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[1] Le 16 mars 2005, monsieur Harold Coull (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 24 février 2005 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 21 septembre 2004 et déclare que l’emploi de préposé à l’accueil dans une zec (zone d’exploitation contrôlée) ou une pourvoirie est un emploi convenable pour le travailleur, que ce dernier était en mesure de l’exercer à compter du 27 septembre 2004 et que cet emploi pourrait lui procurer un revenu annuel estimé à 15 538,00 $. Elle déclare également que le travailleur a droit à la poursuite du versement de l’indemnité de remplacement du revenu pour au plus un an, ou jusqu’à ce qu’il occupera cet emploi, et que l’indemnité sera réduite de tout revenu qu’il tirera de quelque travail exercé entre-temps.
[3] Lors de l’audience tenue à New-Richmond le 27 septembre 2005, le travailleur est présent avec son procureur. L’employeur, bien que dûment convoqué, est absent. La CSST est représentée par sa procureure.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que l’emploi de préposé à l’accueil dans une zec ou une pourvoirie n’est pas un emploi convenable pour lui et qu’il a droit à la poursuite du versement de l’indemnité de remplacement du revenu. De façon subsidiaire, il demande de déclarer que le revenu annuel estimé de cet emploi, de nature saisonnière, n’est que de 5 179 $.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous deux d’avis que la requête du travailleur devrait être accueillie.
[6] Ils considèrent plus particulièrement la preuve prépondérante quant aux tâches diverses généralement accomplies par un préposé à l’accueil dans une zec ou une pourvoirie et le fait que plusieurs de celles-ci sont incompatibles avec les limitations fonctionnelles du travailleur. Ils considèrent également que même s’il leur avait été prouvé que la diversité de tâches mises en preuve relève plutôt d’un « gardien » de zec ou de pourvoirie que d’un « préposé à l’accueil », il s’avèrerait alors que la preuve serait prépondérante quant à l’absence de possibilité raisonnable d’embauche pour l’emploi de préposé qui n’existe que dans de rares et importantes zecs et pourvoiries.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’emploi de préposé à l’accueil dans une zec ou une pouvoirie constitue un emploi convenable pour le travailleur au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et si ce dernier était capable de l’exercer à compter du 27 septembre 2004.
[8] L’identification d’un emploi convenable par la CSST s’inscrit dans le cadre de la réadaptation prévue par la loi.
[9] Ainsi, il est notamment prévu par la loi qu’aux fins de la préparation et de la mise en œuvre d’un plan de réadaptation qui doit être adapté aux besoins du travailleur, la CSST sollicite la collaboration de celui-ci. Ce plan individualisé de réadaptation peut en outre comprendre de la réadaptation physique, sociale et professionnelle, toujours selon les besoins du travailleur.
146. Pour assurer au travailleur l'exercice de son droit à la réadaptation, la Commission prépare et met en oeuvre, avec la collaboration du travailleur, un plan individualisé de réadaptation qui peut comprendre, selon les besoins du travailleur, un programme de réadaptation physique, sociale et professionnelle.
Ce plan peut être modifié, avec la collaboration du travailleur, pour tenir compte de circonstances nouvelles.
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1985, c. 6, a. 146.
[10] Afin que l’on puisse conclure par ailleurs qu’un travailleur a réellement bénéficié de la réadaptation que requérait son état, il importe que la CSST ait réellement évalué la situation du travailleur et ait tenté de trouver les solutions appropriées à son cas en tentant de susciter sa collaboration. Dans le cadre de la réadaptation professionnelle, de l’information doit ainsi être obtenue du travailleur sur ses expériences antérieures de travail, sur ses intérêts, ses aptitudes, etc. Ce n’est pas un processus qui peut généralement être complété à la suite d’une seule rencontre et il peut par ailleurs, toujours selon le cas, nécessiter le recours à des ressources spécialisées comme un physiothérapeute, à un conseiller en orientation ou à un psychologue par exemple.
[11] Par ailleurs, bien que la CSST ait l’obligation de tenter d’obtenir et même de susciter la collaboration du travailleur dans l’établissement de son plan individualisé de réadaptation, ce dernier a quant à lui l’obligation de collaborer, ce qui implique une participation active de sa part. Il doit ainsi, dans le cadre de la réadaptation professionnelle, fournir à la CSST toutes les informations pertinentes le concernant, réfléchir aux suggestions qui lui sont faites par la CSST, prendre part activement aux discussions ainsi qu’aux rencontres avec des ressources spécialisées. Dans l’appréciation de la participation du travailleur, il devra par ailleurs être tenu compte de situations particulières comme l’âge élevé d’un travailleur, son retrait du marché du travail pendant plusieurs années en raison de sa lésion professionnelle ou la persistance de douleurs importantes. La CSST devra alors faire un effort particulier pour susciter la collaboration du travailleur, lui offrir les services nécessaires pour l’aider en ce sens et être moins exigeante quant au caractère « actif » de sa participation.
