Lapointe et Encadrements Ste-Anne inc. |
2013 QCCLP 857 |
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Dossier 474175-31-1206
[1] Le 14 juin 2012, madame Amélie Lapointe (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 5 juin 2012, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme, dans un premier temps, une décision qu’elle a initialement rendue le 10 mai 2012 donnant suite à l’avis rendu par un membre du Bureau d’évaluation médicale.
[3] Dans cet avis, le membre du Bureau d’évaluation médicale détermine que la travailleuse conserve un déficit anatomo-physiologique additionnel de 5 % à la suite de la récidive, rechute ou aggravation du 20 avril 2009 ainsi que des limitations fonctionnelles.
[4] En conséquence, la CSST déclare que la travailleuse a droit à une indemnité pour préjudice corporel étant donné la présence d’une atteinte permanente. Elle déclare également qu’elle est justifiée de poursuivre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’elle se prononce sur la capacité de la travailleuse d’exercer son emploi.
[5] Par cette même décision, la CSST confirme également une deuxième décision qu’elle a initialement rendue le 10 mai 2012 et déclare que la travailleuse a droit à la réadaptation que requiert son état, compte tenu des conséquences de sa lésion professionnelle.
Dossier 480233-31-1208
[6] Le 22 août 2012, la travailleuse dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision rendue par la CSST le 17 juillet 2012, à la suite d’une révision administrative.
[7] Par cette décision, la CSST confirme, dans un premier temps, une décision qu’elle a initialement rendue le 10 mai 2012 et déclare que la travailleuse n’a pas droit au remboursement des frais liés au retour d’une location de véhicule avant son terme.
[8] Par cette même décision, la CSST confirme également une autre décision qu’elle a initialement rendue le 20 juin 2012, déclare que l’emploi de préposée à l’accueil et aux renseignements constitue un emploi convenable pour la travailleuse et que celle-ci est capable de l’exercer à compter du 20 juin 2012. Elle déclare également que le revenu annuel estimé de cet emploi est de 33 111 $. Enfin, elle déclare que la travailleuse continue d’avoir droit au versement d’une indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’elle occupe cet emploi ou, au plus tard, jusqu’au 19 juin 2013.
[9] Une audience s’est tenue devant la Commission des lésions professionnelles à Québec le 10 décembre 2012 en présence de la travailleuse et de son procureur. Encadrements Ste-Anne inc. (l’employeur) est absent à cette audience bien que dûment convoqué. Pour sa part, la CSST est présente et représentée lors de ladite audience. Le dossier a été mis en délibéré à la fin de cette audience.
L’OBJET DES CONTESTATIONS
Dossier 474175-31-1206
[10] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’elle conserve un déficit anatomo-physiologique additionnel de 15,60 % en plus de celui retenu par le membre du Bureau d’évaluation médicale. En ce qui concerne les limitations fonctionnelles, elle demande au tribunal de déclarer qu’en raison de l’atteinte neurocognitive, soit l’impact de la douleur sur la structure cérébrale, il y a lieu de déclarer qu’elle présente une incapacité totale permanente. En d’autres termes, elle demande au tribunal de retenir, en plus des limitations fonctionnelles reconnues par le membre du Bureau d’évaluation médicale, une limitation fonctionnelle similaire à une limitation de classe IV pour la colonne lombosacrée, selon l’Institut de recherche en santé et sécurité du travail (IRSST), soit :
· Le caractère continu de la douleur et son effet sur le comportement et sur la capacité de concentration sont incompatibles avec tout travail régulier.
Dossier 480233-31-1208
[11] Dans ce dossier, la travailleuse demande, dans un premier temps, à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’elle a droit au remboursement de la pénalité qu’elle devra assumer en retournant son véhicule loué avant l’expiration du contrat de location.
[12] Dans un deuxième temps, elle demande au tribunal de déclarer qu’elle est inapte à occuper tout emploi, compte tenu des limitations fonctionnelles qu’elle demande de reconnaître dans le cadre du litige dans le dossier 474175-31-1206. De façon subsidiaire, et dans l’éventualité où la Commission des lésions professionnelles ne fait pas droit à sa demande en ce qui a trait aux limitations fonctionnelles, elle demande de déclarer que l’emploi de préposée à l’accueil et aux renseignements ne constitue pas un emploi convenable. Cependant, elle ne conteste pas le revenu annuel estimé par la CSST si le tribunal détermine qu’elle est apte à occuper l’emploi convenable déterminé.
LA PREUVE
[13] En fonction de la preuve documentaire contenue au dossier ainsi que celle produite lors de l’audience et après avoir entendu les témoignages de la travailleuse et du docteur Alain Bissonnette, la Commission des lésions professionnelles retient les éléments de preuve pertinents suivants.
[14] La travailleuse occupe un emploi de gérante et de conseillère en encadrements pour le compte de l’employeur lorsqu’elle est victime d’un accident du travail en date du 2 février 2007. En effet, la travailleuse s’inflige une plaie à la paume de la main gauche lorsqu’une vitre qu’elle transporte se brise en trois morceaux et que la pointe de l’un des morceaux lui pénètre dans la main.
[15] La travailleuse consulte le docteur Daniel Laperrière le jour même. Celui-ci retient le diagnostic de plaie à la main gauche et autorise la travailleuse à reprendre ses activités de travail à compter du 4 février 2007. Il précise cependant qu’elle devra éviter de manipuler des charges lourdes pour les deux prochaines semaines.
[16] Par la suite, la travailleuse sera prise en charge par la docteure Jacinthe Leclerc. Lors de la consultation du 27 mars 2007, cette dernière précise que la lacération de la paume de la main gauche est guérie, mais qu’il y a persistance d’une douleur au niveau de l’index avec un changement de coloration. Elle mentionne que la scintigraphie osseuse réalisée le 1er mars 2007 est normale et qu’il y a lieu d’obtenir une consultation rapide en physiatrie.
[17]
Après une consultation téléphonique avec la docteure Claudine Morand,
physiatre, la docteure Leclerc produit un nouveau rapport médical le 28 mars
2007 dans lequel elle mentionne que la travailleuse est probablement atteinte
d’une algodystrophie et précise qu’elle se soumettra à un examen de
scintigraphie osseuse triple phase le
4 avril 2007. Cet examen s’est avéré normal.
