______________________________________________________________________
______________________________________________________________________
Dossier 251305-01C-0412
[1] Le 10 décembre 2004, monsieur Éric Pitre, le travailleur, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 26 octobre 2004 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 21 juillet 2004 et déclare que le travailleur n’a pas droit aux prestations d’aide à domicile.
Dossier 251522-01C-0412
[3] Le 21 décembre 2004, Entreprises Gérald Pitre enr., l’employeur, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue par la CSST le 26 octobre 2004 à la suite d’une révision administrative.
[4] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 21 juillet 2004 et déclare que le travailleur n’a pas droit aux prestations d’aide à domicile.
[5] Une audience est tenue à New-Richmond le 6 juillet 2005 en présence du travailleur. L’employeur est quant à lui absent.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
Dossier 251305-01C-0412
[6] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a droit aux services d’aide à domicile pour l’entretien ménager général intérieur de sa maison.
Dossier 251522-01C-0412
[7] À la lecture de la contestation de l’employeur, il est permis de constater qu’il demande à la CSST de faire droit aux prétentions du travailleur.
QUESTION PRÉLIMINAIRE (Dossier 251522-01C-0412)
[8] À la face même du dossier, il appert que la contestation de l’employeur n’a pas été logée dans le délai prévu à l’article 359 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la Loi) qui se lit comme suit :
359. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue à la suite d'une demande faite en vertu de l'article 358 peut la contester devant la Commission des lésions professionnelles dans les 45 jours de sa notification.
__________
1985, c. 6, a. 359; 1992, c. 11, a. 32; 1997, c. 27, a. 16.
[9] L’employeur est absent de l’audience et aucune preuve au dossier n’explique ce retard de sorte qu’il est impossible d’appliquer les dispositions de l’article 429.19 de la Loi qui se lit comme suit :
429.19. La Commission des lésions professionnelles peut prolonger un délai ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s'il est démontré que celle-ci n'a pu respecter le délai prescrit pour un motif raisonnable et si, à son avis, aucune autre partie n'en subit de préjudice grave.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[10] Le tribunal ne peut donc que constater l’irrecevabilité de la requête de l’employeur, les membres des associations syndicales et d’employeurs étant du même avis.
L’AVIS DES MEMBRES
Dossier 251305-01C-0412
[11] Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs partagent le même avis. Il est clair que le travailleur rencontre les exigences prévues à l’article 165 de la Loi. Le travailleur a donc droit au remboursement des frais encourus pour l’entretien de son domicile selon la demande qu’il avait déposée à la CSST.
LES FAITS ET LES MOTIFS
Dossier 251305-01C-0412
[12] Le 26 novembre 1999, le travailleur subit un accident du travail dans les circonstances décrites à l’ « Avis de l’employeur » du 10 décembre 1999 :
« J’AI LEVÉ UN TRAILLER POUR L’ATTACHER AU CAMION. J’AI SENTI UN GENRE D’EXPLOSION SE PRODUIRE DANS LE BAS DE MON DOS, J’AI ALORS LACHÉ. J’AVAIS LE DOS BARRÉ. » [sic]
[13] Une entorse lombaire est initialement diagnostiquée.
[14] Le 19 janvier 2000, le radiologiste A. Mcgowan interprète une tomodensitométrie comme révélant une hernie discale centrale L5-S1 s’appuyant sur le sac thécal.
[15] Le 25 janvier 2000, le docteur A. Papineau diagnostique une hernie discale et le 2 février 2000, il procède à une épidurale caudale.
[16] Le 27 juin 2000, une résonance magnétique est interprétée par la radiologiste Nathalie Bureau comme démontrant une discopathie à L5-S1 de même qu’une hernie discale à ce même niveau.
[17] Le 25 juillet 2000, la CSST rend une décision en vertu de l’article 365 de la Loi reconsidérant celles des 24 et 25 mai 2000 en matière de capacité de travail et d’atteinte permanente. La CSST croit que des traitements médicaux additionnels sont nécessaires et l’indemnité de remplacement du revenu reprend donc rétroactivement au 19 mai 2000.