[12] La réadaptation professionnelle est plus particulièrement ici en litige. Sur ce plan, selon une jurisprudence assez constante de la Commission des lésions professionnelles, et anciennement de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles, la CSST peut notamment procéder à l’identification unilatérale d’un emploi convenable lorsque le travailleur ne collabore pas à l’élaboration ou à la mise en œuvre de son plan de réadaptation[2]. Elle peut également, selon le cas, choisir de plutôt suspendre le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu ou le plan individualisé de réadaptation et elle peut même mettre fin à ce dernier[3].
[13] Si la CSST décide de déterminer unilatéralement un emploi convenable, elle doit par contre préalablement s’assurer d’être adéquatement informée sur la situation particulière du travailleur et de pouvoir procéder à l’évaluation de ses possibilités professionnelles et à la détermination d’un emploi qui respecte les critères pour être qualifié de convenable. L’absence, serait-ce totale, de collaboration de la part du travailleur ne libère pas la CSST de devoir établir le caractère convenable de l’emploi qu’elle décide de retenir.
[14] En ce qui a trait, précisément, à la réadaptation professionnelle, les articles 166, 167 et 171 méritent plus particulièrement d’être cités :
166. La réadaptation professionnelle a pour but de faciliter la réintégration du travailleur dans son emploi ou dans un emploi équivalent ou, si ce but ne peut être atteint, l'accès à un emploi convenable.
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1985, c. 6, a. 166.
167. Un programme de réadaptation professionnelle peut comprendre notamment:
1° un programme de recyclage;
2° des services d'évaluation des possibilités professionnelles;
3° un programme de formation professionnelle;
4° des services de support en recherche d'emploi;
5° le paiement de subventions à un employeur pour favoriser l'embauche du travailleur qui a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique;
6° l'adaptation d'un poste de travail;
7° le paiement de frais pour explorer un marché d'emplois ou pour déménager près d'un nouveau lieu de travail;
8° le paiement de subventions au travailleur.
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1985, c. 6, a. 167.
171. Lorsqu'aucune mesure de réadaptation ne peut rendre le travailleur capable d'exercer son emploi ou un emploi équivalent et que son employeur n'a aucun emploi convenable disponible, ce travailleur peut bénéficier de services d'évaluation de ses possibilités professionnelles en vue de l'aider à déterminer un emploi convenable qu'il pourrait exercer.
Cette évaluation se fait notamment en fonction de la scolarité du travailleur, de son expérience de travail, de ses capacités fonctionnelles et du marché du travail.
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1985, c. 6, a. 171.
[15] Le tribunal souligne qu’il ressort clairement de l’article 171 que la participation du travailleur est prédominante puisque son droit consiste à recevoir les services pour l’aider à déterminer un emploi qui soit convenable pour lui.
[16] La notion d’emploi convenable est quant à elle définie comme suit à l’article 2 de la loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« emploi convenable » : un emploi approprié qui permet au travailleur victime d'une lésion professionnelle d'utiliser sa capacité résiduelle et ses qualifications professionnelles, qui présente une possibilité raisonnable d'embauche et dont les conditions d'exercice ne comportent pas de danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[17] Il est ainsi généralement établi que pour être qualifié de « convenable » au sens de la loi, un emploi doit respecter les conditions suivantes :
· être approprié, soit respecter dans la mesure du possible les intérêts et les aptitudes du travailleur;
· permettre au travailleur d’utiliser sa capacité résiduelle, soit plus particulièrement respecter ses limitations fonctionnelles, qu’elles soient d’origine professionnelle ou personnelle;
· permettre au travailleur d’utiliser ses qualifications professionnelles, dans la mesure du possible, soit tenir compte de sa scolarité et de son expérience de travail;
· présenter une possibilité raisonnable d’embauche, ce qui ne signifie pas que l’emploi doit être disponible. Cette possibilité doit par ailleurs s’apprécier en regard du travailleur et non de façon abstraite.
