Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

Lévis

17 décembre 2003

 

Région :

Chaudière-Appalaches

 

Dossiers :

197607-03B-0301   197608-03B-0301   197609-03B-0301 217901-03B-0310

 

Dossier CSST :

117604652

 

Commissaire :

Me Claude Lavigne

 

Membres :

Esther East, associations d’employeurs

 

Robert Le Parc, associations syndicales

 

 

Assesseure :

Dre Johanne Gagnon

______________________________________________________________________

 

 

 

Nicole Lagueux

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Cafétéria de Olymel

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

DOSSIER 197607-03B-0301

[1]                Le 15 janvier 2003, Me Marc Bellemare, pour madame Nicole Lagueux (la travailleuse), dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste la décision rendue le 13 janvier 2003 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la révision administrative confirme la décision rendue initialement par la CSST le 30 janvier 2002 où elle refuse le remboursement du médicament Tylenol réclamé par la travailleuse.

DOSSIER 197608-03B-0301

[3]                Ce même 15 janvier 2003, Me Bellemare dépose une autre requête à la Commission des lésions professionnelles au nom de la travailleuse où il conteste cette fois une autre décision rendue le 13 janvier 2003 par la CSST, à la suite d’une révision administrative.

[4]                Par cette autre décision, la révision administrative confirme les décisions rendues par la CSST les 22 octobre et 4 décembre 2002 et déclare que les mesures de réadaptation appliquées par la CSST étaient adéquates et conformes à la loi; déclare que l’emploi de commis au service à la clientèle est un emploi convenable pour la travailleuse et déclare finalement que la travailleuse est capable d’exercer cet emploi à compter du 21 octobre 2002, d’où la fin du versement de ses indemnités de remplacement du revenu à cette date.

DOSSIER 197609-03B-0301

[5]                Le 15 janvier 2003, Me Bellemare, toujours pour la travailleuse, dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles où il conteste l’autre décision rendue par la CSST le 13 janvier 2003 à la suite d’une révision administrative.

[6]                Par cette dernière décision du 13 janvier 2003, la révision administrative confirme la décision rendue par la CSST le 5 décembre 2002 et déclare que l’état dépressif de la travailleuse n’est pas une lésion professionnelle de quelque nature que ce soit.

DOSSIER 217901-03B-0310

[7]                Le 15 octobre 2003, Me Lu Chan Khuong, pour la travailleuse, dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles où elle conteste la décision rendue le 14 octobre 2003 par la CSST, à la suite d’une révision administrative.

[8]                Par cette autre décision, la révision administrative confirme la décision rendue par la CSST les 18 février et 13 mars 2003 et déclare que la travailleuse ne peut être reconnue victime d’une récidive, rechute ou aggravation à compter du 28 novembre 2002; déclare que l’anxiété secondaire à la recherche d’emploi avec trouble de sommeil et trouble de l’humeur ne peut être reconnue en relation avec l’événement à l’origine; déclare que la travailleuse n’a pas droit aux prestations prévues à la loi et déclare finalement que la travailleuse n’a pas droit au remboursement pour les frais de déplacement encourus pour les visites médicales des 28 novembre, 2 décembre et 31 décembre 2002 ainsi que celle du 16 janvier 2003.

[9]                Audience tenue le 3 décembre 2003, à St-Joseph de Beauce, en présence de la travailleuse et de sa représentante, Me Lu Chan Khuong. Cafétéria de Olymel (l’employeur) est, pour sa part, représenté par madame Lise Ferland. La CSST, après être intervenue dans ce dossier, le 30 janvier 2003, suivant l’application de l’article 429.16 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001) (la loi) est, pour sa part, représentée par madame Martine Guay et Me Odile Tessier.

 

L’OBJET DES CONTESTATIONS

DOSSIER 197607-03B-0301

[10]           La représentante de la travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la travailleuse a droit au remboursement du coût engagé pour se procurer des Tylenol extra-forte le 28 décembre 2001.

DOSSIER 197608-03B-0301

[11]           La représentante de la travailleuse demande cette fois à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que l’emploi de commis au service à la clientèle n’est pas un emploi convenable pour la travailleuse.

DOSSIERS 197609-03B-0301 ET 217901-03B-0310

[12]           La représentante de la travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître que l’état dépressif dans lequel se trouve la travailleuse depuis le 25 avril 2002 constitue une lésion professionnelle en ce sens qu’elle est en étroite relation avec les conséquences de sa lésion professionnelle du 28 septembre 1999 et qu’il en est de même pour la lésion vécue le 28 novembre 2002.

[13]           Quant aux frais de déplacement encourus pour consulter son médecin aux mois de novembre, décembre 2002 et janvier 2003, ce débat est accessoire à celui de l’admissibilité de la lésion psychologique et le sort qui lui est réservé doit être analogue.

 

LES FAITS

[14]           La travailleuse, aujourd’hui âgée de 58 ans, exerce la fonction de cuisinière depuis 1994 et plus particulièrement pour l’employeur depuis 3 ans.

[15]           Le 29 septembre 1999, elle consulte la docteure Hélène Théberge pour des douleurs vécues à son épaule gauche. À cette occasion, la docteure Théberge retient comme diagnostic celui de tendinite de l’épaule gauche, condition pour laquelle des traitements de physiothérapie lui sont prescrits.

[16]           Le 13 octobre 1999, les parties complètent une formule « Avis de l'employeur et demande de remboursement » concernant le début d’incapacité de travailler vécu par la travailleuse le 28 septembre 1999, début d’incapacité de travailler lui-même associé à la description de l’événement suivant :

« Soulever les chaudrons, mouvements à répétition.

Avance à partir du 29-09-99. [sic]

 

 

[17]           Devant le peu de résultats obtenus par les traitements de physiothérapie débutés le 29 octobre 1999, la docteure Théberge réfère la travailleuse, le 3 février 2000, au docteur Gilles Mathon, rhumatologue et physiatre.

[18]           Le 21 février 2000, le docteur Mathon examine la travailleuse et en vient à un examen objectif dans les limites de la normale. Toutefois, la mise en tension de la coiffe des rotateurs est difficile à cause de la douleur subjective provoquée. Il décide donc de poursuivre l’investigation par une échographie de l’épaule, investigation qui, le 23 mars 2000, met en évidence une toute petite irrégularité de la partie acromiale du tendon du sus-épineux compatible avec des phénomènes de tendinite.

