Côté et Pulvérisateur MS inc. |
2011 QCCLP 3169 |
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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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Sherbrooke |
6 mai 2011 |
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Région : |
Estrie |
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Dossier CSST : |
128849437 |
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Commissaire : |
Jacques Degré, juge administratif |
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Membres : |
Nicole Girard, associations d’employeurs |
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Marie-Josée Caron, associations syndicales |
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Assesseur : |
Daniel Couture, médecin |
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378345 |
385586 |
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Benoît Côté |
Benoît Côté |
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Partie requérante |
Partie requérante |
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et |
et |
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Pulvérisateur MS inc. |
Pulvérisateur MS inc. |
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Partie intéressée |
Partie intéressée |
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et |
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Commission de la santé et de la sécurité du travail |
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Partie intervenante |
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Dossier 378345-05-0905
[1] Le 14 mai 2009, monsieur Benoît Côté (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 28 avril 2009 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme, mais pour d’autres motifs, celle rendue le 19 janvier 2009, laquelle refuse d’accorder de l’aide au travailleur pour ses travaux d’entretien ménager malgré la recommandation de son médecin de ne pas faire usage de produits irritants domestiques ou industriels à cette fin. La CSST informe le travailleur qu’il peut faire usage de produits ménagers écologiques et sans danger en vente dans les épiceries ou encore se procurer des livres qui expliquent la façon de fabriquer ses propres produits de nettoyage non toxiques à l’aide de produits alimentaires de base.
Dossier 385586-05-0905
[3] Le 5 août 2009, le travailleur dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision de la CSST rendue le 9 juillet 2009 à la suite d’une révision administrative.
[4] Par cette décision, la CSST confirme celle rendue le 21 avril 2009, laquelle refuse sa réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation puisqu’il n’y a pas de détérioration objective de son état de santé, mais la CSST y précise que la date de celle-ci, le cas échéant, aurait été plutôt le 26 juin 2008 et non le 11 novembre 2008.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
Dossier 378345-05-0905
[5] Le travailleur demande de déclarer qu’il a droit au remboursement des frais reliés aux travaux d’entretien ménager de son domicile à titre de travaux d’entretien courant du domicile puisqu’il a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique et qu’il effectuait lui-même ces travaux avant la survenance de sa lésion professionnelle du 25 août 2005.
Dossier 385586-05-0908
[6] Le travailleur demande de déclarer que le 26 juin 2008, il a subi une lésion professionnelle, en l’occurrence une rechute, récidive ou aggravation de sa lésion professionnelle du 25 août 2005.
[7] Une audience se tient à Sherbrooke le 18 mars 2011 et le travailleur y est présent et accompagné de son procureur. Comme elles en ont avisé le tribunal respectivement les 2 et 23 février 2011, la procureure de la CSST de même que la représentante de Pulvérisateur MS inc. (l’employeur) sont absentes à l’audience.
LES FAITS
[8] Le travailleur est peintre industriel de métier depuis une dizaine d’années et est au service de l’employeur à ce titre depuis le mois de mars 2003 lorsqu’à compter du mois de mai 2005, sans antécédents contributifs, il est victime d’écoulements nasal et oculaire, de problèmes gastriques et respiratoires, d’étourdissements et de céphalées, problèmes pour lesquels il consulte au Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CHUS) et où il fait d’abord l’objet d’un suivi par la gastroentérologue Carrier. Cette dernière constate entre autres que celui-ci accuse une perte de poids et pose le diagnostic de dyspepsie à la suite duquel le travailleur cesse le travail et produit une réclamation auprès de son assureur le 29 août 2005. La docteure Carrier le référera éventuellement au toxicologue Lecours.
[9] Le docteur Lecours assure le suivi du travailleur à compter du 8 novembre 2005, émet une attestation médicale CSST où il pose le diagnostic de céphalées au travail et note qu’une évaluation en oto-rhino-laryngologie et en neurologie est en cours. Le même jour, le travailleur dépose une réclamation à la CSST pour une lésion professionnelle en date du 26 août 2005.
[10] Le 12 février 2006, la Conclusion d’une tomographie axiale de la tête et des sinus du travailleur révèle :
Obstruction complète du complexe ostioméatal gauche et partielle à droite par discrets épaississements muqueux localisés presque exclusivement à l’antre des sinus maxillaires des deux côtés. Il y a deux minimes kystes de rétention au sinus maxillaire droit.
[11] Le 14 mars 2006, la CSST informe le travailleur qu’elle le reconnaît atteint d’une maladie professionnelle à compter du 25 août 2005 dont le diagnostic est une rhinite chronique.
[12] Le 30 mars 2006, l’oto-rhino-laryngologiste Kim procède à une chirurgie qui consiste en une septoplastie et une amenuisation de cornet inférieur.
[13] Le 16 mai 2006, le docteur Lecours produit le Rapport d’évaluation médicale en lien avec l’événement du 25 août 2005 en fonction du diagnostic de migraines au travail.
