Brochu et Groupe Optivert inc. |
2007 QCCLP 786 |
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DOSSIER : 184035-05-0205
[1] Le 8 mai 2002, monsieur Bernard Brochu (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue le 24 avril 2002 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Par celle-ci, la CSST confirme sa décision initiale du 1er mars 2002 en déclarant que le travailleur conserve une atteinte permanente de 2,20 % en raison de sa lésion professionnelle du 16 juin 2001 et en indiquant qu’il a droit à une indemnité pour dommages corporels de 1 205,75 $.
DOSSIER : 191570-05-0210
[3] Le 2 octobre 2002, monsieur Brochu conteste également la décision du 20 septembre 2002. Suite à une révision administrative, la CSST déclare sa demande de révision du 14 mai 2002 irrecevable. Cette contestation vise la décision initiale du 4 février 2002 qui met un terme au versement de l’indemnité de remplacement du revenu.
DOSSIER : 250468-05-0412
[4] Finalement, le 6 décembre 2004, le travailleur conteste la décision rendue le 4 novembre 2004 à la suite d’une révision administrative. Au moyen de celle-ci, la CSST confirme ses décisions initiales des 21 et 22 septembre 2004. Avec la première, elle déclare que monsieur Brochu n’a pas subi, le 2 septembre 2004, une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion initiale du 16 juin 2001. Par la seconde, en raison de sa récidive, rechute ou aggravation du 27 août 2003, elle confirme qu’il n’est pas porteur d’une nouvelle atteinte permanente.
[5] Le 19 janvier 2007, l’audience se tient à Sherbrooke. À cette occasion, le travailleur est représenté par Me Geneviève Lafontaine alors que les représentants des autres parties sont absents. D’ailleurs, selon les données disponibles, Le Groupe Proforêt inc. a cessé d’exister.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[6] Monsieur Brochu demande d’être relevé du défaut d’avoir contesté en temps utile la décision initiale du 4 février 2002 et de reconnaître que l’évaluation médicale de sa lésion professionnelle du 16 juin 2001 est nulle. En outre, le travailleur demande de constater qu’il a subi une nouvelle récidive, rechute ou aggravation le 2 septembre 2004 et qu’il est porteur d’une atteinte permanente additionnelle en raison de sa lésion professionnelle du 27 août 2003.
LA PREUVE
[7] Monsieur Brochu est âgé de 56 ans et, lors de l’accident du travail qui est à l’origine des litiges, il occupe un poste de combattant de feux de forêt pour Le Groupe Proforêt inc. depuis quelques semaines. Auparavant, il a notamment exercé des
emplois de travailleur forestier, de peintre en bâtiment, d’ouvrier de maintenance et de bûcheron. À cet égard, on peut lire dans les notes évolutives de la CSST du 6 novembre 2001 ce qui suit:
[…]
Été 2000, n’a pas été appelé pour combattre les feux de forêts.
Antérieurement, il a été travailleur forestier (peintre, ouvrier), bûcheron, opérateur de machine forestière (débusqueuse, grappeuse, tracteur). T n’a pas opéré d’abatteuse. Il n’était pas propriétaire d’une débusqueuse. Il a effectué ces emplois sur la Côte Nord, Haute Mauricie, Nouvelle-Écosse, Melbourne, Portneuf.
Travaillait en moyenne 7 à 8 mois/an.
[…]
[8] Incidemment, il est aussi question de ces tâches dans les curriculums vitae du travailleur qui sont au dossier.
[9] Le 16 juin 2001, en sautant d’un hélicoptère qui se tenait à quelques pieds du sol, monsieur Brochu est victime d’un accident du travail. Lorsqu’il touche le sol, il se tord le genou droit.
[10] Le 19 juin 2001, le travailleur consulte un médecin et un diagnostic d’entorse du genou droit est porté. Une semaine plus tard, il est dirigé vers un orthopédiste. Ainsi, le 26 juin 2001, le docteur Antoniadès en prend charge. À ce moment, cet orthopédiste planifie une arthroscopie.
[11] Le 13 août 2001, monsieur Brochu subit une arthroscopie au genou droit. Lors de l’intervention, le docteur Antoniadès constate une déchirure du ménisque interne et il réalise une méniscectomie. De plus, il observe la présence d’une arthrose fémoro-rotulienne de grade IV/IV. Pour cette condition, il effectue un rasage du cartilage.
[12] Le 4 septembre 2001, en post-opératoire, le docteur Antoniadès prescrit des traitements de physiothérapie. Il précise que les lésions à traiter sont une déchirure du ménisque interne droit et un phénomène d’arthrose sévère au niveau de la rotule. Dans un rapport qui est transmis à la CSST, l’orthopédiste spécifie que l’arthrose constitue une « condition personnelle ».
[13] Le 2 octobre 2001, le docteur Antoniadès fait état d’une déchirure méniscale et d’une « arthrose rotulienne (condition personnelle) aggravée par l’atrophie du quadriceps ». Il suggère de traiter ces lésions à l’aide de traitements de physiothérapie.
[14] Le 6 novembre 2001, le docteur Antoniadès signe un rapport final. Dans ce document, il écrit que la lésion professionnelle de monsieur Brochu est maintenant consolidée avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.