[19]           Dans son rapport du 8 juin 2000, la docteure Théberge décrit une douleur exacerbée depuis quelque temps et, le 22 juin 2000, elle réfère à un début de capsulite.

[20]           À la demande de la CSST, le docteur Jean-François Fradet, chirurgien orthopédiste, examine la travailleuse le 28 juin 2000 afin d’émettre son opinion sur les cinq sujets prévus à l’article 212 de la loi. Dans son rapport qui en a suivi le même jour, le docteur Fradet note une disproportion lors de son examen objectif au point de ne pas retenir le diagnostic de tendinite active au niveau de l’épaule gauche de la travailleuse. Il fait ressortir que tout au long de son examen, la travailleuse a pleuré dès qu’il a été question du début de ses douleurs. Il consolide donc cette lésion le jour de son examen sans autre traitement, sans atteinte permanente et sans limitation fonctionnelle.

[21]           Sensibilisée par la CSST du contenu du rapport du docteur Fradet, la docteure Théberge maintient, le 2 août 2000, son diagnostic de tendinite sur laquelle s’est greffée une capsulite, condition qui l’incite à reconnaître des restrictions et de poursuivre les traitements de physiothérapie.

[22]           Le 2 août 2000, le docteur Mathon corrobore le début de capsulite présenté par la travailleuse à son épaule gauche.

[23]           Le 11 août 2000, la travailleuse passe une scintigraphie active qui témoigne d’une légère hypercaptation de la région acromio-humérale gauche probablement en relation avec une atteinte inflammatoire à ce niveau.

[24]           Saisi du litige sur les cinq sujets prévus à l’article 212 de la loi, le docteur Marcel Dufour, orthopédiste et membre du Bureau d'évaluation médicale, examine la travailleuse le 6 septembre 2000. Dans son avis émis le 21 septembre 2000, le docteur Dufour confirme le diagnostic de tendinite de la coiffe des rotateurs à l’épaule gauche de la travailleuse ayant évolué en capsulite rétractile, lésion qui n’est pas actuellement consolidée. Il suggère de poursuivre les traitements en mobilisant l’épaule gauche sous anesthésie générale suivis de traitements intensifs en physiothérapie avec infiltration de stéroïde au niveau de l’articulation gléno-humérale et au niveau de la région sous-acromiale après, bien sûr, avoir vérifié cette histoire d’allergie à la cortisone.

[25]           Le 30 octobre 2000, le docteur Pierre du Tremblay, chirurgien orthopédiste, recommande de poursuivre les traitements de physiothérapie pour cette capsulite à l’épaule gauche de la travailleuse sur fond de tendinite.

[26]           Le 23 novembre 2000, la docteure Théberge note une amélioration lente mais progressive des mouvements de l’épaule gauche de la travailleuse. Elle réitère la nécessité de poursuivre les traitements de physiothérapie et il en sera de même lors des consultations médicales subséquentes.

[27]           Dans une information médicale complémentaire écrite du 23 avril 2001, le docteur du Tremblay envisage des limitations fonctionnelles chez la travailleuse et en fait une brève nomenclature.

[28]           Le 29 mai 2001, le docteur du Tremblay demande une résonance magnétique qui, le 7 juillet 2001, est interprétée par le docteur Gilles Bouchard en ces termes :

« Aspect légèrement hétérogène du tendon du sus-épineux compatible avec des modifications légères de tendinose et/ou tendinite. Toutefois un minime foyer millimétrique de déchirure intra-tendineuse ne pourrait pas être complètement exclu. »

 

 

[29]           Le 16 juillet 2001, la docteure Théberge parle d’un état stable avec douleurs accentuées lors d’efforts modérés.

[30]           Le 28 août 2001, le docteur du Tremblay produit un rapport médical où il réfère à la capsulite pratiquement résorbée chez la travailleuse mais envisage tout de même de faire une scopie en référence aux douleurs à cette épaule gauche et, le 5 octobre 2001, procède à une arthroscopie et une acromioplastie au niveau de l’épaule gauche de la travailleuse.

[31]           Le 22 novembre 2001, la docteure Théberge précise que la travailleuse a encore des douleurs importantes depuis sa chirurgie. Elle modifie la médication pour du Voltaren au lieu du Celebrex.

[32]           Dans son rapport du 27 décembre 2001, la docteure Théberge note une réactivation importante de la douleur au moindre effort. Elle suggère de poursuivre les traitements de physiothérapie débutés le 7 décembre de même que les exercices. Elle prescrit en plus à la travailleuse du Tylenol 500.

[33]           Le 5 janvier 2002, le docteur du Tremblay demande de cesser les traitements de physiothérapie et, dans son rapport final émis le 19 février 2002, consolide la lésion de la travailleuse au 1er mars 2002 avec prévision d’atteinte permanente à son intégrité physique et prévision de limitations fonctionnelles.

[34]           Le 30 janvier 2002, la CSST écrit à la travailleuse pour l’informer qu’elle refuse de lui rembourser le coût engendré pour l’achat de Tylenol extra-forte, décision que cette dernière porte en révision le 28 février 2002.

[35]           Le 3 avril 2002, le docteur du Tremblay évalue les séquelles laissées par la lésion professionnelle de la travailleuse. Dans son rapport d'évaluation médicale signé le 5 avril 2002, le docteur du Tremblay quantifie à 4 % le déficit anatomo-physiologique de cette dernière et lui reconnaît les limitations fonctionnelles suivantes :

« La patiente devrait éviter tout mouvement répétitif au niveau de l’épaule gauche. Elle devrait également éviter les positions statiques prolongées au niveau de l’épaule gauche, éviter la manipulation fréquente d’objets de poids de 5 à 10 kilos. Elle devrait être réorientée vers un travail plus sédentaire ou clérical. »

 

 

[36]           Chose assez étonnante, la docteure Théberge ne semble pas avoir été sensibilisée de la consolidation de la lésion de la travailleuse puisqu’elle la réfère à une anesthésiste, la docteure Marie-Chantale Côté qui, le 4 avril 2002, l’examine. La docteure Côté rapporte que la travailleuse a développé une humeur plutôt triste à la suite de ses limitations qui l’affectent quotidiennement. Elle ira même jusqu’à pleurer à deux reprises lors de son entrevue. Elle suggère de poursuivre les anti-inflammatoires et de débuter le Neurontin à 100 mg au début. Elle tente également le changement vers l’Oxycontin au lieu de l’Empracet et lui propose des antidépresseurs.