[18] Le 5 avril 2007, la travailleuse rencontre la docteure Morand qui retient un diagnostic de syndrome de douleur régionale complexe postlacération. Elle prescrit alors un arrêt de travail et dirige la travailleuse pour des traitements de physiothérapie et d’ergothérapie.
[19] Le 26 avril 2007, la CSST rend une décision par laquelle elle reconnaît que la travailleuse a subi un accident du travail le 2 février 2007 lui ayant causé une plaie à la main gauche et une algodystrophie postlacération.
[20] Le 6 juin 2007, la travailleuse revoit la docteure Leclerc qui précise qu’il y a une nette amélioration de sa condition. Elle diminue donc la fréquence des traitements de physiothérapie et d’ergothérapie et autorise un retour progressif au travail en commençant à raison de deux jours par semaine et en augmentant d’un jour à chaque semaine.
[21] Le 16 juillet 2007, la travailleuse consulte à nouveau la docteure Leclerc qui note une amélioration de 80 % de sa condition. Elle précise qu’il y a donc lieu de cesser la physiothérapie et l’ergothérapie et de poursuivre le travail à temps plein.
[22] Le 21 mai 2008, la travailleuse revoit la docteure Morand qui produit alors un rapport médical final consolidant la lésion à cette date avec présence d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles.
[23] Le 7 janvier 2009, la docteure Morand produit un rapport d’évaluation médicale[1] dans lequel elle retient un déficit anatomo-physiologique de 2 % pour une atteinte des tissus mous du membre supérieur gauche ainsi qu’un pourcentage de 0,20 % pour une atteinte cicatricielle à la main gauche. En ce qui concerne les limitations fonctionnelles, elle précise :
Madame doit éviter les efforts répétés de préhension avec sa main gauche
Éviter des points de pression, frottement, coups ou chocs à la face palmaire de sa main gauche, principalement au site de sa cicatrice.
[24] Le 29 janvier 2009, la CSST rend une décision déterminant que la travailleuse conserve une atteinte permanente de 2,41 % à la suite de la lésion professionnelle qu’elle a subie le 2 février 2007.
[25] Le 11 février 2009, la travailleuse consulte à nouveau la docteure Leclerc qui mentionne qu’il y a présence d’une rechute douloureuse de l’algodystrophie. Elle dirige alors la travailleuse pour une consultation en neurologie ainsi qu’à la Clinique de la douleur afin d’obtenir un avis thérapeutique. Enfin, la docteure Leclerc signale que la travailleuse maintient son lien d’emploi malgré les limitations fonctionnelles, mais que le tout est difficile.
[26] La travailleuse soumet alors une réclamation à la CSST invoquant la survenance d’une récidive, rechute ou aggravation. Le 16 avril 2009, la CSST rend une décision par laquelle elle refuse cette réclamation. Cette décision sera confirmée le 24 août 2009, à la suite d’une révision administrative.
[27] Le 19 juin 2009, la CSST rend une décision par laquelle elle détermine que la travailleuse est capable d’exercer son emploi prélésionnel malgré les limitations fonctionnelles retenues par la docteure Morand.
[28]
Le 20 octobre 2009, la travailleuse soumet une nouvelle réclamation à la CSST dans laquelle elle invoque la survenance d’une nouvelle récidive, rechute ou aggravation
de sa condition. Cette réclamation sera également refusée par une décision
rendue par la CSST le 8 décembre 2009. Cette décision sera confirmée le
25 février 2010, à la suite d’une révision administrative. Cependant, cette
dernière décision sera infirmée par une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 3 juin 2011[2]. Le dispositif de cette
décision se lit ainsi :
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de madame Amélie Lapointe, la travailleuse;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 25 février 2010 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse a subi une récidive, rechute ou aggravation le 20 avril 2009, soit un syndrome douloureux complexe au membre supérieur gauche, un syndrome myofacial du trapèze gauche et un état dépressif, en relation avec la lésion initiale du 2 février 2007;
DÉCLARE que la travailleuse a droit aux prestations prévues par la loi.
[29] Le 16 novembre 2010, la travailleuse rencontre le docteur Alain Bissonnette du Centre d’expertise en gestion de la douleur du Centre hospitalier universitaire de Québec. Il retient alors un diagnostic de syndrome de douleur régionale complexe de type I ainsi qu’un trouble d’adaptation avec humeur mixte. Il prescrit alors une médication dérivée de la morphine (hydromorphone) et dirige la travailleuse pour une consultation en anesthésie afin qu’elle bénéficie de blocs stellaires.
[30] Le 7 février 2011, le docteur Bissonnette produit un rapport d’expertise médicale à la demande du procureur de la travailleuse. Le docteur Bissonnette retient alors les diagnostics suivants :
Nous pouvons conclure en :
1. Syndrome de douleur régional complexe du membre supérieur gauche permanent et aggravé depuis novembre 2008
2. Syndrome myofascial du trapèze gauche en relation
3. Possibilité d’un état dépressif associé en 2009-2010. À corroborer par expertise psychiatrique à faire
[31] En ce qui concerne les traitements recommandés en relation avec cette condition, le docteur Bissonnette précise ceci :
Selon la littérature contemporaine, les approches thérapeutiques recommandées et qui seront celles que je recommande :
· Évaluation et support psychologique auprès des personnes qualifiées en suivi de douleur
· Blocs sympathiques de type ganglionnaire ou veineux qui seront effectués en anesthésiologie et centre antidouleur
· Approche analgésique avec Méthadone en centre antidouleur
· Envisager neurostimulation spinale si autres alternatives infructueuses
[32] Le 5 juillet 2011, madame Caroline Duquette, ergothérapeute, produit un rapport d’évaluation de la condition de la travailleuse. Elle conclut son rapport de la façon suivante :
ANALYSE :
Il s’agit d’une dame de 30 ans présentant un problème de douleur depuis février 2007. La fonction des membres supérieurs est fortement altérée ce qui occasionne une diminution importante du rendement occupationnel. La fonction des membres supérieurs est problématique en raison de douleurs importantes au niveau des trapèzes et du membre supérieur gauche. La mobilité demeure complète, mais la force est diminuée et Mme décrit une diminution marquée de son endurance à la tâche. Le fait d’utiliser davantage son membre supérieur gauche occasionne une augmentation proportionnelle des douleurs aux épaules et au msg en plus des engourdissements à la main gauche. Au niveau du sommeil, Mme se réveille fréquemment et présente des difficultés à se rendormir. Elle se lève donc fatiguée et dort parfois plusieurs heures durant la journée. L’équilibre occupationnel n’est pas optimal, Mme dit arriver tout juste à accomplir le strict nécessaire, sans avoir d’activités de loisirs.
