Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Rodrigue et Vêtements de sport RGR inc.

2012 QCCLP 718

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Lévis

1er février 2012

 

Région :

Chaudière-Appalaches

 

Dossier :

436273-03B-1104

 

Dossier CSST :

086415106

 

Commissaire :

Ann Quigley, juge administratif

 

Membres :

Jean-Guy Guay, associations d’employeurs

 

Pierre de Carufel, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Yvette Rodrigue

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Vêtements de sport R.G.R. inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 15 avril 2011, madame Yvette Rodrigue (la travailleuse) dépose une requête devant la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 12 avril 2011, à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle initialement rendue le 15 octobre 2010 et déclare que la travailleuse est capable d’occuper l’emploi convenable déjà déterminé de téléphoniste à compter du 15 octobre 2010, date à partir de laquelle elle a droit au versement des indemnités réduites de remplacement du revenu.

[3]           De plus, cette décision confirme celle initialement rendue le 9 décembre 2010 et déclare qu’elle est bien-fondée de ne pas verser à la travailleuse une allocation d’aide personnelle à domicile.

[4]           De même, elle confirme celle initialement rendue le 15 décembre 2010 et déclare qu’elle est justifiée de refuser le paiement des frais d’entretien reliés aux travaux de peinture intérieure.

[5]           La travailleuse est présente et représentée à l’audience qui a lieu devant la Commission des lésions professionnelles siégeant à Saint-Georges-de-Beauce le 23 novembre 2011. Vêtements de sport R.G.R. inc., l’employeur, est absent bien que dûment convoqué. La cause est mise en délibéré le jour de l’audience.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[6]           La travailleuse, par l’intermédiaire de son procureur, demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la détermination d’un emploi convenable était prématurée.

[7]           Plus précisément, le procureur de la travailleuse soutient que la CSST aurait dû référer le dossier au Bureau d’évaluation médicale puisqu’il y avait un rapport médical infirmant les conclusions du médecin qui a charge relativement aux limitations fonctionnelles d’ordre psychique.

[8]           Dans l’optique où le tribunal ne retiendrait pas ce premier argument, le procureur de la travailleuse lui demande de déclarer que l’emploi de téléphoniste ne constitue pas un emploi convenable puisqu’il ne respecte pas les limitations fonctionnelles d’ordre physique que conserve la travailleuse à la suite de sa lésion professionnelle du 29 mai 1984 et de la récidive, rechute ou aggravation du 14 juillet 2006. Il demande plutôt au tribunal de conclure que la travailleuse n’a pas la capacité de faire quelque emploi que ce soit et qu’elle doit donc bénéficier du versement de l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à l’âge de 68 ans tel que le prévoit la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1](la loi).

[9]            De plus, le procureur de la travailleuse demande au tribunal de déclarer qu’elle a droit à une allocation d’aide personnelle à domicile puisque, selon la grille d’évaluation des besoins de l’assistance personnelle et domestique établie par la CSST, elle accumule un pointage de 24,5 sur 48 ce qui justifie un besoin d’assistance partielle. Il base ses prétentions sur l’évaluation de l’ergothérapeute mandatée par la CSST qui a eu lieu le 5 novembre 2010.

[10]        Finalement, le procureur de la travailleuse soutient qu’elle a droit au remboursement des travaux de peinture intérieure puisqu’il a été démontré qu’avant la récidive, rechute ou aggravation du 14 juillet 2006, elle effectuait elle-même ces travaux, qu’elle conserve une atteinte permanente grave à son intégrité physique et qu’elle a respecté les modalités de la loi en obtenant deux soumissions.

LES FAITS

[11]        La travailleuse occupe un emploi de couturière chez l’employeur au moment où elle subit une lésion professionnelle le 29 mai 1984. Elle se blesse, alors qu’en soulevant un paquet d’un poids estimé à 72 livres, elle tombe vers l’arrière et se frappe le dos contre une table.

[12]        Le diagnostic reconnu en relation avec cet accident du travail est une entorse lombaire sur une condition personnelle de spondylolyse L5-S1 gauche. Cette lésion professionnelle est consolidée le 25 octobre 1996 et la travailleuse conserve une atteinte permanente à l’intégrité physique de 2,20 % et des limitations fonctionnelles consécutives à cette lésion.

[13]        Le 9 janvier 1987, la travailleuse est victime d’une récidive, rechute ou aggravation acceptée par la CSST au terme de laquelle un déficit anatomo-physiologique additionnel de 14 % est reconnu.

[14]        Le 22 novembre 1990, à la suite de cette récidive, rechute ou aggravation, la CSST rend une décision en vertu de laquelle elle déclare que la travailleuse a la capacité d’exercer l’emploi convenable de couturière (pose de « facing » avec doublure) à compter du 20 novembre 1990.

[15]        Le 25 avril 1990, de même que le 5 décembre 1990, la travailleuse produit de nouvelles réclamations pour récidive, rechute ou aggravation, lesquelles sont refusées par la CSST.

[16]        Le 15 janvier 1993, la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles infirme la décision de capacité à exercer l’emploi convenable de couturière (pose de « facing » avec doublure) et retourne le dossier à la CSST afin qu’elle se prononce à ce sujet.

[17]        Le 25 février 1993, la CSST rend une décision déterminant que la travailleuse a la capacité d’exercer l’emploi convenable d’aide-cuisinière à compter du 26 février 1993.

[18]        Le 11 février 1998, le docteur Morin, médecin traitant de la travailleuse, pose un diagnostic de trouble d’adaptation. Le 23 juillet 1998, la CSST rend une décision refusant la relation entre l’état dépressif de la travailleuse et l’événement du 22 novembre 1996.

[19]        Le 15 décembre 1998, la révision administrative détermine que la travailleuse a la capacité d’exercer l’emploi de téléphoniste à compter du 14 décembre 1998.

[20]        Ces deux décisions sont contestées par la travailleuse devant la Commission des lésions professionnelles qui entérine un accord, le 31 octobre 2000, en vertu duquel les parties déclarent qu’elle est apte à exercer l’emploi convenable de téléphoniste, 26 heures par semaine, à compter du 14 décembre 1998. À la suite de cet accord, la travailleuse se désiste de sa contestation relativement à son état dépressif.

[21]        Il appert du dossier que, depuis le 14 décembre 1999, la travailleuse est déclarée invalide par la Régie des rentes du Québec et reçoit des prestations à cette fin.

[22]        Parallèlement, la travailleuse produit des réclamations pour récidive, rechute ou aggravation le 18 août 2000 et le 3 janvier 2006, lesquelles sont refusées par la CSST.

[23]        Elle fait de même le 14 juillet 2006. Bien que cette réclamation soit d’abord refusée par la CSST, le 21 octobre 2008, la Commission des lésions professionnelles rend une décision en vertu de laquelle elle l’accepte et reconnaît ainsi l’existence d’une récidive, rechute ou aggravation à compter du 14 juillet 2006 en lien avec le diagnostic de lombosciatalgie sur une spondylose avec listhésis au niveau L5-S1. Cette lésion professionnelle est consolidée le 31 août 2009 et la travailleuse est référée au docteur Lépine pour évaluation.

[24]        Le 16 janvier 2009, la CSST reconnait le diagnostic de trouble d’adaptation en lien avec la récidive, rechute ou aggravation du 14 juillet 2006.

[25]        Bien que la récidive, rechute ou aggravation du 14 juillet 2006 soit reconnue par la CSST, cette dernière refuse de verser une indemnité de remplacement du revenu à la travailleuse  au motif qu’elle est incapable d’exercer son emploi depuis le 14 décembre 1999, date à laquelle la Régie des rentes du Québec a commencé à lui verser une rente d’invalidité. Cette décision est confirmée par la révision administrative.

[26]        Cependant, le 27 novembre 2009, la Commission des lésions professionnelles rend une décision accueillant la contestation de la travailleuse et déclarant qu’elle a droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu à la suite de la récidive, rechute ou aggravation du 14 juillet 2006.

[27]        En lien avec cette récidive, rechute ou aggravation, la travailleuse fait l’objet d’un suivi médical assuré conjointement par son médecin traitant, la docteure Danielle Binet, et le docteur Jean-Marc Lépine, orthopédiste.

[28]        Le 16 juillet 2009, le docteur Lépine rédige un rapport final où il pose le diagnostic de lombalgie résiduelle. Il consolide la lésion en date du 19 mars 2009 et est de l’avis que la travailleuse conserve une atteinte permanente à l’intégrité physique et des limitations fonctionnelles.

[29]        Le 30 août 2009, la docteure Binet rédige également un rapport final où elle pose les diagnostics de hernie discale L4-L5 et de lombalgie. Elle consolide la lésion en date de son examen et est d’opinion que la travailleuse conserve une atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique.