[15] Le 6 décembre 2001, l’orthopédiste évalue la condition du travailleur. Dans son rapport d’évaluation du 11 décembre 2001, le docteur Antoniadès dresse un court historique. Il rapporte qu’il y a une trentaine d’années, le travailleur s’est fracturé la rotule du genou droit et il spécifie que cette blessure a nécessité une réduction ouverte. Il associe l’arthrose fémoro-patellaire qu’il a observée au cours de la chirurgie du 13 août précédent à cette ancienne fracture. Par ailleurs, au chapitre des plaintes, il indique que monsieur Brochu dit qu’il éprouve maintenant des difficultés à se tenir debout longtemps, à marcher de façon prolongée, à se déplacer sur des terrains inégaux et à circuler dans des échelles et des escaliers. À l’examen, il indique que la mobilisation passive de la rotule droite est douloureuse. Il note aussi une perte d’amplitude de 8 degrés lors du mouvement de flexion du genou droit par rapport au genou gauche. Il précise qu’il n’y a pas d’instabilité ligamentaire, d’atrophie aux membres inférieurs et de déficits neurologiques.
[16] Compte tenu du tableau qu’il observe, le docteur Antoniadès estime qu’il existe des séquelles permanentes. Au sujet des limitations fonctionnelles, il soumet ceci :
[…]
Ce patient présente des limitations fonctionnelles surtout reliées à l’arthrose fémoro-rotulienne qui est une condition personnelle, c’est-à-dire il doit éviter les travaux demandant la montée et la descente répétitive des escaliers, il doit éviter les travaux en position accroupie et à genoux. Il doit aussi éviter les travaux dans les échelles et les échafauds. Il doit aussi éviter les travaux sur les terrains inégaux. Ces limitations sont permanentes et sont reliées principalement à son arthrose fémoro-patellaire.
[…]
[17] Avant de fixer le déficit anatomo-physiologique, l’orthopédiste ajoute ceci :
[…]
De façon surprenante, le patient, avant son traumatisme récent du 16 juin 2001 où il s’est déchiré son ménisque interne, était capable de travailler sans limitation importante. Nous nous expliquons mal comment il éprouve maintenant beaucoup de difficulté à son travail alors que l’arthrose fémoro-patellaire était déjà présente avant l’événement du 16 juin 2001.
Le déficit anatomo-physiologique pouvant lui être accordé est relié principalement à la méniscectomie qui a été pratiquée et à la légère perte de flexion de son genou.
[…]
[18] Ainsi, compte tenu des séquelles fonctionnelles qu’il décrit, le docteur Antoniadès accorde un déficit anatomo-physiologique de 1 % pour tenir compte de la méniscectomie et il octroie un pourcentage additionnel de 1 % pour compenser la perte d’amplitude. Il ajoute qu’il existe un syndrome fémoro-patellaire au genou droit en spécifiant que cette pathologie fait partie des séquelles antérieures. En effet, il rappelle qu’elle est associée à la fracture subie il y a trente ans.
[19] Le 9 janvier 2002, estimant son évaluation inadéquate, la CSST invite le docteur Antoniadès à amender son rapport. Dans l’avis de correction qu’elle lui transmet, elle explique que le « diagnostic retenu par la CSST est la déchirure méniscale interne du genou droit et le status post-méniscectomie ». Ainsi, comme elle juge que le diagnostic d’arthrose fémoro-patellaire relève d’une condition personnelle, elle invite le médecin qui a charge à préciser « les limitations fonctionnelles en regard du seul diagnostic retenu par la CSST ». Cependant, il appert que le travailleur n’est pas avisé de cette démarche. En outre, on constate que la CSST n’a pas adopté de décision qui l’avise qu’elle n’entend pas tenir compte du diagnostic d’arthrose fémoro-patellaire pour apprécier ses droits.
[20] Le 11 janvier 2002, monsieur Brochu communique avec l’employé de la CSST pour connaître l’état de son dossier. Selon les notes, il est alors avisé que la « CSST a demandé des précisions » à son médecin.
[21] Le 21 janvier 2002, sans revoir le travailleur ou lui parler, le docteur Antoniadès donne suite à la demande de correction de la CSST. À cette occasion, il écrit ceci :
[…]
Suite à l’expertise de M. Bernard Brochu, je vous resoumets les limitations fonctionnelles. Un peu comme je l’ai mentionné dans la section des limitations fonctionnelles, les limitations que présente M. Brochu sont principalement reliées à une condition personnelle, c’est-à-dire, l’arthrose fémoro-rotulienne post-traumatique.
La condition reliée à l’accident de travail récent est donc la déchirure méniscale interne du genou droit et si je ne tiens compte que de ce diagnostic, il est alors évident qu’il n’y a aucune limitation fonctionnelle.
[…]
[22] Le 30 janvier 2002, après la réception des commentaires additionnels du docteur Antoniadès, la CSST discute avec le travailleur. Selon ses notes évolutives, elle lui annonce alors qu’elle a reçu « la correction » de l’évaluation de son médecin et qu’il n’y a pas de limitations fonctionnelles en lien avec l’accident du 16 juin 2001. Par conséquent, la CSST avise monsieur Brochu qu’elle le juge en mesure de réintégrer son emploi. À ce moment, ce dernier exprime son désaccord et il demande une copie du rapport du docteur Antoniadès.
[23] Le même jour, la personne qui représente monsieur Brochu depuis quelques semaines communique avec la CSST. Dans les notes évolutives du 30 janvier 2002, il est rapporté que la « correction » apportée par le docteur Antoniadès est alors portée à la connaissance de monsieur Philibert et que celui-ci s’y oppose. À cette fin, le représentant du travailleur fait valoir que les problèmes qui découlent de l’arthrose sont indissociables de l’événement de juin 2001. Il invite la CSST à diriger le dossier au Bureau d'évaluation médicale et il annonce qu’il entend obtenir l’avis d’un expert.