[33] Le 13 septembre 2011, la travailleuse revoit le docteur Bissonnette qui produit alors un rapport médical final dans lequel il consolide la lésion à cette date avec présence d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles. Il précise alors qu’à son avis la travailleuse doit être considérée en invalidité totale permanente.
[34] Le 20 septembre 2011, la travailleuse rencontre à nouveau la docteure Leclerc qui produit également un rapport médical final. Dans ce rapport, elle se dit d’accord avec l’opinion du docteur Bissonnette quant à l’invalidité totale permanente de la travailleuse.
[35] Le 7 octobre 2011, le docteur Bissonnette produit un rapport d’évaluation médicale. Dans ce rapport, il mentionne qu’il accorde les pourcentages de déficit anatomo-physiologique suivants par analogie :
122101 Index 0.75 %
122085 2e MTP 0.25 %
122076 Avant-bras 0.45 %
122067 Bras 0.45 %
122058 Tronc postérieur 0.15 %
______
Total : 2.05 %
[36] En ce qui concerne les limitations fonctionnelles, le docteur Bissonnette écrit :
Limitations fonctionnelles classe 4 de l’IRSST du membre supérieur G.
[37] Le 25 novembre 2011, la travailleuse rencontre le docteur René Parent, physiatre, à la demande de la CSST. Le docteur Parent décrit les symptômes rapportés par la travailleuse de la façon suivante :
CONDITION ACTUELLE
Madame Lapointe demeure symptomatique de son membre supérieur gauche. Elle nous décrit des douleurs au niveau cervical, irradiant vers le trapèze et à tout le membre supérieur. Elle décrit sa douleur comme une impression de choc électrique, de tiraillement, de lacération. Elle estime ses douleurs entre 5 et 6/10, présentes tous les jours, augmentant à l’effort. Le sommeil est perturbé. Elle se dit fatiguée, demeure triste. Le tout est parfois associé à des céphalées 4 jours/7. Elle décrit une impression de manque de dextérité au niveau de la main gauche. Elle conduit avec difficulté une auto manuelle. Lors d’efforts physiques, la douleur s’intensifie. Elle décrit une impression de gonflement au niveau de la main gauche. Elle gèle facilement. Il y a sensation d’hypoesthésie. Elle dit se brûler plus facilement. Il y a parfois une sensation de rougeur, de chaleur, changement de coloration.
[38] Après son examen physique, le docteur Parent retient un pourcentage de déficit anatomo-physiologique de 5 % en plus de celui reconnu à la suite de la consolidation de la lésion initiale. Il accorde ce pourcentage pour une atteinte sensitive de classe II du nerf médian au-dessous de la jonction du tiers moyen distal de l’avant-bras. En ce qui a trait aux limitations fonctionnelles, il écrit :
Je recommande des restrictions sévères au membre supérieur gauche qui s’apparentent à des restrictions de Classe III de l’IRSST. En effet, des restrictions de Classe IV m’apparaissent trop sévères chez cette patiente. Il faut, principalement, protéger son membre supérieur gauche dans le cadre d’un travail.
Ainsi, madame devrait :
· éviter les mouvements répétitifs impliquant la main gauche,
· éviter les mouvements de préhension et toute pression locale au niveau de la paume de la main, qui peuvent irriter la cicatrice, exacerber la douleur,
· éviter de travailler au froid,
· éviter de travailler avec des écarts de température importants,
· ne peut subir les vibrations ou les percussions avec un instrument,
· éviter les activités qui risquent des blessures cutanées.
[39] Le 20 décembre 2011, le docteur Bissonnette produit un rapport complémentaire dans lequel il se dit d’accord avec l’ajout du déficit anatomo-physiologique de 5 % effectué par le docteur Parent. Il précise que ce pourcentage remplace donc ceux qu’il avait accordés sous les codes 122101, 122085 et 122076. Il maintient cependant son opinion quant à l’opportunité d’accorder les pourcentages de déficit anatomo-physiologique par analogie sous les codes 122067 et 122058. Pour ce qui est des limitations fonctionnelles, il spécifie ceci :
En ce qui concerne les limitations fonctionnelles
D’accord avec classe 3 de l’IRSST proposé par le Dr Parent. J’avais déjà proposé cette classe dans mon expertise du 7 février 2011. La classe 4 sur mon rapport du 7 octobre 2011 était une erreur.
Nous maintenons l’invalidité totale permanente à tout emploi compte tenu de l’impact douloureux sur les capacités cognitives et l’hypersensibilité sévère lors du mouvement et effleurement du membre supérieur gauche.
[40] Le 29 décembre 2011, la travailleuse rencontre le docteur Alain Sirois, psychiatre, à la demande de la CSST. Dans le cadre de l’examen mental qu’il réalise, le docteur Sirois mentionne notamment :
(…) Les fonctions cognitives sont dans la normale, madame décrivant son humeur comme un mélange d’irritabilité, de deuil de ses capacités physiques et de sa qualité de vie antérieure, de tristesse qu’elle explique autant par la fatigue découlant de l’insomnie, des douleurs constantes qui la minent et la privent de son énergie, les reproches plus ou moins directs qu’elle perçoit dans les propos et les attitudes des gens et le manque de valorisation depuis qu’elle ne travaille plus. (…)
[41] Le docteur Sirois retiendra donc comme impression diagnostique que la travailleuse présente un trouble de l’adaptation avec humeur mixte, irritable, anxieuse et dysphorique, de sévérité modérée et d’évolution chronique. Il accorde donc un déficit anatomo-physiologique de 5 % pour une névrose légère du groupe I. Pour ce qui est des limitations fonctionnelles reliées à la condition psychique de la travailleuse, il écrit :
L’irritabilité, le faible degré de tolérance à l’anxiété et à la frustration et les difficultés de contrôle émotionnel de madame font en sorte qu’il lui serait difficile d’exercer des fonctions l’exposant de façon prévisible à la survenue des conflits interpersonnels, à une pression élevée, à la nécessité de prendre rapidement des décisions comportant un degré de responsabilité élevé.
[42] Le 30 janvier 2012, la docteure Leclerc produit un rapport complémentaire dans lequel elle se dit en accord avec l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles recommandées par le docteur Sirois.
