des séances d’ergothérapie ».
[61] Le travailleur retourne à l’IRDPQ du 15 au 18 novembre 2010 pour des traitements en ergothérapie. Dans une note du 23 novembre 2010, le conseiller indique que le travailleur « revient une fois de plus sur sa demande de réévaluation d’aide personnelle à domicile considérant la douleur au bras droit et le fait qu’il ne porte pas la prothèse radiocubitale ». Il lui indique qu’il n’est pas en mesure de faire les activités de la vie domestique et que sa conjointe a « tout sur les épaules ». Monsieur Saulnier lui rappelle que « suite à l’évaluation par l’ergothérapeute, il avait été déterminé qu’il était autonome sur le plan personnel avec aides techniques, avec ou sans prothèse, ce qui signifie qu’il était également autonome pour ses activités de la vie quotidienne (AVQ). Sa situation étant ce qu’elle est, il ne peut avoir droit aux allocations d’aide personnelle à domicile. Je n’ai aucun fait nouveau de la part des intervenants en réadaptation à ce sujet». [sic]
[62] Lors de la rencontre de suivi effectuée le 23 novembre 2010 avec le docteur Fecteau, ce dernier indique au travailleur qu’il ne sera jamais capable d’utiliser sa prothèse.
[63] Dans une note du 25 novembre 2010, le conseiller fait état d’un appel de l’ergothérapeute Anne Boulanger du programme des personnes handicapées pour lui faire part des besoins d’aides techniques complémentaires recommandés dans le cadre d’une évaluation de départ. De plus, le conseiller note ce qui suit :
Mme Boulanger m’informe que, malgré les aides techniques reçues, monsieur se dit incapable de laver tout son membre supérieur gauche en plus de son aisselle. Aucune évaluation objective n’a été réalisée. J’explique à Mme Boulanger que cette affirmation est nouvelle et récente et que la demande de M. D... concernait, dans un premier temps, uniquement des besoins d’aide pour les activités de la vie domestiques, la prescription médicale au dossier en faisant foi. Suite à la réception de la prescription, M. D... ayant été informé par nous-mêmes qu’il ne pouvait avoir accès au Programme d’aide personnelle à domicile s’il était autonome pour les activités de la vie quotidienne, celui-ci nous a fait part qu’il n’était pas en mesure de se raser avec la main gauche, même avec une aide technique telle qu’un rasoir électrique.
Mme Boulanger nous fera parvenir le rapport d’évaluation sous peu.
[64] Après la réception du rapport de fin d’intervention en ergothérapie et après avoir consulté son chef d’équipe, le conseiller indique avoir pris « la décision de ne pas donner suite à la demande de M. D... pour une réévaluation des besoins d’aide personnelle à domicile ».
[65] Dans le cadre des interventions à effectuer, il indique devoir « informer M. D... ». C’est ce qu’il fait le 3 décembre 2010, tel qu’il appert de la note suivante :
Aide personnelle à domicile
Autre information donnée sur le fait que nous ne demanderons pas de réévaluation de ses besoins d’aide personnelle à domicile, considérant qu’il est d’ores et déjà autonome pour ses activités de la vie quotidienne (AVQ), avec aides techniques, avec ou sans prothèse. Nous ne produirons pas non plus de nouvelles décision, puisque nous avons rendu une décision à ce sujet en date du 2010-07-29. M. D... peut toujours contester cette décision en expliquant les raisons de son retard, le délai de contestation de 30 jours étant éteint.
- ANALYSE DES RÉSULTATS :
Intervention effectuée
A la demande de M. D..., envoie d’une copie de la décision du 2010-07-29 portant sur la Réévaluation des besoins d’aide personnelle à domicile.
[66] Il ressort du témoignage crédible et non contredit du travailleur qu’il était confiant de pouvoir acquérir une autonomie au cours du programme intensif de réadaptation qu’il a débuté au mois de juin 2010. C’est d’ailleurs ce que lui ont laissé entrevoir les membres de l’équipe multidisciplinaire. C’est dans ce contexte qu’il ne s’est pas senti lésé par la décision rendue par la CSST à la fin du mois de juillet 2010. À cette époque, il ne résidait pas chez lui et n’avait même pas reçu sa prothèse.
[67] Cette décision fait suite à un rapport d’évaluation effectué par madame Anne-Marie Michaud. À cet égard, dans la note évolutive, le conseiller en réadaptation écrit que « M. D... redevient autonome pour toutes ses activités de la vie quotidienne (hygiène, habillage, alimentation), puisqu’il les réalise désormais seul avec l’utilisation d’aides techniques ». Il s’agit de la motivation de la décision contestée le 8 décembre par le travailleur. [Notre soulignement]
[68] À la révision de la preuve, Il s’avère que le fondement de cette décision est tout à fait erroné puisque, au moment où elle est rendue, le travailleur est en plein processus d’apprentissage et de familiarisation avec les aides techniques. Il n’a même pas reçu sa prothèse.
[69] Toutefois, comme mentionné précédemment, le travailleur qui participe activement et de façon positive à son programme de réadaptation est fondé de croire, qu’il sera autonome à la fin de celle-ci, lorsqu’il disposera de toutes les aides techniques et qu’il pourra utiliser sa prothèse.