· ne pas comporter de danger pour la santé, la sécurité ou l’intégrité du travailleur compte tenu de sa lésion, soit, notamment, ne pas comporter de risque réel d’aggravation de l’état du travailleur ou de risque d’accident en raison des limitations fonctionnelles.
[18] L’examen du processus de réadaptation en l’instance révèle qu’une seule rencontre a lieu entre la conseillère en réadaptation de la CSST et le travailleur, soit le 2 août 2004.
[19] Lors de cette rencontre, le travailleur déclare à la conseillère vouloir être déclaré invalide par la CSST et qu’il contestera toute autre décision.
[20] Sans autre tentative de raisonner le travailleur, sans exploration de la possibilité de le référer en psychologie pour l’aider à progresser dans son cheminement, sans quelque autre communication avec le travailleur, un emploi convenable est identifié unilatéralement par la CSST.
[21] Le tribunal retient donc le manque total de collaboration du travailleur, mais également le peu d’efforts faits par la CSST pour susciter cette collaboration.
[22] Ainsi, le 20 septembre 2004, la conseillère en réadaptation décide de retenir l’emploi de préposé à l’accueil dans une zec ou une pourvoirie comme étant un emploi convenable pour le travailleur.
[23] Considérant l’absence de la conseillère en réadaptation à l’audience et de tout autre document pertinent au dossier quant à cette décision, il apparaît utile de reproduire ici l’ensemble des notes du 20 septembre 2004 de la conseillère en réadaptation :
« Aspect Professionnel
L’emploi convenable retenu est celui de préposé à l’accueil dans une zec ou une pourvoirie.
Il est à noter que la décision a été prise unilatéralement. En effet, une divergence d’objectifs entre le travailleur et la CSST a été observée.
Le travailleur a été rencontré une seule fois dans le cadre de la démarche d’évaluation des possibilités professionnelles. Lors de cette rencontre, le t. a déclaré, que ce qu’il voulait, c’était d’être déclaré invalide par la CSST. Il a également mentionné qu’il contesterait toute décision n’allant pas en ce sens. (notes évolutives de 2004-08-02)
Lorsqu’il a été expliqué au t., qu’avec ses limitations, la CSST ne pouvait pas le déclarer invalide, M. Coull a dit comprendre que la conseillère au dossier avait « une job à faire ».
Cependant, il a également fait mention qu’il reviendrait en rechute çà la fin du processus. (notes évolutives de 2004-08-02)
· L’emploi de préposé à l’accueil dans une zec ou une pourvoirie est approprié, car il permet au travailleur d’utiliser ses capacités résiduelles.
Les capacités physiques exigées pour l’emploi retenu sont les suivantes (d’après CCDP) :
- poids léger (20 livres maximum)
- Besoin de pouvoir entendre et de voir en termes d’acuité visuelle à courte et à longue distance, sens du relief, accommodation, vision des couleurs et champ visuel
Le préposé à l’accueil dans une zec ou une pourvoirie doit accomplir les tâches suivantes : recevoir et diriger les clients ; faire les passes ou les permis ; faire les inscriptions ; recevoir les paiements ; inscrire, peser et mesurer les prises (truites ou saumons.
Le travail est au comptoir, assis ou debout. Il n’y a pas de marche à faire. Les pêcheurs peuvent déposer les prises sur la pesée et les reprendre par la suite. Le préposé peut le faire s’il le veut. Le travail se fait au rythme du travailleur puisque l’achalandage est restreint aux utilisateurs ou aux pêcheurs.
· L’emploi de préposé à l’accueil dans une zec ou une pourvoirie est un emploi approprié, car il permet au t. d’utiliser ses qualifications professionnelles.
Lors de l’analyse du parcours professionnel du t., on remarque qu’il a déjà été guide sur une rivière pendant une période d’environ quatre ans (réf. : rapport d’orientation de M. Vinet). Le t. a donc des acquis dans le domaine de la pêche, en plus d’avoir déjà travaillé avec la clientèle touristique qui vont dans les zecs et les pourvoiries. Par ailleurs, le fait que M. Coull parle deux langues (anglais et français) lui permettra de servir la majorité des clients fréquentant ces lieux.
· Par ailleurs, l’emploi de préposé à l’accueil dans une zec ou une pourvoirie présente une possibilité raisonnable d’embauche.