[37]           Le 25 avril 2002, la docteure Théberge produit un rapport médical où elle porte le diagnostic d’état dépressif chez la travailleuse secondaire aux symptômes douloureux résiduels et au handicap chronique. À cette occasion, la docteure Théberge prescrit des antidépresseurs à la travailleuse et la réfère en psychologie.

[38]           Lors de la rencontre de la travailleuse à son domicile, le 3 mai 2002, l’agente responsable de son dossier à la CSST reproduit assez bien le contexte de cet échange qui convient ici de reproduire dans son intégralité.

« Rencontre t chez elle. Elle me dit que cela va bien aujourd’hui mais labile comme ....

Elle me parle de la clinique de la douleur, elle aurait eu des problèmes suite à des injections á de douleurs.

Elle a décidé de prendre uniquement vioxx.

La t dit avoir besoin d’aide parce qu’elle ne se voit pas vivre de même. Elle pleure facilement mais rit à l’occasion. Les activités qu’elle fait un peu de ménage. Elle fait sa bouffe pour elle et son mari. Elle conduit un peu son auto. Elle éprouve donc des problèmes ....... à faire ses AVD.

Elle me dit avoir peur de l’avenir, surtout pour se trouver un emploi à son âge. Elle se met à pleurer et me dit qu’elle fait brûler un lampion devant la statue de St-Joseph depuis le 11 septembre 2001.

Elle consulte un psychologue à Québec car elle n’a aucune confiance aux gens des environs surtout pas ceux de la Beauce.

Elle me dit qu’elle m’a traité de maudite car je lui avait signifié qu’il se pouvait qu’elle ait des limitations fonctionnelles et qu’elle ne voulait pas l’accepter et qu’elle a une tête dure, qu’elle voulait retourner chez Olymel. Je lui souligne que l’on peut dire tenace ou tête de cochon, elle part à rire. Je lui signifie que d’être tenace et de vouloir retourner dans un emploi était correct et que j'aurais aimé mieux l'aider dans cela mais cela ne s’est pas passé tout à fait de cette façon. Elle me redit qu’elle m’en a voulu longtemps. Elle me parle de l’agent d’indem M. Fournel qu’elle voulait le poursuivre car il lui a dit qu’il aurait eu une dénonciation à l’effet qu’elle travaillait dans une cabane à sucre.

Je lui explique que cela arrive que des gens appellent pour des choses comme cela mais de ne pas s’en faire. Elle semble se calmer.

Elle se lève à + reprises, le téléphone sonne beaucoup. Elle lève l’acoustique puis d’un coup raccroche. Elle me dit que c’est assez, qu’elle est tannée. Elle revient s’asseoir  et nous rediscutons. Elle me parle de ses douleurs à nouveau.

Elle m’indique que son père est très important dans sa vie et qu’elle ne sait pas ce qu’elle ferait sans lui. Elle se remet à pleurer. Elle me dit qu’elle a son salon de bronzage dans le s-sol et ce avant la lésion et que c’est son père qui l’aide. Elle me parle que l’emploi chez Olymel était idéal pour elle car c’était le matin et elle pouvait s’occuper de son salon de bronzage en ...+ le soir.

Je lui explique que nous pouvons l’aider au niveau de ses activités à la maison puis pourrions envisager d’embaucher qq afin de l’aider à déterminer un EC. Elle paraît soulagée. Je l’informe que pour le nouveau diagnostic, je devrais donner le dossier à un agent d’indem mais que cela ne m’empêche pas d’engager des ressources pour les aspects mentionnés soit aide dans AVQ + AVD. + aide pour trouver un travail. C’est d’accord pour documents, lors moment de partir, elle dit que notre rencontre lui a fait du bien et qu’elle a moins peur. Je lui dit que je suis contente aussi. » [sic]

[39]           Le 8 mai 2002, monsieur Éric Beaulieu, travailleur social et psychothérapeute, écrit à la docteure Théberge pour dresser un compte rendu de sa rencontre avec la travailleuse. Ainsi, il confirme, si l’on veut, l’état dépressif de la travailleuse et souligne qu’elle éprouve beaucoup de ressentiment contre la CSST qui veut la recycler dans le domaine de la vente. Il lui demande si elle veut bien préciser son diagnostic pour les fins de la CSST.

[40]           Le 23 mai 2002, la docteure Théberge décrit à nouveau la même douleur chez la travailleuse et fait part de son intolérance aux antidépresseurs prescrits, d’où le changement pour du Paxil. Elle demande également une nouvelle résonance magnétique afin d’éliminer une déchirure de la coiffe à l’épaule gauche.

[41]           Sensibilisée par le médecin régional de la CSST, le 10 juin 2002, sur le fait que le docteur du Tremblay a consolidé la lésion à l’épaule gauche de la travailleuse le 1er mars 2002 et sur le contenu du rapport d'évaluation médicale qui en a suivi, le 5 avril 2002, la docteure Théberge se dit d’accord tant sur cette date de consolidation que sur le contenu de ce rapport. Quant au nouveau diagnostic d’état dépressif, la docteure Théberge convient avec ce médecin régional de mieux documenter ce problème et de suivre l’évolution en réadaptation. La docteure Théberge ira jusqu’à envisager une évolution plutôt favorable, sachant la prise en charge prochaine de son dossier pour réorientation.

[42]           Dans le cadre du processus de réadaptation entrepris par la CSST, madame Lydia Provencher, consultante externe de main-d’oeuvre, est mandatée pour identifier un ou des emplois convenables potentiels pour la travailleuse. Il s’ensuit une première rencontre le 12 juin 2002 où madame Provencher réfère au fait que la travailleuse lui a mentionné dormir uniquement de deux à trois heures par nuit et que cela était très difficile pour elle. Madame Provencher rapporte qu’à ce moment, la travailleuse pleure lorsqu’elle dit cela.

[43]           Le 28 juin 2002, monsieur Beaulieu écrit à la CSST pour demander l’autorisation pour soins psychologiques. Dans sa lettre, il constate que la travailleuse a perdu ce qu’elle avait de plus précieux, soit son indépendance. Il note que la travailleuse pleure lorsqu’elle aborde les séquelles de son accident du travail et exprime beaucoup de peine et de frustration à propos de ses douleurs, ses troubles de sommeil et la perte de son emploi. Dans ses commentaires cliniques, monsieur Beaulieu s’exprime comme suit :

« On a affaire à une dame au tempérament fort. Elle a toujours mené sa vie comme bon lui semblait. Elle se décrit elle-même comme une personne qui ne se laisse pas piler sur les pieds. Il faut savoir qu’elle n’a jamais été malade auparavant. Elle projetait de se rendre à 65 ans avant de prendre sa retraite. Elle adorait son travail. Elle croyait pouvoir s’en sortir seule.