[70] D’ailleurs, à l’intervention interdisciplinaire élaborée le 29 juin 2010 à l’IRDPQ, on lit que le pronostic suivant au niveau de l’autonomie personnelle : « Monsieur devrait être autonome avec et sans prothèse et avec aides techniques au besoin, pour son hygiène et son habillement ».
[71] Force est donc de constater que ce souhait ne pouvait être considéré par le conseiller en réadaptation comme une réalité au mois de juillet 2010, et par conséquent, il était tout à fait erroné de décider que le travailleur était redevenu autonome, de même il était aussi erroné d’écrire, au début de mois de septembre, que le travailleur bénéficiait de « toutes les aides techniques pour les AVQ et AVD », puisque la preuve révèle que certaines aides techniques ont été reçues après le départ du travailleur de l’IRDPQ au mois d’octobre.
[72] C’est ainsi que les circonstances particulières du présent dossier amènent le tribunal à conclure, sans aucune hésitation, qu’il existe un motif raisonnable pour relever le travailleur de son défaut d’avoir contesté la décision rendue le 27 juillet 2010 à l’époque où son programme de réadaptation débute et alors qu’il ne dispose pas de sa prothèse ni de la majorité des aides techniques. Ce n’est qu’à la fin du mois de novembre 2010, alors que le travailleur a tenté de se servir des aides techniques à la maison, sans pouvoir utiliser sa prothèse, qu’il était en mesure de réaliser qu’il avait besoin d’aide personnelle à domicile dans ses activités de la vie quotidienne et de la vie domestique.
[73] L’article 358.2 de la loi prévoit que la CSST peut relever une personne de son défaut de respecter le délai de contestation de 30 jours prévu à l’article 358 de la loi si elle démontre que sa demande de révision n’a pu être faite dans le délai prescrit pour un motif raisonnable :
358.2. La Commission peut prolonger le délai prévu à l'article 358 ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s'il est démontré que la demande de révision n'a pu être faite dans le délai prescrit pour un motif raisonnable.
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1997, c. 27, a. 15.
[74] À ce sujet, notre collègue Arsenault[2] écrit ce qui suit :
[63] Le concept de « motif raisonnable » de l’article 358.2 de la loi est vaste et peut englober différentes situations.
[64] Selon la jurisprudence du tribunal, le motif raisonnable correspond à un motif non farfelu, crédible et qui fait preuve de bon sens, de mesure et de réflexion4.
[65] La jurisprudence a également décrit le motif raisonnable comme une « notion vaste dont l’interprétation peut varier dans le temps, tout comme celle de la notion de bon père de famille, de l’homme prudent et diligent; cependant il doit y avoir un motif raisonnable et le tribunal ne saurait sanctionner la négligence d’une partie »5.
[66] Bien que son application comporte l’exercice d’une grande discrétion de la part du décideur, il importe de ne pas être trop formaliste et de favoriser l’exercice des droits que le législateur accorde à un justiciable. Encore faut-il que la justification apportée ne soit pas de l’ordre de la négligence ou qu’elle ne corresponde pas à une nouvelle appréciation d’une décision qui n’aurait pas été contestée en temps utile, comme en l’espèce.
[67] C’est ce que rappelle la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Cormier et Commission des lésions professionnelles6 :
[57] Il faut que les organismes administratifs cessent d’être plus rigides que les tribunaux de droit commun quant à la procédure. Rarement devant un tribunal ordinaire, un justiciable perd un droit à cause de la procédure. L’article 352 de ladite loi permet de prolonger un délai lorsqu’on a des motifs raisonnables. Tout cet imbroglio dans lequel se trouve la demanderesse n’est-il pas un motif raisonnable ? La décision du commissaire Maurice Sauvé (R-1) est raisonnable et le Tribunal ne doit pas intervenir.
[68] Cette opinion est reprise par la juge Suzanne Ouellet dans l’affaire Cantin c. Commission des lésions professionnelles et Commission de la santé et de la sécurité du travail7. Elle rappelle aux tribunaux administratifs que le rejet d’un recours pour vice procédural va à l’encontre du contexte législatif qui l’encadre. Selon elle, faire preuve de rigidité procédurale déroge aux règles édictées par les articles 351 et 353 de la loi :
[50] Rejeter la réclamation d’un travailleur sur la base d’une telle technicalité ne rencontre pas les objectifs de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles:
«Art. 1. La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.»
[51] Deuxièmement, cette rigidité procédurale déroge aux règles des articles 351 et 353 de la LATMP.
«Art. 351. La Commission rend ses décisions suivant l'équité, d'après le mérite réel et la justice du cas. […]» (soulignements ajoutés)
«Art. 353. Aucune procédure faite en vertu de la présente loi ne doit être rejetée pour vice de forme ou irrégularité.» (soulignements ajoutés)
[52] En plus, la CLP avait le pouvoir de prolonger le droit ou de relever Monsieur Cantin des conséquences de son défaut, le cas échéant36.
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36 Cormier c. Commission des lésions professionnelles, 2009 QCCS 730
[69] Le travailleur a-t-il démontré un motif raisonnable pour être relevé de son défaut d’avoir demandé la décision de la CSST dans le délai prévu à la loi?
[70] Le tribunal estime devoir répondre affirmativement à cette question.