Selon l’Association touristique régionale de la Gaspésie, en 2004, il existe plusieurs zecs ou pourvoiries dans la région. En voici la liste :
-Zec de la rivière Matane
-Zec des rivières York et Dartmouth
-Zec Baillargeon
-Zec de la rivière Bonaventure
-Zec des Anses
-Zec Petite-Cascapédia
-Corporation de gestion des rivières Matapédia et Patapédia
-Pourvoirie de la Seigneurie du lac Métis
-Pourvoirie de la Gaspésie 2000 enr.
-Pourvoirie au paradis de Jules et Diane
-Pourvoirie Escapade Mer et Forêt
-Pourvoirie Beauséjour
-Pourvoiries des Lacs Robidoux
-Camp Brûlé
-Auberge Dunkilie Lodge
-Pourvoirie Motel Restigouche
De tous ces employeurs potentiels, cinq sont situés dans la Baie des Chaleurs :
Zec de la rivière Bonaventure, Zec Petite-Cascapédia, Pourvoiries des Lacs Robidoux, Camp Brûlé et Auberge Dunkilie Lodge.
Deux sont situés dans la Vallée de la Matapédia, secteur voisin de la Baie des Chaleurs : Corporation de gestion des rivières Matapédia et Patapédia et Pourvoirie Motel Restigouche.
· L’emploi de préposé à l’accueil dans une zec ou une pourvoirie est sans danger pour la santé, la sécurité ou l’intégrité physique du t. compte tenu de sa lésion.
L’exécution des tâches est sans danger pour le travailleur puisqu’elle ne contrevient aux limitations fonctionnelles du travailleur telles qu’émises par le Dr Mario Giroux, lors de l’expertise médicale du 28 octobre 2003.
Les limitations sont les suivantes : « M. Coull présente un problème de lombalgie chronique associée à des symptômes neurologiques qui ne sont pas corroborés au point de vue de l’investigation que ce soit l’EMG, la résonnance magnétique ou le CT scan. Mon évaluation n’a pas permis de démontrer d’aggravation par rapport à l’évaluation qui a été fait par le Dr Rouleau le 8 janvier 2003. »
Limitations fonctionnelles :
-Éviter les activités en flexion avant du tronc ou en position à genoux ou accroupie ;
-Éviter de soulever des charges de plus de 10 kilos ;
-Éviter les mouvements répétitifs de flexion-extension, de flexion-rotation de la colonne dorsolombaire ;
-Éviter les chocs répétitifs de la colonne lombaire ;
-Éviter les positions stationnaires assise/debout pour des périodes dépassant 20 minutes ;
-Éviter la circulation dans des échelles ou échafaudages dans les plans inclinés à cause des risques de chutes ;
-Éviter des déplacements sur des surfaces irrégulières.
Par conséquent, je suis d’avis que l’emploi de préposé à l’accueil dans une zec ou une pourvoirie respecte les limitations fonctionnelles du t. pour la lésion lombalgie chronique reconnue pour la RRA du 12 avril 2001.
En conséquence de ce qui précède, je rends la décision que le travailleur est capable, à partir du 27 septembre 2004, d’occuper un emploi convenable de préposé à l’accueil dans une zec ou une pourvoirie. » (sic)
(Soulignements ajoutés)
[24] Lors de l’audience, la commissaire soussignée a demandé à la procureure de la CSST de produire la documentation sur laquelle se base la conseillère pour établir les exigences de l’emploi de préposé à l’accueil dans une zec ou une pourvoirie. La procureure a alors déclaré que cet emploi n’apparaissait pas dans les registres usuels de professions, (tel que REPÈRES du gouvernement du Québec et CCDP, pour le Canada). Le procureur du travailleur confirme lui aussi avoir effectué une recherche et ne pas avoir retrouvé cet emploi.
[25] Or, il s’avère que la conseillère en réadaptation écrit : « […] Les capacités physiques exigées pour l’emploi retenu sont les suivantes (d’après CCDP) […] » (Soulignement ajouté). La Commission des lésions professionnelles a suspendu l’audience pour permettre aux procureurs d’obtenir de l’information manquante au dossier, notamment sur ce point, mais rien d’autre n’a été mis en preuve par la CSST. La procureure de la CSST a plutôt allégué que la conseillère s’était sûrement appuyée sur son expérience et les vérifications faites auparavant auprès de divers employeurs potentiels. Or, ceci n’est aucunement en preuve : ni le fait que, contrairement à ce qu’elle écrit, la conseillère se serait appuyée sur d’autres informations que celles du CCDP, ni la nature des démarches et vérifications qui auraient été faites, ni la fiabilité de ces informations et leur correspondance avec la réalité du marché du travail. Ainsi, la conseillère appuie toute sa décision sur des informations concernant l’emploi qui sont de source inconnue et qui sont non vérifiables et non appréciables par le tribunal. Il ne peut par conséquent leur être accordé qu’une force probante très relative.