[30]        Malgré ce rapport final, la travailleuse continue d’être suivie par la docteure Binet en lien avec le trouble d’adaptation avec humeur dépressive dont elle souffre, tel qu’il appert des rapports médicaux postérieurs qu’elle émet, dont celui du 30 septembre 2009 où elle recommande un suivi en psychologie.

[31]        Le 14 octobre 2009, la travailleuse est évaluée par le docteur Lépine en lien avec son problème lombaire. Au terme de son évaluation, il conclut comme suit :

Madame Rodrigue est une patiente de 64 ans qui présente un problème mécanique et inflammatoire lombaire dans un contexte de discarthrose étagée du rachis lombaire et spondylolisthésis spondylolyse grade I L5-S1. Diagnostic retenu en rapport avec l’événement du 19 octobre 2006 : entorse sur lésions dégénératives préexistantes.

 

La lésion est consolidée. Aucun traitement spécifique recommandé si ce n’est information, réassurance, conseils d’usage, protection mitigée du rachis et mise en forme progressive selon tolérance. Au besoin seulement, traitement anti-inflammatoire et analgésique. Travail adapté ou encore retraite anticipée. [sic]

 

 

[32]        Il dresse le bilan suivant des séquelles :

Séquelles actuelles :

 

204004 :    Entorse lombaire sur lésions dégénératives préexistantes :   2 %

207582 :                                                                                           7 %

207644 :                                                                                           1 %

207680 :                                                                                           1 %

207724 :                                                                                           1 %

207751 :                                                                                           3 %

207797 :                                                                                           3 %

111729 :                                                                                           5 %

111738 :                                                                                           3 %

112434 :                                                                                           1 %

 

Séquelles antérieures :

 

204004 :    Entorse lombaire sur lésions dégénératives préexistantes :   2 %

207582 :                                                                                           7 %

207644 :                                                                                           1 %

207680 :                                                                                           1 %

207724 :                                                                                           1 %

207751 :                                                                                           3 %

207797 :                                                                                           3 %

111729 :                                                                                           5 %

111738 :                                                                                           3 %

112434 :                                                                                           1 %

 

Bilatéralité :

 

Nil

 

 

[33]        La travailleuse ne conserve donc pas d’atteinte permanente à l’intégrité physique additionnelle puisqu’elle avait déjà un déficit anatomo-physiologique de 27 % et qu’il a été reconduit par le docteur Lépine.

[34]        Le 7 juillet 2009, la CSST mandate madame Mylène Fortier, ergothérapeute, afin qu’elle procède à une évaluation des besoins de la travailleuse en terme d’aide personnelle à domicile.

[35]        Le 16 décembre 2009, à la suite de l’évaluation à laquelle a procédé madame Fortier, la CSST rend une décision confirmant que la travailleuse a droit à des allocations d’aide personnelle à compter du 14 juillet 2006.

[36]        Plus précisément, pour la période du 14 juillet au 31 décembre 2006, elle a droit à la somme de 3 808,17 $; pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2007, 8 307,40 $; pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2008, 8 475,30 $ et pour la période du 1er janvier au 18 mai 2009, 3 281,64 $. De plus, la CSST précise qu’elle rendra une autre décision pour la période débutant le 19 mai 2009.

[37]        C’est ainsi que le 17 décembre 2009, la CSST rend une décision en vertu de laquelle elle accorde la prolongation de l’allocation d’aide personnelle à domicile en se basant sur l’évaluation de la condition avant le 19 mai 2009. Elle précise que l’augmentation des besoins à la suite d’une récente blessure à l’épaule n’est pas documentée et acceptée au dossier. Par conséquent, la travailleuse a droit à la poursuite de son allocation de 333,00 $ par quatorze jours à compter du 19 mai 2009, et ce, jusqu’à la prochaine révision de ses besoins en février 2010.

[38]        Même si la lésion professionnelle d’ordre physique de la travailleuse est consolidée depuis le 31 août 2009, elle continue d’être suivie par la docteure Binet en lien avec sa lésion psychique. Elle la consulte notamment les 4 novembre et 17 décembre 2009, 27 janvier, 4 mars et 8 avril 2010. En plus de prendre de la médication de type Effexor, la travailleuse bénéficie d’une psychothérapie auprès de madame Micheline Bradette, psychologue et neuropsycholoque.

[39]        Le 9 mars 2010, la CSST rend une décision confirmant que la travailleuse ne conserve pas d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique additionnelle à la suite de la récidive, rechute ou aggravation du 14 juillet 2006 et qu’elle n’a donc pas droit à une indemnité pour préjudice corporel. Cette décision ne semble pas avoir fait l’objet d’une contestation.

[40]        Le 26 avril 2010, madame Bradette rédige un rapport d’évolution psychologique au terme duquel elle recommande de poursuivre la psychothérapie individuelle aux trois semaines afin de continuer à outiller et à soutenir la travailleuse dans son cheminement en vue d’améliorer sa qualité de vie. Elle recommande dix séances supplémentaires.

[41]        Le 12 mai 2010, la condition psychologique de la travailleuse est consolidée par la docteure Binet qui rédige un rapport final où elle réitère le diagnostic de trouble d’adaptation avec humeur anxio-dépressive. Elle recommande de poursuivre la prise de médication. Elle consolide la lésion en date de son évaluation et est d’avis que la travailleuse conserve une atteinte permanente à l’intégrité physique et des limitations fonctionnelles en lien avec cette lésion.

[42]        Le 14 juillet 2010, la travailleuse est évaluée par le docteur Alain Sirois, psychiatre, à la demande de la CSST conformément à l’article 204 de la loi. Il doit se prononcer en relation avec l’existence ou non d’une atteinte permanente à l’intégrité psychique et de limitations fonctionnelles d’ordre psychique.

[43]        Au terme de son évaluation, le docteur Sirois pose l’impression diagnostique suivante :

Axe 1.     Trouble de l’adaptation avec humeur mixte, anxieuse et dépressive, d’évolution chronique en rémission partielle avancée.

 

Axe II.     Pas de diagnostic.

 

Axe III.    Douleurs chroniques, hyperlipidémie.

 

Axe IV.   Facteurs stresseurs environnementaux et psychosociaux : perte d’emploi, douleurs chroniques et limitations physiques.

 

Axe V.    Évaluation globale du fonctionnement actuel : 70 à 75.

 

 

[44]        Le docteur Sirois est d’avis que la travailleuse conserve une atteinte permanente à l’intégrité psychique de 5,75 % (code 222 547) correspondant à une névrose mineure du groupe 1. Il est, par ailleurs, d’opinion qu’elle ne conserve pas de limitations fonctionnelles.

[45]        Le 10 août 2010, la docteure Binet réagit à l’évaluation du docteur Sirois dans le cadre d’un rapport complémentaire qu’il produit à la CSST. On peut y lire ce qui suit :

J’ai pris connaissance du rapport du Dr Sirois et je suis en accord avec le pourcentage de 5 % accordé par Dr Sirois de même que ses conclusions. Madame Rodrigue devrait poursuivre la prise d’Effexor XR 75 mg sur une base régulière compte tenu de l’amélioration importante.

 

 

[46]        Le 5 novembre 2010, la travailleuse est évaluée par madame Andrée-Anne Buteau, ergothérapeute, en vue de déterminer ses besoins d’assistance personnelle et domestique. Cette évaluation a lieu à son domicile en compagnie de son conjoint, son fils et du conseiller en réadaptation, monsieur Steven Pépin.

[47]        Sous la section « Caractéristiques physiques » de son rapport, madame Buteau inscrit ce qui suit :

6. Caractéristiques physiques

 

6.1 Capacité/Incapacités fonctionnelles

 

La travailleuse présente une problématique au dos (au niveau lombaire) ainsi qu’à l’épaule droite. Ceci a un impact sur son autonomie fonctionnelle. En effet, l’ensemble des déplacements se fait avec une canne qui est tenue avec son membre supérieur gauche. La démarche générale est non harmonieuse et la tolérance debout est limitée et évaluée par la travailleuse à environ cinq minutes. Il est aussi possible d’observer que l’endurance générale est réduite puisque la travailleuse demande de s’asseoir après quelques mises en situation. Cette problématique nuit également à la prise de positions contraignantes et la travailleuse rapporte une difficulté pour prendre la position accroupie.

