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Mittal Canada inc.

2008 QCCLP 5148

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

Joliette

8 septembre 2008

 

Région :

Lanaudière

 

Dossier :

336394-63-0712

 

Dossier CSST :

121032338

 

Commissaire :

Me Manon Gauthier

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Mittal Canada inc.

 

Partie requérante

 

 

 

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DÉCISION

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[1]                Le 19 décembre 2007, l’employeur, Mittal Canada inc., dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 5 décembre 2007, à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme celle initialement rendue le 9 août 2007 et déclare lui imputer la totalité des coûts de la lésion professionnelle survenue le 11 décembre 2000 à monsieur Maurice Gadoury, le travailleur.

[3]                La Commission des lésions professionnelles a tenu une audience à Joliette le 18 août 2008, à laquelle assistait la représentante de l’employeur.

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de lui accorder un partage de l’imputation en vertu de l’article 329 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la Loi) et d’imputer 5 % des coûts de la lésion professionnelle du 11 décembre 2000 à son dossier d’expérience et que le reste, soit 95 %, soit imputé aux employeurs de toutes les unités.

LES FAITS

[5]                La Commission des lésions professionnelles a pris connaissance du dossier médico-administratif qui lui a été soumis, de l’opinion médicale sur dossier signée le 9 juillet 2008 par le docteur Carl Giasson Jr et des autorités invoquées par la représentante de l’employeur. Elle retient les faits suivants.

[6]                Au moment de l’événement, monsieur Gadoury est âgé de 52 ans et occupe l’emploi de soudeur chez l’employeur depuis juin 1981.

[7]                Le 11 décembre 2000, alors qu’il se déplace sur des tôles métalliques recouvertes de neige, il glisse et perd l’équilibre sans cependant tomber. Il ressent alors une brûlure à l’interligne interne du genou gauche.

[8]                Il continue son travail malgré la persistance de la douleur et la présence d’une boiterie. Il rapporte l’événement à son employeur en février 2001 car les douleurs s’intensifient.

[9]                À une date non précisée en janvier 2001, il consulte le docteur Sabouret, chirurgien orthopédiste, qui demande une arthrographie du genou gauche.

[10]           Celle-ci est réalisée le 1er février 2001 et est interprétée comme démontrant une déchirure longitudinale presque complète du ménisque interne s’étendant de la corne postérieure à la partie antérieure.

[11]           Le 23 février 2001, le docteur Sabouret pose le diagnostic de déchirure méniscale interne du genou gauche sévère et décide d’intervenir par arthroscopie.

[12]           Dans ses notes de consultation, le docteur Sabouret note l’absence de blocage et peu d’épanchement articulaire.

[13]           Monsieur Gadoury demeurera au travail jusqu’à la réalisation de la chirurgie qui aura lieu le 31 juillet 2001. Le docteur Sabouret a alors réalisé une méniscectomie interne partielle gauche.

[14]           Au protocole opératoire, le docteur Sabouret décrit une chondropathie de la face interne de l’articulation fémoro-rotulienne. Il décrit également une chondropathie dans la partie centrale du plateau tibial interne et une chondropathie de grade I à II du condyle fémoral à la partie portante de l’échancrure. Il constate une déchirure complexe de la corne postérieure du ménisque interne aux dépens de la surface inférieure et avec une large languette pédiculée à l’union de la corne moyenne et de la corne postérieure.

[15]           Les traitements de physiothérapie débuteront peu de temps après et monsieur Gadoury retournera au travail le 22 octobre 2001.

[16]           La lésion sera finalement consolidée par le docteur Sabouret le 30 janvier 2002 avec atteinte permanente à l’intégrité physique mais sans limitation fonctionnelle. Dans son rapport d’évaluation médicale, le docteur Sabouret attribue un pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique de 1,1 %.

[17]           En ce qui concerne la demande de partage de l’imputation, l’employeur a soumis celle-ci à la CSST le 29 décembre 2003. Le 9 août 2007, la CSST rend sa décision à l’effet que l’employeur n’a pas le droit à un partage de l’imputation, d’où le présent litige.

[18]           Au soutien de ses prétentions, l’employeur a soumis une opinion médicale rédigée par le docteur Giasson le 9 juillet 2008.

[19]           Le docteur Giasson fait la revue des résultats d’imagerie et du protocole opératoire. Il écrit que le travailleur était bel et bien porteur de conditions dégénératives au genou gauche, à savoir une méniscopathie et chondropathie centrale du plateau tibial interne et du condyle fémoral à la partie portante, cette dernière ayant été gradée de I à II. La déchirure méniscale décrite à l’arthrographie est de type horizontal, ce qui milite encore une fois vers une condition personnelle dégénérative.