 

Or, le facteur temps combiné avec celui de la douleur a finalement eu raison de sa volonté. Cet accident de travail lui a fait perdre le contrôle de sa vie. Pour elle, son indépendance était directement reliée à ses capacités physiques. Elle se réalisait pleinement dans son travail. Elle était respectée par ses collègues et ses patrons.

 

Il lui aura fallu 2 ans avant d’accepter l’idée de perdre cet emploi. Pendant ce temps, elle a lutté contre ses sentiments dépressifs au point d’épuiser ses défenses psychologiques habituelles.

 

La CSST s’achemine vers une réorientation pour lui déterminer un emploi convenable. Cette étape a pour effet d’exacerber sa détresse psychologique. »

 

 

[44]           Afin d’atténuer les douleurs à l’épaule gauche de la travailleuse, la docteure Théberge lui prescrit, le 20 juin 2001, du Dilaudid et constate, dès le 4 juillet 2002, certains effets bénéfiques.

[45]           Le 18 juillet 2002, la docteure Théberge décrit une exacerbation importante de la douleur lors des exercices en ergothérapie, d’où l’augmentation du Dilaudid à raison de 1 comprimé quatre fois par jour.

[46]           Le 4 septembre 2002, madame Provencher produit son rapport où elle cible deux emplois convenables potentiels pour la travailleuse soit celui de commis au guichet de poste et celui de commis aux plaintes. Madame Provencher souligne également que la travailleuse aimerait agrandir son salon de bronzage et devenir ainsi autonome.

[47]           Le 18 octobre 2002, monsieur Beaulieu, après dix rencontres avec la travailleuse, dresse un bilan où il souligne que la condition dépressive de la travailleuse est résorbée en grande partie mais il demeure prudent face à la détermination éventuelle de l’emploi convenable.

[48]           Le 22 octobre 2002, la CSST écrit à la travailleuse pour l’informer qu’elle retient comme emploi convenable celui de commis au service à la clientèle au salaire estimé de 16 684 $. Elle dispose également de sa capacité à l’exercer à compter du 21 octobre 2002, décision que le représentant de la travailleuse porte en révision le 1er novembre 2002.

[49]           Le 28 novembre 2002, la docteure Théberge diagnostique chez la travailleuse un trouble de l’humeur avec anxiété.

[50]           Le 2 décembre 2002, la travailleuse passe cette résonance magnétique qui révèle la présence de signes en relation avec une tendinose discrète du sus-épineux.

 

[51]           Le 5 décembre 2002, la CSST refuse le diagnostic d’état dépressif mentionné par son médecin les 25 avril et 20 juin 2002.

[52]           Le lendemain, le représentant de la travailleuse porte en révision les décisions rendues par la CSST les 4 et 5 décembre 2002.

[53]           Le 14 décembre 2002, la CSST refuse le plan d’affaires proposé par la travailleuse à l’effet d’agrandir son salon de bronzage.

[54]           Le 6 janvier 2003, monsieur Beaulieu produit un rapport de suivi psychologique où il souligne que ce n’est pas rare de constater des troubles de sommeil et de l’humeur chez certains travailleurs quelque temps après la détermination d’un emploi convenable. Il partage l’approche de la docteure Théberge quant au trouble anxieux consécutif à la recherche d’emploi puisque la travailleuse se sent démunie et qu’elle a perdu confiance en ses moyens. Il suggère alors dix rencontres supplémentaires pour aider la travailleuse à reconstruire ses défenses psychologiques et retrouver sa confiance en elle.

[55]           Le 13 janvier 2003, la CSST, à la suite d’une révision administrative, rend trois décisions. La première où elle confirme sa décision du 30 janvier 2002 à l’effet de ne pas rembourser le coût engendré pour l’achat du Tylenol. La seconde par laquelle elle confirme ses décisions du 22 octobre et 4 décembre 2002 et déclare que les mesures de réadaptation appliquées par la CSST étaient adéquates et conformes à la loi; déclare que l’emploi de commis au service à la clientèle est un emploi convenable pour la travailleuse et qu’elle est capable de l’exercer à compter du 21 octobre 2002. Quant à la troisième décision, la révision administrative confirme la décision rendue par la CSST le 5 décembre 2002 et déclare que l’état dépressif de la travailleuse n’est pas une lésion professionnelle sous quelque forme que ce soit, décisions que conteste le représentant de la travailleuse à la Commission des lésions professionnelles le 15 janvier 2003.

[56]           Le 18 février 2003, la CSST refuse la réclamation pour récidive, rechute ou aggravation survenue le 28 octobre 2002 et, par le fait même, refuse les frais de déplacement engagés pour les visites médicales des 28 novembre, 2 et 31 décembre 2002 de même que celle du 16 janvier 2003, décision que la travailleuse porte en révision le 27 février 2003.

[57]           À la demande du représentant de la travailleuse, le docteur Jean-Pierre Bernatchez, psychiatre, examine la travailleuse le 17 mars 2003 afin de répondre à différentes questions dont, entre autres, la relation avec cet état psychologique et cet accident du 28 septembre 1999 et ses conséquences orthopédiques. Dans son expertise rédigée le même jour, le docteur Bernatchez retient le diagnostic suivant :

«    Axe I :        Trouble de l’adaptation avec humeur mixte : chronique.

 

      Axe II :       Personnalité obsessionnelle compulsive.

 

      Axe III :       Tendinite et capsulite à l’épaule gauche avec limitations fonctionnelles permanentes. Tendinite à l’épaule droite, épicondylite au coude droit.

 

      Axe IV :      La confrontation avec la permanence des séquelles et l’impossibilité de retour à son ancien emploi de cuisinière a été pour elle un stresseur majeur en ce sens que cela a entraîné chez elle une perte d’estime, un sentiment de dévalorisation, une atteinte à l’image de soi. La décision de la CSST de lui déterminer un emploi convenable sans lui assurer une formation adéquate est un stresseur supplémentaire aggravant la condition psychique.