 

De plus, son membre supérieur droit présente, selon ce qu’elle a démontré lors de la visite au domicile, une diminution de l’amplitude articulaire à l’épaule ainsi qu’une diminution de la force. Ceci n’a cependant pas été évalué de façon formelle. La travailleuse maintient son membre supérieur constamment contre son corps, le coude fléchi à 90 degrés environ. Elle l’utilise rarement de façon spontanée selon ce qui a été observé ce jour. Elle peut atteindre les surfaces situées à la hauteur de sa taille, devant elle et celles qu’elle peut atteindre lorsque le coude est sous les 90 degrés.

 

La combinaison des deux problématiques limite le transport de charge, même léger puisque le membre supérieur gauche supporte la canne et le membre supérieur droit, constamment près de son corps, bouge peu.

 

[48]        À la lecture de ce rapport, le tribunal constate qu’effectivement la travailleuse est limitée dans plusieurs activités de la vie quotidienne.

[49]        Plus précisément, elle a de la difficulté à se lever de son lit et à s’asseoir. Cette problématique relève de sa problématique lombaire, tel que le confirme madame Buteau. Elle recommande d’ailleurs une aide technique soit une barre d’appui pour le lit.

[50]        Elle éprouve également certaines difficultés relatives à son hygiène personnelle qui justifient des aides techniques dont  l’achat d’une brosse à long manche pour faciliter le lavage du bas du corps et du dos, de même que l’essai d’un banc de douche. Ces difficultés semblent également être reliées à sa lésion lombaire qui la rend instable et limite ses mouvements de flexion et de rotation du tronc.

[51]        La travailleuse vit également des difficultés lorsqu’elle doit s’habiller qui semblent à la fois être causées par ses limitations fonctionnelles lombaires et au membre supérieur droit.

[52]        Lors des soins vésicaux et intestinaux, elle rencontre des difficultés liées au fait de s’asseoir et de se relever qui proviennent principalement de sa condition lombaire et pour lesquels madame Buteau propose également des aides techniques.

[53]        Relativement à l’alimentation, les difficultés qu’elle éprouve sont principalement liées aux limitations fonctionnelles affectant son membre supérieur.

[54]        Quant à l’utilisation des commodités de son logis, elle ne peut se rendre sécuritairement au sous-sol de son logis en raison de sa condition lombaire qui affecte sa démarche et sa stabilité à la marche.

[55]        Pour sa part, la préparation des repas est ardue tant en raison de sa problématique lombaire que des limitations à son membre supérieur droit.

[56]        L’entretien ménager, qu’il soit léger ou lourd, est également difficile en raison de la faible endurance de la travailleuse, de ses déplacements nécessitant l’utilisation d’une canne et de sa limitation relative au soulèvement de charges, tous liés à sa condition lombaire.

[57]        En ce qui a trait à la lessive, la travailleuse y parvient seule mais l’énergie déployée pour y parvenir est considérable et, selon madame Buteau, la rend peu fonctionnelle. Elle est d’avis qu’elle requiert une assistance partielle à cette fin.

[58]        Concernant ses déplacements en automobile, ils sont ardus en raison des limitations fonctionnelles qui affectent son membre supérieur droit.

[59]        Au terme de son évaluation, madame Buteau formule les recommandations et conclusion suivantes :

7. Recommandations et conclusion

 

Le mandat émis par la CSST était d’évaluer les besoins d’assistance personnelle et domestique de la travailleuse, Madame Yvette Rodrigue.

 

L’analyse des problématiques et des impacts sur les capacités fonctionnelles a été réalisée à la lumière des observations et des données recueillies lors de l’évaluation (voir section 6).

 

Pour maximiser la sécurité et l’autonomie de la travailleuse, il est de mon avis que certaines recommandations seraient pertinentes à suivre telles que :

 

·         Enlever les roulettes sous le banc qu’elle utilise dans la chambre à coucher et les remplacer par des pattes fixes et non glissantes;

·         Rapprocher les tasses de l’armoire et les placer sur la tablette inférieure de manière à pouvoir les prendre avec sa main et non sa canne. Il en est de même pour tous les accessoires qu’elle utilise régulièrement;

·         Faire l’achat d’une pince à long manche de manière à pouvoir prendre plus facilement les objets près ou sur le sol (exemple : ouvrir le tiroir à bas dans sa commode près du lit);

·         Faire l’achat d’une langue à long manche pour faciliter l’insertion du pied dans les souliers;

·         S’asseoir sur une chaise pour mettre ses souliers ou ses bottes;

·         Faire l’essai et l’achat, si requis, d’une desserte pour faciliter le transport de charges (exemple : assiettes, tasses à café, linge, etc.);

·         Faire l’essai et l’achat, si requis, d’une barre sécuritaire pour le lit afin de permettre un appui sécuritaire pour se lever et s’asseoir;

·         Faire l’essai et l’achat, si requis, d’une barre sécuritaire pour la toilette ainsi qu’un siège surélevé pour faciliter et sécuriser les transferts assis-debout à la toilette.

·         Faire l’essai et l’achat, si requis, d’un banc pour la douche afin que la travailleuse n’utilise plus le porte-savon pour s’asseoir ainsi qu’une brosse à long manche pour faciliter le lavage du bas du corps et le dos;

·         Faire l’essai et l’achat, si requis, d’un couteau à bascule et d’un enfile bas;

·         Finalement, il est recommandé que les différents essais soient supervisés par une ergothérapeute.

 

La travailleuse mentionne conduire son véhicule d’une seule main. Il serait alors pertinent d’effectuer une évaluation des besoins en adaptation du véhicule. En effet, si elle n’utilise que son membre supérieur gauche, elle n’a pas accès aux commandes situées à sa droite de façon sécuritaire (essuie-glace). [sic]

 

 

[60]        À partir des constatations faites par madame Buteau, le procureur de la travailleuse a rempli et produit au dossier la grille d’évaluation des besoins d’assistance personnelle et domestique élaborée par la CSST. Sur la base de cette grille et les constatations faites, il en vient à un pointage total de 24,5 sur 48.

[61]        Il appert des notes évolutives de la CSST qu’à la réception du rapport de l’ergothérapeute, madame Buteau, la CSST a conclu qu’en lien avec la lésion professionnelle au dos, elle n’avait aucun besoin d’aide personnelle à domicile. Le conseiller en réadaptation lui a d’ailleurs fourni des explications afin qu’elle comprenne qu’il ne peut tenir compte de sa condition globale qui inclut sa condition personnelle en vue de déterminer les besoins d’évaluation d’aide personnelle à domicile. Il appert des notes de monsieur Pépin, conseiller en réadaptation, qu’il prend notamment en considération le fait que la travailleuse est seule à son domicile quatre jours sur sept, ce qui témoigne qu’elle est capable de prendre soin d’elle-même et que son maintien à domicile n’est pas compromis puisqu’elle accomplie seule ses activités quotidiennes.

[62]        Il appert également des notes évolutives de la CSST que la travailleuse a fait une demande afin d’obtenir le paiement de travaux de peinture intérieure. Madame Tremblay de la CSST est entrée en communication avec elle le 15 décembre 2010 afin d’obtenir plus de détail sur son domicile et les circonstances entourant cette réclamation.

[63]        Lors de cette conversation téléphonique, madame Christiane Tremblay apprend que la travailleuse habite une maison unifamiliale avec son conjoint qui est cependant à l’extérieur du pays de mars à décembre de chaque année. Elle dit qu’elle est mariée depuis l’âge de 20 ans avec cet homme qui est son ainé de cinq ans et qu’il a toujours travaillé aux États-Unis dans le domaine de la construction. Ils ont donc eu une relation à distance. Il la visitait aux trois semaines et ils ont eu trois fils qui ont 32, 30 et 26 ans, dont deux travaillent également aux États-Unis.

[64]        Au terme de son analyse, madame Tremblay en arrive aux conclusions suivantes :

Analyse

 

Afin d’être admissible à notre programme, le travailleur doit obligatoirement être porteur d’une atteinte permanente grave suite à sa lésion et nous démontrer qu’il effectuait lui-même ces travaux avant son accident. Dans certain cas en prenant en considération la gravité de la lésion et l’âge du travailleur au moment de l’accident nous pouvons appliquer la notion de n’eût été de sa lésion il aurait effectué lui-même ces travaux. Pensons à un jeune qui demeure chez ses parents au moment de son accident, où habite un premier logement. Dans la situation de la travailleuse, il nous apparaît plausible que son conjoint déjà dans le domaine de la construction pouvait peinturer sa maison lors de ses congés. Nous ne pouvons retenir l’affirmation de ses allergies à l’odeur de peinture car il existe de la peinture qui ne dégage pas de senteur incommodante. Lorsqu’on travaille dans le domaine de la construction on peut s’attendre à être en contact avec différentes sortes d’odeur. Nous ne pouvons imaginer que son conjoint ainsi que ses fils auraient laissés leur mère déjà très occupée par son métier de couturière et de l’entretien de la maison avant son accident de 1984, entreprendre la peinture complète de la maison.