[24] Le 31 janvier 2002, la CSST demande une nouvelle correction au docteur Antoniadès. En effet, comme elle ignore le diagnostic d’arthrose fémoro-patellaire, elle invite l’orthopédiste à retirer du bilan des séquelles les données qui touchent cette pathologie.
[25] Le 4 février 2002, suite au rapport complémentaire du 30 janvier du docteur Antoniadès, la CSST avise monsieur Brochu qu’elle le juge capable, à compter du 1er février 2002, de réintégrer son emploi. Dès lors, elle cesse de lui verser une indemnité de remplacement du revenu. Il est utile de signaler que cette décision n’est pas transmise au représentant du travailleur.
[26] Le 6 février 2002, bien qu’il n’ait pas reçu une copie de la décision du 4 février 2002, monsieur Philibert contacte la CSST pour obtenir des renseignements à son sujet. Il indique alors qu’il n’est pas d’accord avec l’idée que la lésion professionnelle du 16 juin 2001 n’entraîne pas de limitations fonctionnelles. Aussi, le représentant du travailleur annonce que la décision du 4 février 2002 sera contestée.
[27] Le 7 février 2002, sans en parler au travailleur, le docteur Antoniadès signe un bilan amendé. Dans ce document, il ne change pas les éléments du déficit anatomo-physiologique qu’il a identifié. Toutefois, il retire les mentions qui concernaient le syndrome fémoro-patellaire du travailleur.
[28] Le 11 février 2002, après qu’il en ait reçu copie, c’est au tour de monsieur Brochu de manifester son désaccord avec la décision du 4 février 2002. Toutefois, avant de déposer sa contestation, il redemande à la CSST de lui transmettre l’évaluation du docteur Antoniadès.
[29] Le 1er mars 2002, la CSST donne suite à l’évaluation du docteur Antoniadès en fixant l’atteinte permanente du travailleur à 2,20 % et en lui accordant une indemnité pour dommages corporels de 1 205,75 $.
[30] Le 21 mars 2002, selon ses notes évolutives, la CSST fait parvenir à monsieur Brochu une copie de l’évaluation du docteur Antoniadès et des copies des « corrections » que celui-ci a signées les 21 janvier et 7 février 2002.
[31] Toujours en date du 21 mars 2002, pour le compte du travailleur, monsieur Philibert dépose une demande de révision à l’encontre de la décision initiale du 1er mars 2002. À cette date, même s’il a déjà manifesté cette intention, il n’a toujours pas contesté celle du 4 février 2002.
[32] Le 24 avril 2002, à la suite d’une révision administrative, la CSST maintient sa décision initiale du 1er mars 2002 qui traite de l’atteinte permanente. Cette décision est l’objet de la première requête du travailleur.
[33] Le 25 avril 2002, la CSST fait le point avec monsieur Brochu. Suivant ses notes évolutives, elle lui indique qu’il n’a pas droit à des mesures de réadaptation parce qu’il a été jugé en mesure de réintégrer son emploi. En réponse à cette observation, le travailleur fait valoir que sa demande de révision du 21 mars « regroupe tout cela, car pour lui le dx d’arthrose fémoro-patellaire est aggravé par l’évén. du 16 juin 2001 ».
[34] Le 3 mai 2002, monsieur Brochu téléphone à la CSST. Il désire savoir ce qu’il advient de son indemnité pour dommages corporels et de son indemnité de remplacement du revenu. Il est alors avisé que la première lui sera versée dans 45 jours. Quant à la seconde, on lui indique que la décision de cesser de lui verser une indemnité de remplacement n’a pas été contestée.
[35] Le 14 mai 2002, le représentant du travailleur dépose finalement une demande de révision à l’encontre de la décision du 4 février 2002. Pour expliquer pourquoi il agit seulement à cette date, monsieur Philibert explique, dans une lettre du 9 novembre 2006, que c’est à ce moment qu’il s’est « aperçu que la CSST avait rendu des décisions dans ce dossier ». Bien qu’il représentait déjà monsieur Brochu à cette époque, il ajoute que la CSST ne lui a pas expédié la décision en cause. Cependant, comme on l’a vu précédemment, monsieur Philibert connaissait l’existence de ladite décision. D’ailleurs, lors de la conversation téléphonique qu’il a eue le 6 février 2002 avec un employé de la CSST, il a précisé qu’il allait la contester.
[36] À cette époque, le travailleur explique qu’il réside toujours dans une municipalité qui est située en forêt entre les villes de La Tuque et de Chambord. En raison de son isolement, il rapporte qu’il lui est difficile de joindre son représentant. Comme il a confié à monsieur Philibert le mandat de le représenter, il relate qu’il pense que la décision du 4 février 2002 a déjà été contestée par son représentant. Ainsi, il considère que cette situation le justifie de contester tardivement.
[37] Le 20 septembre 2002, à la suite d’une révision administrative, la CSST déclare la contestation du 14 mai 2002 de monsieur Brochu irrecevable. Il s’ensuit le dépôt de la seconde requête du travailleur.
[38] Le 28 août 2003, en fonction du diagnostic préopératoire d’arthrose du compartiment fémoro-patellaire du genou droit, le travailleur subit une seconde chirurgie. Au cours de l’intervention, le docteur Antoniadès constate une déchirure transversale de la région moyenne du ménisque interne. Aussi, il effectue une méniscectomie à ce niveau. De même, pour traiter une importante atteinte arthrosique, il réalise un rasage cartilagineux de la rotule. Il complète cette chirurgie en pratiquant un relâchement de l’aileron rotulien externe. En guise de diagnostics post-opératoires, l’orthopédiste fait état d’une déchirure du ménisque interne et d’arthrose au compartiment fémoro-patellaire du genou droit de grade IV sur IV.