[18] Le 15 août 2000, un électromyogramme est interprété par le docteur Bekhor comme révélant une radiculopathie L5 avec de légers changements au niveau de S1.
[19] Le 18 septembre 2000, le docteur Pierre Béliveau, physiatre, rencontre le travailleur à la demande de la CSST. Il confirme le diagnostic de hernie discale L5-S1 malgré la présence d’une forte composante non organique.
[20] Le 29 janvier 2001, une discographie est pratiquée chez le travailleur. L’injection à L5-S1 provoque une vive douleur et les clichés radiologiques démontrent une fissure radiaire complète postérieure avec petite hernie discale.
[21] Le 9 mai 2001, le docteur Béliveau revoit le travailleur. Il confirme le diagnostic de hernie discale L5-S1 toujours non consolidée vu l’approche chirurgicale par discoïdectomie devant être effectuée sous peu.
[22] Le 27 juin 2001, le travailleur subit une chirurgie au niveau lombaire.
[23] Le 14 mars 2002, une résonance magnétique est interprétée par le radiologiste Gilles Bouchard. Il conclut à un status post discoïdectomie L5-S1 gauche avec discrète réaction de fibrose cicatricielle adjacente à la racine S1 gauche. Une discopathie dégénérative multi-étagée dorsale et lombaire est également notée de même qu’un aspect inflammatoire des plateaux vertébraux adjacents à L5-S1.
[24] Le 26 mars 2002, le docteur Béliveau revoit le travailleur et confirme qu’il y avait bel et bien hernie discale lombaire L5-S1 gauche. Il fixe la consolidation au 13 mars 2002 avec un déficit anatomo-physiologique de 18% et des limitations fonctionnelles « très sévères de classe 1V » vu les résultats non satisfaisants de la chirurgie.
[25] Il appert que le docteur Béliveau qui a initialement vu le travailleur à la demande de la CSST, est devenu médecin consultant du travailleur par référence de son propre médecin traitant, le docteur Jean-Marie Pitre.
[26] Le 31 mai 2002, la CSST rend une décision admettant le travailleur en réadaptation.
[27] Le 31 mai 2002, la CSST rend une décision reconnaissant une atteinte permanente de 21.6% chez le travailleur.
[28] Le 16 février 2004, le docteur Pitre indique que la douleur est importante et réfractaire.
[29] Le 8 mars 2004, la CSST rend une décision acceptant de payer certains frais d’entretien courant du domicile du travailleur comme la tonte du gazon, le déneigement et les travaux de peinture.
[30] Le 15 mars 2004, la CSST procède à l’évaluation d’une demande de travaux d’entretien courant du domicile. Elle évalue notamment la capacité du travailleur de tondre le gazon, de peinturer et de déneiger son entrée. La CSST remet au travailleur une lettre d’acceptation du paiement des travaux d’entretien courant de son domicile mais quant au bois de chauffage, elle indique au travailleur qu’il doit fournir une preuve qu’il s’agit du mode de chauffage principal de son domicile.
[31] Le 2 avril 2004, la CSST rend une décision à l'effet qu’il est impossible de déterminer un emploi que le travailleur serait capable d’exercer à temps plein. L’indemnité de remplacement du revenu sera donc versée jusqu’à ce que le travailleur atteigne 68 ans.
[32] Le 21 juin 2004, madame Madone Bernard de l’entreprise Entre-Tiens Chaleur prépare une estimation pour l’entretien ménager chez le travailleur. Six heures de travail seront nécessaires chaque semaine à raison de 14$ l’heure.
[33] Le 21 juillet 2004, la CSST communique avec le travailleur au sujet de sa demande de prise en charge des coûts du grand ménage de sa résidence. Le travailleur mentionne qu’il vit seul et que ses besoins sont d’ordre domestique, soit l’entretien ménager, laver les planchers, nettoyer les salles de bain, etc. Il est autonome dans ses soins personnels et cette aide n’est nullement nécessaire à son maintien à domicile. Le travailleur mentionne qu’il est en train de dépérir et qu’il vit dans des conditions inacceptables.