[43] Le 8 mars 2012, la docteure Leclerc émet une attestation médicale dans laquelle elle recommande que la travailleuse puisse bénéficier d’une compensation financière pour l’achat d’une voiture à transmission manuelle[3] en raison des séquelles de son accident du travail.
[44]
Le 10 avril 2012, la travailleuse rencontre le docteur Jean-Maurice
D’Anjou, physiatre et membre du Bureau d’évaluation médicale. Ce dernier se dit
d’accord avec le docteur Parent tant en regard du déficit anatomo-physiologique
supplémentaire de
5 % pour une atteinte sensitive de classe II du nerf médian (code 113059) que
pour les limitations fonctionnelles émises par ce dernier.
[45] Comme nous l’avons mentionné précédemment, la Commission des lésions professionnelles a bénéficié du témoignage du docteur Bissonnette. Ce dernier est l’un des médecins qui a assuré le suivi de la travailleuse au cours des années 2010 et 2011 lorsque cette dernière a été dirigée vers le Centre d’expertise en gestion de la douleur du Centre hospitalier universitaire de Québec. Le docteur Bissonnette est un médecin de famille qui s’est spécialisé depuis l’an 2000 dans le traitement de la douleur chronique non cancéreuse. Il a donc eu à traiter de nombreux cas de syndrome de douleur régionale complexe.
[46] Dans un premier temps, il précise que le syndrome de douleur régionale complexe est une atteinte du système nerveux qui a pour effet de provoquer des douleurs sévères. Il s’agit d’une atteinte du système nerveux central (cerveau) et du système nerveux périphérique. Il souligne également que le syndrome de douleur régionale complexe est un problème systémique. Il ne touche donc pas seulement le membre atteint, mais bien l’ensemble de l’organisme. En conséquence, on doit considérer qu’il y a atteinte neurologique du cerveau et du membre touché. Il indique également que la sévérité des douleurs n’est aucunement proportionnelle à la blessure initiale puisqu’il est fréquent qu’un tel syndrome survient à la suite d’une blessure banale.
[47] Il poursuit en précisant que le syndrome de douleur régionale complexe se doit d’être traité rapidement, soit dans les semaines ou les mois qui suivent l’apparition des premiers symptômes. À défaut d’un tel traitement prodigué rapidement, la personne atteinte restera généralement avec des douleurs permanentes, sévères et invalidantes. Il estime que c’est le cas de la travailleuse. Il souligne cependant que même s’il a rencontré la travailleuse de façon tardive, il a malgré tout décidé d’essayer différentes modalités thérapeutiques susceptibles de la soulager.
[48] Après avoir essayé les différentes modalités thérapeutiques qu’il avait estimé susceptibles d’améliorer la condition de la travailleuse et en constatant l’échec de celles-ci, il a conclu que la travailleuse avait atteint un plateau thérapeutique et a consolidé la lésion de cette dernière en septembre 2011.
[49] Il considère que la travailleuse présente un cas sévère du syndrome de douleur régionale complexe. Ce constat est basé sur l’intensité de la douleur que présente la travailleuse au repos et lors de tous les mouvements. Il précise que cette douleur est constante et se situe à six ou sept sur une échelle d’un à dix. De plus, l’intensité de la douleur perturbe le sommeil de la travailleuse. Il a donc considéré que les atteintes motrices et cognitives découlant du syndrome de douleur régionale complexe justifiaient la reconnaissance d’une incapacité totale et permanente pour la travailleuse.
[50] En ce qui concerne les limitations fonctionnelles qui devraient être reconnues, le docteur Bissonnette se dit d’accord avec celles émises par les docteurs Parent et D’Anjou en ce qui concerne la condition musculo-squelettique de la travailleuse. Cependant, il considère que la travailleuse présente une limitation fonctionnelle supplémentaire en raison de l’atteinte neurocognitive qui découle du syndrome de douleur régionale complexe. Cette limitation devrait se refléter par une reconnaissance de l’incapacité totale permanente de la travailleuse. C’est d’ailleurs dans ce sens qu’il effectuait un parallèle avec les limitations fonctionnelles de classe IV lors de la production de son rapport d’évaluation médicale. Une telle classe de limitations lors d’une lésion au dos fait référence au caractère continu de la douleur et à son effet sur le comportement et sur la capacité de concentration. Il est également précisé qu’une telle limitation est incompatible avec tout travail régulier. Il croit donc que la travailleuse devrait se voir reconnaître une limitation fonctionnelle similaire en raison de l’impact de sa douleur sur les structures cérébrales.
[51] Le docteur Bissonnette estime donc que ce ne sont pas les limitations musculo-squelettiques qui empêchent la travailleuse d’exercer l’emploi convenable déterminé, mais plutôt les douleurs neurologiques atroces et permanentes qui entraînent une atteinte cognitive. Il souligne que ces douleurs sont présentes 24 heures sur 24 et qu’elles affectent la qualité du sommeil de la travailleuse puisqu’elles empêchent le sommeil profond. En conséquence, la travailleuse présente donc une grande fatigue quotidienne. Il rappelle également qu’il s’agit de douleurs permanentes présentes tant à l’effleurement qu’à la mobilisation. Le docteur Bissonnette exprime l’opinion qu’une telle atteinte cognitive en raison de la souffrance provoquée par la douleur est incompatible avec l’exercice d’un travail régulier demandant un minimum à notre cerveau pour fonctionner.
[52] En ce qui concerne l’atteinte permanente que conserve la travailleuse, le docteur Bissonnette réitère qu’il y a lieu de reconnaître les pourcentages qu’il avait suggérés par analogie dans son rapport complémentaire du 20 décembre 2011. Il précise que ces pourcentages sont accordés en relation avec le syndrome myofascial du trapèze gauche.
[53] Cependant, il se dit maintenant d’avis qu’il y a lieu d’accorder un pourcentage supplémentaire de 15 %. Il accorde ce pourcentage par analogie avec un syndrome cérébral organique (code 211005). Il estime que les constats faits par le docteur Sirois lors de son expertise psychiatrique (trouble de concentration, irritabilité, faible degré de tolérance à l’anxiété et à la frustration, difficultés de contrôle émotionnel, etc.) ne s’expliquent pas seulement par le trouble de l’adaptation que présente la travailleuse. Il émet l’avis qu’une partie de ces symptômes doit plutôt être reliée à l’atteinte neurocognitive secondaire au syndrome de douleur régionale complexe. Puisque ces symptômes présentent des similarités avec ceux décrits au Règlement sur le barème des dommages corporels[4] pour un syndrome cérébral organique, il estime que l’on peut accorder le déficit anatomo-physiologique prévu pour un tel syndrome, et ce, par analogie.