[20]           Il est d’avis que la lésion méniscale ne pouvait découler de l’événement tel que décrit. Il cite à cet effet un extrait de l’ouvrage de doctrine de Dupuis-Leclaire[2] :

Le mécanisme lésionnel classique est favorisé, chez le jeune athlète, par la mise en charge associée à l’action du fémur pivotant sur le tibia alors que le genou est en position de flexion. Une douleur est perçue par le malade à l’interligne articulaire et est suivie d’un épanchement. L’épanchement est la conséquence du phénomène inflammatoire ou hémorragique créé par la désinsertion du ménisque. Celui-ci peut provoquer un blocage articulaire par interposition fragmentaire, devant l’impossibilité de modifier le centre instantané du mouvement du genou.

 

 

[21]           Le docteur Giasson exprime l’avis que monsieur n’a jamais référé à un mécanisme susceptible d’entraîner une lésion méniscale. En aucun temps, il n’a référé à un pied fixé au sol, son genou légèrement fléchi avec torsion au niveau du genou. Monsieur a continué à travailler. Une lésion méniscale de type traumatique n’aurait pas permis à monsieur de continuer à travailler et de ne consulter qu’à la fin janvier 2001, car lorsqu’une déchirure méniscale se produit, un épanchement important survient dans les heures qui suivent avec blocage à la flexion ou à l’extension.

[22]           Le docteur Giasson ajoute ce qui suit en ce qui concerne l’examen clinique :

L’examen clinique du genou en cas de lésion méniscale en phase aiguë, recherche les points suivants :

 

•     Douleur à la palpation du site lésionnel, souvent à l’interligne articulaire et à la portion postérieure (corme postérieure du ménisque interne);

 

•     Épanchement articulaire s’installant quelques heures après le traumatisme;

 

•     Blocage à la flexion ou à l’extension complète;

 

•     Douleur à la position de flexion extrême;

 

•     Positivité des manœuvres de Mac Murray, d’Apley ou de Steinmann.

 

 

Par ailleurs, les auteurs décrivent en page 675 à l’égard de la dégénérescence méniscale :

 

« Plus de 50% des individus de 50 ans présentent des lésions méniscales, souvent asymptomatiques. Ces malades présentent des lésions ligamentaires et cartilagineuses associées. Le tableau clinique, dans ces cas, est beaucoup plus progressif et la douleur est plus fréquente que dans le blocage méniscal. »

 

 

 

[23]           Le docteur Sabouret ne décrit pas, dans ses notes de consultation, un tableau propre à une lésion d’origine traumatique mais davantage à celui de dégénérescence méniscale, à savoir un tableau douloureux.

[24]           Considérant tout cela, le docteur Giasson conclut que la déchirure méniscale était présente avant l’événement, qui a pu cependant devenir symptomatique à cette occasion. La condition personnelle a joué un rôle déterminant dans l’apparition de la lésion. Il recommande qu’un partage de coûts de l’ordre de 95 % à l’ensemble des employeurs et 5 % au dossier de l’employeur soit accordé.

 

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[25]           La Commission des lésions professionnelles doit décider si l’employeur, Mittal Canada inc., a le droit à un partage de l’imputation des coûts de la lésion professionnelle survenue le 11 décembre 2000 ayant causé à monsieur Maurice Gadoury, le travailleur, une déchirure partielle du ménisque interne gauche.

 

[26]           La Commission des lésions professionnelles a attentivement analysé le dossier et pris en compte les arguments soumis par la représentante de l’employeur. Elle rend en conséquence la décision suivante.

[27]           L’article 329 de la Loi se lit comme suit :

329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.

 

 

[28]           Il est clair de ces dispositions que la demande de l’employeur a été réalisée dans le délai prévu par la Loi.

[29]           Ces dispositions dénotent que ce qui doit être établi par l’employeur pour l’application de l’article 329 de la Loi est :

-     l’existence d’un handicap au moment de la lésion professionnelle, et

 

-          la relation entre ce handicap et la lésion professionnelle, en ce que cette déficience a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou les conséquences de celle-ci.

 

 

[30]           Il s’agit dans un premier temps de vérifier l’existence du premier élément de l’article 329 de la Loi, à savoir si le travailleur était déjà handicapé au moment où est survenue sa lésion professionnelle.

[31]           La notion de « travailleur déjà handicapé » a été interprétée par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Municipalité Petite-Rivière St-François c. CSST-Québec où elle écrit ceci :

[23]       La Commission des lésions professionnelles considère qu’un travailleur déjà handicapé au sens de l’article 329 de la loi est celui qui présente une déficience physique ou psychique qui a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur les conséquences de cette lésion.

 

[24]       La première étape consiste donc à vérifier si le travailleur présente une déficience physique ou psychique. Sur ce point, il est utile de se référer à la Classification internationale des handicaps élaborée par l’Organisation mondiale de la santé (Paris, CTNERHI-Inserm, 1988) parce que ce manuel a l’avantage de représenter un consensus de la communauté médicale internationale sur ce que constitue un handicap. Selon cet ouvrage, une déficience constitue une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique et correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale. Cette déficience peut être congénitale ou acquise. Finalement, pour reprendre le courant de jurisprudence que la soussignée partage, la déficience peut ou non se traduire par une limitation des capacités du travailleur de fonctionner normalement. La déficience peut aussi exister à l’état latent, sans qu’elle se soit manifestée avant la survenance de la lésion professionnelle.

