LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE
          DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES

     QUÉBEC    MONTRÉAL, le 2 août 1995

     DISTRICT D'APPEL   DEVANT LE COMMISSAIRE:  Me Michel Duranceau
     DE MONTRÉAL

     RÉGION:
     Île-de-Montréal
     DOSSIER:        AUDITION TENUE LE:  31 juillet 1995
     54947-60-9311

                  À        :  Montréal
     DOSSIER CSST:
     10366 4256
     DOSSIER BRP:
     6116 8409
               ___________________________________________________

     DÉCISION RELATIVE À  UNE REQUÊTE PRÉSENTÉE EN  VERTU DE L'ARTICLE
     
 
406
  DE  LA LOI  SUR  LES ACCIDENTS  DU TRAVAIL  ET  LES MALADIES
     PROFESSIONNELLES.
     

LE GROUPE DE SÉCURITÉ GARDA INC.

a/s: Robert Champagne 3601, rue St-Jacques Ouest Montréal (QC) H4C 3N4 PARTIE REQUÉRANTE et JOHANNE CORBEIL 9310A, rue Bruchesi Montréal (QC) H1Z 2P4 PARTIE INTIMÉE D É C I S I O N Le 9 mars 1995, Le Groupe de sécurité Garda Inc. (le requérant) dépose à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d'appel) une requête en révision pour cause d'une décision rendue le 31 janvier 1995 par la Commission d'appel.

La requête demande la révision de la décision rendue de façon à rejeter la réclamation de l'intimée, madame Johanne Corbeil.

À l'audience, seul le requérant est présent.

LES FAITS L'intimée a réclamé pour un accident qu'elle décrit ainsi: «Vers 13:00 samedi le 20 juin, je suis allé à la salle des dames. Il y avait des essuies-mains de papier et j'ai voulue les ramasser pour les déposer dans la poubelle. Lorsque je me suis penché j'ai ressentie un pincement au bas du dos et j'ai eu de la difficulté à me déplier.» [sic] La Commission de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) a accepté la réclamation de l'intimée et cette décision a été confirmée par le bureau de révision puis par la Commission d'appel dans sa décision du 31 janvier 1995.

DEMANDE DE RÉVISION Le requérant demande à la Commission d'appel de réviser la décision rendue et de rejeter la réclamation de l'intimée.

Le requérant prétend que le commissaire qui a rendu la décision le 31 janvier 1995 a erré en n'exigeant pas de l'intimée la preuve de la survenance d'un événement imprévu et soudain en l'absence de l'application de la présomption prévue à l'article 28 de la loi.

Le requérante prétend que l'intimée n'a pas fait de preuve de la survenance d'un fait accidentel et que la Commission d'appel ne pouvait reconnaître de lésion professionnelle chez l'intimée.

MOTIFS DE LA DÉCISION La Commission d'appel doit décider s'il y a matière à réviser sa décision rendue le 31 janvier 1995.

L'article 403 de la loi se lit comme suit: 403. Un commissaire est compétent pour instruire et décider seul d'un appel qui relève de la juridiction de la Commission d'appel.

La décision du commissaire constitue la décision de la Commission d'appel.

L'article 405 de la loi se lit comme suit: 405. Toute décision de la Commission d'appel doit être écrite, motivée, signée et notifiée aux parties et à la Commission.

Cette décision est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.

L'article 406 se lit comme suit: 406. La Commission d'appel peut, pour cause, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu.

Dans une décision rendue le 30 mars 19941, l'honorable juge Lesage de la Cour supérieure disait ceci du pouvoir prévu à l'article 406 de la loi: «Il ne peut être question pour nous de réviser au mérite les motifs de refus formulés par la CALP dans sa décision du 25 octobre 1993 à moins de lire dans l'article 406 LATMP une obligation au lieu d'une faculté. Ne pas retenir, comme motif de révision, le fait que le requérant aurait été empêché de témoigner par son propre procureur est loin d'être une erreur manifestement déraisonnable.» Le pouvoir de réviser une décision est donc une faculté qui est reconnue à la Commission d'appel de changer une de ses décisions même si cette décision est considérée comme finale et sans appel.

La règle établie par le législateur à l'article 405 de la loi c'est qu'une décision qui a été rendue par un commissaire désigné pour entendre un dossier est une décision de la Commission d'appel qui est finale et sans appel.

Il ne faut pas qu'une «demande de révision» présentée en vertu de l'article 406 de la loi devienne une façon détournée de parvenir aux mêmes fins que s'il y avait appel d'une décision rendue.