[34] Le 21 juillet 2004, la CSST informe le travailleur qu’aucune allocation d’aide personnelle à domicile ne lui sera versée.
[35] Le 12 août 2004, le docteur Thierry Pétry, anesthésiste, indique que le travailleur a besoin d’aide personnelle à domicile. Il demande une évaluation en ergothérapie. Le même jour, un autre médecin recommande l’octroi d’une cuillère à souliers à long manche, un enfile bas en ratine flexible et une pince à long manche.
[36] Le travailleur témoigne à l’audience. Il rappelle les circonstances de l’événement du 26 novembre 1999 alors qu’il levait le bout d’une remorque de 2,000 livres. Il a alors senti une « explosion au niveau de la ceinture », est tombé par terre et a perdu le souffle.
[37] À l’été 2004, il a fait une demande écrite à la CSST pour qu’on lui rembourse les coûts d’entretien ménager de sa maison. Avant l’événement, c’est lui qui veillait à l’entretien de sa maison. Depuis 1999, le ménage de son domicile est fait soit par une copine ou encore par sa mère.
[38] D’avril 2002 à août 2003, il a habité avec sa conjointe qui s’est alors occupée du ménage. Toutefois, depuis août 2003, elle a quitté la maison et il vit seul. C’est une fois de plus sa mère qui s’occupe du ménage de même qu’une autre de ses amies.
[39] Il avait déjà tenté d’obtenir de l’aide de la CSST à ce niveau et on la lui avait refusée. Il n’avait pas porté le dossier plus loin.
[40] Suite au départ de sa conjointe en août 2003, il a obtenu des informations et s’est finalement adressé à la CSST en 2004.
[41] Il est incapable de faire le ménage de son domicile à cause des séquelles de son accident. Il ne peut pas se pencher pour laver les planchers, il ne peut lever de charges, il ne peut se tenir dans la même position trop longtemps, etc.
[42] Il peut cependant se faire à manger et laver la vaisselle. Il ne peut pas cependant faire la lessive étant incapable de se pencher, non plus que laver les fenêtres qui ne sont pas à la bonne hauteur pour lui.
[43] Sa démarche est difficile et il doit utiliser une canne. D’ailleurs, le tribunal a vu déambuler le travailleur autant dans la salle d’audience qu’à l’extérieur de la salle alors qu’il ne savait pas qu’il était observé. Il est clair dans l’esprit du tribunal que le travailleur a de la difficulté à se déplacer.
[44] Il a aussi de la difficulté à passer la balayeuse et ne peut se servir d’une vadrouille et d’un seau.
[45] Il peut faire sa toilette personnelle et s’habiller. La CSST lui a d’ailleurs payé des aides techniques à ce niveau, notamment pour enfiler ses bas, mettre ses souliers et ramasser des objets au sol.
[46] Il ne peut pas faire son lit le matin.
[47] Il veut donc un remboursement rétroactif pour le passé, même avant la production de sa demande en mai 2004. Il veut ainsi dédommager sa mère et les personnes qui ont fait ces tâches bénévolement.
[48] À la lumière de cette preuve, la Commission des lésions professionnelles doit décider du bien-fondé de la demande du travailleur d’être indemnisé pour certains coûts d’entretien ménager de son domicile.
[49] Le travailleur a été admis en réadaptation en vertu de l’article 145 de la Loi qui se lit comme suit :
145. Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 145.
[50] Quant à la réadaptation sociale, son but est élaboré à l’article 151 de la Loi :
151. La réadaptation sociale a pour but d'aider le travailleur à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s'adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l'accomplissement de ses activités habituelles.
__________
1985, c. 6, a. 151.
[51] Un programme de réadaptation sociale peut comprendre l’un ou l’autre des éléments prévus à l’article 152 de la Loi :
152. Un programme de réadaptation sociale peut comprendre notamment:
1° des services professionnels d'intervention psychosociale;
2° la mise en oeuvre de moyens pour procurer au travailleur un domicile et un véhicule adaptés à sa capacité résiduelle;
3° le paiement de frais d'aide personnelle à domicile;
4° le remboursement de frais de garde d'enfants;
5° le remboursement du coût des travaux d'entretien courant du domicile.