[39] L’opération du 28 août 2003 ayant été effectuée au site de la lésion professionnelle du 16 juin 2001, la CSST accepte de reconnaître que le travailleur est victime, depuis le 27 août 2003, d’une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle initiale.
[40] Le 18 mars 2004, un plateau de récupération étant atteint, il est mis un terme aux traitements de physiothérapie post-opératoire.
[41] Le 15 avril 2004, pour soigner des séquelles qui sont liées à l’arthrose fémoro-patellaire que présente le travailleur, le docteur Antoniadès prévoit effectuer des injections de Synvisc.
[42] Le 5 juillet 2004, pour le compte de la CSST, le docteur Fradet évalue l’état de monsieur Brochu. Dans son expertise, l’orthopédiste dresse un historique et il commente son examen. À propos de la chirurgie du 28 août 2003, il soumet aussi qu’elle est liée à la condition patello-fémorale du travailleur. En conclusion, au plan professionnel, il croit que le travailleur a présenté une déchirure méniscale interne du genou droit qui est maintenant guérie. À cette pathologie, il mentionne qu’il s’est ajoutée de l’arthrose patello-fémorale « qui est une condition personnelle ». En ce qui regarde la lésion au ménisque, il déclare qu’elle est consolidée et que les traitements sont complets. De même, il considère que le déficit anatomo-physiologique n’a pas changé et qu’il n’existe pas de limitations fonctionnelles. Toutefois, pour ce qui est de l’arthrose, il estime que le travailleur est porteur des limitations fonctionnelles que le docteur Antoniadès avait identifiées dans son évaluation du 11 décembre 2001.
[43] Le 21 juillet 2004, la CSST transmet l’expertise du docteur Fradet au docteur Antoniadès. Elle l’invite à dire s’il est d’accord ou non avec les conclusions de l’orthopédiste qu’elle a désigné. En invoquant « un souci de transparence », elle demande au docteur Antoniadès d’informer « sans délai le travailleur du contenu du rapport complémentaire » qu’il va soumettre en lui en expédiant une copie. En outre, une copie de la demande qui est acheminée au docteur Antoniadès est expédiée à monsieur Brochu.
[44] Le 12 août 2004, le docteur Antoniadès se déclare « d’accord avec l’évaluation » du docteur Fradet.
[45] Le 19 août 2004, suite à cet avis complémentaire du médecin qui a charge, la CSST signifie au travailleur qu’elle le juge capable d’exercer à nouveau son emploi à compter du 5 juillet 2004.
[46] Le 26 août 2004, le docteur Antoniadès indique qu’une première injection de Synvisc a été réalisée le 19 août 2004 et qu’une seconde est effectuée à l’occasion de sa rencontre avec le travailleur. Dans ce rapport, il est question d’une « suite méniscectomie interne genou droit CSST + arthrose rotule 4/4 condition personnelle ».
[47] Le 2 septembre 2004, le docteur Antoniadès rapporte qu’une troisième infiltration de Synvisc est effectuée.
[48] Le 21 septembre 2004, la CSST refuse de reconnaître que le travailleur a été victime, le 2 septembre 2004, d’une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle du 16 juin 2001. Pour ce faire, elle fait valoir qu’il « n’y a pas de lien entre l’arthrose patello-fémorale au genou droit, une condition personnelle, et l’événement du 19 [sic] juin 2001 ». Cette décision est suivie d’une demande de révision.
[49] Le 22 septembre 2004, parce que le docteur Antoniadès a entériné l’opinion du docteur Fradet, la CSST annonce à monsieur Brochu que la récidive, rechute ou aggravation du 27 août 2003 n’a pas entraîné une nouvelle atteinte permanente. Ainsi, il est avisé qu’il n’a pas droit à une nouvelle indemnité pour dommages corporels. Cette décision est également contestée par le travailleur.
[50] Le 4 novembre 2004, à la suite d’une révision administrative, la CSST confirme ses décisions initiales des 21 et 22 septembre 2004. Insatisfait de cette conclusion, monsieur Brochu dépose sa troisième requête.
[51] Pour étayer ses contestations, le travailleur soumet une expertise du docteur du Tremblay. Dans son rapport du 9 juillet 2006, cet orthopédiste résume l’historique et il précise que monsieur Brochu est en « attente d’une chirurgie de remplacement » pour son genou droit. Au niveau des plaintes, il explique que le travailleur s’estime handicapé et qu’il doit recourir à une orthèse pour réaliser plusieurs activités. À l’examen des genoux, le docteur du Tremblay observe un peu d’ankylose à droite et, du côté ligamentaire, une « légère ouverture en valgus grade II ».
[52] Au terme de sa revue du dossier, le docteur du Tremblay considère que l’accident du travail du 16 juin 2001 n’a pas seulement causé une déchirure méniscale. Il estime qu’une entorse du genou droit s’est ajoutée à cette pathologie et qu’il existe
maintenant une instabilité ligamentaire importante. Compte tenu de ces éléments. Il croit que le déficit anatomo-physiologique est supérieur à 10 %. Ensuite, il soumet ceci :
[…]
En ce qui concerne la lésion patello-fémorale, il est évident que monsieur avait un phénomène dégénératif secondaire à son ancienne fracture de la rotule mais il était asymptomatique au questionnaire et on pourrait parler ici d’aggravation d’une condition personnelle préexistante, donc les limitations fonctionnelles auraient dû émises en conséquence de cette atteinte patello-fémorale, des séquelles de l’atteinte ligamentaire (entorse) et il aurait dû bénéficier de limitations fonctionnelles de classe II et possiblement de classe III au niveau du genou […].