 

      Axe V :      60. »

 

 

[58]           Au chapitre de son opinion, le docteur Bernatchez s’exprime alors comme suit :

« Il est tout à fait clair, à mon avis, que les séquelles permanentes et les limitations fonctionnelles permanentes de cet accident, lesquelles empêcheront pour toujours Madame de revenir à son emploi de cuisinière dans lequel elle trouvait toute sa valorisation personnelle ont entraîné un trouble de l’adaptation.

 

Jusqu’à ce que l’évaluation définitive des séquelles orthopédiques et la consolidation soit prononcée, elle avait gardé espoir d’une récupération satisfaisante et il n’y avait pas eu d’atteinte psychiatrique.

 

Lorsqu’il y a eu confirmation des séquelles et de l’impossibilité de retour à son ancien travail, Madame a subi ainsi sur le plan psychique une perte importante, une diminution d’estime de soi, une atteinte à l’image de soi. Elle perdait ainsi son sentiment d’autonomie et sa source de valorisation personnelle et c’est à partir de ce moment que sont apparus les symptômes dans la sphère psychique qui correspondent à un trouble de l’adaptation avec humeur mixte.

 

Elle a été en thérapie et il y a eu amélioration significative de la condition jusqu’à la détermination de l’emploi convenable.

 

Le fait que la CSST refuse de lui permettre une formation supplémentaire a créé chez elle non seulement  une insécurité importante face à l’idée de postuler un emploi pour lequel elle n’a aucune expérience ni formation en plus à son âge, mais surtout, et c’est là le facteur le plus important, à mon avis, en raison de son style de personnalité pour lequel le sentiment d’être en contrôle est essentiel, une impossibilité psychique d’aller dans la direction d’aller postuler un genre d’emploi dans lequel elle sent qu’elle n’a aucune compétence.

 

Il importe donc de comprendre que ce n’est pas que Madame ne veut pas collaborer, ne veut pas faire un retour au travail ou que c’est la détermination en soi de l’emploi convenable qui la fait réagir ainsi, mais bien plutôt le fait de lui refuser une formation pour cet emploi convenable, laquelle formation lui permettrait, en accord avec son style de personnalité, de développer un sentiment de confiance et de compétence et en somme de contrôle et ainsi d’avoir davantage d’assurance pour aller faire face à un employeur.

C’est ce contexte qui a entraîné une aggravation du trouble de l’adaptation et ceci, à mon avis, est en lien direct avec les séquelles et les limitations fonctionnelles de l’accident.

 

On ne peut donc actuellement établir de DAP puisque Madame n’est pas actuellement consolidée sur le plan psychiatrique.

 

Le suivi psychothérapeutique devrait être continué pour aider Madame dans son trouble d’adaptation et devrait donc, à mon avis, être défrayé par la CSST.

 

Un élément important qui favoriserait le succès de la démarche de réinsertion au travail de cette dame serait qu'on lui accorde une période de formation qui augmenterait son sentiment de compétence et surtout son sentiment d’être en contrôle face à une situation nouvelle pour elle. Ceci serait tout à fait en accord avec sa personnalité.

 

Je tiens ici à souligner qu’à son âge, le stress d’aller postuler pour un tout nouveau type d’emploi dans lequel on a ni expérience ni formation préalable n’est certainement pas banal. Il ne faut pas minimiser les difficultés et exigences du marché du travail et sans formation ni expérience, Madame n’est certainement pas la candidate idéale pour un employeur.

 

Par ailleurs, il est bien certain que s’il était possible à Madame d’obtenir une aide-subvention pour le commerce de salon de bronzage qu’elle opère déjà, cela serait certainement facilitant, dans le sens où Madame pourrait y trouver plus facilement un sentiment de contrôle d’autonomie qui met à profit l’expérience qu’elle a déjà dans le domaine. » [sic]

 

 

[59]           Le 14 octobre 2003, la révision administrative confirme les deux décisions rendues par la CSST le 18 février 2003 tant sur le refus de la réclamation pour récidive, rechute ou aggravation vécue le 28 novembre 2002 que sur le refus de rembourser les frais de déplacement encourus pour les visites médicales, décisions qui donnent lieu à la contestation déposée à la Commission des lésions professionnelles le 15 octobre 2003 au nom de la travailleuse.

[60]           À l’audience, la représentante de la travailleuse dépose, sous les cotes T-1 et   T-2, des extraits du Code canadien des professions. La représentante de la CSST, quant à elle, dépose en liasse sous la cote I-1, une mise à jour du dossier de la travailleuse. Par la suite, la travailleuse et madame Martine Guay livrent témoignage.

[61]           Du témoignage de la travailleuse, la Commission des lésions professionnelles retient qu’elle a des douleurs à l’épaule gauche depuis le mois de septembre 1999 et consulte régulièrement la docteure Théberge pour cette condition.

[62]           Elle fait usage de nombreux médicaments malgré la consolidation de sa lésion fixée au 1er mars 2002 tels que Hydromorphone, Paxil, Vioxx, Tylenol extra-forte, Dilaudid, pour ne nommer que ceux-ci. Le Tylenol lui est prescrit par son médecin puisqu’elle ne peut faire usage de plus d’un comprimé de Vioxx par jour.

[63]           Elle n’a jamais eu de problèmes psychologiques avant sa lésion professionnelle et aujourd’hui accepte difficilement sa condition physique.

[64]           Elle consulte un psychothérapeute depuis le mois de mai 2000 et, malgré le fait que la CSST ne défraie plus le coût des consultations depuis la 12e rencontre, elle poursuit néanmoins ces consultations car elle en a besoin et cela lui procure un certain bien-être.

[65]           Elle reprend ses antécédents professionnels dont, entre autres, sa dernière fonction de cuisinière.

[66]           Elle a su concilier sa vie professionnelle en travaillant comme cuisinière le matin et comme travailleuse autonome dans l’après-midi où elle gère un salon de bronzage.

[67]           Malgré qu’elle n’ait pas complété son secondaire III, elle parle et écrit très bien le français et se débrouille en anglais.

[68]           Elle a rencontré madame Provencher à trois reprises entre juin et septembre 2002 dans le but d’identifier un emploi convenable pour elle.

[69]           Elle ne connaît pas la fonction de commis au service à la clientèle et aurait aimé bénéficier d’une formation avant la détermination de cet emploi pour se sensibiliser avec l’informatique.