[71] Le tribunal a déjà abordé cette question dans quelques décisions.
[72] Dans l’affaire Berardi et Restaurant Acadia (fermé)8, le tribunal est saisi d’une situation présentant certaines similitudes avec celle de la présente affaire, la juge administrative Taillon, évoquant d’autres décisions du tribunal, formule l’opinion suivante :
[34] Dans l’affaire Brière et Le-La Knitwear ltée1, la Commission d’appel en matières de lésions professionnelles concluait que la contestation de la décision déterminant l’emploi convenable de caissière d’établissement commercial ne pouvait être faite tant et aussi longtemps que la travailleuse n’avait pas été confrontée aux exigences de cet emploi convenable qu’elle croyait être en mesure d’exercer et ainsi la relève des conséquences de son défaut d’avoir respecté le délai pour en appeler.
[35] Dans l’affaire Couture et Office Overload (Division Drake)2, le travailleur n'avait pas contesté la décision relative à la détermination de l'emploi convenable de vendeur de pièces de quincaillerie et de matériaux de construction dans les 30 jours, comme prévu à la loi. Aussi, ce n’est qu’après avoir complété sa formation et lors de son stage en entreprise qu’il réalise qu’il doit soulever fréquemment des charges de plus de 20 kg, ce qui est contre-indiqué pour lui. Il en résulte que ses chances de se trouver un emploi dans ce domaine sont presque nulles. Par contre, dès la réception de la décision portant sur sa capacité à exercer l'emploi convenable, il dépose une contestation. Dans ce cas-ci, le travailleur a été relevé de son défaut puisque selon les informations qu’il avait reçues de la CSST, il s’agissait d’un emploi ne nécessitant pas une force supérieure au soulèvement de 20 kg, ce qui s’est avéré inexact.
[36] Relativement au cas en l’espèce, le travailleur croit que la formation qu’il recevra au collège MPI, suivie d’un stage en entreprise, le rendra apte à exercer l’emploi d’estimateur en construction. Il ne conteste donc pas la décision du 3 juillet 2000. Cependant, lorsqu’il effectue sa formation, il éprouve quelques difficultés et on doit prolonger celle-ci. Il en est ainsi de la durée du stage qui doit elle aussi être prolongée. Finalement, le travailleur se rend compte qu’il n’a pas les qualifications professionnelles pour occuper l’emploi convenable d’estimateur en construction, puisque si tel avait été le cas, l’entreprise Tridôme Construction aurait retenu ses services au terme de son stage puisqu’elle pouvait bénéficier d’une subvention de la CSST.
[37] Le tribunal estime que le travailleur ne pouvait pas savoir avant d’avoir terminé la formation et le stage en entreprise, s’il possédait les qualifications professionnelles pour exercer l’emploi d’estimateur en construction. Il s’en est remis à l’opinion des spécialistes consultés à la demande de la CSST ainsi qu’à l’expertise de cette dernière. Dès qu’il s’est rendu compte que sa possibilité d’embauche, faute de qualifications professionnelles, était pratiquement nulle, il a demandé à la CSST la révision de sa décision.
[38] Le tribunal considère qu’il s’agit là de motifs raisonnables et prolonge le délai pour en appeler de la décision concernant l’emploi convenable.
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1 C.A.L.P., 59911-60-9406, 21 octobre 1994, Simon Lemire.
2 C.L.P., 129545-31-9912, 14 novembre 2000, René Ouellet.
[Notre soulignement]
[73] Dans Lévesque et Les installations couvre-toit Marren inc. et CSST-Salaberry9, le tribunal estime que la thèse voulant que le caractère convenable d’un emploi doive être contesté dans les 30 jours de la détermination de cet emploi, s’avère nettement étroite. Le juge administratif Sauvé exprime alors ce qui suit :
[60] Ainsi la thèse qui exige que le caractère convenable d’un emploi soit contesté dans les 30 jours de la détermination de cet emploi par la CSST s’avère nettement trop étroite. La loi ne modifie pas la réalité. Un emploi ne devient pas irrémédiablement convenable par l’écoulement du temps c’est-à-dire 30 jours après la décision qui le détermine.
[61] Il faut donc trouver une interprétation de la loi qui ne mène pas à l’absurdité suivante : l’emploi est convenable parce que le travailleur n’a pas contesté sa détermination dans les 30 jours mais d’autre part il s’avère que le travailleur n’aura jamais la capacité de l’exercer.
[62] Il vaut mieux favoriser une interprétation qui protège le droit substantiel du travailleur à se voir attribuer un véritable emploi convenable c’est-à-dire un emploi qu’il a la capacité d’exercer plutôt que de laisser son droit s’éteindre 30 jours après la détermination de l’emploi par la CSST.
[63] Dans la cause Commission scolaire des Moissons c. Consortium M.R. Canada ltée11 le juge Pierre Boudreault de la Cour Supérieure écrit :
La jurisprudence de toutes nos cours indique la volonté de tous les tribunaux et singulièrement de la Cour Suprême du Canada «d’établir clairement la préséance du droit substantiel sur la procédure», tel que s’en est exprimé le professeur Hubert Reid en référant à l’arrêt St-David de Falardeau c. Munger, (1983) 1 R.C.S.243 dans un article intitulé «Selon la Cour Suprême quelles sont les limites au droit d’amender les actes de procédure?», publié à 1983 R.D.J. 261.»