[53] Ainsi, pour trancher les litiges, monsieur Brochu demande de retenir l’opinion du docteur du Tremblay.
L’AVIS DES MEMBRES
[54] Le membre issu des associations des employeurs considère que la CSST a privé le travailleur du droit de contester l’ignorance des problèmes qui sont liés à son arthrose fémoro-patellaire en demandant au docteur Antoniadès de corriger son évaluation du 11 décembre 2001 plutôt que de rendre une décision sur cette question. Compte tenu des ennuis que monsieur Brochu a développés après son accident, il pense que l’hypothèse touchant l’aggravation d’une condition préexistante devait être examinée. Ceci n’ayant pas été fait, il croit que le dossier doit être retourné à la CSST pour que celle-ci se prononce sur cette question. Dans ce contexte, il conclut qu’il est prématuré de traiter des autres litiges.
[55] Le membre issu des associations syndicales juge également que la CSST a agi incorrectement en demandant au docteur Antoniadès d’amender son évaluation du 11 décembre 2001. Selon lui, elle aurait dû rendre une décision pour donner la chance à monsieur Brochu de faire valoir ses prétentions au sujet de l’aggravation d’une lésion préexistante. Vu que cinq années se sont écoulées depuis les décisions de 2002 et que Le Groupe Proforêt inc. n’existe plus, il estime qu’il y a lieu de se prononcer sur la question que la CSST a omise de trancher. Ainsi, en considérant que l’accident du travail a provoqué d’importants changements dans l’état du travailleur, il pense que ce dernier a été victime de l’aggravation d’une pathologie préexistante. Dès lors, l’évaluation initiale du docteur Antoniadès tenant compte de cette réalité, il juge que la Commission des lésions professionnelles doit l’entériner.
[56] Par ailleurs, compte tenu des limitations fonctionnelles qui ont été accordées par le docteur Antoniadès et des caractéristiques de l’emploi de combattant de feux de forêt, le membre issu des associations syndicales croit qu’il est manifeste que monsieur Brochu était incapable de réintégrer son emploi. Ainsi, il estime que son droit à l’indemnité de remplacement du revenu doit être rétabli. De plus, les injections de Synvisc ayant été réalisées pour traiter l’arthrose que l’événement du 16 juin 2001 a aggravée, il juge que la CSST devait en assumer les coûts.
[57] Finalement, parce que l’évaluation de la récidive, rechute ou aggravation du 27 août 2003 ne prend pas en considération la composante arthrosique, il pense qu’il est nécessaire de refaire une évaluation. À cette fin, il estime que l’expertise du docteur du Tremblay pourrait toujours être utilisée et que le droit de la CSST de contester l’opinion du docteur du Tremblay au Bureau d'évaluation médicale peut lui être réservé.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[58] Au départ, il paraît nécessaire de rappeler que la CSST est liée par les conclusions d’ordre médical établies par le médecin qui a charge. En effet, l’article 224 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) précise ceci :
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.
__________
1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
[59] Quant aux cinq sujets en cause, ils sont les suivants :
212. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants:
1° le diagnostic;
2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;
3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;
4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;
5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.
L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.
__________
1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.
[60] Toujours sur cette question, l’article 203 de la loi prévoit de son côté ce qui suit :
203. Dans le cas du paragraphe 1° du premier alinéa de l'article 199, si le travailleur a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, et dans le cas du paragraphe 2° du premier alinéa de cet article, le médecin qui a charge du travailleur expédie à la Commission, dès que la lésion professionnelle de celui-ci est consolidée, un rapport final, sur un formulaire qu'elle prescrit à cette fin.
Ce rapport indique notamment la date de consolidation de la lésion et, le cas échéant:
1° le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le barème des indemnités pour préjudice corporel adopté par règlement;
2° la description des limitations fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion;
3° l'aggravation des limitations fonctionnelles antérieures à celles qui résultent de la lésion.
Le médecin qui a charge du travailleur l'informe sans délai du contenu de son rapport.
__________
1985, c. 6, a. 203; 1999, c. 40, a. 4.
[61] En bref, cette disposition « énonce que le médecin qui a charge du travailleur expédie à la CSST, dès que la lésion professionnelle du travailleur est consolidée, un rapport final sur un formulaire prescrit à cette fin et sur lequel il indique la date de consolidation retenue et, le cas échéant, le pourcentage d’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles résultant de cette lésion. Cet article précise également que le médecin qui a charge du travailleur l’informe sans délai du contenu de son rapport ».[2]
[62] En l’espèce, il ne fait aucun doute que le docteur Antoniadès a été le médecin qui a eu charge de monsieur Brochu après son accident du travail du 16 juin 2001. En effet, il est celui qui a effectué la chirurgie du 13 août 2001 et qui a assuré le suivi post-opératoire. Par conséquent, le Bureau d'évaluation médicale n’ayant pas été invité à se prononcer, l’évaluation du 11 décembre 2001 de l’orthopédiste liait la CSST « relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 ».
[63] D’autre part, dans certaines conditions, il est nécessaire de garder à l’esprit que l’aggravation d’une condition personnelle peut constituer une lésion professionnelle. Par exemple, à la suite d’une analyse de quelques décisions, la Cour d’appel a écrit ceci :
[…]
[16] Il ressort clairement de ces décisions que, pour conclure qu’une aggravation d’une condition personnelle préexistante constitue une lésion professionnelle, il faut que soit survenu un accident du travail ou une aggravation causée par les risques particuliers du travail.