__________
1985, c. 6, a. 152.
[52] L’aide à domicile est prévue aux articles 158 et suivants de la Loi :
158. L'aide personnelle à domicile peut être accordée à un travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, est incapable de prendre soin de lui-même et d'effectuer sans aide les tâches domestiques qu'il effectuerait normalement, si cette aide s'avère nécessaire à son maintien ou à son retour à domicile.
__________
1985, c. 6, a. 158.
159. L'aide personnelle à domicile comprend les frais d'engagement d'une personne pour aider le travailleur à prendre soin de lui-même et pour effectuer les tâches domestiques que le travailleur effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion.
Cette personne peut être le conjoint du travailleur.
__________
1985, c. 6, a. 159.
160. Le montant de l'aide personnelle à domicile est déterminé selon les normes et barèmes que la Commission adopte par règlement et ne peut excéder 800 $ par mois.
__________
1985, c. 6, a. 160; 1996, c. 70, a. 5.
161. Le montant de l'aide personnelle à domicile est réévalué périodiquement pour tenir compte de l'évolution de l'état de santé du travailleur et des besoins qui en découlent.
__________
1985, c. 6, a. 161.
162. Le montant de l'aide personnelle à domicile cesse d'être versé lorsque le travailleur:
1° redevient capable de prendre soin de lui-même ou d'effectuer sans aide les tâches domestiques qu'il ne pouvait effectuer en raison de sa lésion professionnelle; ou
2° est hébergé ou hospitalisé dans une installation maintenue par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5).
__________
1985, c. 6, a. 162; 1992, c. 21, a. 79; 1994, c. 23, a. 23.
163. Le montant de l'aide personnelle à domicile est versé une fois par deux semaines au travailleur.
Ce montant est rajusté ou annulé, selon le cas, à compter de la première échéance suivant l'événement qui donne lieu au rajustement ou à l'annulation.
__________
1985, c. 6, a. 163.
164. Le travailleur qui reçoit de l'aide personnelle à domicile, qui accomplit une activité dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation ou qui, en raison de sa lésion professionnelle, est hébergé ou hospitalisé dans une installation maintenue par un établissement visé au paragraphe 2° de l'article 162 peut être remboursé des frais de garde d'enfants, jusqu'à concurrence des montants mentionnés à l'annexe V, si:
1° ce travailleur assume seul la garde de ses enfants;
2° le conjoint de ce travailleur est incapable, pour cause de maladie ou d'infirmité, de prendre soin des enfants vivant sous leur toit; ou
3° le conjoint de ce travailleur doit s'absenter du domicile pour se rendre auprès du travailleur lorsque celui-ci est hébergé ou hospitalisé dans une installation maintenue par un établissement ou pour accompagner le travailleur à une activité que celui-ci accomplit dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation.
__________
1985, c. 6, a. 164; 1992, c. 21, a. 80.
[53] L’article 165 de la Loi prévoit quant à lui le droit au remboursement de certains travaux d’entretien du domicile :
165. Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.
__________
1985, c. 6, a. 165.
[54] L’article 184 de la Loi établit les pouvoirs de la Commission en matière de réadaptation :
184. La Commission peut:
1° développer et soutenir les activités des personnes et des organismes qui s'occupent de réadaptation et coopérer avec eux;
2° évaluer l'efficacité des politiques, des programmes et des services de réadaptation disponibles;
3° effectuer ou faire effectuer des études et des recherches sur la réadaptation;
4° prendre toute mesure qu'elle estime utile pour favoriser la réinsertion professionnelle du conjoint d'un travailleur décédé en raison d'une lésion professionnelle;
5° prendre toute mesure qu'elle estime utile pour atténuer ou faire disparaître les conséquences d'une lésion professionnelle.
Aux fins des paragraphes 1°, 2° et 3°, la Commission forme un comité multidisciplinaire.
__________
1985, c. 6, a. 184.