1 Fortin et Commission d'appel en matière de lésions professionnelles, [C.S. Québec, no. 200-05-003633-935].

Avant d'interpréter l'article 406 de la loi, il faut examiner en profondeur la portée de l'article 405 de la loi. En effet, le législateur a voulu qu'une décision rendue par un commissaire de la Commission d'appel soit considérée comme finale et sans appel.

Il importe de se demander ce qu'on entend par l'expression «sans appel» ou plus précisément de déterminer ce qu'est un appel.

S'il est possible de déterminer ce qu'est un appel, il sera alors possible de mieux comprendre et mieux délimiter la faculté de réviser pour cause qui est prévue à l'article 406 de la loi.

Qu'est-ce qu'un appel ? Dans le dictionnaire Petit Robert, l'appel est défini comme étant: «un recours à une juridiction supérieure en vue d'obtenir la réformation d'un jugement.

Juger san appel: en premier et en dernier ressort.

Une décision sans appel: sans possibilité de recours.

Révision: acte par lequel une juridiction supérieur examine et éventuellement met à néant une décision définitive d'une juridiction inférieure attaquée comme ayant été rendue sur pièces fausses ou reconnues depuis incomplètes. Ex: révision d'un procès, d'un jugement. Pourvoi en révision. Amélioration d'un texte par des corrections.» Dans le Larousse, l'appel est défini comme: «un recours, une voie de recours. Cour d'appel et juridiction chargée de juger en appel les décisions des tribunaux de premier degré. Sans appel: irrévocable.» Dans le dictionnaire de la langue française, on définit ainsi l'appel: «Terme de procédure. Recours à un juge supérieur. Ex.: Cour d'appel.» Dans son traité de droit administratif2, M. Patrice Garant explique ainsi la différence entre une juridiction d'appel à comparer à une juridiction qui n'aurait qu'un droit de surveillance ou de contrôle comme la Cour Supérieure: «(...) La différence essentielle entre l'appel et les recours traditionnels devant la Cour Supérieure pour lui permettre d'exercer son pouvoir de surveillance et de contrôle est qu'un tribunal d'appel peut substituer sa propre décision à celle de l'organisme dont il y a appel, alors que la Cour Supérieure n'exerce en fait qu'un pouvoir de cassation. (...).» Une partie va en appel pour demander à une Cour de juridiction d'appel d'examiner la preuve qui a été faite dans un dossier, de l'apprécier à la lumière du droit et de renverser la décision rendue s'il y a eu une erreur déterminante en faits ou en droit.

Le législateur, à l'article 405, a décidé qu'il ne pouvait y avoir d'appel à l'encontre d'une décision de la Commission d'appel. Cet article permet donc d'interpréter l'article 406 de la loi et d'y voir de nettes limitations.

Il n'y a pas d'appel d'une décision de la Commission d'appel aux termes de l'article 405 de la loi; il ne faut donc pas que l'article 406 soit utilisé ou interprété de façon à contourner les effets de l'article 405 et permettre d'arriver aux mêmes fins que s'il y avait appel d'une décision rendue.

2 Droit administratif, 3e édition, vol. I - Édition Yvon Blais, p. 228 à 230.

La faculté reconnue à la Commission d'appel de "réviser pour cause" une de ses décisions ne saurait donc être une forme d'appel à l'encontre d'une décision rendue.

Il ne faut pas voir dans la "révision pour cause" l'occasion de parvenir aux mêmes fins que si l'article 405 n'existait pas. Il ne faut pas utiliser l'article 406 pour faire indirectement ce que l'article 405 de la loi empêche de faire directement.

La Commission d'appel a souvent eu à interpréter l'article 406 de la loi. Voyons ce que la Commission d'appel disait dans une cause de Marcel Lacaille et Location de personnel R.S. Inc.3: «L'article 405 de la loi énonce clairement le caractère final, exécutoire et sans appel, des décisions de la Commission d'appel et ce n'est que par exception que l'article 406 de la loi permet la révision pour cause.

La Commission d'appel a établi par sa jurisprudence les divers éléments qui sont susceptibles d'y donner ouverture. Dans la décision de Air Canada et Monsieur Joseph Gallant, numéro 30600-61-9107, le 5 avril 1994, le commissaire Bernard Lemay écrit ce qui suit : «Il est reconnu qu'une erreur de droit ou de faits est un critère à retenir, en autant qu'elle soit manifeste et flagrante, sauf sur une question de compétence, ce à quoi le tribunal ajoutera que cette erreur doit être déterminante pour la solution de l'appel ou équivaloir à un déni de justice.