[14] Il indique que le travailleur présente des migraines lorsqu’exposé à des solvants, est devenu hypersensible aux odeurs de solvants tels eau de toilette, lotion après-rasage, shampooing, essence, etc. et est donc sous médication prophylactique. L’évaluation en neurologie effectuée par la docteure Rioux concluait en des migraines communes avec un tableau assez caractéristique de céphalées pulsatiles associées avec des nausées, des vomissements, de la sono et de la photophobie ainsi qu’un état migraineux déclenché plus probablement par les odeurs fortes de solvants.
[15] Le docteur Lecours recommande donc que le travailleur ne soit plus exposé à des odeurs de solvants et détermine une atteinte permanente de 3 % pour sensibilisation, code 222011 du Règlement sur le barème des dommages corporels[1] (barème) et de l’article 84 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi). Il indique de plus que le travailleur est actuellement suivi par l’oto-rhino-laryngologiste Kim et qu’il devra également faire l’objet d’une évaluation pour dyschromatopsie et trouble d’adaptation.
[16] Le 20 septembre 2006, la docteure Kim produit un Rapport final par lequel elle consolide une rhinite professionnelle avec séquelles permanentes et le même jour, elle produit le Rapport d’évaluation médicale. Elle détermine une atteinte permanente de 5 % et ajoute que le travailleur est porteur de limitations fonctionnelles permanentes, soit anosmie, sensibilité chimique multiple, céphalées pulsatiles avec exposition chimique, diminution d’endurance, perte de vision et congestion nasale malgré la septoplastie.
[17] Le 5 décembre 2006, l’oto-rhino-laryngologiste Grenier examine le travailleur à la demande de la CSST afin de donner son opinion sur le diagnostic et les séquelles permanentes en lien avec la lésion professionnelle du 25 août 2005.
[18] Le docteur Grenier indique que ce qui incommode le plus le travailleur est une hypersensibilité à tout produit irritant, domestique ou industriel, ce qui lui occasionne une toux sèche avec rhinite, prurit oculaire, obstruction nasale et migraines. Il y a présence également d’un problème au niveau olfactif et gustatif.
[19] À l’issue de son examen et de la revue du dossier, le docteur Grenier pose le diagnostic de rhinite professionnelle et accorde une atteinte permanente de 6 % qui se décompose de la façon suivante :
Code 222011 Sensibilisation 3%
(tel que déjà défini par le docteur Lecours)
Code 408703 Nez interne, trouble du flot aérien bilatéral 3%
(tel que déjà défini par la docteure Kim)
[20] Le spécialiste ajoute que le travailleur devra à l’avenir éviter tout produit irritant qu’il soit domestique ou industriel.
[21] Le 22 décembre 2006, dans une Information médicale complémentaire écrite, le docteur Lecours se dit en accord avec les conclusions de l’évaluation du docteur Grenier.
[22] Le 16 janvier 2007, dans le cadre du plan individualisé de réadaptation du travailleur, la CSST retient à titre d’emploi convenable celui de commis-vendeur de pièces d’équipement motorisé. Afin que le travailleur soit en mesure de l’exercer, la CSST met en place une mesure de réadaptation menant à l’obtention d’un diplôme d’études professionnelles (DEP) en vente de pièces mécaniques et d’accessoires, soit une formation qui débute le 22 janvier 2007.
[23] Le 2 février 2007, la CSST informe le travailleur qu’elle le reconnaît porteur d’une atteinte permanente de 6 % comme il a été déterminé par le docteur Grenier et avec laquelle le docteur Lecours est en accord.
[24] Le 10 avril 2007, le docteur Lecours fait état d’une condition stable et ses notes de consultation indiquent que le travailleur fut retourné deux fois de l’école en raison de céphalées déclenchées par l’exposition à des odeurs.
[25] Le 27 septembre 2007, le travailleur informe un agent de la CSST que sa formation se déroule bien, mais qu’il la terminera seulement à la fin du mois de janvier 2008 puisque les cours furent suspendus durant la saison estivale, soit de la fin juin à la fin août. Il a donc repris sa formation le 27 août 2007.
[26] Les 25 octobre et 27 novembre 2007, le travailleur rapporte au docteur Lecours une augmentation de céphalées à l’école (produits de plastique) de deux à trois fois par semaine et celui-ci introduit alors Isoptin (médicament dont la CSST accepte de défrayer les coûts à compter du 23 novembre). Le 10 janvier 2008, le travailleur dit bien aller, mais que les cours ont repris avec présence d’odeurs.
[27] Le 29 janvier 2008, la CSST informe le travailleur qu’à la suite de la fin de sa formation le 25 janvier précédent, elle le considère capable d’exercer l'emploi convenable retenu de commis-vendeur de pièces d’équipement motorisé à compter du 26 janvier 2008, décision devenue finale.