[70]           Elle ne se sent pas capable d’exercer ce travail de commis au service à la clientèle et éprouve de l’anxiété face à ses démarches pour se trouver cet emploi. Elle ira jusqu’à dire qu’elle n’a pas eu d’assistance de la part de la CSST si ce n’est les quatre noms de personnes ressources avancés par sa conseillère en orientation. Après deux tentatives infructueuses, elle a décidé de jeter ces quatre noms à la poubelle.

[71]           En contre-interrogatoire, la représentante de la CSST s’attarde sur le curriculum vitae de la travailleuse dont, entre autres, les forces qu’elle y mentionne. La travailleuse parle de ces forces au passé.

[72]           En terminant, la travailleuse a espoir de s’en sortir et d’être capable de réintégrer le marché du travail.

[73]           Du témoignage de madame Martine Guay, la Commission des lésions professionnelles retient qu’elle est chef d’équipe en réadaptation à la CSST depuis 1995 et a été conseillère en réadaptation pendant 17 ans pour cet organisme.

[74]           Elle a pris en charge le dossier de la travailleuse en réadaptation au mois de mai 2002.

[75]           Malgré la mention d’état dépressif tel que le mentionne la docteure Théberge le 25 avril 2002 et détresse psychologique que rapporte monsieur Beaulieu dans son rapport du 28 juin 2002, elle estime tout de même que la travailleuse semblait apte à s’intégrer dans un processus de réadaptation visant son retour au travail dans un emploi convenable. Madame Guay réfère à ce moment aux différents intervenants qui mentionnaient que cela allait très bien avec la travailleuse.

[76]           Elle n’a pas jugé bon d’accepter la formation demandée par la travailleuse puisqu’elle avait une expérience professionnelle diversifiée.

 

L’AVIS DES MEMBRES

[77]           Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis de rejeter l’ensemble des contestations de la travailleuse.

[78]           Selon elle, les problèmes d’ordre psychologique que présente la travailleuse les 25 avril et 28 novembre 2002 relèvent exclusivement d’une démarche administrative avec la CSST et, au surplus, constate que l’état dépressif de la travailleuse n’est pas en soi un diagnostic de maladie psychologique.

[79]           Ainsi, la CSST était justifiée de ne pas défrayer le coût pour les frais de déplacement engagés pour rencontrer son médecin pour cette condition aux mois de novembre, décembre 2002 et janvier 2003.

[80]           Quant à l’emploi convenable, elle reconnaît en celui-ci le respect des critères de l’emploi convenable tel que le définit la loi et souscrit également au refus pour un programme de formation et/ou plan d’affaires proposé par la travailleuse. Pour elle, la travailleuse possède une expérience diversifiée sur le marché du travail qui comble amplement certaines lacunes.

[81]           Finalement, le refus de payer les Tylenol extra-forte se fonde sur l’absence d’ordonnance médicale à cet effet de la part de son médecin traitant.

[82]           Le membre issu des associations syndicales estime, quant à lui, que la preuve prépondérante permet d’établir de façon crédible et vraisemblable que les problèmes psychologiques que présente la travailleuse, les 25 avril et 28 novembre 2002, débordent amplement la simple relation administrative avec la CSST. Pour lui, la chronicité du phénomène douloureux impliquant l’épaule gauche de la travailleuse associée à la perte du contrôle de sa vie, perte de son emploi, perte de l’estime d’elle, constituent ici autant d’éléments de preuve qui, pris dans leur ensemble, permettent d’expliquer raisonnablement cet état dépressif que présente la travailleuse.

[83]           C’est principalement en raison de cet état dépressif qu’il croit que toute démarche en réadaptation prématurée au mois de mai 2002, d’où la conclusion qu’il tire sur l’annulation de cet emploi convenable.

[84]           Quant au litige portant sur les frais de déplacement pour les consultations auprès de son médecin aux mois de novembre, décembre 2002 et janvier 2003, il est d’avis que la CSST doit les assumer et qu’il en est de même en ce qui a trait au Tylenol extra-forte puisque ce médicament a été prescrit par son médecin traitant le 27 décembre 2001.

 

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

DOSSIER 197607-03B-0301

[85]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la CSST doit payer le coût engendré pour l’achat du Tylenol extra-forte engagé par la travailleuse le 28 décembre 2001.

[86]           La loi prévoit, à son article 188, que le travailleur victime d’une lésion professionnelle a droit à l’assistance médicale que requiert son état, l’assistance médicale comprenant, entre autres, selon l’article 189, 3e alinéa, les médicaments et autres produits pharmaceutiques.

[87]           L’article 194 de la loi établit que le coût de l’assistance médicale est à la charge de la CSST.

[88]           Dans la mesure où la CSST n’a pas entrepris une démarche en bonne et due forme pour contester la nécessité pour la travailleuse de faire usage du Tylenol extra-forte, on doit, à ce moment, reconnaître qu’elle demeure liée par cette prescription.

[89]           Dès lors, la CSST est tenue de rembourser ce médicament prescrit à la travailleuse même si, dans les faits, ce produit se retrouve en vente libre sur les tablettes.

[90]           On pourrait toujours prétendre que la travailleuse n’a pas produit une prescription au soutien de l’achat de ces Tylenol mais, encore ici, un simple appel téléphonique à la docteure Théberge aurait permis de clarifier cette situation puisque dans ses notes manuscrites du 27 décembre 2001, elle prescrivait bel et bien du Tylenol extra-forte à la travailleuse.

DOSSIER 197608-03B-0301

[91]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le plan individualisé de réadaptation visant la détermination d’un emploi convenable correspond à ce que la loi prévoit en pareille circonstance et, subséquemment, si l’emploi de commis au service à la clientèle est convenable à la travailleuse.

DOSSIERS 197609-03B-0301 ET 217901-03B-0310

[92]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la travailleuse présente, les 25 avril et 28 novembre 2002, une lésion professionnelle à titre de récidive, rechute ou aggravation et, subséquemment, déterminer si la CSST est tenue de rembourser la travailleuse des frais engagés pour se déplacer pour rendre visite à son médecin aux mois de novembre, décembre 2002 et janvier 2003.

[93]           Compte tenu des particularités du cas sous étude, la Commission des lésions professionnelles est d’avis de disposer en premier lieu des litiges axés sur la lésion psychologique que présente la travailleuse les 25 avril et 28 novembre 2002 et, si nécessaire, de traiter des litiges portant sur la réadaptation sociale.

[94]           La loi définit à son article 2, la « lésion professionnelle » comme suit :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

 

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.