 

[25]       Dans le présent dossier, l’employeur invoque comme déficience la présence d’une spondylarthrose hypertrophique sévère C3-C4, C5-C6, C6-C7, une sténose sévère du canal rachidien C6-C7 et une hernie discale droite C3-C4. Il ne fait aucun doute que cette condition correspond à une « altération d’une structure anatomique » au sens où l’entend l’Organisation mondiale de la santé. Il ne fait aucun doute, non plus, que cette déficience correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale, en ce sens que la sévérité de la condition de dégénérescence discale présentée par Monsieur Bouchard dépasse l’usure normale d’un homme de son âge. Cette déficience a été acquise avec le temps, mais est restée à l’état latent jusqu’à sa lésion professionnelle dans le cadre duquel ses premières manifestations ont été notées par les médecins. Bref, le travailleur présente une déficience.

 

 

[32]           Le travailleur handicapé est donc celui qui présente une déficience physique ou psychique, laquelle a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur les conséquences de celle-ci.

[33]           Après analyse de la preuve au dossier, la Commission des lésions professionnelles rend la décision suivante.

[34]           Pour établir la présence d’une déficience, la Commission des lésions professionnelles se réfère à la définition du concept de déficience tel qu’établi dans l’affaire Municipalité de la Petite Rivière St-François.

[35]           Selon cette jurisprudence, une déficience  constitue une perte de substance ou une altération d’une structure d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique et correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale.

[36]           Cette déficience peut exister sous forme congénitale ou être acquise. Elle peut ou non se traduire par une limitation des capacités, mais elle peut aussi exister sans s’être manifestée avant la survenance de la lésion professionnelle.

[37]           Une distinction doit être apportée entre une condition personnelle et une déficience; ce ne sont pas toutes les conditions personnelles qui répondent à la définition de déficience. Seules les conditions personnelles qui correspondent à une déviation par rapport à une norme biomédicale peuvent être considérées lors d’une demande de partage de coûts; il faut que les conditions personnelles s’écartent de ce qu’on retrouve normalement chez des personnes au point de constituer des anomalies pour qu’on puisse les considérer comme de telles déficiences.[3].

[38]           L’employeur doit donc dans un premier temps démontrer la présence d’une déficience chez le travailleur et, dans un deuxième temps, que cette déficience a joué un rôle déterminant dans la survenance de la lésion professionnelle ou dans les conséquences de celle-ci.

[39]           Dans le présent dossier, la Commission des lésions professionnelles est liée par les conclusions du docteur Sabouret qui sont à l’effet que la déchirure partielle du ménisque interne gauche, qui a entraîné un arrêt de travail du 31 juillet au 22 octobre 2001, est consolidée depuis le 30 janvier 2002, avec atteinte permanente à l’intégrité physique de 1,1 % mais sans limitation fonctionnelle.

[40]           L’employeur invoque que le travailleur présente des déficiences au genou gauche, soit une chondropathie et une méniscopathie dégénérative, qui ont joué un rôle dans l’apparition de la lésion. Il est d’avis que la condition dégénérative est ici une anomalie par rapport à la norme biomédicale chez un travailleur âgé de plus de 50 ans au moment de l’événement.

[41]           La Commission des lésions professionnelles est d’avis que l’employeur ne s’est pas déchargé de démontrer l’existence de la première condition, soit la présence d’une déficience. Certes, le travailleur était-il porteur de méniscopathie et de chondropathie, mais tel qu’énoncé par le docteur Giasson, en référence à l’ouvrage de Dupuis-Leclaire, ces conditions sont susceptibles de se retrouver chez 50 % de la population âgée de plus de 50 ans, ce qui est précisément le cas du travailleur en l’instance. Il s’agit d’une condition qui est considérée normale chez les personnes de son âge.

[42]           La Commission des lésions professionnelles conclut donc que le travailleur ne présentait pas de handicap au moment de la survenance de sa lésion professionnelle et l’employeur doit donc assumer la totalité des coûts de cette lésion professionnelle.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de l’employeur, Mittal Canada inc.;

 

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 5 décembre 2007, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE imputer à l’employeur la totalité des coûts de la lésion professionnelle survenue le 11 décembre 2000 à monsieur Maurice Gadoury, le travailleur.

 

 

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MANON GAUTHIER

 

Commissaire

 

 

 

 

Mme Nancy Evoy

Santinel inc.

Représentante de la partie requérante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Michel DUPUIS et Richard LECLAIRE, Pathologie médicale de l'appareil locomoteur, St-Hyacinthe, Edisem, Paris, Maloine, 1986, p. 674-675.

[3]           Sodexho Canada inc., C.L.P. 149700-32-0011, 9 mai 2001, C. Racine; Piscines Trévi inc., C.L.P. 162579-61-0106, 8 janvier 2003, G. Morin; Alimentation Richard Franckcuec inc., C.L.P. 240864-62-0408, 31 janvier 2005, L. Couture.

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