[26] Or, le travailleur, qui a déjà exercé l’emploi de guide de rivière pendant quelques années pour différents employeurs et qui a visité de nombreuses zecs et pourvoiries de la région, témoigne quant à lui sur ce qu’il a lui-même constaté être les tâches d’un préposé à l’accueil dans une zec ou une pourvoirie.
[27] Ainsi, le travailleur explique que chez la quasi-totalité des employeurs visités, l’achalandage ne justifie pas un poste exclusivement consacré à l’accueil : l’employé est donc appelé à accomplir de nombreuses autres tâches. Parmi ces tâches, notons la manipulation et le déplacement de canots, l’entretien des chalets, l’entretien de la pelouse et des fleurs, la manipulation de bois pour les foyers, etc.
[28] Le travailleur explique également que les postes d’accueil des zecs et pourvoiries sont généralement situés à plusieurs kilomètres en forêt. Selon lui, régulièrement à une cinquantaine de kilomètres. Et, pour s’y rendre, il faut emprunter des routes gravelées qui ne sont pas nécessairement en bon état.
[29] Dans la mesure où les informations relatives aux exigences physiques de l’emploi de préposé à l’accueil dans une zec ou une pourvoirie rapportées par la conseillère en réadaptation sont de source inconnue et que le tribunal ne peut en apprécier la fiabilité, alors que celles rapportées par le travailleur le sont par quelqu’un qui a une bonne connaissance « du terrain », ces dernières sont jugées en l’occurrence avoir une plus grande force probante.
[30] Or, sur la base de ces informations, il s’avère que plusieurs des tâches généralement assignées au préposé à l’accueil ainsi que des exigences relatives à cet emploi sont contraires aux limitations fonctionnelles du travailleur :
· Éviter les activités en flexion avant du tronc ou en position à genoux ou accroupie : cette limitation n’est pas respectée dans le cadre des tâches d’entretien divers, notamment des végétaux ;
· Éviter de soulever des charges de plus de 10 kg : cette limitation n’est pas respectée dans le cadre, notamment, de la manipulation de canots ;
· Éviter les mouvements répétitifs de flexion-extension, de flexion-rotation de la colonne dorsolombaire : cette limitation ne serait vraisemblablement pas respectée dans le cadre des tâches reliées au bois de chauffage et à son empilage ;
· Éviter les chocs répétitifs de la colonne lombaire : cette limitation n’est pas respectée par le fait de devoir se déplacer sur de longues distances dans des chemins forestiers ;
· Éviter des déplacements sur des surfaces irrégulières : cette limitation n’est pas respectée dans le cadre d’un travail en forêt, alors que le préposé doit circuler et effectuer différentes tâches aux abords des lacs ou rivières, en forêt et autour des chalets.
[31] La procureure de la CSST plaide que toutes les tâches connexes évoquées par le travailleur relèvent d’un emploi de gardien de zec ou de pourvoirie, et non d’un emploi de préposé à l’accueil dans une zec ou une pourvoirie. Il ne s’agit cependant que d’une allégation qui n’a été mise en preuve d’aucune façon : le tribunal n’a en l’instance aucune preuve de l’existence de ces deux emplois distincts et des tâches exactes relevant de chacun.
[32] Ce qui est en preuve par contre, c’est que chez un employeur de la région, une pourvoirie importante, il y a effectivement un véritable poste d’accueil, qui n’est d’ailleurs pas en forêt, et où un préposé s’occupe de l’accueil… mais également d’un petit musée adjacent. On ne sait d’ailleurs pas quelles sont les tâches du préposé dans le musée : a-t-il à manipuler de lourdes caisses, par exemple?
[33] En outre, même si le tribunal retenait, comme le plaide la procureure de la CSST, que cette partie du témoignage du travailleur démontre qu’il existe véritablement des emplois de préposés à l’accueil qui n’impliquent pas l’accomplissement de tâches connexes extérieures, il ne pourrait que conclure que cet emploi ne présente pas de possibilité raisonnable d’embauche. En effet, selon la preuve prépondérante, un seul employeur de la région offre un tel emploi, lequel, de plus, implique une autre responsabilité connexe, soit celle relative à un petit musée. Aucune preuve ne permet par ailleurs de conclure que la réalité du marché du travail serait différente ailleurs.