[…][3]
[64] Comme cet exercice revient à déterminer si cette situation est consécutive à un accident du travail ou à une exposition à des risques professionnels particuliers, on doit admettre que la question qui touche l’aggravation d’une condition personnelle est de nature juridique et non médicale. Ainsi, quand la CSST refuse de reconnaître un tel cas, le travailleur doit avoir la possibilité de contester sa décision.
[65] Dans cette affaire, il est incontestable que l’arthrose fémoro-rotulienne que le docteur Antoniadès a identifiée est apparue bien avant l’accident du travail du 16 juin 2001. En effet, les médecins qui ont examiné monsieur Brochu l’ont spécifié. Pour s’en convaincre, il suffit de lire l’évaluation du 11 décembre 2001 du docteur Antoniadès, le rapport du 5 juillet 2004 du docteur Fradet et l’expertise du 9 juillet 2006 du docteur du Tremblay. Ces trois orthopédistes ont également indiqué que cette pathologie était consécutive à la fracture de la rotule droite que le travailleur a subie une trentaine d’années plus tôt. Dans ces circonstances, il est manifeste que monsieur Brochu était porteur, bien avant son accident du travail du 16 juin 2001, d’une condition personnelle.
[66] Par contre, au moment de subir sa lésion professionnelle de 2001, on a vu que le travailleur occupait un poste de combattant de feux de forêt. Auparavant, suivant le sommaire de la CSST du 6 novembre 2001, il avait exercé différents emplois qui lui demandaient, entre autre chose, de se déplacer en forêt. Ainsi, même si le docteur Antoniadès s’en est étonné dans son évaluation du 11 décembre 2001, il appert que l’arthrose dont monsieur Brochu était porteur au niveau du genou droit ne constituait pas un obstacle à exercer ses divers emplois. Par contre, après l’événement du 16 juin 2001, la réalité a été toute autre. En effet, en rapport avec l’arthrose qu’il a observée, le
docteur Antoniadès a jugé nécessaire d’imposer d’importantes limitations fonctionnelles. De façon plus précise, il a écrit, dans son évaluation du 11 décembre 2001, ceci :
[…]
Ce patient présente des limitations fonctionnelles surtout reliées à l’arthrose fémoro-rotulienne qui est une condition personnelle, c’est-à-dire il doit éviter les travaux demandant la montée et la descente répétitive des escaliers, il doit éviter les travaux en position accroupie et à genoux. Il doit aussi éviter les travaux dans les échelles et les échafauds. Il doit aussi éviter les travaux en terrains inégaux. Ces limitations sont permanentes et sont reliées principalement à son arthrose fémoro-patellaire.
[…]
[67] Dans l’expertise du 5 juillet 2004 qu’il a effectuée à titre de médecin désigné par la CSST, le docteur Fradet s’est aussi dit d’accord avec cette opinion.
[68] Par conséquent, s’il est vrai que le travailleur était porteur d’une condition personnelle avant de subir son accident du 16 juin 2001, il appert également que cet événement a aggravé cette arthrose patello-rotulienne. En effet, dans le cas contraire, il est impossible d’expliquer la perte des capacités physiques de monsieur Brochu que traduisent les limitations fonctionnelles que le docteur Antoniadès a énoncées dans son évaluation du 11 décembre 2001.
[69] Or, en demandant au docteur Antoniadès de « corriger » son évaluation initiale plutôt que d’adopter une décision niant cette situation, la CSST a privé le travailleur de la chance de contester le refus de tenir compte de l’aggravation de sa condition personnelle d’arthrose pour définir ses droits. En effet, en principe, un travailleur ne peut contester le rapport d’évaluation de son propre médecin[4].
[70] Cependant, en agissant sans le « souci de transparence » qu’elle a manifesté au moment d’inviter le docteur Antoniadès à commenter l’expertise du 5 juillet 2004 du docteur Fradet, la CSST a fait en sorte que monsieur Brochu n’a même pas été informé rapidement des changements que le docteur Antoniadès a apportés à son évaluation du 11 décembre 2001. En effet, selon les notes de la CSST, ce n’est que le 21 mars 2002 qu’une copie de l’évaluation et de ses « corrections » ont été transmises au travailleur. Pour certains, cette seule omission était suffisante pour entacher le processus d’évaluation :
[…]
[43] La cour d’Appel dans un jugement récent 3, a rappelé que le médecin qui a charge du travailleur a l’obligation en vertu du dernier alinéa de l’article 203 de la loi d’informer le travailleur sans délai du contenu de son rapport. S’il est avéré que le travailleur ignore le contenu du rapport final, la CSST ne peut considérer qu’elle-même ou le travailleur est liée par lui car il y a violation de l’article 203 de la loi et de sa finalité sous-jacente, soit celle du droit du travailleur de choisir le médecin de son choix et d’être informé du contenu du rapport final de ce dernier.
[…][5]
__________________
3 Lapointe c. Commission des lésions professionnelles et Sécuribus et CSST, C.A. Montréal, 500-09-013413-034, 19 mars 2004, jj. Forget, Dalphond, Rayle.