[64] Pour qu’une personne puisse contester une décision de la CSST il faut qu’elle se sente lésée par cette décision. Lorsque la décision porte sur l’emploi convenable le travailleur peut ne se sentir lésé qu’au moment où il découvre qu’il n’a pas la capacité pour exercer cet emploi.
[65] On ne peut donc pas limiter à un moment unique la contestation de la détermination d’un emploi convenable. Il ne s’agit pas d’un problème de procédure mais du droit fondamental du travailleur de recevoir l’aide nécessaire pour reprendre le travail et ce, lorsque la preuve sera faite que l’emploi n’est pas convenable. C’est le sens de l’article 1 qui se lit ainsi :
1. La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.
Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour dommages corporels et, le cas échéant, d'indemnités de décès.
La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 1.
[66] S’il s’avère une fois la preuve au mérite complétée que le travailleur n’a pas la capacité d’exercer l’emploi déclaré convenable, il faudra retourner le dossier à la CSST pour que des mesures de réadaptation soient apportées si possible ou qu’un nouvel emploi convenable soit déterminé. La CSST, selon l’article 351, rendra alors sa décision « suivant l’équité, d’après le mérite et la justice du cas ».
[Notre soulignement]
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5 Purolator ltée et Langlais, C.A.L.P., 87109-62C-9703, 11 décembre 1997, R. Jolicoeur.
6 Dansereau et Hôpital Maisonneuve-Rosemont [1993] C.A.L.P. 1074 (C.S.).
7 2009 QCCS 730 .
8 C.S. 200-17-011649-092, 15 janvier 2010, 2010 QCCS 184 .
9 C.L.P., 184295-72-0205, 10 décembre 2002, D. Taillon.
10 C.L.P., 187325-62C-0207 et autre, 6 mai 2003, M. Sauvé. Requête en révision révocation rejetée, 11 mars 2004, A. Suicco.
11 C.S., Beauharnois (Salaberry-de-Valleyfield) 760-05-000070-852, 27 mai 1991.
[75] C’est ce qui a amené la Commission des lésions professionnelles dans cette affaire à décider que c’est lorsque le travailleur a réalisé qu’un emploi convenable déterminé n’était pas approprié pour lui. Il pouvait contester la décision ce qui constituait un motif raisonnable pour le relever du défaut de l’avoir fait antérieurement.
[76] Le présent tribunal est d’avis que ces principes peuvent être transposés en l’espèce au cas du travailleur.
[77] Par ailleurs, le tribunal est aussi d’avis que la preuve a démontré que la décision de la CSST est erronée puisque l’évaluation sur laquelle elle se fonde, laquelle a été réalisée le 27 juillet 2010, n’est pas conforme à la réalité.
[78] En effet, c’est ce qui ressort du témoignage du travailleur, qui a fait une démonstration à l’audience des diverses aides techniques qui lui ont été fournies, de celui de sa conjointe et du rapport d’expertise de l’ergothérapeute Jessica Audet. Le travailleur a besoin d’une assistance partielle pour l’hygiène corporelle puisqu’il lui est impossible de se couper les ongles et de se laver, même en utilisant les aides techniques qui lui ont été fournies, notamment une brosse munie d’un bracelet devant être fixé sur son moignon et une mitaine.
[79] À cet égard, l’ergothérapeute Audet fait état d’atteintes sévères pour les raisons suivantes :
*Atteintes sévères : · Incapable de laver ses cheveux. · Incapable de laver adéquatement son dos, la partie gauche de son tronc, son aisselle gauche et son MS gauche. Monsieur n’est pas en mesure d’appliquer assez de pression avec son MS gauche sur l’éponge à long manche pour compléter adéquatement l’hygiène de son dos, la partie gauche de son tronc et l’aisselle gauche. Il est incapable de tolérer le contact de la mitaine de lavage sur son membre restant ne permettant donc pas d’utiliser ce dernier pour faire son hygiène. Monsieur indique que sa conjointe complète son hygiène.
[80] De plus, le travailleur a également besoin d’une assistance partielle pour l’habillage puisqu’il est incapable de fermer la fermeture éclair de son pantalon avec ou sans l’aide technique fabriquée par l’IRDPQ et qu’il est également incapable de monter ses pantalons et mettre des souliers sans lacets élastiques.
[81] La preuve révèle par ailleurs que le travailleur a besoin d’assistance partielle pour la préparation du déjeuner et du dîner considérant que les aides techniques ne lui permettent pas de s’alimenter correctement et de préparer aussi les repas de ses trois enfants en l’absence de sa conjointe qui travaille à l’extérieur, mais qui est forcée de passer dans l’avant-midi pour préparer le dîner.
[82] Le travailleur a également besoin d’une aide d’assistance partielle pour effectuer le lavage puisqu’il est incapable de plier le linge qu’il peut cependant sortir de la laveuse et de la sécheuse.