[55] À l’étude du dossier, on constate que la demande du travailleur à la CSST ne vise que le remboursement de travaux d’entretien ménager. Il n’a jamais demandé d’aide personnelle puisqu’il a toujours reconnu qu’il pouvait s’occuper de lui-même, s’habiller lui-même, faire sa toilette, se déplacer dans la maison, etc.
[56] La CSST a étudié la demande du travailleur sous l’angle de l’article 158 de la Loi. Le tribunal estime qu’il a le pouvoir de l’examiner également sous l’angle de l’article 165 de la Loi. En effet, le présent tribunal possède les pouvoirs prévus à l’article 377 de la Loi :
377. La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.
Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.
__________
1985, c. 6, a. 377; 1997, c. 27, a. 24.
[57] Le fait que la CSST ait décidé d’examiner la demande du travailleur sous l’angle de la notion d’aide personnelle d’aide à domicile ne peut priver le présent tribunal de l’analyser également sous le concept d’entretien courant du domicile puisque la Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de rendre la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu.
[58] Comme la CSST pouvait examiner la demande du travailleur autant sous l’angle de l’article 158 que de l’article 165, le présent tribunal peut donc faire pareillement sans se limiter à la seule question de l’aide personnelle à domicile.
[59] Dans un premier temps, le présent tribunal est d’avis que l’article 158 ne peut en effet s’appliquer en l’espèce puisque le travailleur n’est pas incapable de prendre soin de lui-même comme il l’a d’ailleurs admis à l’audience.
[60] Toutefois, plusieurs décisions de la Commission des lésions professionnelles, dont certaines très récentes, indiquent que l’entretien ménager bien que pouvant constituer une tâche domestique au sens de l’article 159 n’en constitue pas moins un travail d’entretien courant du domicile au sens de l’article 165[2].
[61] Dans l’affaire Lebel précitée, la commissaire s’exprimait comme suit :
[26] Ce que la travailleuse demande cependant, c’est l’application de l’article 165 précité et elle soutient que l’entretien ménager qu’elle ne peut plus faire en raison des deux chirurgies au niveau lombaire, (passer l’aspirateur, laver les planchers, nettoyer les salles de bain, les vitres, etc.) constitue des « travaux d’entretien courant du domicile ».
[27] La représentante de la CSST soutient le contraire, et à ce sujet, dépose une décision rendue par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) en 19972. Dans celle-ci, le commissaire fait une distinction entre les « travaux d’entretien courant du domicile » (art. 165) et « les tâches domestiques » (art. 158). Après avoir fait état des définitions des mots « domestique » et « entretien » par le dictionnaire Petit Robert, le commissaire conclut ainsi :
« À la lumière des définitions précitées, la Commission d’appel est d’avis que le déplacement de meubles et de lavage de planchers se retrouvent davantage dans la catégorie des tâches domestiques et qu’il apparaît difficile de les relier à des soins, réparations ou dépenses qu’exige le maintien en bon état d’un bien. En somme, il s’agit de travaux requis pour la propreté, le confort et la commodité des lieux et qui ne se justifient pas au titre du maintien en bon état physique d’un bien.
(…) »
[28] Avec égard, la soussignée ne partage pas cette interprétation étroite de la notion de « travaux d’entretien courant du domicile ». Revoyons les définitions courantes et usuelles des mots « domestique » et « entretien », que l’on retrouve au Larousse:
« Domestique : 1. Qui concerne la maison, le ménage.
Entretien : 1. Action de maintenir une chose en bon état, de fournir ce qui est nécessaire pour y parvenir3. »
[29] La Commission des lésions professionnelles estime que l’on doit également examiner la définition du mot « courant » afin de préciser de quel genre de travaux d’entretien on parle à l’article 165 :
« Courant, e : 1. Qui est habituel; ordinaire, banal. Les dépenses courantes. C’est un mot tellement courant ! Un modèle courant. »
[30] Le tribunal ne peut conclure, comme le fait le commissaire Roy, que l’entretien ménager participe uniquement à « la propreté, le confort et la commodité des lieux ». Qu’il suffise d’imaginer un intérieur mal entretenu, des planchers et des tapis sales et poussiéreux, des salles de bain encrassées, des vitres et des miroirs qui ne sont pas nettoyés régulièrement, une cuisinière et un réfrigérateur malpropres pour se convaincre qu’il ne s’agit pas ici seulement de confort ou de commodité. Si un entretien régulier n’est pas fait, il est manifeste que le domicile ne sera pas « maintenu en bon état ». Il lui faut donc des soins réguliers, habituels, ordinaires, courants.