 

 

[95]           Il ressort de cette définition qu’une récidive, rechute ou aggravation peut, pour les droits prévus à la loi précitée, constituer une lésion professionnelle.

[96]           En semblable matière, la Commission des lésions professionnelles et antérieurement la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) ont, à maintes reprises, réitéré toute l’importance pour le travailleur de démontrer, par une preuve prépondérante, la relation entre la nouvelle pathologie et la lésion professionnelle antérieure.

[97]           À ce titre, la Commission des lésions professionnelles retient de la preuve que la travailleuse n’a jamais présenté de lésion psychologique avant que ne survienne sa lésion professionnelle du 28 septembre 1999 impliquant son épaule gauche.

[98]           Au début, elle présente une tendinite de l’épaule gauche qui évolue vers une capsulite.

[99]           Malgré les traitements conservateurs qui se sont échelonnés sur plusieurs mois, sa condition physique ne s’est aucunement améliorée.

[100]       Le 5 octobre 2001, le docteur du Tremblay opère la travailleuse, opération vécue sous forme d’arthroscopie et acromioplastie.

[101]       Cette intervention chirurgicale n’a pas donné les résultats escomptés puisque la travailleuse demeure avec des douleurs intenses et chroniques au niveau de son épaule gauche.

[102]       Devant l’échec de ces traitements, il n’est donc pas étonnant de voir la travailleuse développer une humeur plutôt triste que prend soin de décrire la docteure Marie-Claude Côté, le 4 avril 2002. Cette dernière rapporte également que la travailleuse s’est mise à pleurer à deux reprises lors de son examen.

[103]       Dès le 25 avril 2002, la docteure Théberge, médecin qui suit la travailleuse depuis le tout début, décrit dans ses notes manuscrites que la travailleuse pleure à l’entrevue. Elle est triste et découragée. La travailleuse n’accepte pas de rester avec des douleurs intolérables, handicap physique qui l’empêche de poursuivre son travail. La docteure Théberge retient finalement le diagnostic d’état dépressif et réfère la travailleuse à un psychothérapeute après lui avoir prescrit des antidépresseurs.

[104]       Le travailleur social et psychothérapeute consulté par la travailleuse pour cet état dépressif le qualifie de sévère lors de sa première consultation le 8 mai 2002, consécutif aux douleurs chroniques et perte de son emploi. Dans son rapport daté du 28 juin 2002, monsieur Beaulieu ira jusqu’à référer à une détresse psychologique exacerbée par ce processus de réadaptation entrepris par la CSST.

[105]       Interrogé spécifiquement sur la relation entre ce problème psychologique que présente la travailleuse et son accident du 28 septembre 1999 et les conséquences orthopédiques, le docteur Jean-Pierre Bernatchez, psychiatre, réfère, dans son expertise rédigée le 17 mars 2003, au diagnostic à son axe I de trouble de l’adaptation avec humeur mixte : chronique. À son axe II, il parle d’une personnalité obsessionnelle compulsive. À son axe III, d’une tendinite et capsulite à l’épaule gauche avec limitations fonctionnelles permanentes et son axe IV, soumet que la confrontation avec la permanence des séquelles et l’impossibilité de retourner à son emploi de cuisinière a été pour la travailleuse un stresseur important majeur en ce sens que cela a abouti à une perte d’estime d’elle, un sentiment de dévalorisation, une atteinte à l’image de soi. La décision de la CSST de lui déterminer un emploi convenable, sans lui assurer une formation adéquate, est un stresseur supplémentaire aggravant la condition psychique.

[106]       Le docteur Bernatchez insiste au chapitre de son opinion pour dire que ce sont les séquelles permanentes et les limitations fonctionnelles engendrées par cet accident, et qu’elles empêchent pour toujours la travailleuse de revenir à son emploi de cuisinière dans lequel elle trouvait toute la valorisation personnelle, qui ont entraîné un trouble d’adaptation, approche que partage d’emblée la Commission des lésions professionnelles.

[107]       Ainsi, que ce soit la docteure Côté, la docteure Théberge, monsieur Beaulieu ou le docteur Bernatchez, tous s’entendent pour faire état que la travailleuse présente une lésion psychologique qui est en étroite relation avec sa lésion professionnelle initiale et des conséquences qu’elle entraîne.

[108]       La Commission des lésions professionnelles ne retient donc pas l’analyse qu’en fait la révision administrative sur le plan psychologique lorsqu’elle souligne qu’elle ne peut accepter le problème psychologique découlant de la non-acceptation par la travailleuse de sa référence en réadaptation sociale. Limiter la problématique psychologique de la travailleuse qu’à cet aspect du dossier, c’est faire abstraction des autres conséquences engendrées par cette lésion professionnelle qui, par surcroît, se trouvent abondamment avancées dans le dossier par les différents intervenants.

[109]       La Commission des lésions professionnelles ne partage pas également l’argument de l’avocate régionale lorsqu’elle écarte le diagnostic d’état dépressif comme diagnostic psychologique.

[110]       Il est vrai que le diagnostic d’état dépressif ne correspond pas à celui que l’on retrouve dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV), outil de référence utilisé pour les maladies psychologiques. Toutefois, la Commission des lésions professionnelles ne peut, sur ce seul fait, pénaliser la travailleuse et ainsi se fermer les yeux volontairement sur les symptômes qui le sous-tendent tels que humeur triste, pleurs, découragement, perte de sommeil, pour ne nommer que ceux-ci.

[111]       Par ailleurs, ce diagnostic d’état dépressif est précisé par le docteur Bernatchez dans son expertise du 17 mars 2003 lorsqu’il fait la nomenclature des cinq axes au chapitre de son diagnostic.

[112]       On peut donc retenir comme diagnostic de la lésion psychologique celui d’état dépressif ou, si l’on veut, trouble d’adaptation avec humeur mixte, diagnostic qui est en étroite relation avec les conséquences de la lésion professionnelle, du moins, c’est la conclusion qui s’impose si l’on prend en considération les nombreuses pertes auxquelles doit faire face la travailleuse telles que la perte d’une partie de sa capacité physique, la perte d’une certaine qualité de vie, la perte d’estime d’elle-même, perte de son emploi, perte de contrôle de sa vie, perte de la qualité de son sommeil.

[113]       C’est dans ce contexte des plus particuliers que la Commission des lésions professionnelles retient que la travailleuse présente une lésion professionnelle à titre de récidive, rechute ou aggravation le 25 avril 2002 sur le plan psychologique.