[83] En ajoutant le pointage prévu (2,5 + 1,5 + 1 + 2 + 0.5), 7,5, à celui reconnu dans l’évaluation effectuée par l’ergothérapeute Michaud en juillet 2010 pour une aide d’assistance partielle pour la préparation du souper, pour le ménage léger et pour l’approvisionnement (2 + 0,5 + 1,5), on obtient un total de 12,5 sur 48 en application du Règlement sur les normes et barèmes de l'aide personnelle à domicile[3] (le règlement). Ce pointage correspond à un pourcentage de 30,4.
[84] Cette aide à domicile, qui fait partie de la réadaptation sociale qui peut être accordée au travailleur selon les conditions prévues à l’article 158 de la loi :
158. L'aide personnelle à domicile peut être accordée à un travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, est incapable de prendre soin de lui-même et d'effectuer sans aide les tâches domestiques qu'il effectuerait normalement, si cette aide s'avère nécessaire à son maintien ou à son retour à domicile.
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1985, c. 6, a. 158.
[85] À la révision de l’ensemble de la preuve, le tribunal est d’avis que le travailleur a droit à l’aide à domicile puisqu’il est incapable de prendre soin de lui-même et d’effectuer sans aide des tâches domestiques qu’il effectuait auparavant et qui sont désormais toutes effectuées par sa conjointe, ce qui est d’ailleurs confirmé par l’évaluation effectuée par la travailleuse sociale, Sophie Gauthier, le 22 novembre 2010.
[86] Dans le rapport qu’elle complète le 10 janvier 2011, madame Gauthier confirme en effet que le travailleur démontre des difficultés pour la préparation des repas et qu’il a besoin d’aide à cet égard. Il en est de même des soins personnels et de certaines tâches domestiques qui entraînent une « surcharge ou lourdeur familiale ».
[87] Le tribunal est donc d’avis que la preuve a démontré que le travailleur a un besoin d’assistance évalué à 12,5 sur 48 à compter du 30 juillet 2010. Ses besoins devront toutefois être réévalués en fonction de la décision rendue par le tribunal quant à la reconnaissance de la relation des diagnostics posés en 2011 pour des pathologies au membre supérieur gauche.
[88] En effet, aux fins de la présente décision, le tribunal n’a pas pris en compte l’ensemble de la condition actuelle du travailleur et il a effectué les nuances et distinctions nécessaires pour ajuster les conclusions de l’ergothérapeute Audet à la condition que présentait le travailleur au moi de juillet 2010.
La pathologie membre supérieur gauche
[89] Le 20 novembre 2010, le médecin qui a charge du travailleur, le docteur Blouin pose un diagnostic de tendinite de l’épaule gauche, d’épicondylite au coude gauche secondaires à la surutilisation du membre supérieur gauche à la suite de l’amputation du membre supérieur droit. Il prescrit de la physiothérapie et une infiltration.
[90] Le 18 décembre 2010, le travailleur rencontre le docteur Éric Bensimon, chirurgien plastique. Celui-ci fait état d’une douleur musculaire à l’épaule gauche à la suite du transfert de dominance du membre supérieur droit au membre supérieur gauche.
[91] Le docteur Lemire complète un rapport final le 20 février 2011 dans lequel il consolide la lésion en fonction d’un diagnostic d’amputation de l’avant-bras droit et il complète aussi un document dans lequel il prescrit de « l’aide domestique et des soins personnels » au motif que le travailleur ne peut porter sa prothèse ni utiliser ses adaptations pour les activités de la vie quotidienne.
[92] À l’occasion d’une évaluation demandée par la CSST au docteur Denis Jobidon, psychiatre, ce médecin indique dans son rapport du 30 mars 2011 que le travailleur ressent des douleurs à l’épaule gauche.
[93] Le 30 mars 2011, le travailleur est aussi évalué à la demande de la CSST par le docteur Paul O. Nadeau, orthopédiste, en but d’obtenir son opinion sur le pourcentage d’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles au membre supérieur droit. Cependant, à cette occasion, le docteur Nadeau indique que le travailleur lui mentionne avoir des douleurs à l’épaule droite, une limitation en flexion et en abduction à ce niveau, de même que des douleurs lors des mouvements de rotation. Il y a aussi une sensibilité au niveau de l’épicondyle interne et externe du coude gauche lors de la mise en tension.
[94] Lors de son examen clinique objectif, le docteur Nadeau constate une certaine atrophie du membre supérieur droit. En effet, le bras est mesuré à 26,5 centimètres comparativement à 28,5 centimètres à gauche alors que l’avant-bras mesure 25,5 centimètres comparativement à 28,5 centimètres à gauche. Lors de son examen objectif, le docteur Nadeau constate la présence de douleurs au niveau de l’épicondyle latérale gauche et note que la mise sous tension de l’épicondyle externe en actif comme en passif cause des douleurs à gauche.
[95] Le bilan des séquelles de la lésion est de 57 % de déficit anatomo-physiologique auquel il faut ajouter 12 % pour le préjudice esthétique et 31,5 % pour les douleurs et pertes de jouissance de la vie pour un total de 100,5 %.