[54] Enfin, en ce qui concerne les activités reliées à la conduite automobile, le docteur Bissonnette est d’avis que la travailleuse devrait conduire un véhicule muni d’une transmission automatique. En effet, lors de la conduite d’un véhicule à transmission manuelle, la travailleuse doit tenir constamment le volant avec la main gauche. Ceci a donc pour effet d’entraîner une augmentation de ses douleurs. La conduite d’un véhicule à transmission automatique permettrait donc à la travailleuse d’utiliser que de façon exceptionnelle sa main gauche pour conduire.
[55] Pour sa part, le témoignage de la travailleuse a permis de confirmer la preuve documentaire que l’on retrouve au dossier ainsi que les constats rapportés par le docteur Bissonnette. Elle souligne notamment que le matin lorsqu’elle se lève, elle n’a jamais l’impression d’avoir bien dormi et d’être en forme pour attaquer la journée. Elle précise aussi que les douleurs vont toujours en amplifiant au cours de la journée.
[56] En ce qui concerne un possible retour au travail, elle explique ne pas être en mesure de se voir consacrer ses énergies à l’exercice d’un emploi puisqu’elle a de la difficulté à s’occuper de son enfant et à voir à ses activités d’hygiène personnelle. Elle se considère donc inapte à occuper tout emploi.
[57] Enfin, pour ce qui est de sa réclamation pour la pénalité qu’elle devra assumer en rendant sa voiture louée avant l’expiration du terme, elle mentionne posséder sa voiture depuis environ trois ans et qu’il s’agit d’une location de cinq ans. Elle ignore le montant de la pénalité qu’elle devrait payer si elle retournait sa voiture immédiatement.
[58] Malgré les difficultés qu’elle souligne avoir lors de la conduite de son véhicule à transmission manuelle, elle le conduit plusieurs fois par jour et ne l’a toujours pas retourné afin de se procurer un véhicule à transmission automatique.
L’AVIS DES MEMBRES
Dossier 474175-31-1206
[59] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis de rejeter la requête de la travailleuse dans ce dossier et de confirmer la décision rendue par la CSST. En effet, il estime que la preuve soumise n’est pas prépondérante pour modifier les conclusions retenues par le docteur D’Anjou, membre du Bureau d’évaluation médicale.
[60] Pour sa part, la membre issue des associations syndicales considère qu’il y a lieu de faire droit en partie à la requête de la travailleuse. Elle estime que la preuve soumise ne permet pas de reconnaître l’atteinte permanente supplémentaire suggérée par le docteur Bissonnette. Cependant, elle se dit d’avis que le témoignage du docteur Bissonnette est concluant afin de retenir une limitation fonctionnelle similaire à une limitation de classe IV pour le dos de l’IRSST en raison de la douleur importante que présente la travailleuse et de son impact neurocognitive.
Dossier 480233-31-1208
[61] Dans ce dossier, le membre issu des associations d’employeurs est d’avis qu’il y a lieu de confirmer l’emploi convenable déterminé ainsi que la capacité de la travailleuse à exercer ledit emploi. Il estime en effet que l’emploi de préposée à l’accueil et aux renseignements rencontre tous les critères contenus dans la définition d’emploi convenable que l’on retrouve à l’article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[5] (la loi). En ce qui concerne le remboursement des frais liés au retour d’une location d’un véhicule avant son terme, il considère que la preuve ne démontre pas que la travailleuse est incapable de conduire son véhicule à transmission manuelle. Dans ces circonstances, elle n’a pas droit au remboursement qu’elle réclame.
[62] Pour sa part, la membre issue des associations syndicales est d’avis que le tribunal doit déclarer que la travailleuse n’a pas la capacité d’exercer l’emploi convenable déterminé en tenant compte de la limitation fonctionnelle supplémentaire qu’elle reconnaît. Pour ce qui est du remboursement des frais reliés au retour du véhicule de location de la travailleuse, elle est d’accord avec le membre issu des associations d’employeurs puisqu’elle considère que, malgré ses douleurs importantes, la travailleuse a la capacité de conduire un véhicule à transmission manuelle.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[63] La Commission des lésions professionnelles doit donc déterminer, dans un premier temps, le pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique que conserve la travailleuse à la suite de sa lésion professionnelle du 20 avril 2009. Le tribunal doit également déterminer les limitations fonctionnelles qu’elle conserve à la suite de cette lésion professionnelle.
[64] Par la suite, et en tenant compte de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles retenues, la Commission des lésions professionnelles devra statuer sur le caractère convenable de l’emploi de préposée à l’accueil et aux renseignements et sur la capacité de la travailleuse d’exercer cet emploi.
[65] Enfin, la Commission des lésions professionnelles devra décider si la travailleuse a droit au remboursement de la pénalité qu’elle devra assumer en retournant son véhicule de location avant l’expiration du contrat de location.
[66] En ce qui concerne l’atteinte permanente, la Commission des lésions professionnelles constate, dans un premier temps, que la CSST a reconnu que la travailleuse conservait une atteinte permanente de 2,41 %, à la suite de sa lésion professionnelle initiale du 2 février 2007. Cette atteinte permanente a été établie de la façon suivante :
BILAN DES SÉQUELLES
|
||
CODE |
DESCRIPTION |
% |
DÉFICIT ANATOMO-PHYSIOLOGIQUE (DAP) |
||
102383 |
Atteinte des tissus mous du membre supérieur gauche |
2 % |
|
TOTAL du DAP : 2 % |
|
225027 |
D.P.J.V. sur DAP |
0,2 % |
|
||
PRÉJUDICE ESTHÉTIQUE (PE) |
||
224368 |
Atteinte cicatricielle vicieuse à la main gauche |
0,2 % |
225009 |
D.P.J.V. sur PE |
0,01 % |
|
||
TOTAL DE L’ATTEINTE PERMANENTE : |
2,41 % |
[67] Le tribunal constate également qu’à la suite de la lésion professionnelle (récidive, rechute ou aggravation) du 20 avril 2009, un pourcentage de déficit anatomo-physiologique de 5 % a été reconnu en relation avec la lésion psychique.