[114]       Cette lésion psychologique a donné lieu à la prescription d’antidépresseurs chez la travailleuse et un suivi psychologique effectué par monsieur Beaulieu.

[115]       Même si monsieur Beaulieu réfère dans son rapport d’étape du 18 octobre 2002 que l’état ou la condition dépressive de la travailleuse est résorbée en grande partie, cette mention n’est pas en soi suffisante pour nous permettre de conclure à une consolidation de cette lésion psychologique à cette date et interprète les consultations médicales subséquentes dont celle du 28 novembre 2002 comme une continuité de cette lésion première.

[116]       De plus, en aucun moment les médecins consultés par la travailleuse ont consolidé cette lésion psychologique dans le temps.

[117]       Cette conclusion fait en sorte que la travailleuse avait bel et bien droit de se faire rembourser les frais engagés pour ses déplacements afin de consulter son médecin aux mois de novembre et décembre 2002 de même qu’au mois de janvier 2003.

DOSSIER 197608-03B-0301

[118]       Tel que déjà mentionné, la Commission des lésions professionnelles doit disposer du litige portant sur l’emploi convenable et le refus par la CSST d’accorder à la travailleuse un programme de formation ou le refus d’accéder à son plan d’affaires proposé par elle.

[119]       D’entrée de jeu, la Commission des lésions professionnelles s’étonne que la CSST ait pu, dès le mois de mai 2002, entreprendre une démarche sérieuse en réadaptation avec la travailleuse compte tenu du rapport médical de la docteure Théberge du 25 avril 2002 lorsque cette dernière décrit très bien l’état dans lequel se trouve actuellement la travailleuse. Elle rapporte que cette dernière pleure pendant l’entrevue. Elle est triste et découragée face aux douleurs intolérables auxquelles se joint le handicap physique qui compromet son retour dans son emploi de cuisinière.

[120]       Cet état dépressif constaté par la docteure Théberge l’incite à prescrire à la travailleuse des antidépresseurs de même qu’une référence en psychologie.

[121]       Lors de sa rencontre du 8 mai 2002, monsieur Beaulieu, psychothérapeute, est à même de corroborer l’état de la travailleuse allant jusqu’à référer à un état dépressif sévère.

[122]       Ce tableau est également repris par ce même monsieur Beaulieu dans son rapport du 28 juin 2002 allant même jusqu’à parler de détresse psychologique exacerbée par ce processus de réadaptation.

[123]       Dès lors, la Commission des lésions professionnelles doute sérieusement que la travailleuse était capable, psychologiquement, de s’impliquer dans une démarche de réadaptation, alors qu’à sa face même, la travailleuse ne semble pas avoir fait le deuil de son emploi prélésionnel et encore moins d’accepter le tableau de douleurs chroniques qui l’affligent quotidiennement.

[124]       À cette preuve se greffe celle où la travailleuse est suivie médicalement pour sa lésion à son épaule gauche malgré la consolidation de sa lésion fixée au 1er mars 2002.

[125]       Même si la docteure Théberge se dit d’accord avec cette date de consolidation de la lésion de la travailleuse, comment expliquer l’exacerbation de douleurs lors de traitements d’ergothérapie au point de justifier le médecin à hausser à quatre comprimés par jour le Dilaudid ?

[126]       Sans vouloir reprocher à la CSST sa démarche entreprise en réadaptation, la Commission des lésions professionnelles estime néanmoins que celle-ci est prématurée en l’instance et le sera tant et aussi longtemps que la travailleuse n’aura pas atteint un plateau de récupération sur le plan psychologique.

[127]       Dans l’éventuelle reprise de cette démarche de réadaptation, la Commission des lésions professionnelles tient à souligner que, compte tenu de la personnalité de la travailleuse, la CSST devra faire preuve de prudence dans la détermination d’un emploi convenable afin de permettre à la travailleuse de développer l’assurance nécessaire pour se familiariser avec cet emploi éventuel et ainsi minimiser l’éventuelle contestation.

[128]       En conclusion, la Commission des lésions professionnelles annule à toutes fins que de droit cet emploi convenable déterminé par la CSST le 22 octobre 2002.

 

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

DOSSIER 197607-03B-0301

ACCUEILLE la requête déposée à la Commission des lésions professionnelles le 15 janvier 2003 au nom de madame Nicole Lagueux (la travailleuse);

INFIRME la décision rendue le 13 janvier 2003 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la travailleuse a droit au remboursement des frais encourus pour l’achat de Tylenol extra-forte le 28 décembre 2001.

DOSSIER 197608-03B-0301

ACCUEILLE la requête déposée à la Commission des lésions professionnelles au nom de la travailleuse le 15 janvier 2003;

INFIRME l’autre décision rendue le 13 janvier 2003 par la CSST, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE prématuré le processus de réadaptation entrepris au mois de mai 2002 devant mener à la détermination de l’emploi convenable de commis au service à la clientèle le 22 octobre 2002;

ANNULE à toutes fins que de droit la détermination de cet emploi convenable de commis au service à la clientèle déterminé à la travailleuse.

DOSSIERS 197609-03B-0301 ET 217901-03B-0310

ACCUEILLE à nouveau la requête déposée à la Commission des lésions professionnelles le 15 janvier 2003 au nom de la travailleuse;

INFIRME la décision rendue le 13 janvier 2003 par la CSST, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la travailleuse présente, le 25 avril 2002, une lésion professionnelle à titre de récidive, rechute ou aggravation;

DÉCLARE qu’elle a droit aux avantages et privilèges prévus à la loi pour cette lésion professionnelle;

ACCUEILLE également la requête déposée à la Commission des lésions professionnelles au nom de la travailleuse le 15 octobre 2003;

INFIRME la décision rendue le 14 octobre 2003 par la CSST, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la lésion que présente la travailleuse le 28 novembre 2002 ne constitue pas une lésion professionnelle à titre de récidive, rechute ou aggravation mais bel et bien une continuité de sa lésion professionnelle présentée le 25 avril 2002;

DÉCLARE finalement que la travailleuse a droit d’être remboursée des frais encourus pour se déplacer afin de consulter son médecin pour cette condition aux mois de novembre et décembre 2002 de même qu’au mois de janvier 2003.

 

 

__________________________________

 

Me Claude Lavigne

 

Commissaire

 

 

 

Me Lu Chan Khuong

BELLEMARE, ASSOCIÉS

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Odile Tessier

PANNETON LESSARD

Représentant de la partie intervenante

 

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