[96] En ce qui a trait aux limitations fonctionnelles, le docteur Nadeau indique que le membre supérieur droit ne sert pratiquement plus au travailleur et qu’il doit « faire un travail uni manuel gauche puisque le membre supérieur droit ne peut lui servir que de façon exceptionnelle ». [sic]
[97] La décision initiale rendue par la CSST qui refuse la relation des diagnostics touchant le membre supérieur gauche semble s’appuyer sur une note d’un médecin régional qui indique qu’il n’y a pas eu de nouvel évènement depuis 1998 et que la douleur au coude gauche est mentionnée dans quelques rapports en 2009, alors que la tendinite de l’épaule gauche apparaît à l’automne 2010. De plus, on ajoute ce qui suit : « De plus, l’absence de répétitivité, de cadence, d’utilisation de la force, de mouvements extrêmes en raison d’un arrêt de travail depuis quelques années, ne permet pas d’établir une relation probante avec une lésion professionnelle ».
[98] Le travailleur est évalué le 10 novembre 2011 par le docteur Michel Giguère, orthopédiste, à la demande de sa représentante. Dans son expertise, ce médecin confirme la diminution de volume de l’avant-bras et du bras droit. Le travailleur lui rapporte que les douleurs à l’épaule gauche ont débuté environ en 2008 et qu’elles sont plus importantes depuis que les doigts de la main droite ont présenté une ankylose douloureuse. Ces douleurs ont augmenté à la suite de l’ankylose post-ténosynovotomie au niveau des deuxième, quatrième et cinquième doigts de la main droite effectuée le 10 octobre 2008 par le docteur Daniel Cloutier. En effet, c’est suite à cette intervention que le travailleur est demeuré avec les doigts fléchis et qu’on a procédé par la suite à une amputation des quatrième et cinquième rayons de la main droite.
[99] C’est ce qui fait que le travailleur protégeait à l’époque sa main droite et sur-utilisait le membre supérieur gauche.
[100] Le docteur Giguère rapporte ainsi l’échec des tentatives de réadaptation du membre supérieur droit au moyen d’une prothèse :
Plusieurs choses ont été tentées chez monsieur D..., à savoir un bracelet palmaire qui lui permettrait de laver le membre supérieur gauche avec le moignon de l’avant-bras droit. Le bracelet palmaire est habituellement porté au niveau du poignet, mais il a été adapté au niveau du moignon de monsieur, pour le rendre capable de se laver seul, ce qui fut un échec.
Par ailleurs, monsieur a tenté l’essai d’un crochet pour être capable entre autres de monter le fermoir de ses pantalons, seul. Ceci s’est également avéré être un échec car monsieur ne peut supporter de pression sur le moignon au niveau du membre supérieur droit.
Plusieurs essais ont été faits pour utiliser le moignon du membre supérieur droit dans le but d’augmenter l’autonomie de monsieur, mais on n’a pas réussi à diminuer les douleurs du moignon et c’est pourquoi tous les essais se sont avérés des échecs, en raison de la présence de douleurs importantes au niveau du moignon droit.
Monsieur ne reçoit plus d’aide personnelle depuis juillet 2010 sous prétexte qu’il peut utiliser son membre supérieur droit qui est appareillé. On avait prévu chez monsieur un crochet attaché aux épaules (comme prothèse).
[101] Les symptômes du travailleur au membre supérieur gauche sont ainsi rapportés :
Monsieur se plaint de douleur à tous les mouvements, à la moindre sollicitation du membre supérieur gauche. Il a reçu une infiltration sous-scopie à l’épaule gauche, sans aucune amélioration. Nous n’avons pas retrouvé de rapport en lien avec cette infiltration sous scopie.
Monsieur note des mouvements restreints au niveau de son épaule gauche, sous forme de raideur, depuis 2010. Il est incapable de dormir sur son épaule gauche. Il doit dormir en décubitus dorsal, mais il se plaint d’une sensation d’étouffement lorsqu’il est couché sur le dos. Il ne peut dormir en décubitus ventral.
Sommeil : monsieur nous dit dormir en moyenne 2 à 3 heures par nuit ; 4 à 5 jours dans une semaine où il se lève au moins une fois ; il s’assoit dans sa chaise, il peut dormir dans sa chaise et retourne se coucher après quelque temps. Il peut rester dans sa chaise jusqu’à 2 heures. Il ne peut dormir plus que 2 à 3 heures consécutives.
Il transporte des charges de 10 livres maximum avec son membre supérieur gauche ; ceci augmente les douleurs au niveau du membre supérieur gauche. Il se plaint de douleur en extension forcée et en flexion forcée du coude gauche. Il se plaint de douleur également en fin d’amplitude au niveau du poignet gauche. Les douleurs sont ressenties sous forme d’élancements au niveau du poignet et du coude gauches. Il se plaint de sensation de brûlure, déchirure, élancement à l’épaule gauche. Monsieur nous dit ressentir des douleurs constantes dans tout le membre supérieur gauche.
Il échappe des objets avec son membre supérieur gauche. Il nous dit que parfois il ne peut rendre sa main gauche à la bouche pour manger. Il nécessite alors l’aide de ses enfants ou de sa conjointe. Monsieur vit avec son épouse et 3 enfants. Monsieur évite les liquides, les substances chaudes de peur de se brûler parce qu’il échappe souvent les objets. Il utilise parfois une paille pour boire car il présente trop de douleurs au niveau de son membre supérieur gauche et il y a risque d’échapper.