[71] Par ailleurs, comme l’article 351 de la loi impose à la CSST de rendre ses décisions « suivant l'équité, d'après le mérite réel et la justice du cas », la Commission des lésions professionnelles considère que celle-ci n’a pas respecté ces principes en agissant comme elle l’a fait. Plutôt que d’inviter le docteur Antoniadès à modifier son évaluation initiale d’une façon dont la légalité peut être discutée, la CSST aurait dû rendre une décision pour dénoncer son choix de ne pas prendre en compte la condition liée à l’arthrose. En effet, à cette époque, le travailleur et son représentant soutenaient que l’événement expliquait une aggravation de son état. Si la CSST avait agi ainsi, monsieur Brochu aurait eu l’opportunité de contester devant les instances compétentes. Incidemment, on a vu qu’il a fallu attendre la décision initiale du 21 septembre 2004 pour que la CSST annonce qu’il « n’y a pas de lien entre l’arthrose patello-fémorale au genou droit, une condition personnelle, et l’événement du 19 [sic] juin 2001 ».
[72] Maintenant, comme près de cinq ans se sont écoulés depuis ces faits et que l’employeur intéressé n’existe plus, il paraît approprié de se prévaloir du pouvoir qu’accorde l’article 377 de la loi pour corriger ces injustices. La disposition en cause se lit ainsi :
377. La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.
Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.
__________
1985, c. 6, a. 377; 1997, c. 27, a. 24.
[73] Ainsi, pour les motifs qu’elle a déjà exposés, la Commission des lésions professionnelles conclut d’abord que l’événement du 16 juin 2001 a eu pour conséquence d’aggraver la condition personnelle de monsieur Brochu. Dès lors, comme la décision du 24 avril 2002 qui traite de l’atteinte permanente a été rendue au terme d’un processus d’évaluation qui omet de prendre en compte la composante arthrosique de la lésion professionnelle initiale, elle doit être annulée. En s’appuyant sur le bilan des séquelles du 11 décembre 2001 du docteur Antoniadès, il appartiendra à la CSST de rendre une nouvelle décision sur cette question.
[74] Ensuite, quant aux limitations fonctionnelles, on a vu qu’il n’existe pas de désaccord entre le docteur Antoniadès et le docteur Fradet, si on tient compte, comme il se doit, de l’arthrose du travailleur. Dès lors, en l’absence d’un différent entre le médecin qui a eu charge et celui désigné par la CSST, la Commission des lésions professionnelles ne pénalise personne en réglant cet aspect du dossier. En effet, l’employeur ayant cessé d’exister, un éventuel recours au Bureau d'évaluation médicale sur ce sujet est exclu.
[75] Par conséquent, il est reconnu que la lésion professionnelle du 16 juin 2001 a entraîné les limitations fonctionnelles que le docteur Antoniadès a identifiées. Dans son évaluation du 11 décembre 2001, l’orthopédiste a précisé que monsieur Brochu devait :
- éviter les travaux demandant la montée et la descente répétitive des escaliers;
- éviter les travaux en position accroupie et à genoux;
- éviter les travaux dans les échelles et les échafauds et;
- éviter les travaux en terrains inégaux.
[76] Compte tenu que le titulaire d’un poste de combattant de feux de forêts doit, à tout le moins, être capable de circuler sur des terrains inégaux, il va de soi que les limitations fonctionnelles que conserve le travailleur sont incompatibles avec l’exercice de cet emploi. En vertu de l’article 47 de la loi, monsieur Brochu a donc conservé le droit de recevoir une indemnité de remplacement du revenu. En effet, cet article précise ceci :
47. Le travailleur dont la lésion professionnelle est consolidée a droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 tant qu'il a besoin de réadaptation pour redevenir capable d'exercer son emploi ou, si cet objectif ne peut être atteint, pour devenir capable d'exercer à plein temps un emploi convenable.
__________
1985, c. 6, a. 47.
[77] Toutefois, il est vrai que le travailleur a tardé à contester la décision qui le déclare en mesure de réintégrer son emploi de combattant de feux de forêts à partir du 1er février 2002. En effet, suivant les notes évolutives du 11 février 2002, il possédait la
décision du 4 février 2002 à ce moment alors que la demande de révision de son représentant a été produite le 14 mai 2002. Or, l’article 358 impose un délai de 30 jours pour agir :
358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.
[…]
__________
1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14.
[78] Toutefois, en vertu de l’article 358.2, il y a lieu d’excuser ce défaut en présence d’un motif raisonnable. Cette disposition se lit ainsi :
358.2. La Commission peut prolonger le délai prévu à l'article 358 ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s'il est démontré que la demande de révision n'a pu être faite dans le délai prescrit pour un motif raisonnable.
__________
1997, c. 27, a. 15.
[79] Il a déjà été précisé qu’un motif raisonnable était « un motif non farfelu, crédible et qui fait preuve de bon sens, de mesure et de réflexion[6] ».
[80] À ce sujet, la Commission des lésions professionnelles ne retient pas les explications de la personne qui représentait monsieur Brochu en 2002. En effet, compte tenu que monsieur Philibert a discuté de la décision du 4 février 2002 avec un employé de la CSST deux jours après son adoption, il est mal venu d’affirmer qu’il a réalisé, uniquement au mois de mai 2002, « que la CSST avait rendu des décisions dans ce dossier ». Ayant rapidement eu cette connaissance, il ne peut davantage invoquer le défaut de la CSST de lui avoir transmis la décision en cause pour justifier sa lenteur à agir. D’ailleurs, dès le 6 février 2002, monsieur Philibert a avisé la CSST qu’il allait contester la décision qui nous intéresse. Pourtant, ce n’est que le 14 mai 2002 qu’il s’est acquitté de ce mandat. Néanmoins, il serait injuste de pénaliser le travailleur pour les manquements de son représentant. En effet, suivant les notes de l’organisme du 11 février 2002, monsieur Brochu a spécifié à la CSST que la décision du 4 février 2002 serait contestée. Par la suite, lors d’échanges avec des employés de la CSST aux mois d’avril et de mai 2002, il a continué à manifester son désaccord. Ainsi, même si on peut lui reprocher de ne pas s’être assuré promptement de l’exécution du mandat qu’il avait confié à son représentant, il reste qu’il serait injuste de le priver de l’exercice de son droit de contestation.