[34] Finalement, le travailleur allègue son incapacité à exercer cet emploi (et tout autre emploi d’ailleurs) en raison des douleurs importantes qui l’affligent et des effets secondaires très importants associés à la prise de médicaments visant à contrôler cette douleur.
[35] Il est question de médicaments puissants, tels les narcotiques Demerol et Duragesic, le Neurontin, et le cannabinoïde Cesamet. Le procureur du travailleur dépose en preuve les descriptions de ces médicaments et de leurs effets potentiels, alors que le travailleur témoigne des effets de cette médication sur lui.
[36] La procureure de la CSST plaide quant à elle que la douleur est subjective, tout comme les effets secondaires de médicaments sur une personne, et que l’on ne peut, de ce fait, en tenir compte.
[37] La Commission des lésions professionnelles ne peut se ranger derrière cet argument : ce n’est pas parce qu’un élément est subjectif qu’il ne peut, et même doit, être pris en considération : tout est question de crédibilité et de force probante.
[38] Il serait par ailleurs profondément injuste de ne pas tenir compte d’un élément qu’une personne n’a aucun moyen de mettre en preuve de façon objective. Lorsqu’un moyen existe d’objectiver un élément subjectif, il doit normalement être utilisé. Mais, s’il n’y en a pas, on ne peut nier tout un pan de la réalité, sous prétexte qu’il n’est pas objectivé. Il faut par contre alors user de circonspection, chercher des éléments connexes venant confirmer les allégations subjectives, etc.
[39] En l’occurrence, des médecins ont manifestement cru les allégations de douleur du travailleur puisqu’ils lui ont prescrit les médicaments mis en preuve. La question de la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits relève par ailleurs de la procédure d’évaluation médicale : si la CSST était en désaccord avec la nécessité de ces traitements médicamenteux, elle pouvait requérir l’avis d’un autre médecin et soumettre le tout, en cas de divergence de vues, au Bureau d’évaluation médicale. Ce qui n’a pas été fait à ce jour. Au contraire, la CSST a toujours assumé le coût de tous ces médicaments, reconnaissant par là leur pertinence eu égard à la lésion professionnelle.
[40] Or, ces médicaments peuvent entraîner des effets secondaires importants et incapacitants, et le travailleur allègue que c’est effectivement le cas pour lui : notamment, il dit pouvoir difficilement conduire, il ne sent pas qu’il pourrait s’acquitter de quelque responsabilité, sa mémoire et sa concentration lui font défaut, sa vision est moins bonne… Le pharmacien du travailleur appuie par lettre les dires de ce dernier. Aucun médecin, cependant, n’émet d’opinion sur cette question.
[41] Dans la mesure où la preuve est prépondérante quant à l’incompatibilité entre l’emploi retenu par la CSST et les limitations fonctionnelles du travailleur, ou bien quant à l’absence de possibilité raisonnable d’embauche, il n’apparaît pas nécessaire pour le tribunal de tirer de graves conclusions des effets secondaires de la prise de médicaments par le travailleur. Il s’agit par contre d’un élément qui devra être approfondi par la CSST dans le cadre de la reprise du processus de réadaptation, lequel processus devra par ailleurs impliquer plus d’efforts de la CSST pour susciter la collaboration du travailleur et plus d’offres de services en ce sens, mais également une meilleure collaboration de la part du travailleur.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête du travailleur, Monsieur Harold Coull ;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 24 février 2005 à la suite d’une révision administrative ;
DÉCLARE que l’emploi de préposé à l’accueil dans une zec ou une pourvoirie n’est pas un emploi convenable pour le travailleur.
DÉCLARE que le travailleur a droit à la poursuite du versement de l’indemnité de remplacement du revenu après le 27 septembre 2005 ainsi qu’à la reprise du processus de réadaptation professionnelle.
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Louise Desbois |
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Commissaire |
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Me Patrick Dionne, avocat |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Sonia Dumaresq, avocate |
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PANNETON LESSARD |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] LR.Q., c. A-3.001
[2] Gariépy et Canadien
Pacifique ltée, 27734-62-62-9104, 25 novembre 1993, J.-G. Raymond; CSST et Bleau, 37592-60-9203, 30 novembre 1993, J.-G. Raymond; Harnois et Jeans
A.C.G. inc. (Les), CALP
44877-62-9209, 31 octobre
[3] Lessard et CSST, [1995] C.A.L.P. 1718 ; Guilbeault et Aqua Sport Canada ltée, [1996] C.A.L.P. 1746 .
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