[102] Lors de l’examen objectif du travailleur, il note les constats qu’il tire des tests objectifs de l’épaule gauche :
TESTS SPÉCIFIQUES ÉPAULE GAUCHE :
Tous les mouvements résistés qui mettent sous tension à la fois un tendon de la coiffe des rotateurs, provoquent des douleurs au niveau de la région du trapèze gauche et région péri-scapulaire gauche.
TESTS SPÉCIFIQUES COUDE GAUCHE :
Touts les mouvements, c’est-à-dire la dorsiflexion contrariée, la supination contrariée, la pronation contrariée de même que la flexion palmaire contrariée, provoquent des douleurs à la face antérolatérale de l’épaule gauche et région péri-scapulaire gauche.
À la palpation du membre supérieur gauche, il y a douleur, sensibilité augmentée de façon diffuse à tout le membre supérieur gauche, région du trapèze gauche, région paracervicale gauche et région de l’omoplate gauche et péri-scapulaire gauche. Une pression légère provoque une augmentation de douleur à tout le membre supérieur gauche. [sic]
[103] Selon le docteur Giguère, les douleurs chroniques ressenties au membre supérieur droit qui ont amené la reconnaissance d’un diagnostic de syndrome de douleurs régionales complexes ont fait en sorte que le travailleur a sur-utilisé son membre supérieur gauche pour protéger le membre supérieur droit. C’est l’utilisation presque unique du membre supérieur gauche, en l’absence d’un transfert complet de la dominance qui a, à son avis, amené le travailleur à développer des douleurs au membre supérieur gauche de façon encore plus importantes puisque le travailleur n’a pu être appareillé. Le docteur Giguère est par ailleurs d’avis que la tendinite de l’épaule gauche, l’épicondylite du coude gauche et la tendinite du poignet gauche qui ne sont pas consolidées et que le travailleur doit être évalué pour un changement de dominance.
[104] En effet, vu son jeune âge, il considère qu’il est nécessaire qu’il puisse avoir un bon usage de son membre supérieur gauche. Il est aussi d’avis que le travailleur doit être traité pour améliorer sa condition et éviter l’entretien de douleur chronique. Il considère par ailleurs qu’il est trop tôt pour se prononcer sur l’existence de séquelles ou de limitations fonctionnelles au membre supérieur gauche.
[105] La révision de l’ensemble de la preuve amène le tribunal à considérer que les pathologies diagnostiquées au membre supérieur gauche par les médecins qui ont charge du travailleur sont, selon toute probabilité, reliées à l’ensemble des mouvements que le travailleur doit effectuer avec son membre supérieur gauche. Ces mouvements s’effectuent dans un contexte particulier puisque le travailleur qui était droitier n’a pas eu un transfert complet de dominance et surprotège son membre supérieur droit qu’il n’utilise pratiquement plus, tel qu’il ressort de son témoignage et de l’expertise du docteur Nadeau. Le travailleur n’a aucun antécédent au niveau du membre supérieur gauche et le tribunal ne dispose d’aucune preuve d’une autre cause pouvant expliquer cette pathologie et rien n’indique qu’elle soit idiopathique.
[106] C’est ainsi que l’ensemble des circonstances factuelles du présent dossier, y compris le contexte dans lequel les douleurs à l’épaule gauche et au coude gauche sont apparues, amène le tribunal à conclure, tout comme l’expert du travailleur, l’orthopédiste Giguère, que se sont les nombreuses amputations subies au membre supérieur droit qui sont la cause la plus probable de la tendinite de l’épaule gauche, l’épicondylite du coude gauche et de la tendinite du poignet gauche, vu la surutilisation de ce muscle supérieur.
Le remboursement du bois de chauffage
[107] La CSST a refusé au travailleur le remboursement du coût du bois de chauffage au motif qu’il s’agissait d’un chauffage d’appoint et non du mode de chauffage principal de la résidence du travailleur.
[108] L’article 165 de la loi énonce qu’un travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique et en raison d’une lésion professionnelle et qui est incapable d’effectuer les travaux d’entretien courant de son domicile qu’il effectuerait normalement lui-même si ce n’était de sa lésion professionnelle peut être remboursé des frais qu’il engage pour faire exécuter ses travaux :
165. Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.
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1985, c. 6, a. 165.
[109] Tel que le rapporte notre collègue Aubé dans Gaumond et Manufacture W M Bradley ltée[4], la jurisprudence est à l’effet que les activités reliées au bois de chauffage peuvent constituer des travaux d’entretien courant lorsqu’un résidence est chauffée au bois :
[13] La Commission d’appel en matière de lésion professionnelle (la Commission d’appel) et la Commission des lésions professionnelles ont reconnu, à plusieurs reprises, que les diverses activités reliées au bois de chauffage peuvent constituer des travaux d’entretien courant au sens de l’article 165 lorsqu’une résidence est chauffée au bois1. Cependant, certaines de ces décisions spécifient que pour avoir droit au remboursement des frais encourus, un travailleur doit démontrer que ce mode de chauffage est utilisé de façon principale et non à titre de chauffage secondaire, d’appoint, de confort ou d’agrément2.