[81] Pour ces raisons, le travailleur a droit d’être relevé du défaut d’avoir demandé la révision de la décision du 4 février 2002 dans le délai prescrit.
[82] Sur le fond, compte tenu des constats qui précèdent, il y a lieu d’infirmer la décision du 20 septembre 2002 de la CSST et de déclarer que monsieur Brochu était incapable de recommencer à exercer, le 1er février 2002, son emploi de combattant de feux de forêts. Dès lors, vu l’article 47 de la loi, son droit de recevoir une indemnité de remplacement de revenu ne s’est pas éteint à cette date.
[83] Maintenant, en ce qui concerne les séquelles de la récidive, rechute ou aggravation du 27 août 2003, il est également nécessaire d’intervenir. En effet, l’évaluation du 5 juillet 2004 du docteur Fradet que le docteur Antoniadès a entérinée le 12 août 2004 est incomplète. On l’a vu, elle ne tient pas compte de l’aggravation de la condition personnelle du travailleur. Bien que la Commission des lésions professionnelles pourrait se servir du rapport du 9 juillet 2006 du docteur du Tremblay pour définir lesdites séquelles, il lui semble sage de s’abstenir de le faire. En effet, il doit être laissé à la CSST l’opportunité de contester l’opinion de l’expert du travailleur devant le Bureau d'évaluation médicale. D’ailleurs, pour définir les séquelles permanentes, on a remarqué que le docteur du Tremblay a modifié le diagnostic du docteur Antoniadès en associant un problème d’entorse au genou droit à l’événement du 16 juin 2001. Or, en vertu de la loi, il n’avait pas la compétence de substituer son opinion diagnostique à celle du médecin qui a eu charge quant aux suites de l’événement du 16 juin 2001.
[84] Ainsi, le volet de la décision du 4 novembre 2004 qui porte sur les séquelles de la lésion du 27 août 2003 est infirmé et le dossier est retourné à la CSST pour qu’une nouvelle évaluation de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles soit obtenue.
[85] Enfin, au sujet des injections de Synvisc des 19 août 2004, 26 août 2004 et 2 septembre 2004, elles ont été prescrites par le docteur Antoniadès dans le but d’atténuer les symptômes résiduels que provoque l’arthrose du travailleur. Il est donc établi que le travailleur n’a pas subi, à cette époque, une récidive, rechute ou aggravation au sens de la loi. En effet, cette notion implique une reprise évolutive, une réapparition ou une recrudescence d’une première lésion professionnelle ou de ses symptômes[7]. Néanmoins, on doit admettre que ces modalités thérapeutiques constituaient un traitement de soutien. Comme il s’agit d’une forme d’assistance médicale, la CSST devait en assumer les frais. En effet, en vertu des articles 188 et suivants de la loi, le coût de l’assistance médicale est à sa charge. Le second volet de la décision du 4 novembre 2004 est modifié en conséquence.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
DOSSIER : 184035-05-0205
ACCUEILLE la première requête du travailleur, monsieur Bernard Brochu;
INFIRME la décision rendue le 24 avril 2002 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail pour que celle-ci adopte une nouvelle décision au sujet de l’atteinte permanente qu’entraîne la lésion professionnelle du 16 juin 2001, et ce, en prenant en considération l’évaluation du 11 décembre 2001 du docteur Antoniadès.
DOSSIER : 191570-05-0210
ACCUEILLE la seconde requête du travailleur;
DÉCLARE la demande de révision du travailleur du 14 mai 2002 recevable;
INFIRME la décision rendue le 20 septembre 2002 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur était incapable, le 1er février 2002, d’exercer à nouveau son emploi de combattant de feux de forêts;
DÉCLARE que le travailleur a conservé le droit de recevoir son indemnité de remplacement du revenu après le 1er février 2002;
DOSSIER : 250468-05-0412
ACCUEILLE en partie la troisième requête du travailleur;
INFIRME la décision rendue le 4 novembre 2004 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail pour que celle-ci adopte une nouvelle décision au sujet de l’atteinte permanente qu’entraîne la lésion professionnelle du 27 août 2003 du travailleur;
DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail est tenue de rembourser le coût des injections de Synvisc des 19 août 2004, 26 août 2004 et 2 septembre 2004 que le docteur Antoniadès a prescrites au travailleur.
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Me François Ranger |
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Commissaire |
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Me Geneviève Lafontaine |
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PLANTE & BOUCHER |
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Représentante de la partie requérante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Rémy Vézina et Entreprise d’électricité NT ltée, C.L.P. 247694-71-0411, 21 février 2006, C. Racine.
[3] PPG Canada inc. c. Commission d'appel en matière de lésions professionnelles, [2000] C.L.P. 1213 (C.A.).
[4] Bonneau et Déménagements du Golfe inc., C.L.P. 86935-09-9703, 4 décembre 1997, M. Beaudoin.
[5] Brière et Vinyle Kaytec inc., C.L.P. 215828-62A-0309, 18 juin 2004, J. Landry.
[6] Purolator ltée et Langlais, C.A.L.P. 87109-62-9703, 11 décembre 1997, R. Jolicoeur.
[7] Lapointe et La compagnie minière Québec-Cartier, [1989] C.A.L.P. 38 .
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.