 

Nous ne remettons pas en cause les limitations fonctionnelles de la travailleuse mais nous n’avons pas la démonstration qu’elle peinturait elle-même sa maison sans aide avant son accident de 1984. [sic]

 

 

[65]        La CSST rend donc deux décisions le 15 décembre 2010. La première déterminant qu’elle n’a pas droit à une allocation pour aide personnelle à domicile et la seconde refusant le remboursement des travaux de peinture intérieure.

[66]        Parallèlement, le 13 octobre 2010, monsieur Pépin, conseiller en réadaptation, analyse le dossier de la travailleuse en vue de se prononcer sur sa capacité de travail.

[67]        Selon les informations apparaissant au dossier, il semble s’être fié à une description de ce poste préparée par Emploi Québec sur son site IMT en ligne[2]. Le poste y est ainsi décrit :

Téléphoniste

 

Nature du travail

 

Les téléphonistes se servent de réseaux téléphoniques informatisés afin d’acheminer et d’établir les communications. Ils travaillent dans des compagnies de téléphone.

 

Champs d’intérêt

 

Travailler dans la vente et le service à la clientèle

Travailler dans un bureau

 

Fonctions principales

 

Les téléphonistes exercent une partie ou l’ensemble des fonctions suivantes :

-se servir des réseaux téléphoniques pour acheminer et établir les communications téléphoniques telles que les appels interurbains, les appels en provenance de téléphones publics ou de radiotéléphones mobiles, les appels de personne à personne et les appels d’urgence;

-utiliser des systèmes d’assistance-annuaire informatisés ou consulter des annuaires imprimés pour fournir des renseignements aux clients;

-organiser des téléconférences, fournir des services d’urgence et offrir le service de relais téléphoniques aux personnes ayant une déficience;

-calculer les frais d’appel à facturer et les consigner.

 

Caractéristiques principales de la profession 

 

Intérêts

 

Méthodique-Social-Objectif

 

Activités physiques

 

·         Vision rapprochée

·         Communication verbale

Les activités professionnelles exigent une communication verbale avec des collègues, clients et le public, de façon régulière.

·         Assis

Les tâches professionnelles sont accomplies principalement dans la position assise. Certaines tâches peuvent être exécutées en position debout ou en marche, toutefois ces postures sont d’importance secondaire.

·         Coordination des membres supérieurs

L’activité exige la coordination des membres supérieurs.

·         Limitée

Les activités exigent de soulever jusqu’à 5 kg.

 

[68]        Au terme de son analyse, il constate que les limitations fonctionnelles de la travailleuse sont d’éviter les manipulations répétitives de charges de plus de 5 à 10 kg, éviter les extrêmes des mouvements, les mauvaises postures, éviter l’immobilisation fixe prolongée, ne pas marcher longtemps ou garder longtemps la même posture, éviter les contrecoups et les vibrations de basses fréquences au niveau du rachis. Il conclut que l’emploi convenable déjà déterminé de téléphoniste respecte entièrement les nouvelles limitations fonctionnelles de la travailleuse telles qu’émises par le docteur Lépine.

[69]        Ce même jour, il rencontre la travailleuse qui l’informe qu’elle est en attente d’une chirurgie à l’épaule droite.

[70]        Le 14 octobre 2010, monsieur Pépin communique à nouveau avec la travailleuse afin de l’informer qu’il conclut qu’elle a la capacité d’occuper l’emploi de téléphoniste déjà établi puisqu’il respecte les limitations fonctionnelles émises par le docteur Lépine et qu’il met toujours à profit ses capacités résiduelles.

[71]        Par conséquent, le 15 octobre 2010, la CSST rend une décision en vertu de laquelle elle confirme que la travailleuse a la capacité d’occuper l’emploi de téléphoniste à compter du 15 octobre 2010 avec reprise du versement des indemnités réduites de remplacement du revenu. La révision administrative confirme la décision rendue le 15 octobre 2010 de même que celle rendue le 15 décembre 2010 relative aux travaux de peinture intérieure et à l’allocation personnelle d’aide à domicile. Le tribunal est actuellement saisi d’une requête à l’encontre de ces décisions.

[72]        La travailleuse témoigne à l’audience.

[73]        Relativement aux travaux de peinture intérieure, elle affirme qu’elle a toujours peinturé elle-même sa maison, et ce, jusqu’à la survenance de la récidive, rechute ou aggravation du 14 juillet 2006. Après cette lésion, elle a tenté à nouveau de peinturer, mais n’y est pas parvenue puisqu’elle a de la difficulté à faire des flexions du tronc. À ce sujet, elle affirme que sa condition lombaire, depuis la récidive, rechute ou aggravation de juillet 2006, est cinq à dix fois pire qu’avant. Elle ne peut rester assise sans ressentir des brûlements importants et une sensation d’aiguille dans le dos. De plus, elle ressent des pincements et une torsion constante. Elle doit utiliser une canne pour marcher et la douleur irradie souvent dans la jambe gauche. Elle confirme les constats du docteur Lépine selon lesquels elle a une tolérance à la marche de 20 à 25 minutes après quoi elle perd l’équilibre et n’est plus capable de se tenir debout.

[74]        La travailleuse informe le tribunal que le 22 novembre 1996, elle a été victime d’un accident à l’épaule droite pour lequel elle a fait une réclamation à la CSST qui l’a acceptée. En lien avec cette lésion professionnelle, elle a dû subir deux interventions chirurgicales dont la dernière, une acromioplastie pratiquée par le docteur Lirette au Centre Paul-Gilbert le 27 juin 2011. Cette réclamation a également été acceptée par la CSST. Le tribunal ne dispose cependant pas des détails de ce dossier.

[75]        En ce qui a trait à sa capacité à exercer l’emploi de téléphoniste, la travailleuse dit qu’elle ne se sent pas en mesure de le faire. Elle insiste sur le fait qu’aucun employeur ne va accepter qu’elle se lève à toutes les quatre ou cinq minutes dans ce type d’emploi.

[76]        De plus, elle ne se sent pas capable d’effectuer quelque travail que ce soit selon un horaire de 40 heures par semaine. À ce sujet, la soussignée lui rappelle que l’emploi convenable de téléphoniste qui avait été déterminé dans le cadre d’un accord entériné par le présent tribunal l’était pour une période de 26 heures par semaine. La travailleuse se ravise et soutient qu’elle n’est pas capable d’effectuer 26 heures par semaine. Elle éprouve particulièrement des difficultés à se déplacer en voiture.

[77]        De plus, elle se sent incapable d’occuper un tel poste au plan psychologique. Elle affirme ne pas avoir « l’humeur » requise pour répondre au téléphone. Elle dit avoir bien assez à supporter sa personne.

[78]        De même, si elle veut être à l’heure au travail, elle affirme qu’elle devra se lever vers 3 h du matin et aura besoin d’aide pour y parvenir ainsi que pour s’habiller.

[79]        En ce qui a trait à l’aide personnelle à domicile, la travailleuse précise qu’elle habite une résidence à deux paliers (« split level »). Au rez-de-chaussée se retrouvent la cuisine, la salle de lavage, le salon, deux chambres à coucher et une salle de bain. Au sous-sol se retrouvent deux autres chambres à coucher, un bureau et la chambre de chauffage.

[80]        La travailleuse réfère ensuite le tribunal à l’évaluation en ergothérapie à laquelle a procédé madame Buteau, en 2010, qui a démontré, selon elle, qu’elle n’a pas la capacité de se lever seule. C’est son mari qui l’aide.

[81]         De même, elle dénonce le fait que les aides techniques suggérées par madame Buteau ne sont pas encore en place et que la CSST ne s’est occupée de rien, hormis le banc installé dans la douche.

[82]        Quant à son hygiène personnelle, elle ne peut y procéder seule. Elle est incapable de se laver la tête, le dos et de se couper les ongles d’orteils. La travailleuse dit que sa sœur vient deux fois par semaine et le reste du temps c’est son mari qui l’aide. Interrogée à ce sujet, la travailleuse est plutôt floue sur le fait que son mari est absent une bonne partie de l’année et sur la manière dont elle pallie cette absence.

[83]        La travailleuse poursuit en affirmant qu’elle est incapable de s’habiller, ne peut mettre ses bas, ses bottes ou souliers puisqu’elle ne peut effectuer de flexion du tronc. Elle a donc toujours besoin de son mari qui l’aide à s’asseoir et à se lever lorsqu’elle va à la toilette. C’est même lui qui l’essuie.