[68] Enfin, la Commission des lésions professionnelles observe que tous les médecins sont d’accord pour reconnaître un déficit anatomo-physiologique de 5 % en raison d’une atteinte sensitive de classe II du nerf médian gauche au-dessous de la jonction du tiers moyen distal de l’avant-bras.
[69] Le seul litige concerne donc la reconnaissance d’un déficit anatomo-physiologique de 15 % (syndrome cérébral organique) que le docteur Bissonnette accorde par analogie ainsi que les pourcentages de 0,45 % et 0,15 % qu’il accorde également par analogie en fonction du diagnostic de syndrome myofascial du trapèze gauche.
[70] En ce qui concerne les pourcentages de 0,45 % et de 0.15 %, la Commission des lésions professionnelles estime que la preuve n’est pas probante pour reconnaître ces pourcentages.
[71] En effet, ces pourcentages se retrouvent au chapitre XIV du Règlement sur le barème des dommages corporels[6], soit dans le chapitre portant sur les pourcentages de déficit antomo-physiologique qui peuvent être attribués pour les atteintes à la peau et à la sensibilisation que l’on retrouve habituellement dans les cas de dermatoses.
[72] Le docteur Bissonnette n’explique pas pourquoi il retient une telle analogie entre les pourcentages attribués pour les atteintes à la peau et à la sensibilisation et le syndrome myofascial des trapèzes reconnu à titre de lésion professionnelle.
[73] Il faut se rappeler qu’un syndrome myofascial correspond à une souffrance musculaire localisée. Dans ces circonstances, le présent tribunal estime que l’attribution d’un déficit anatomo-physiologique par analogie doit donc se faire en fonction d’un préjudice mentionné au barème et qui est du même genre, comme le souligne le dernier alinéa de l’article 84 de la loi qui prévoit :
84. Le montant de l'indemnité pour préjudice corporel est égal au produit du pourcentage, n'excédant pas 100 %, de l'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique par le montant que prévoit l'annexe II au moment de la manifestation de la lésion professionnelle en fonction de l'âge du travailleur à ce moment.
Le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique est égal à la somme des pourcentages déterminés suivant le barème des préjudices corporels adopté par règlement pour le déficit anatomo-physiologique, le préjudice esthétique et les douleurs et la perte de jouissance de la vie qui résultent de ce déficit ou de ce préjudice.
Si un préjudice corporel n'est pas mentionné dans le barème, le pourcentage qui y correspond est établi d'après les préjudices corporels qui y sont mentionnés et qui sont du même genre.
__________
1985, c. 6, a. 84; 1999, c. 40, a. 4.
(notre soulignement)
[74] En conséquence, le tribunal estime que l’analogie faite par le docteur Bissonnette n’apparaît pas comme justifiée sans autre explication. En effet, le tribunal est d’avis qu’il faut plutôt rechercher un pourcentage qui correspond davantage à une atteinte musculaire. Dans les circonstances, le pourcentage accordé devrait plutôt être celui pour une atteinte des tissus mous.
[75] Puisqu’un tel pourcentage de déficit anatomo-physiologique a déjà été reconnu à la suite de la lésion professionnelle initiale, la Commission des lésions professionnelles estime qu’il n’y a donc pas lieu d’accorder un pourcentage additionnel en relation avec le syndrome myofascial du trapèze gauche.
[76] En ce qui concerne le pourcentage de déficit anatomo-physiologique de 15 % que le docteur Bissonnette accorde par analogie avec un syndrome cérébral organique, le tribunal est également d’avis que la preuve n’est pas probante pour permettre l’attribution d’un tel pourcentage.
[77] Avant tout, la Commission des lésions professionnelles tient à rappeler que le Règlement sur le barème des dommages corporels[7] ne prévoit pas de pourcentage de déficit anatomo-physiologique spécifique dans le cas d’un syndrome de douleur régionale complexe. Dans les circonstances, il y a donc lieu de procéder par analogie, comme le souligne le dernier alinéa de l’article 84 de la loi que nous avons vu précédemment.
[78] À cet égard, la jurisprudence largement majoritaire du tribunal a retenu par analogie le pourcentage prévu pour une atteinte des tissus mous du membre atteint[8].
[79] Puisqu’il s’agit d’une atteinte du système nerveux central et périphérique, il y a également lieu de voir l’opportunité d’accorder un pourcentage additionnel pour une atteinte sensitive ou motrice du ou des nerfs affectés.
[80] Dans le cadre de la recherche jurisprudentielle qu’elle a effectuée pour rendre la présente décision, la Commission des lésions professionnelles a également répertorié un cas où le tribunal a accordé un pourcentage de déficit anatomo-physiologique pour une atteinte du système nerveux central, soit pour une atteinte cérébro-spinale[9].
[81] Dans le présent dossier, le docteur Bissonnette suggère d’appliquer par analogie le pourcentage prévu pour un syndrome cérébral organique de classe I puisque les symptômes rapportés par le docteur Jodoin dans son expertise psychiatrique sont similaires à ceux décrits pour un syndrome cérébral organique au Règlement sur le barème des dommages corporels[10]. En effet, le règlement prévoit :
Les déficits qui découlent d’une atteinte cérébrale peuvent se manifester par des troubles de l’orientation, de la compréhension, de la mémoire (immédiate et ancienne), du jugement, de l’auto-critique, de même que par l’incapacité de prendre des décisions, des troubles de l’humeur (euphorie et dépression), du rire et des pleurs spasmodiques, de l’intolérance à la frustration, des troubles de comportement et autres.
[82] De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, les symptômes rapportés par le docteur Jodoin s’expliquent d’abord et avant tout par le trouble de l’adaptation que présente la travailleuse. Il est possible qu’il puisse s’expliquer également en partie par l’atteinte neurocognitive secondaire au syndrome de douleur régionale complexe.
[83] Cependant, de l’avis du tribunal, il n’y a pas lieu d’accorder le pourcentage recommandé par analogie par le docteur Bissonnette pour un syndrome cérébral organique. En effet, reconnaître un tel pourcentage additionnel aurait pour effet d’indemniser en double la travailleuse pour les mêmes séquelles résiduelles, puisque celles-ci ont été prises en considération lors de la reconnaissance d’un déficit anatomo-physiologique de 5 % pour la lésion psychique.