[31] Même si, à l’article 158, on parle de travaux domestiques, il faut comprendre que cette disposition s’applique à « l’aide personnelle à domicile », qui inclut certes ce genre de travaux, mais qui vise plutôt des situations beaucoup plus graves en terme de conséquences immédiates, puisqu’on associe cette aide au fait qu’un travailleur soit incapable de prendre soin de lui-même dans des activités de base comme se laver, aller à la toilette, etc. On a qu’à examiner la grille d’évaluation pour constater que l’on vise ici des cas lourds.
[32] L’article 165, quant à lui, n’est pas conditionnel à l’impossibilité de prendre soin de soi-même mais vise plutôt les cas où un travailleur demeure avec une atteinte permanente grave et, généralement, avec des limitations fonctionnelles importantes, qui l’empêchent de reprendre certaines activités pré-lésionnelles qu’il effectuait auparavant, soit des travaux d’entretien courant. De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, cette interprétation va dans la logique de la loi, qui « a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent pour les bénéficiaires4 ».
[33] Il va de soi qu’il doit y avoir présence d’une atteinte permanente grave, ce qui n’est pas remis en question ici, vu le site et la nature de la lésion ainsi que les interventions chirurgicales pratiquées. Également, la preuve indique que la travailleuse effectuait elle-même ces travaux avant la lésion professionnelle. Ce dernier élément n’est également pas contredit en l’espèce.
[34] Certes, l’aide de la famille peut être requise mais on ne peut exiger que, comme dans la présente affaire, les enfants qui vont tous à l’école à temps plein et le conjoint qui travaille à temps plein, assument toutes et chacune des tâches effectuées par la travailleuse avant l’accident. Il n’est que logique que la loi pallie à certaines situations dans le cas où des lésions professionnelles sont plus graves que d’autres.
[35] La Commission des lésions professionnelles conclut donc que la travailleuse a droit, en vertu de l’article 165 de la loi, au remboursement des frais engagés pour faire exécuter les travaux d’entretien ménager de son domicile.
___________________
2 Roy et Brasserie Channy inc., 78743-03-9604, 97-06-20 J.-G. Roy, commissaire.
3Il est intéressant de noter que la définition de « entretenu » donne l’exemple suivant : Tenu en bon état, tenu en état : maison mal entretenue ».
4 Article 1 , LATMP.
[62] Le tribunal fait sien les propos tenus par la commissaire dans cette dernière affaire. Le sens courant des mots fait en sorte que du ménage peut constituer aussi bien une tâche domestique qu’un travail d’entretien courant du domicile et, dans le cadre d’une loi remédiatrice et d’application large et libérale, il y a lieu d’inclure les travaux d’entretien ménager autant dans le concept d’aide à domicile que de travaux d’entretien courant en autant que les autres conditions élaborées par le législateur soient remplies bien entendu.
[63] Ceci étant dit, il est évident que l’atteinte permanente du travailleur peut être qualifiée de grave non seulement mathématiquement mais également à cause des graves limitations fonctionnelles qui en découlent et de l’impossibilité d’occuper tout travail décrété par la CSST. Cette atteinte grave a d’ailleurs été reconnue par la CSST qui a remboursé au travailleur d’autres travaux d’entretien courant de son domicile et qui lui a octroyé certaines aides techniques.
[64] Il est évident que le travailleur est incapable d’effectuer les tâches ménagères qu’il a décrites à l’audience comme laver les planchers, passer la balayeuse, etc. Ces tâches contreviennent à l’état du travailleur et à ses limitations fonctionnelles qui sont de classe IV, donc très sévères.