[84]        Pour les repas, elle se débrouille pour le déjeuner, mais n’est pas capable de préparer son diner ou son souper puisqu’elle n’a qu’une seule main de disponible. À titre illustratif, elle ne peut manger de patates ou de carottes puisqu’il est impossible pour elle de les peler. Elle est incapable de s’appuyer sur le comptoir de la cuisine, ce qui complique sa tâche. Elle n’est plus en mesure de faire l’entretien ménager, puisqu’une main tient sa canne et l’autre a récemment été opérée. Elle ne peut faire la lessive non plus, c’est son mari qui s’en charge, tout comme l’épicerie. Elle ne conduit son automobile que de chez elle à chez sa sœur qui demeure à une distance de moins de un mille. Elle ne peut y aller à pied puisque sa sœur habite en haut d’une pente, rendant la marche plus exigeante.

[85]        En raison de la configuration de son domicile, la travailleuse éprouve des difficultés à emprunter l’escalier et a peur de chuter puisqu’elle se fie plus à sa canne qu’à sa jambe. Elle ne descend plus au sous-sol. Son ordinateur a donc été placé dans sa chambre au rez-de-chaussée.

[86]        Quant aux travaux de peinture intérieure, la travailleuse affirme sous serment que son mari est allergique à la peinture et au vin et qu’il a d’ailleurs failli mourir en buvant du vin. Il n’est donc pas en mesure d’effectuer la peinture intérieure, c’est toujours elle qui l’a faite. Elle précise que bien que son mari évolue dans le domaine de la construction, il fait ce qu’elle qualifie de « rough » et non de la finition comme la peinture.

L’ARGUMENTATION DES PARTIES

[87]        Dans un premier temps, le procureur de la travailleuse se dit estomaqué par la décision de la CSST refusant toute aide personnelle à domicile alors qu’elle se base sur une évaluation en ergothérapie demandée par la CSST qui établit des besoins clairs d’aide personnelle à domicile. Il constate que toutes les adaptations proposées par madame Buteau, hormis la chaise pour la douche, ont été ignorées.

[88]        Selon le procureur de la travailleuse, la CSST ne pouvait écarter l’opinion de son propre expert, soit l’ergothérapeute, selon laquelle, la travailleuse a de la difficulté à effectuer certaines activités de la vie courante pour lesquelles elle a besoin d’aide personnelle à domicile sans quoi les limitations fonctionnelles du docteur Lépine ne seront pas respectées. Selon lui, la CSST aurait dû procéder aux adaptations proposées puis faire une nouvelle évaluation en ergothérapie pour voir en quoi ces adaptations pallient aux limitations de la travailleuse.

[89]        Relativement aux travaux de peinture intérieure, le procureur de la travailleuse insiste sur le fait que la capacité du mari à effectuer ces tâches n’est pas pertinente en l’espèce. Selon lui, la question est plutôt de savoir qui effectuait ses travaux avant la réclamation pour récidive, rechute ou aggravation du 14 juillet 2006.

[90]        Or, il rappelle que la travailleuse a affirmé sous serment que c’est elle qui y procédait. Il soutient que ce témoignage est corroboré par le fait qu’avant l’accident du travail initial, et même avant la récidive, rechute ou aggravation de juillet 2006, la travailleuse n’a jamais réclamé à la CSST pour ce type de travaux.

[91]        Au surplus, il rappelle que son mari est allergique et n’effectue pas ce genre de tâches. Il prétend donc que la travailleuse respecte les critères établis à l’article 165 de la loi, soit qu’elle est porteuse d’une atteinte permanente grave à l’intégrité physique et qu’elle a produit des soumissions, tel que l’exige la CSST. Il demande donc au tribunal d’ordonner à la CSST de payer la soumission la plus basse, soit celle de monsieur Michel Lapierre qui se retrouve au dossier.

[92]        Quant à l’emploi convenable de téléphoniste, il soutient que cet emploi a été déterminé de façon prématurée puisque le dossier aurait dû être confié au Bureau d’évaluation médicale à la suite du rapport complémentaire de la docteure Binet où elle ne se prononce pas sur la question des limitations fonctionnelles d’ordre psychique. Il demande donc au tribunal de déclarer que l’emploi de téléphoniste a été déterminé de façon prématurée et de retourner le dossier à la CSST afin qu’elle demande un avis au Bureau d’évaluation médicale à l’égard des limitations fonctionnelles d’ordre psychique.

[93]        De façon subsidiaire, si le tribunal ne retient pas ce premier élément, il argue que la travailleuse n’est pas en mesure d’effectuer l’emploi convenable de téléphoniste en s’appuyant sur les limitations fonctionnelles émises par le docteur Lépine et l’évaluation faite par madame Buteau, de même que l’aide personnelle dont elle a besoin.

[94]        De plus, il signale que rien dans cet emploi ne convient à la travailleuse puisque, d’une part, il doit être effectué en position assise prolongée, ce qu’elle ne peut faire. D’autre part, il exige une bonne humeur et de la convivialité, ce que la travailleuse n’est pas en mesure d’offrir en raison de ces problèmes d’ordre psychologique. Il rappelle qu’elle a de la difficulté à sortir de son lit, à se déplacer dans la maison et se demande comment, dans de telles circonstances, elle pourrait occuper un emploi convenable de téléphoniste. Il demande au tribunal de conclure que la travailleuse n’est pas capable d’effectuer quelque emploi que ce soit.

L’AVIS DES MEMBRES

[95]        Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs partagent le même avis.

[96]        Ils considèrent que la travailleuse n’a pas la capacité d’exercer l’emploi de téléphoniste compte tenu des limitations fonctionnelles additionnelles émises par le docteur Lépine et par lesquelles le tribunal est lié.

[97]        Plus précisément, les membres considèrent que cet emploi ne respecte pas les limitations fonctionnelles puisqu’elle exige de maintenir une position assise, ce que la travailleuse ne peut faire longtemps.

[98]        Par ailleurs, ils considèrent qu’il est trop tôt pour se prononcer à l’égard des besoins de la travailleuse en termes d’assistance personnelle à domicile. Ils sont d’opinion que, dans un premier temps, la CSST doit mettre en place les recommandations de l’ergothérapeute qu’elle a mandatée. Après cela, il lui faudra réévaluer les besoins de la travailleuse.

[99]        Quant aux frais de peinture intérieure, ils sont d’opinion que le travailleuse a démontré qu’elle conserve une atteinte permanente grave, qu’elle effectuait ces travaux elle-même avant la récidive, rechute ou aggravation du 14 juillet 2006 et qu’elle a fait des démarches afin de connaître les frais pouvant être engagés par un tel entretien du domicile.

[100]     Ils sont donc d’avis d’accueillir la requête déposée par la travailleuse le 15 avril 2011 et d’infirmer la décision rendue par la CSST le 12 avril 2011 à la suite d’une révision administrative.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[101]     La Commission des lésions professionnelles doit se prononcer sur la capacité de la travailleuse à la suite de la récidive, rechute ou aggravation du 14 juillet 2006 de la lésion professionnelle initiale du 28 mai 1984.

[102]     Pour ce faire, le tribunal est lié par les diagnostics de lombalgie sur une spondylose listhésis L5-S1 et de trouble de l’adaptation avec humeur mixte, anxieuse et dépressive.

[103]     À la suite de la lésion professionnelle initiale et de la récidive, rechute ou aggravation de janvier 1987, la travailleuse conserve, en lien avec sa condition lombaire, une atteinte permanente à l’intégrité physique et des limitations fonctionnelles de classe 2 selon l’IRSST, déterminés par le docteur Calderon, soit d’éviter:

·        d’accomplir de façon répétitive ou fréquente les activités qui impliquent de soulever, porter, pousser, tirer des charges de plus de 5 à 15 kg;

 

·        de travailler en position accroupie, ramper, grimper;

 

·        d’effectuer des mouvements répétitifs ou fréquents de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire, même de faible amplitude;

 

·        d’effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d'extension ou de torsion de la colonne lombaire;

 

·        de subir des vibrations de basses fréquences ou des contrecoups à la colonne vertébrale;

 

·        de monter fréquemment plusieurs escaliers et de marcher en terrain accidenté ou glissant.

 

 

[104]     Le tribunal rappelle qu’un accord intervenu à la Commission des lésions professionnelles en 2000 a établi que la travailleuse avait la capacité d’occuper l’emploi convenable de téléphoniste à raison de 26 heures par semaine en se basant sur ces limitations fonctionnelles.