[...] Par ailleurs, la Commission d'appel a déjà énoncé que l'article 406 de la loi ne doit pas permettre de réouvrir un débat qui l'amènerait à substituer une nouvelle appréciation de la preuve, faite initialement à partir des mêmes éléments de preuve, pas plus qu'il ne doit autoriser une partie de venir compléter les lacunes de la preuve qu'elle a eu l'occasion de faire valoir en premier lieu.» Dans la présente instance, le requérant soumet que la décision du 29 janvier 1993 de la Commission d'appel constitue une interprétation manifestement déraisonnable des faits. Après avoir pris connaissance de la décision du 29 janvier 1993, après avoir examiné les motifs écrits et soumis au soutient de la requête en révision pour cause, après avoir entendu l'argumentation du représentant de la partie requérante, qui dans l'ensemble reprend celle qui a déjà été soumise devant le premier commissaire, la Commission d'appel constate que cette requête en révision constitue un appel déguisé, puisque le requérant plaide sur le mérite même de la cause et demande au présent tribunal de substituer ni plus ni moins son appréciation de la preuve et du droit applicable à celle déjà rendue par la Commission d'appel le 29 janvier 1993.

Dans le cadre d'une demande de révision pour cause, il ne s'agit pas de procéder à nouveau à argumenter et s'attendre à ce qu'un autre commissaire en décide autrement, après avoir fait le procès du cheminement suivi par le premier commissaire. 1 Comme le souligne le commissaire Bernard Lemay dans la décision précitée 2 : «Soumettre au présent tribunal l'examen du dossier dans le but évident de l'évaluer différemment intervient dans le cadre de l'exercice de droit d'appel et non dans celui d'une requête en révision pour cause d'une décision finale et sans appel.

Le commissaire qui siège en révision n'a pas à se demander s'il est d'accord ou non avec la décision 3 [C.A.L.P. no. 29176-62A-9105, 94-05-05].

rendue. Il doit vérifier si une erreur évidente et déterminante a été commise et si l'appréciation de la preuve soumise est contraire au bon sens et irrationnelle.» La décision à laquelle en arrive la Commission d'appel n'est pas irrationnelle. Le commissaire a examiné la preuve, a soupesé les témoignages, a retenu davantage les conclusions du docteur Lebire au lieu de celles du docteur Chartrand.

Il lui appartenait d'apprécier la preuve et les témoignages qu'il a entendus et ce n'est pas parce que l'on est insatisfait de la décision ou de l'appréciation de la preuve qu'en a fait un commissaire que cela justifie l'intervention d'un autre commissaire.

1 Côté et Produits forestiers Tembec Inc. [1993] C.A.L.P.

1600 .

2 id, 7» Dans le dossier sous étude, la Commission d'appel estime que l'employeur vient demander à un autre commissaire de reprendre l'analyse de la preuve, de réévaluer les faits mis en preuve et les témoignages et d'accepter les prétentions de l'employeur.

C'est là un appel déguisé à l'encontre de la décision rendue.

L'employeur plaide au fond les mêmes arguments qu'il a présentés au bureau de révision et à la Commission d'appel.

Tous les points soulevés par l'employeur ont été considérés et traités par la commissaire qui a entendu le dossier. Ce que vise l'employeur c'est d'obtenir une nouvelle appréciation de la preuve et de ses arguments et surtout des conclusions différentes. C'est là un appel évident à l'encontre de la décision rendue et il est clair, de la loi, qu'il n'y a pas d'appel d'une décision de la Commission d'appel.

L'employeur demande à la Commission d'appel de substituer son appréciation de la preuve à celle qui a été faite par le premier commissaire.

Même si un commissaire peut avoir une opinion différente ou une compréhension différente du dossier, cela n'en fait pas une cause de révision.

Une décision pourrait être révisée si elle comporte une erreur manifeste à sa face même. La Commission d'appel a la faculté de retoucher une de ses décision non pas comme opportunité pour revoir la preuve faite devant un autre commissaire mais pour corriger une incongruité ou révoquer une décision pour laquelle il y aurait des motifs de rétractation. La révision pour cause ne doit pas être vue comme une occasion de renverser une décision et de la remplacer par une toute nouvelle décision, une telle action étant considérée comme un appel.

La Commission d'appel ne voit pas de motif à réviser la décision telle que rendue le 31 janvier 1995, décision qui reprenait d'ailleurs les décisions rendues par le bureau de révision et par la Commission.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES : REJETTE la requête en révision pour cause du requérant, Le Groupe de sécurité Garda Inc.

__________________ Michel Duranceau Commissaire

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.