[65] Le témoignage crédible du travailleur est également retenu dans ce sens.
[66] La preuve démontre également que c’est le travailleur qui effectuerait normalement ces travaux lui-même et c’est d’ailleurs lui qui les effectuait au moment de sa lésion professionnelle. Son témoignage n’est pas contredit à cet effet et il est crédible, surtout que le travailleur vit seul.
[67] Le travailleur devrait donc être remboursé des frais d’entretien ménager courant de son domicile jusqu’à concurrence bien entendu des limites prévues par la Loi.
[68] Le travailleur aimerait que la décision du présent tribunal ait une certaine portée rétroactive. Toutefois, il serait difficile de faire droit à la réclamation du travailleur pour une période antérieure à celle-ci.
[69] Dans un premier temps, le travailleur mentionne qu’il a déjà fait des demandes dans le passé qui ont été refusées. Il devait les contester, ce qu’il n’a pas fait et le présent tribunal ne peut rien faire à ce sujet.
[70] C’est en juin 2004 que le travailleur a adressé une soumission à la CSST pour l’entretien ménager. Le tribunal estime donc que c’est à compter de cette période qu’il peut faire droit à la demande du travailleur.
[71] Dans l’affaire Fournier et Industries Devie inc.[3], la Commission des lésions professionnelles reconnaissait au travailleur le droit au remboursement de travaux futurs et non pour les travaux passés n’ayant fait l’objet d’aucune estimation ou soumission.
[72] La Loi prévoit des droits dont peuvent bénéficier les travailleurs. Toutefois, ces droits ne peuvent être mis en branle que lorsqu’un travailleur formule une demande précise à la CSST. Ainsi, un travailleur subissant une lésion professionnelle ne pourra se voir reconnaître le droit au versement d’indemnités que s’il saisit la CSST de la survenance de cette lésion. Il paraît donc logique qu’un travailleur qui veut bénéficier d’un droit prévu à la Loi doive en faire la demande à la CSST qui ne sera cependant pas obligée de compenser des périodes antérieures à cette réclamation.
[73] Toute autre interprétation ferait en sorte qu’un travailleur pourrait remettre à la CSST des factures datant de plusieurs années pour demander le remboursement de frais d’entretien courant du domicile effectués antérieurement, la mettant ainsi devant des faits accomplis.
[74] De toute façon, le travailleur n’a aucune réclamation à faire à ce niveau puisqu’il n’a jamais déboursé aucune somme pour payer l’entretien courant de son domicile, cet entretien ayant été fait bénévolement par sa mère ou certaines de ses amies. Le travailleur ne peut pas plaider pour autrui et demander aujourd’hui une indemnité pour compenser des personnes qui ont agi bénévolement et de façon altruiste envers le travailleur. Le travailleur a cependant droit au remboursement des sommes qu’il déboursera à l’avenir ou qu’il aurait déboursées depuis sa réclamation en juin 2004 pour les travaux d’entretien ménager.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Dossier 251305-01C-0412
ACCUEILLE la requête de monsieur Éric Pitre, le travailleur;
INFIRME la décision rendue par la CSST le 26 octobre 2004 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur a droit au remboursement des coûts des travaux d’entretien ménager de son domicile qu’il ne peut pas effectuer lui-même, lesquels constituent des travaux d’entretien courant au sens de l’article 165 de la Loi.
Dossier 252522-01C-0412
DÉCLARE irrecevable la requête de l’employeur, Entreprises Gérald Pitre enr.
|
|
|
Me Jean-François Clément |
|
Commissaire |
|
[1] L.R.Q., c. A-3001
[2] Voir notamment Sarazin
et Reichhold ltée, 252498-64-0412, 30
septembre 2005, T. Demers; Charlebois
et G-Net Universel ltée,
232505-64-0404, 9 juin 2005, J.-F. Martel; Fortier
et docteure Martine Pomerleau,
94282-62C-9802, 2 mars 1999, R. Hudon; Castonguay
et St-Bruno Nissan inc.,
137426-62B-0005, 21 novembre
[3] 246458-03B-0410, 4 mai
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.