DÉCISION
[1] Le 29 mai 2000, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) dépose une requête en révision de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 3 avril 2000 qu’elle a reçue le 12 avril 2000, tel que précisé à la requête.
[2] Par cette décision de la Commission des lésions professionnelles entérine une entente intervenue entre la travailleuse et l'employeur infirmant une décision rendue par la CSST le 1er septembre 1998 et déclare que Monsieur Proulx est l'employeur de Madame Gauthier et que celle-ci a subi une lésion professionnelle le 14 juillet 1998.
[3] Madame Arlette Gauthier, est présente et représentée à l’audience portant sur la requête en révision de la CSST. La CSST et Monsieur Gaétan Proulx y sont représentés.
L'OBJET DE LA REQUÊTE
[4] La CSST demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision rendue le 3 avril 2000, de rétablir la décision de la CSST du 1er septembre 1998 et de déclarer que Mme Gauthier n’est pas une travailleuse au sens de la loi et que Monsieur Proulx n'est pas un employeur au sens de la loi.
[5] La CSST invoque que la décision de la Commission des lésions professionnelles est entachée d’un vice de fond. Elle reproche au commissaire d’avoir commis une erreur de droit manifeste et déterminante, alors qu’il a rendu une décision par laquelle il entérinait une entente qui n’est pas conforme à la loi.
[6] Les arguments invoqués par la CSST sont décrits dans la requête qu’elle a transmise à la Commission des lésions professionnelles le 29 mai 2000. Il convient d’en reproduire certains extraits :
« (…)
11. Par sa décision du 3 avril 2000, la Commission des lésions professionnelles rend une décision dont le dispositif est à l’effet :
(…)
d) de déclarer que la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 14 juillet 1998;
e) de déclarer que Monsieur Gaétan Proulx était l’employeur de la travailleuse au moment de la lésion professionnelle;
(…)
12. Cette décision de la Commission des lésions professionnelles est entachée de vices de fond de nature à l’invalider et est illégale, plus particulièrement en ce que Madame Gauthier n’est pas une travailleuse et Monsieur Proulx n’est pas un employeur, notamment :
a) La LATMP est une loi d’ordre public et les définitions d’employeur et de travailleur y sont expressément décrites à l’article 2;
b) La définition de travailleur exclut particulièrement la personne physique engagée par un particulier pour garder un enfant, un malade, une personne handicapée ou une personne âgée, et qui ne réside pas dans le logement de ce particulier;
c) L’article 18 de la LATMP exige de cette personne qu’elle s’inscrive à la Commission afin de bénéficier de la couverture d’assurance prévue à la loi;
d) La définition d’employeur exige quant à elle que ce dernier utilise les services d’au moins un travailleur au fin de son établissement;
e) Monsieur Proulx n’a pas d’établissement au sens de la LATMP, qui réfère à la définition contenue à la Loi sur la santé et la sécurité du travail, et de plus, il n’exerce aucune activité économique, il ne peut donc être considéré comme employeur.
13. L’article 429.45 de la loi précise qu’un accord est entériné par un commissaire dans la mesure où il est conforme à la loi;
(…) ».
L'AVIS DES MEMBRES
[7] Conformément à la loi, la commissaire soussignée a reçu l’avis des membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs, sur les questions qui font l’objet de la présente requête.
[8] Les membres issus des associations sont tous les deux d’avis que la requête de la CSST doit être accueillie. En effet, la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles est entachée d’un vice de fond. Aussi, la Commission des lésions professionnelles a décidé que Monsieur Proulx était un employeur, au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q. c. A-3.001) (la loi), alors que tel n’est pas le cas.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[9] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la CSST a démontré un motif donnant ouverture à la révision demandée.
[10] L’article 429.56 de la loi permet la révision ou la révocation d’une décision dans des cas qui y sont expressément prévus :
429.56 La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1o lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2o lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3o lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3o, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
____________________
1997, c. 27, a. 24429.56
[11] Cette disposition doit cependant être lue en conjugaison avec l’article 429.49 de la loi qui prévoit qu’une décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel.
[12] Les recours en révision et en révocation demeurent donc des recours exceptionnels vu le principe énoncé à l’article 429.49 de la loi. Ces recours ne sont possibles que dans les circonstances prévues à l’article 429.56 de la loi et ne peuvent, en aucun cas, constituer un second appel ou un appel déguisé.