[105]     Par ailleurs, en lien avec la récidive, rechute ou aggravation du 14 juillet 2006, la travailleuse conserve des limitations fonctionnelles que le docteur Lépine qualifie de classe 1 selon l’IRSST mais qu’il décrit ainsi:

·         éviter les manipulations répétitives de charges de plus de 5 à 10 kg;

·         éviter les extrêmes des mouvements, l’immobilisation fixe prolongée, les mauvaises postures, les contrecoups et les vibrations de basses fréquences au niveau du rachis.

·         De plus, la travailleuse ne peut marcher longtemps et ne peut garder longtemps la même posture.

 

[106]     À la lecture de ces limitations fonctionnelles, le tribunal constate que bien que le docteur Lépine les qualifie de classe 1, elles sont plus restrictives que celles qui ont initialement été émises par le docteur Calderon, qu’il qualifiait pourtant de classe 2.

[107]     Relativement à sa lésion d’ordre psychique, la travailleuse conserve une atteinte permanente à l’intégrité psychique de 5,75 %, mais ne conserve pas de limitations fonctionnelles.

[108]     À cet égard, le tribunal ne retient pas les prétentions du procureur de la travailleuse selon lesquelles son dossier aurait dû être dirigé au Bureau d’évaluation médicale en présence d’un avis infirmant celui du médecin qui a charge, la docteure Binet.

[109]     Le tribunal constate plutôt de la preuve que la travailleuse a été évaluée par le docteur Sirois qui a conclu qu’elle ne conservait pas de limitations fonctionnelles d’ordre psychique.

[110]     Or, conformément aux mécanismes prévus à la loi, en réaction à l’évaluation du docteur Sirois, le médecin qui a charge a rédigé un rapport complémentaire par l’intermédiaire duquel il s’est prononcé comme suit :

J’ai pris connaissance du rapport du Dr Sirois et je suis en accord avec le pourcentage de 5 % accordé par Dr Sirois de même que ses conclusions. Madame Rodrigue devrait poursuivre la prise d’Effexor XR 75 mg sur une base régulière compte tenu de l’amélioration importante.

 

[Notre soulignement]

 

[111]     Avec respect pour l’avis contraire, le tribunal ne partage pas l’interprétation que fait le procureur de la travailleuse de ce rapport complémentaire. Une simple lecture du rapport permet au tribunal de comprendre que la docteure Binet est en accord avec les conclusions du docteur Sirois selon lesquelles la travailleuse ne conserve pas de limitations fonctionnelles d’ordre psychique.

[112]     Par conséquent, le tribunal est d’avis qu’il n’était pas prématuré pour la CSST de se prononcer à l’égard de la capacité de la travailleuse au moment où elle y a procédé.

[113]     Ceci étant établi, le tribunal entend se prononcer sur la capacité de la travailleuse en fonction des conséquences médicales d’ordre physique consécutives à la récidive, rechute ou aggravation du 14 juillet 2006 auxquels il est fait référence plus haut.

 

[114]     L’article 44 de la loi prévoit le droit à l’indemnité de remplacement du revenu en cas d’incapacité d’un travailleur à exercer son emploi. Cet article se lit comme suit :

44.  Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.

 

Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.

__________

1985, c. 6, a. 44.

 

[nos soulignements]

 

[115]     De plus, l’article 46 de la loi crée une présomption d’incapacité tant que la lésion professionnelle n’est pas consolidée :

46.  Le travailleur est présumé incapable d'exercer son emploi tant que la lésion professionnelle dont il a été victime n'est pas consolidée.

__________

1985, c. 6, a. 46.

 

[notre soulignement]

 

[116]     Lorsque la lésion professionnelle est consolidée, tel que c’est le cas dans le présent dossier, le travailleur ou la travailleuse continuent d’avoir droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu conformément à l’article 47 de la loi qui se lit comme suit, et ce, tant qu’il a besoin de réadaptation :

47.  Le travailleur dont la lésion professionnelle est consolidée a droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 tant qu'il a besoin de réadaptation pour redevenir capable d'exercer son emploi ou, si cet objectif ne peut être atteint, pour devenir capable d'exercer à plein temps un emploi convenable.

__________

1985, c. 6, a. 47.

 

[nos soulignement]

 

[117]     Par ailleurs, c’est l’article 145 de la loi qui établit les conditions requises pour avoir droit à la réadaptation en ces termes :

145.  Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 145.

 

[Nos soulignement]

 

 

[118]     En l’espèce, le tribunal constate que la travailleuse ne conserve pas d’atteinte permanente à l’intégrité physique additionnelle à la suite de sa récidive, rechute ou aggravation du 14 juillet 2006. C’est ce qui appert notamment de la décision rendue par la CSST le 9 mars 2010.

[119]     Néanmoins, la jurisprudence[3] de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles et de la Commissions des lésions professionnelles a établi que, même dans des circonstances où un travailleur ou une travailleuse ne conserve pas d’atteinte permanente à l’intégrité physique, il lui est possible d’avoir accès au processus de réadaptation dans la mesure où il conserve des limitations fonctionnelles.

[120]     En l’espèce, le tribunal constate que la travailleuse ne conserve pas d’atteinte permanente à l’intégrité physique additionnelle, mais conserve des limitations fonctionnelles supplémentaires à la suite de la récidive, rechute ou aggravation du 14 juillet 2006.

[121]     En effet, en comparant les limitations fonctionnelles émises en 1988 par le docteur Calderon et celles établies par le docteur Lépine dans le cadre de son évaluation du 14 octobre 2009, il en ressort notamment que la travailleuse est plus limitée à l’égard des charges qu’elle peut soulever et relativement aux postures statiques qu’elle ne peut conserver longtemps.

[122]     La travailleuse a donc droit à la réadaptation.

[123]     Dans le cadre de ce processus, à la lumière des limitations fonctionnelles supplémentaires que conserve la travailleuse, la CSST devait d’abord déterminer si la travailleuse avait la capacité ou non de refaire son emploi prélésionnel.

[124]     Dans la présente affaire, la travailleuse n’occupait aucun emploi au moment où elle a produit sa réclamation pour récidive, rechute ou aggravation du 14 juillet 2006.

[125]     Dans ce contexte, afin d’établir sa capacité de travail, la CSST s’est basée sur l’emploi convenable de téléphoniste déterminé dans le cadre d’un accord entériné par la Commission des lésions professionnelles, le 31 octobre 2000, en vertu duquel les parties ont reconnu que la travailleuse avait la capacité d’occuper cet emploi à raison de 26 heures par semaine.

[126]     Le tribunal est d’avis que la CSST était bien-fondée de se prononcer sur la capacité de la travailleuse en regard de cet emploi qui était le dernier emploi qu’elle avait la capacité d’exercer avant la lésion professionnelle du 14 juillet 2006. D’ailleurs, le procureur de la travailleuse n’a fait aucune représentation à ce sujet.

[127]     Le conseiller en réadaptation a analysé la capacité de travail de la travailleuse en fonction des limitations fonctionnelles émises par le docteur Lépine et conclut que l’emploi de téléphoniste respecte entièrement ces limitations fonctionnelles.

[128]     Le tribunal constate que cette analyse semble avoir été faite de façon plutôt sommaire.

[129]     En effet, une référence à la description du poste sur la base de laquelle il appuie sa décision permet de constater que l’emploi de téléphoniste s’effectue en position assise.

[130]     Or, l’une des principales caractéristiques des limitations fonctionnelles émises par le docteur Lépine est qu’elle prévoit que la travailleuse ne peut garder longtemps la même posture. Ceci a d’ailleurs été confirmé par la principale intéressée dans le cadre de son témoignage et non contredit par la preuve au dossier.

[131]     Dans de telles circonstances, le tribunal s’explique mal la conclusion à laquelle en arrive la CSST à cet égard.

[132]     Puisque l’une des conditions d’exercice de l’emploi de téléphoniste est de l’effectuer en position assise et que la travailleuse n’est pas en mesure de maintenir cette position de travail longtemps, le tribunal en conclut qu’elle n’a pas la capacité d’occuper cet emploi, même selon un horaire de 26 heures par semaine.

[133]     Par conséquent, la CSST aurait dû conclure que la travailleuse ne pouvait occuper cet emploi et ensuite déterminer un emploi convenable qu’elle aurait pu exercer.

[134]     À ce sujet, le procureur de la travailleuse plaide qu’elle ne peut plus occuper quelque emploi que ce soit en raison de ses limitations fonctionnelles et demande au tribunal de conclure en ce sens.

[135]     Il est vrai qu’en raison des limitations fonctionnelles qu’elle conserve à la suite de la récidive, rechute ou aggravation du 14 juillet 2006, la travailleuse est relativement limitée quant aux possibilités d’emploi qu’elle pourrait exercer.