[84] En conséquence de ce qui précède, la Commission des lésions professionnelles estime qu’il n’y a pas lieu de modifier les pourcentages de déficit anatomo-physiologique retenus par le docteur D’Anjou, membre du Bureau d’évaluation médicale. En y ajoutant le pourcentage retenu pour la lésion psychique, la travailleuse conserve donc l’atteinte permanente suivante, à la suite de la récidive, rechute ou aggravation du 20 avril 2009 :
BILAN DES SÉQUELLES
|
||
CODE |
DESCRIPTION |
% |
DÉFICIT ANATOMO-PHYSIOLOGIQUE (DAP) |
||
102383 |
Atteinte des tissus mous du membre supérieur gauche |
2 % |
113059 |
Atteinte sensitive de classe II du nerf médian gauche au-dessous de la jonction du tiers moyen distal de l’avant-bras |
5 %
|
222547 |
Névrose légère du groupe I |
5 % |
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TOTAL du DAP : 12 % |
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225125 |
D.P.J.V. sur DAP |
2,4 % |
|
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PRÉJUDICE ESTHÉTIQUE (PE) |
||
224368 |
Atteinte cicatricielle vicieuse à la main gauche |
0,2 % |
225009 |
D.P.J.V. sur PE |
0,01 % |
|
||
TOTAL DE L’ATTEINTE PERMANENTE : |
14,61 % |
[85] En retranchant les séquelles antérieures (2,41 %) de ce pourcentage, on obtient donc une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique de la travailleuse de 12,2 %, à la suite de sa lésion professionnelle du 20 avril 2009.
[86] En ce qui concerne les limitations fonctionnelles, la Commission des lésions professionnelles est cependant d’avis que la preuve est prépondérante pour soutenir les conclusions recherchées par la travailleuse.
[87] En effet, dans un premier temps, il y a lieu de constater que l’ensemble des médecins, soit les docteurs Bissonnette, Leclerc, Parent et D’Anjou, reconnaît que la travailleuse conserve des séquelles douloureuses importantes à la suite de sa lésion professionnelle.
[88] À cet égard, ils sont unanimes pour reconnaître des restrictions sévères au niveau du membre supérieur gauche. Premièrement, le tribunal retiendra donc que la travailleuse conserve les limitations fonctionnelles retenues par le membre du Bureau d’évaluation médicale, soit :
· Éviter les mouvements répétitifs impliquant la main gauche;
· Éviter les mouvements de préhension et toute pression locale au niveau de la paume de la main qui peut irriter la cicatrice, exacerber la douleur;
· Éviter de travailler au froid;
· Éviter de travailler avec des écarts de température importants;
· Éviter les activités qui risquent des blessures cutanées;
· Ne pas subir des vibrations ou des percussions avec un instrument.
[89] Tout comme le docteur Bissonnette, la Commission des lésions professionnelles considère que ces limitations fonctionnelles représentent bien celles qui doivent être émises en raison de la condition musculo-squelettique de la travailleuse. Il y a cependant lieu de se demander si les douleurs sévères qu’elle présente en raison de l’atteinte du système nerveux central et périphérique (syndrome de douleur régionale complexe) justifient des limitations fonctionnelles supplémentaires.
[90] Le tribunal retient comme probant que la travailleuse présente des douleurs sévères et que ces douleurs sont présentes au repos, à l’effleurement et lors des mouvements. Il faut également souligner que lesdites douleurs perturbent le sommeil de la travailleuse et qu’elles ont un effet sur la capacité de concentration de celle-ci.
[91] Dans ces circonstances, la Commission des lésions professionnelles considère que les douleurs neurologiques sévères, continues et permanentes que présente la travailleuse entraînent une atteinte cognitive et que cette atteinte, comme le souligne le docteur Bissonnette, est incompatible avec l’exercice d’un travail régulier. Il y a donc lieu de reconnaître une limitation fonctionnelle additionnelle pour cette condition.
[92] Le tribunal estime qu’il y a lieu de faire ici un parallèle avec les limitations fonctionnelles de classe IV pour le dos de l’IRSST. Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles ajoute aux limitations fonctionnelles retenues par le membre du Bureau d’évaluation médicale, la limitation suivante :
· Le caractère continu de la douleur et son effet sur le comportement et sur la capacité de concentration sont incompatibles avec tout travail régulier.
[93] Il y a également lieu d’ajouter les limitations fonctionnelles pour la lésion psychique reconnue par le docteur Jodoin et avec lesquelles la docteure Leclerc s’est dit en accord, soit :
· L’irritabilité, le faible degré de tolérance à l’anxiété et à la frustration et les difficultés de contrôle émotionnel de la travailleuse font en sorte qu’il lui serait difficile d’exercer des fonctions l’exposant de façon prévisible à la survenue de conflits interpersonnels, à une pression élevée, à la nécessité de prendre rapidement des décisions comportant un degré de responsabilité élevé.
[94] En ce qui concerne la capacité de la travailleuse à exercer un emploi convenable de préposée à l’accueil et aux renseignements, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que cet emploi n’est pas un emploi convenable que la travailleuse a la capacité d’exercer, et ce, en tenant compte de la limitation fonctionnelle reconnue ci-haut en relation avec les douleurs neurologiques sévères, continues et permanentes que présente la travailleuse. Rappelons simplement que ces douleurs et ses effets sur le comportement et la capacité de concentration sont incompatibles avec tout travail régulier. La travailleuse ne peut donc pas exercer à temps plein l’emploi convenable déterminé.
[95] La Commission des lésions professionnelles souligne également qu’elle ne voit pas de quelle façon la travailleuse pourra exercer à plein temps un emploi convenable quelconque. Son droit à une indemnité de remplacement du revenu se poursuivra donc en conformité avec les dispositions de l’article 47 de la loi.
[96] Enfin, en ce qui a trait au droit de la travailleuse de se voir rembourser la pénalité qu’elle devrait assumer si elle retourne son véhicule de location avant l’expiration du terme, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que la preuve soumise n’est pas prépondérante pour faire droit à cette demande.
[97] Dans un premier temps, la Commission des lésions professionnelles souligne que cette demande pourrait possiblement prendre appui sur les dispositions de l’article 155 de la loi qui traite de l’adaptation d’un véhicule. Cet article prévoit :
155. L'adaptation du véhicule principal du travailleur peut être faite si ce travailleur a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique et si cette adaptation est nécessaire, du fait de sa lésion professionnelle, pour le rendre capable de conduire lui-même ce véhicule ou pour lui permettre d'y avoir accès.
__________
1985, c. 6, a. 155.