[13] Précisons d’abord que la CSST est admise à déposer une requête en révision à l’encontre de la décision de la Commission des lésions professionnelles, malgré le fait qu’elle n'est pas intervenue lors de l’étape de conciliation. Ce droit de la CSST a été reconnu, à de multiples reprises, par la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d'appel) et de la Commission des lésions professionnelles[1].
[14] La présente requête est soumise en vertu du paragraphe 3º de l’article 429.56 de la loi. La CSST invoque l’existence d’un vice de fond de nature à invalider la décision.
[15] Les termes « vice de fond » ne sont pas définis dans la loi. La jurisprudence[2] de la Commission des lésions professionnelles a retenu, toutefois, que l’expression « vice de fond…de nature à invalider la décision » réfère à une erreur manifeste de droit ou de fait ayant un effet déterminant sur le sort du litige.
[16] Selon le procureur de la CSST, le commissaire a commis une erreur de droit en rendant la décision suivante :
« (…)
ENTÉRINE l’accord intervenu entre les parties;
ACCUEILLE la contestation de la travailleur madame Arlette Gauthier;
INFIRME la décision rendue le 1er septembre 1998 par la CSST à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 14 juillet 1998;
DÉCLARE que monsieur Gaétan Proulx était l’employeur de la travailleuse au moment de la lésion professionnelle;
DÉCLARE que la lésion professionnelle de la travailleuse à été consolidée le 23 août 1998, sans atteinte permanente ni de limitations fonctionnelles;
DÉCLARE que la travailleuse a droit à l’indemnité de remplacement du revenu du 14 juillet 1998 au 23 août 1998 inclusivement. » (sic)
[17] Le représentant de Madame Gauthier invoque que l’entente entérinée par la Commission des lésions professionnelles est conforme à la loi. Il en veut pour preuve que cette entente a été rédigée par un conciliateur de la Commission des lésions professionnelles et qu’elle a été entérinée par un commissaire. Cet argument ne peut être retenu dans la mesure où la question de savoir si une erreur de fait ou de droit a été commise par le commissaire est précisément la question qui doit être décidée dans le cadre de la présente requête en révision.
[18] Ainsi, dans le dossier sous étude, la soussignée doit déterminer si le commissaire a commis une erreur de droit en décidant que Monsieur Proulx est un employeur au sens de la loi. Le représentant de la travailleuse invoque que cette dernière est une travailleuse au sens de la loi et qu’elle a droit aux indemnités qui y sont prévues.
[19] La notion de travailleur est définie à l’article 2 de la loi, comme suit :
« travailleur » : une personne physique qui exécute un travail pour un employeur, moyennant rémunération, en vertu d'un contrat de louage de services personnels ou d'apprentissage, à l'exclusion :
1 du domestique ;
2 de la personne physique engagée par un particulier pour garder un enfant, un malade, une personne handicapée ou une personne âgée, et qui ne réside pas dans le logement de ce particulier ;
3 de la personne qui pratique le sport qui constitue sa principale source de revenus ;
[20] Le représentant de la travailleuse soumet que la CSST n’étant pas intervenue lors de la signature de l’entente, elle ne peut remettre en question les faits qui ont conduit à la signature de l’entente et à la décision de la Commission des lésions professionnelles qui entérine cette entente.
[21] Il prétend notamment que la mention à l’effet que Madame Gauthier est une éducatrice et non une gardienne d’enfant doit être tenue pour avérée. Or, le travail d’éducatrice ne fait pas partie des exclusions qui sont énumérées à l’article 2 de la loi.
[22] La soussignée ne peut retenir cet argument.
[23] Les services de Madame Gauthier étaient requis pour garder le fils de Monsieur Proulx comme ce dernier le mentionne à plusieurs reprises dans une lettre qu’il a transmise à la CSST le 25 août 1998.
[24] Pour qualifier l’emploi occupé par Madame Gauthier au moment où elle a subi l'accident du 14 juillet 1998, la Commission des lésions professionnelles devait tenir compte de l’ensemble de la preuve contenue au dossier dont elle disposait et non se limiter à la qualification qui en est faite par les parties, dans le cadre d’une entente.