[136]     Le tribunal comprend également de son témoignage qu’elle risque de conserver des limitations fonctionnelles supplémentaires en relation avec une autre lésion professionnelle au membre supérieur droit.

[137]     Cependant, le tribunal n’a pas le portrait de la situation en ce qui a trait à cette seconde condition, n’en étant pas saisi. Il lui apparaît donc plus sage, dans les circonstances, de retourner le dossier à la CSST afin qu’elle se prononce sur sa capacité à exercer un emploi en prenant en considération la globalité de sa condition.

[138]     Tant que la CSST ne se sera pas prononcée sur la capacité de la travailleuse, cette dernière conserve le droit à l’indemnité de remplacement du revenu.

TRAVAUX DE PEINTURE INTÉRIEURE

[139]     La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la travailleuse a droit au remboursement des frais de travaux d’entretien de son domicile et plus particulièrement des travaux de peinture intérieure.

[140]     L’article 165 de la loi s’applique à une telle demande. Il prévoit ce qui suit :

165.  Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.

__________

1985, c. 6, a. 165.

 

[nos soulignements]

 

 

[141]     Il appert de cet article que trois conditions sont requises afin de bénéficier du remboursement des frais liés à l’entretien courant du domicile soit :

·        l’existence d’une atteinte permanente grave à l’intégrité physique;

·        l’incapacité d’effectuer les travaux d’entretien courant de son domicile qu’elle effectuerait normalement elle-même si ce n’était de sa lésion;

·        que les frais soient engagés.

 

 

[142]     Avant de procéder à l’analyse de chacune de ces conditions, le tribunal doit déterminer si des travaux de peinture intérieure sont visés par l’expression « travaux d’entretien courant » utilisée à l’article 165 de la loi.

[143]     La Commission d’appel en matière de lésions professionnelles tout comme la Commission des lésions professionnelles ont eu à se pencher sur cette question et ont conclu que les travaux de peinture intérieure constituent des « travaux d’entretien courant »[4]. La soussignée partage cet avis.

[144]     Quant à la première condition d’application de l’article 165 de la loi, soit l’existence d’une atteinte permanente grave, cette dernière n’est pas définie par la loi. Une revue de la jurisprudence permet toutefois de préciser sur quelle base l’atteinte permanente doit être appréciée en vue de la qualifier ou non de grave.

[145]     Dans l’affaire Chevrier et Westburne ltée[5], la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles en vient à la conclusion, après avoir interprété l’article 165 de la loi et avoir procédé à une revue de la jurisprudence, que l’atteinte permanente grave s’évalue, non pas uniquement en fonction du pourcentage d’atteinte permanente établi à la suite de la lésion professionnelle, mais plutôt en analysant la capacité résiduelle de la travailleuse en fonction des travaux d’entretien courant qu’elle ne peut accomplir. Le tribunal s’exprime comme suit à ce sujet :

« Dans cette optique, le mot grave qui qualifie l’atteinte permanente à l’article 165 ne doit pas être considéré isolément. L’article doit être lu dans son ensemble et dans le contexte de l’objet de la loi et du but recherché par la réadaptation sociale. Il y a donc lieu d’analyser le caractère grave d’une atteinte permanente à l’intégrité physique en tenant compte de la capacité résiduelle du travailleur à exercer les activités visées par l’article 165 de la loi. Donc, pour avoir droit au remboursement des frais d’entretien pour une chose particulière, il faut que le travailleur ait une atteinte permanente qui est suffisamment grave pour l’empêcher d’accomplir ce travail d’entretien courant particulier de son domicile vu que le but d’une telle mesure de réadaptation est de rendre le travailleur autonome. » 5

___________

5.   Note 4, p. 612.

 

[Nos soulignements]

 

 

[146]     Ces paramètres d’analyse ont été repris à maintes occasions par la Commission des lésions professionnelles[6] et la soussignée y souscrit.

[147]     Appliquant ces paramètres au présent cas, le tribunal rappelle que la travailleuse a les limitations fonctionnelles suivantes consécutives à sa lésion professionnelle du 14 juillet 2006 :

·        éviter les manipulations répétitives de charges de plus de 5 à 10 kg;

 

·        éviter les extrêmes des mouvements, l’immobilisation fixe prolongée, les mauvaises postures, les contrecoups et les vibrations de basses fréquences au niveau du rachis;

 

·        éviter de marcher longtemps et de garder longtemps la même posture.

 

 

[148]     Dans le cadre de son témoignage, la travailleuse a informé le tribunal qu’elle n’était pas en mesure de procéder à la peinture intérieure de son domicile depuis la récidive, rechute ou aggravation du 14 juillet 2006. Cette incapacité provient principalement de ses difficultés à fléchir le tronc et à faire des mouvements extrêmes d’extension de la colonne lombaire qui sont deux mouvements que l’on doit effectuer régulièrement lorsque l’on fait la peinture intérieure de son domicile.

[149]     Le tribunal est d’avis, en prenant en considération les limitations fonctionnelles émises par le docteur Lépine, que la travailleuse conserve une atteinte permanente grave à sa colonne lombaire la rendant incapable d’effectuer la peinture intérieure de son domicile. Elle satisfait donc à la première condition d’application de l’article 165.

[150]     En ce qui a trait à la deuxième condition, soit de démontrer qu’elle effectuait normalement ce travail avant sa lésion professionnelle, la travailleuse a affirmé que tel était le cas.

[151]     Au soutien de ses prétentions, elle affirme que son mari souffre d’une allergie à la peinture qui l’empêche d’effectuer ces travaux, information qu’elle avait également donnée à l’agente d’indemnisation responsable de son dossier tel qu’il appert des notes évolutives de la CSST.

[152]     De plus, tel que le soulève son procureur, avant la récidive, rechute ou aggravation de 2006, la travailleuse n’a jamais réclamé pour des travaux d’entretien courant de ce type ce qui laisse croire qu’elle était en mesure de les effectuer elle-même.

[153]     À la lumière de la preuve offerte, le tribunal conclut que la travailleuse a démontré qu’elle effectuait normalement ces travaux d’entretien courant avant la récidive, rechute ou aggravation de 2006. Elle satisfait donc à deuxième condition de l’application de l’article 165 de la loi.

[154]     La travailleuse doit finalement démontrer que les frais de peinture intérieure sont engagés.

[155]     En l’espèce, la travailleuse a produit des soumissions à la CSST, mais le tribunal n’a pas la démonstration que la peinture a été effectuée comme telle. Cependant, le fait que les frais ne soient pas engagés ne constitue pas, de l’avis de la soussignée, un élément faisant en sorte que sa réclamation doit être refusée, mais plutôt un élément qui retardera le remboursement des frais que le tribunal autorise compte tenu de la preuve offerte.

[156]     Le tribunal autorise donc le remboursement des frais de peinture intérieure du domicile de la travailleuse sur présentation de la facture lorsque les travaux auront été complétés.

L’AIDE PERSONNELLE À DOMICILE

[157]     La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la travailleuse a droit à l’aide personnelle à domicile en raison de la récidive, rechute ou aggravation subie le 14 juillet 2006.

[158]     C’est l’article 158 de la loi qui prévoit ce type d’aide en ces termes :

158.  L'aide personnelle à domicile peut être accordée à un travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, est incapable de prendre soin de lui-même et d'effectuer sans aide les tâches domestiques qu'il effectuerait normalement, si cette aide s'avère nécessaire à son maintien ou à son retour à domicile.

__________

1985, c. 6, a. 158.

 

[nos soulignements]

 

 

[159]     À ce sujet, le procureur de la travailleuse soutient que l’évaluation en ergothérapie à laquelle a procédé l’experte mandatée par la CSST, madame Buteau, le 5 novembre 2010, établit clairement des besoins d’assistance personnelle et domestique.

[160]     À la lecture de ce rapport, le tribunal constate qu’effectivement la travailleuse est limitée dans plusieurs activités de la vie quotidienne.

[161]     Plus précisément, elle a de la difficulté à se lever de son lit et à s’asseoir. Cette problématique relève de sa problématique lombaire, tel que le confirme madame Buteau. Elle recommande d’ailleurs une aide technique soit une barre d’appui pour le lit.

[162]     Elle éprouve également certaines difficultés relatives à son hygiène personnelle qui justifient des aides techniques dont  l’achat d’une brosse à long manche pour faciliter le lavage du bas du corps et du dos, de même que l’essai d’un banc de douche. Ces difficultés semblent également être reliées à sa lésion lombaire qui la rend instable et limite ses mouvements de flexion et de rotation du tronc.