[98] En effet, la Commission des lésions professionnelles a déjà accordé un remboursement, tel que celui demandé par la travailleuse en l’instance, en prenant appui sur les dispositions des articles 1, 155 et 351 de la loi[11].
[99] Cependant, dans le présent dossier, la Commission des lésions professionnelles estime que la preuve n’est pas prépondérante pour conclure que la travailleuse ne peut plus conduire un véhicule à transmission manuelle.
[100] En effet, il faut se rappeler que la lésion de la travailleuse affecte le membre supérieur gauche. Ce n’est donc pas le membre sollicité pour effectuer les changements de vitesse lors de la conduite d’un véhicule à transmission manuelle. La travailleuse soumet cependant que lorsqu’elle doit effectuer lesdits changements de vitesse avec le membre supérieur droit, elle doit obligatoirement tenir le volant avec le membre supérieur gauche. La Commission des lésions professionnelles en convient. Cependant, le fait de tenir le volant avec le membre supérieur gauche ne contrevient pas aux limitations fonctionnelles reconnues.
[101] De plus, la Commission des lésions professionnelles constate que, malgré la recommandation faite par la docteure Leclerc en mars 2012 suggérant la conduite d’un véhicule à transmission automatique, la travailleuse n’a pas poursuivi les démarches visant à changer son véhicule loué. Au contraire, la preuve démontre qu’elle continue malgré tout à conduire quotidiennement son véhicule à transmission manuelle. Dans les circonstances, il est difficile pour le tribunal de conclure que la travailleuse est incapable de conduire un véhicule à transmission manuelle.
[102] Le tribunal estime que si la travailleuse était réellement dans l’incapacité de conduire un véhicule à transmission manuelle, elle aurait retourné depuis longtemps son véhicule de location quitte à en assumer la pénalité et en réclamer par la suite le remboursement à la CSST. C’est d’ailleurs de cette façon qu’avait agi le travailleur dans l’affaire Parisé et Maconnerie Pro-Val inc.[12].
[103] En conséquence, la Commission des lésions professionnelles conclut que la travailleuse n’est pas incapable de conduire son véhicule à transmission manuelle. Elle n’a donc pas droit au remboursement de la pénalité pour le retour de son véhicule loué avant l’expiration du contrat de location.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Dossier 474175-31-1206
ACCUEILLE en partie la requête de madame Amélie Lapointe, la travailleuse;
MODIFIE la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 5 juin 2012, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse conserve une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique de 12,20 % à la suite de sa lésion professionnelle du 20 avril 2009 et qu’elle a droit à une indemnité pour préjudice corporel en conséquence;
DÉCLARE que la travailleuse conserve les limitations fonctionnelles suivantes à la suite de sa lésion professionnelle du 20 avril 2009 :
· Éviter les mouvements répétitifs impliquant la main gauche;
· Éviter les mouvements de préhension et toute pression locale au niveau de la paume de la main qui peut irriter la cicatrice, exacerber la douleur;
· Éviter de travailler au froid;
· Éviter de travailler avec des écarts de température importants;
· Éviter les activités qui risquent des blessures cutanées;
· Ne pas subir des vibrations ou des percussions avec un instrument;
· L’irritabilité, le faible degré de tolérance à l’anxiété et à la frustration et les difficultés de contrôle émotionnel de la travailleuse font en sorte qu’il lui serait difficile d’exercer des fonctions l’exposant de façon prévisible à la survenue de conflits interpersonnels, à une pression élevée, à la nécessité de prendre rapidement des décisions comportant un degré de responsabilité élevé.
· Le caractère continu de la douleur et son effet sur le comportement et sur la capacité de concentration sont incompatibles avec tout travail régulier;
DÉCLARE que la travailleuse a droit à la réadaptation que requiert son état, compte tenu des conséquences de sa lésion professionnelle.
Dossier 480233-31-1208
ACCUEILLE en partie la requête de madame Amélie Lapointe, la travailleuse;
MODIFIE la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 17 juillet 2012, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que l’emploi de préposée à l’accueil et aux renseignements ne constitue pas un emploi convenable que la travailleuse est capable d’exercer;
DÉCLARE que la travailleuse a droit à la poursuite du versement d’une indemnité de remplacement du revenu;
DÉCLARE que la travailleuse n’a pas droit au remboursement des frais reliés au retour d’une location de véhicule avant son terme.
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Michel Letreiz |
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Me Alain Daigle |
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Gaulin Croteau Gosselin Daigle et ass. |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Julie Rancourt |
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Vigneault Thibodeau Bergeron |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] La Commission des lésions professionnelles tient à préciser que la travailleuse avait été examinée par la docteure Morand le 16 juillet 2008 afin que soit produit le rapport d’évaluation médicale. La production de ce rapport a été retardée en raison d’une absence de la docteure Morand due à la maladie.
[2] Lapointe et Encadrements Ste-Anne inc., C.L.P. 407201-31-1004, 3 juin 2011, P. Champagne.
[3] Il s’agit ici manifestement d’une erreur de la part de la docteure Leclerc qui fait sûrement une telle recommandation pour une voiture à transmission automatique et non manuelle.
[4] R.R.Q., c. A-3.001, r. 2.
[5] L.R.Q., c. A-3.001.
[6] Précité, note 4.
[7] Précité, note 4.
[8] Voir notamment : Lalancette et Directeur général élections du Québec, C.L.P. 115539-02-9904, 3 mai 2000, P. Ringuet; Bernier et Entreprises Scorpio LB inc., C.L.P. 188240-71-0207, 6 mai 2003, T. Giroux; Brideau et Samuel & Fils & Cie (Québec) ltée, C.L.P. 212166-61-0307, 29 janvier 2004, L. Nadeau; Isopo et Commission scolaire Sir Wilfrid-Laurier, C.L.P. 236629-61-0406, 22 décembre 2004, L. Nadeau; Montmagny et Laminage Lamcon inc., C.L.P. 279648-64-0601, 16 octobre 2006, J. David; Nicolas et Grues Longueuil, C.L.P. 372463-01B-0903, 27 août 2010, J.-F. Clément; Delvecchio et Ville de Sept-Îles, 2012 QCCLP 4769 .
[9] Black et Entreprise Robert Thibert inc., 2011 QCCLP 7498 (décision accueillant une requête en révision).
[10] Précité, note 4.
[11] Parisé et Maçonnerie Pro-Val inc., C.L.P. 304214-62-0611, 3 mars 2008, H. Marchand.
[12] Idem.
AVIS :
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