[25] Or, il y a, dans le dossier dont dispose la Commission des lésions professionnelles, une absence totale de preuve à l’effet que la travailleuse agissait à titre d’éducatrice auprès du fils de Monsieur Gauthier. Le travail de gardiennage comporte, à n’en pas douter, certaines fonctions visant à l’acquisition d’apprentissage. Il n’en demeure pas moins que le travail exécuté par Madame Gauthier consistait à garder un enfant handicapé, dans une résidence privée, en vertu d’un contrat d’engagement intervenu entre elle-même et un particulier (Monsieur Proulx). Ce type d’emploi est expressément exclu de la notion de travailleur.
[26] La soussignée est d’avis que le commissaire ne disposait d’aucune preuve permettant d’établir que Madame Gauthier est une travailleuse au sens de la définition prévue à la loi. Au contraire, le travail qu’elle y exécute est expressément exclu.
[27] Qui plus est, Monsieur Proulx ne répond à la définition d’employeur, telle qu'énoncée à l’article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, soit :
« employeur » : une personne qui, en vertu d'un contrat de louage de services personnels ou d'un contrat d'apprentissage, utilise les services d'un travailleur aux fins de son établissement ;
[28] Quant à celle d’établissement, la loi réfère à la définition contenue à Loi sur la santé et la sécurité du travail (L.R.Q., chapitre S-2.1), soit :
« établissement » : un établissement au sens de la Loi sur la santé et la sécurité du travail ;
[29] Le fait que Monsieur Proulx ait embauché Madame Gauthier pour exécuter un travail contre rémunération, en vertu d’un contrat de louage de services personnels, n’est pas contesté. Ce n’est cependant pas « aux fins de son établissement » que Monsieur Proulx utilise les services de Madame Gauthier. En effet, c’est à la résidence privée de Monsieur Proulx que les services de Madame Gauthier sont fournis. Or, une résidence privée n’est pas un établissement au sens de la loi[3].
[30] Monsieur Proulx n’est donc pas un employeur au sens de la définition qu’en fait la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. En concluant qu’il est l’employeur de Madame Gauthier et que cette dernière a droit aux indemnités prévues à la loi, le commissaire a commis une erreur de droit qui doit être révisée.
[31] Pour terminer, la soussignée tient à préciser ce qui suit : les parties ayant conclu une entente, elles n’ont pas été entendues par la Commission des lésions professionnelles.
[32] Elles ont cependant admis, au moment de l’audience portant sur la requête en révision, que la présente décision, puisqu’elle porte sur les notions de travailleur et d’employeur, dispose de la contestation de la travailleuse, dans son ensemble. Il n’y aurait plus de question à débattre si une audience était fixée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête en révision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail;
RÉVISE la décision de la Commission des lésions professionnelles du 3 avril 2000;
DÉCLARE que Madame Arlette Gauthier n’est pas une travailleuse au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;
DÉCLARE que Monsieur Gaétan Proulx n’est pas un employeur au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;
DÉCLARE que la travailleuse n’a pas subi une lésion professionnelle le 14 juillet 1998 et qu’elle n’a pas droit aux bénéfices prévus à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Me
Micheline Bélanger |
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Commissaire |
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Me
Jean-François Pépin LORDS &
ASSOCIÉS 1010, rue
Ste-Catherine Est #2 Montréal,
Québec H2L 2G3 |
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Représentant de la partie requérante |
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Me
Pierre P. Quesnel 4284, rue
St-André Montréal,
Québec H2J 2Z2 |
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Représentant de la partie intéressée |
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Me
François Bilodeau PANNETON
LESSARD 1, Complexe
Desjardins, 31ième étage Montréal,
Québec H5B 1H1 |
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Représentant
de la partie intervenante |
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[1] Hardoin et
Société Asbestos Ltée, 116756-03B-9905,
Fortin et Lomex. , [1989] C..A.L.P. 169 ; Giguère
et Boulangerie Weston ltée ,
37374-62-9202, 95-08-16, J.-G. Béliveau ; Transport
Cabano Expeditex et Lessard ,
[1991] C.A.L.P. 459
; Lavigne et L'Association des entrepreneurs en
construction du Québec (A.E.C.Q.) , 28705-60-9105, 97-02-12, J.-G. Béliveau
; Gagnon et Jean-Marie Dupuis ltée ,
[1994] C.A.L.P. 985
, requête en évocation
rejetée,
[1994] C.A.L.P. 1285
(C.S.).
[2] Produits
forestiers Donohue inc et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733; Franchellini et
Sousa, [1998] C.L.P. 783.
[3] Brulotte et
Peter D.Curry,
[1991] C.A.L.P 1096
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.