[163]     La travailleuse vit également des difficultés lorsqu’elle doit s’habiller qui semblent à la fois être causées par ses limitations fonctionnelles lombaires et au membre supérieur droit.

[164]     Lors des soins vésicaux et intestinaux, elle rencontre des difficultés liées au fait de s’asseoir et de se relever qui proviennent principalement de sa condition lombaire et pour lesquels madame Buteau propose également des aides techniques.

[165]     Relativement à l’alimentation, les difficultés qu’elle éprouve sont principalement liées aux limitations fonctionnelles affectant son membre supérieur.

[166]     Quant à l’utilisation des commodités de son logis, elle ne peut se rendre sécuritairement au sous-sol de son logis en raison de sa condition lombaire qui affecte sa démarche et sa stabilité à la marche.

[167]     Pour sa part, la préparation des repas est ardue tant en raison de sa problématique lombaire que des limitations à son membre supérieur droit.

[168]     L’entretien ménager, qu’il soit léger ou lourd, est également difficile en raison de la faible endurance de la travailleuse, de ses déplacements nécessitant l’utilisation d’une canne et de sa limitation relative au soulèvement de charges, tous liés à sa condition lombaire.

[169]     En ce qui a trait à la lessive, la travailleuse y parvient seule mais l’énergie déployée pour y parvenir est considérable et, selon madame Buteau, la rend peu fonctionnelle. Elle est d’avis qu’elle requiert une assistance partielle à cette fin.

[170]     Concernant ses déplacements en automobile, ils sont ardus en raison des limitations fonctionnelles qui affectent son membre supérieur droit.

[171]     Le tribunal constate que madame Buteau conclut son rapport en recommandant l’essai d’une série d’aides techniques. Elle ne se prononce pas spécifiquement sur les besoins ou non d’aide personnelle à domicile, sauf en ce qui a trait à la lessive.

[172]     Sur réception de ce rapport, la CSST refuse d’accorder une aide personnelle à domicile à la travailleuse en affirmant que les besoins constatés proviennent principalement de la pathologie dont elle souffre au membre supérieur droit pour laquelle elle a subi une seconde chirurgie en 2006. La CSST rappelle qu’elle ne doit se prononcer qu’en lien avec la récidive, rechute ou aggravation du 14 juillet 2006 de la condition lombaire. Elle refuse donc cette demande. La révision administrative confirme ce refus.

[173]     Devant le tribunal, le procureur de la travailleuse produit une grille d’évaluation des besoins d’assistance personnelle à domicile qu’il a rempli en se basant sur les constats de madame Buteau.

[174]     Il prétend  que la CSST ne pouvait pas faire fi des recommandations de l’ergothérapeute qu’elle a mandaté et dont les recommandations sont claires pour lui. Il soutient que puisque la travailleuse obtient un  pointage de 24,5 sur 48, elle a droit à une assistance partielle à domicile en se basant sur les barèmes de la CSST.

[175]     Tel que mentionné plus haut, l’évaluation à laquelle a procédé madame Buteau a pris en considération la condition lombaire et celle au membre supérieur droit, ce que ne peut faire le tribunal en l’espèce, n’étant saisi que de la récidive, rechute ou aggravation du 14 juillet 2006 de la condition lombaire.

[176]     Par conséquent, le tribunal ne peut retenir le pointage de la grille d’évaluation des besoins d’assistance personnelle et domestique proposée par le procureur de la travailleuse puisqu’il est basé sur l’évaluation de madame Buteau.

[177]     Au surplus, le tribunal accorde peu de valeur probante à cette grille puisqu’elle a été remplie par le procureur de la travailleuse qui a interprété l’analyse de madame Buteau. Elle aurait revêtu une plus grande valeur probante si, d’une part, elle avait départagé les besoins d’assistance liés à la condition lombaire, de ceux causés par la problématique au membre supérieur droit et, d’autre part, avec respect pour l’opinion contraire, elle avait été remplie par l’ergothérapeute qui est plus apte à évaluer les besoins d’assistance de la travailleuse que le procureur de la travailleuse.

[178]     Le tribunal ne peut donc pas retenir la grille remplie par le procureur de la travailleuse qui ne fait pas la distinction entre les deux problématiques.

[179]     Mais au-delà de cela, le tribunal constate que sur les onze recommandations formulées par madame Buteau, une seule a été mise en place, soit l’achat et l’essai d’un banc pour la douche, tel que l’a confirmé la travailleuse dans le cadre de son témoignage.

[180]     Dans ces circonstances, le tribunal est d’opinion qu’il est trop tôt pour se prononcer relativement aux besoins d’assistance personnelle à domicile de la travailleuse.

[181]     En effet, afin de pouvoir adéquatement déterminer les besoins de la travailleuse, il est essentiel que cette dernière puisse, dans un premier temps, bénéficier des recommandations de l’ergothérapeute et des différentes aides techniques proposées. Une fois que ces recommandations auront été mises en place, la CSST sera plus en mesure de déterminer dans quelle proportion elles répondent aux besoins de la travailleuse et si une assistance personnelle à domicile est requise en complément.

[182]     Vu ce qui précède, le tribunal conclut qu’il est trop tôt pour se prononcer sur le besoin d’assistance personnelle à domicile et retourne donc le dossier à la CSST afin que les recommandations de l’ergothérapeute soit mises en place, après quoi la CSST devra évaluer à nouveau les besoins d’assistance personnelle à domicile que la travailleuse pourrait présenter.  

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête déposée par madame Yvette Rodrigue, la travailleuse, le 15 avril 2011;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 12 avril 2011 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la travailleuse n’a pas la capacité d’exercer l’emploi de téléphoniste;

DÉCLARE que la travailleuse a droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu tant que la Commission de la santé et de la sécurité du travail ne ce sera pas prononcée sur sa capacité à exercer un emploi;

RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail afin qu’elle reprenne le processus de réadaptation;

DÉCLARE qu’il était prématurée pour la Commission de la santé et de la sécurité du travail de se prononcer relativement aux besoins d’assistance personnelle à domicile de la travailleuse;

RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail afin qu’elle mette en place les recommandations formulées par l’ergothérapeute le 5 novembre 2010 puis réévalue les besoins en assistance personnelle que pourra, le cas échéant, nécessiter la condition de la travailleuse;

DÉCLARE que la travailleuse a droit au remboursement des frais liés aux travaux de peinture intérieure de son domicile sur présentation d’une facture une fois que lesdits frais auront été engagés.

 

 

 

__________________________________

 

Ann Quigley

 

 

 

 

Me Marc Bellemare

BELLEMARE, AVOCATS

Représentant de la partie requérante

 

 

 



[1]           L.R.Q. c. A-3.001.

[2]           INFORMATION SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL, Téléphoniste, [En ligne] <http://imt.emploiquebec.net/>

[3]           Tessier et Scobus (1992) inc., [1995] C.A.L.P. 1487 ; Gervais et Société canadienne des postes, 35746-60-9201, 11 octobre 1991, J. L'Heureux, (J6-21-03), révision rejetée, 14 mai 1996, J.-M. Duranceau; Deroy et Pentagon Construction 1969, 79693-60-9605, 17 mars 1997, F. Dion-Drapeau; Bellerose et C.U.M., 38976-60-9204, 3 octobre 1995, N. Lacroix; General Motors du Canada ltée et Trottier, 87519-61-9704, 27 novembre 1997, L. Thibault, révision rejetée, 25 juin 1998, A. Archambault; Mackeen et Aliments Edelweiss inc., 213161-61-0307, 19 avril 2004, S. Di Pasquale.

[4]           Jean et Lambert Somec inc., 122765-72-9909, 31 janvier 2000, M. Bélanger; Liburdi et Les spécialistes d'acier Grimco, 124728-63-9910, 9 août 2000, J.-M. Charette; Thériault et Minnova inc., 113468-02-9903, 26 février 2001, R. Deraiche; Castonguay et St-Bruno Nissan inc., 137426-62B-0005, 26 novembre 2001, A. Vaillancourt.

[5]           C.A.L.P. 16175-08-8912, 25 septembre 1990, M. Cuddihy.

[6]           Précitée, note 3, voir également Benoît et Produits Électriques Bezo ltée et Produits d’éclairage Exacta Canada ltée (faillite), C.L.P. 144924-62-0008, 13 février 2001, R.L. Beaudoin; Dupuis et Service d’aide domestique enr., C.L.P. 132205-71-0002, 28 juin 2001, D. Lévesque; Méthot et Transport Y.G.B. inc. (fermée), C.L.P. 171379-63-0110, 7 août 2002, R.-M. Pelletier; Barette et Centre Hospitalier Sainte-Jeanne-D’Arc [2004] C.L.P. 685 .

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.