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1 Martel et Entreprises G. St-Amant inc., C.A.L.P. 07955-03A-8806, 26 octobre 1990, B. Dufour; Alarie et Industrie James McLauren inc., [1995] C.A.L.P. 1233 ; Lemieux et Ministère des Transports, C.L.P. 118805-02-9906, 6 mars 2000, P. Simard; Champagne et Métallurgie Noranda inc., C.L.P. 144899-08-0008, 1er mars 2001, P. Prégent; Hamel et Mines Agnico Eagle ltée, C.L.P. 134627-08-0002, 10 juillet 2001, M. Lamarre; Nevins et Les Abatteurs Jacques Élément, C.L.P. 156525-08-0103, 18 février 2002, C. Bérubé; Benoît et Constructions AJP Rivard inc., C.L.P. 181584-04-0203, 21 février 2003, J.-F. Clément; Lacasse et Les Industries de la Rive Sud ltée, C.L.P. 205129-03B-0304, 23 juin 2005, C. Lavigne.
2 Champagne et Métallurgie Noranda inc.; Hamel et Mines Agnicot Eagle ltée; Nevins et Les Abatteurs Jacques Élément; Benoît et Constructions AJP Rivard inc., précitées note 1.
[110] En l’espèce, il ne fait aucun doute que le travailleur présente une atteinte permanente grave à son intégrité physique et qu’il est incapable d’effectuer les activités reliées au bois de chauffage.
[111] Or, la preuve révèle d’une part que jusqu’au mois d’octobre 2008, il accompagnait son beau-père sur sa terre à bois et l’aidait à sortir le bois, le débiter et le fendre jusqu’à l’intervention chirurgicale qu’il a alors subi. De plus, en retour de la fourniture du bois par son beau-père, le travailleur l’aidait en effectuant certains travaux d’entretien et lui rendait divers services.
[112] D’autre part, depuis 2009, la maison où il réside à Clermont est principalement chauffée au bois au moyen d’un poêle à combustion lente situé au sous-sol. En effet, même s’il y a un chauffage au mazout, il n’est pas utilisé de façon principale puisque si c’était le cas, les coûts annuels seraient trois fois plus élevés. En outre, ce type de chauffage n’est pas efficace en raison de la disposition du thermostat et de l’isolation déficiente de sa maison, de sorte que les chambres situées au sous-sol ainsi que la chambre principale resteraient froides alors que les autres pièces de la maison ne seraient pas confortables.
[113] Durant l’hiver 2010-2011, qui a été relativement clément, le travailleur a utilisé 12 cordes de bois et c’est ainsi qu’il s’est procuré 15 cordes de bois le 3 juin 2011. Il a payé un total de 1 957,50 $ qui se détaille ainsi : 800 $ pour la fourniture du bois, 305 $ pour le débitage, 305 $ pour le fendage, 150 $ pour la livraison et 457,50 $ pour le corder.
[114] En ce qui a trait aux informations fournies à son assureur, il ressort du témoignage non contredit du travailleur qu’il l’a avisé qu’il utilisait 15 cordes de bois par année, ce qui fait en sorte que sa prime d’assurance est augmentée, et ce, malgré qu’il soit exact qu’il soit mentionné au contrat que le chauffage principal soit au mazout et que le chauffage auxiliaire soit au bois.
[115] Toutefois, malgré cette indication, la preuve révèle en réalité que la situation du travailleur est conforme aux conditions énoncées par la jurisprudence en ce que le chauffage au bois constitue le mode principal utilisé plutôt qu’un chauffage secondaire, d’appoint ou de confort. C’est ainsi que le tribunal est d’avis que le travailleur a droit au remboursement des activités pouvant être assimilées à des travaux d’entretien courant mentionnées à l’article 165 de la loi.
[116] Cependant, le tribunal est d’avis que cette disposition ne permet pas au travailleur d’obtenir le remboursement du coût d’acquisition du bois lui-même qu’il a acheté de son beau-père. En effet, la loi et la jurisprudence qui l’a appliqué réfèrent à des activités ou travaux que le travailleur effectuerait. Ainsi, même une interprétation large ne peut faire en sorte que l’achat de la matière première puisse être remboursé[5]. C’est ce qui fait que le tribunal conclut que le travailleur a le droit d’être remboursé pour le débitage, la fente, la livraison et le cordage du bois qu’il a acheté, soit un montant de 1 157,50 $.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Dossier 439782-31-1105
ACCUEILLE la requête de monsieur T... D..., le travailleur;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 16 mai 2011, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE recevable la demande de révision déposée par le travailleur le 7 décembre 2010;
DÉCLARE que le travailleur a droit, à compter du 30 juillet 2010, à l’aide personnelle à domicile dont le montant doit être déterminé en fonction d’un pourcentage de 31,4.
DÉCLARE que les diagnostics de tendinite de l’épaule gauche, d’épicondylite du coude gauche et de tendinite du poignet gauche sont reliés à la lésion professionnelle du 30 juin 1998 et que le travailleur a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles en regard de ces diagnostics.
Dossier 450391-31-1109
ACCUEILLE en partie la requête du travailleur;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 15 septembre 2011, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur a droit au remboursement de 1 157,50 $ pour la fourniture de son bois de chauffage pour l’hiver 2011-2012.
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Martin Racine |
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Me Michelle Labrie |
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LORD, LABRIE, NADEAU AVOCATS |
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Représentant de la partie requérante |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.