[28] Le 30 janvier 2008, la neurologue Rioux examine le travailleur. Celui-ci dit prendre Elavil et avoir débuté Isoptin depuis deux mois. Il dit constater une diminution de ses céphalées avec l’augmentation de la dose d’Elavil, mais que ses migraines sont toujours déclenchées par les odeurs fortes dont celles du savon et des nettoyants domestiques et que cela affecte sa qualité de vie. Le travailleur prend aussi Maxalt. Il dit ignorer si Isoptin est efficace puisqu’il allait dans une école où il se fabriquait des produits de plastique. Cependant, ses cours sont maintenant terminés depuis deux semaines. La docteure Rioux conclut à un examen neurologique normal et maintient la prescription d’Elavil et de Maxalt et augmente la dose d’Isoptin.
[29] Lors des consultations des 21 février et 25 mars 2008, le docteur Lecours note que le travailleur dit bien se porter, que les cours sont terminés et que ses céphalées ont diminué.
[30] La docteure Rioux revoit le travailleur le 23 avril 2008. L’Isoptin serait inefficace et provoquerait des effets secondaires indésirables. Il y a persistance de céphalées déclenchées par les odeurs et par le temps chaud. Elavil serait efficace pour en diminuer l’intensité, mais d’aucun effet pour en diminuer le déclenchement par les odeurs. L’examen neurologique est rapporté comme superposable au précédent. La neurologue prescrit donc l’arrêt d’Isoptin, maintient Elavil et Maxalt et introduit Topamax ainsi que Indocid.
[31] Le 8 mai 2008, le travailleur dit au docteur Lecours aller moins bien en raison de présence de céphalées et de nausées. Il se dit dérangé par le soleil et la chaleur, etc. Le docteur Lecours note que « la sensibilisation ne change pas ».
[32] Le 26 juin 2008, le travailleur mentionne au docteur Lecours ne pas bien aller, qu’il éprouve de la difficulté à contrôler les céphalées malgré la médication et qu’aucun traitement préventif ne fonctionne. Lors de crises de migraines, il se dit dysfonctionnel pour deux à trois jours et est « à bout ». Le docteur Lecours note que le travailleur demeure sensible aux odeurs et qu’il semble pire l’été. Il indique qu’il y a aggravation, le réfère pour une consultation en neurologie auprès de la docteure Rioux et qu’il est inapte au travail.
[33] Le 9 juillet, la neurologue Rioux revoit le travailleur et celui-ci ne rapporte aucune efficacité du Topamax, mais un soulagement temporaire avec Indocid et Maxalt. Il n’y aurait pas de diminution de la fréquence ni de l’intensité avec un traitement préventif. Le travailleur mentionne que ses migraines sont toujours « + détériorées » en période estivale en raison de la chaleur ou de l’augmentation de ses activités. L’examen neurologique est considéré superposable au précédent. La docteure Rioux prescrit l’arrêt de Topamax, le maintien d’Indocid et Maxalt et introduit Epival.
[34] Le 25 août 2008, le travailleur dit au docteur Lecours que sa condition va en se dégradant, qu’il est de plus en plus fragile et qu’il a fait une réaction au savon à vaisselle.
[35] Le 9 septembre 2008, la docteure Rioux examine de nouveau le travailleur. Le travailleur rapporte ne pas avoir toléré Epival et l’avoir cessé et ce dernier se dit soulagé avec Maxalt et Indocid, mais moins fonctionnel avec obligation de s’allonger. Il se dit inapte au travail pour le moment. L’examen neurologique est toujours superposable à celui de la consultation précédente. La docteure Rioux prescrit l’arrêt d’Epival, maintient Maxalt et Indocid et introduit Neurontin. Elle note « papier CSST rempli » et ce rapport fait état d’une rechute de rhinite aux iso-cyanates déclenchant des migraines sévères et fréquentes entrainant une inaptitude au travail.
[36] Dans une lettre datée du 15 septembre 2008, madame Cameron, enseignante du travailleur, explique qu’au cours de la formation, elle fût dans l’obligation de demander à ce dernier de quitter la classe à de nombreuses reprises puisque dans les locaux voisins, des gens exécutaient des travaux de peinture et de décapage. En raison de son problème d’odorat, le travailleur ne pouvait percevoir les odeurs et développait ainsi des maux de tête qui l’obligeaient à s’absenter. Enseignants et étudiants avaient notamment reçu la consigne de ne mettre aucun parfum. Une fois la formation terminée, l’enseignante écrit que le stage en entreprise fut refusé au travailleur et que celui-ci l’a donc effectué dans un centre de formation spéciale. Madame Cameron termine sa lettre en écrivant que l’état du travailleur s’est beaucoup détérioré vers la fin de sa formation et qu’il lui était difficile de terminer ses journées.
[37] Le 25 septembre 2008, le travailleur fait état d’une condition « moyenne », dit se sentir « comme il y a deux ans » avec nausées, diminution de l’appétit et sensation de fragilité.
[38] Le 30 octobre 2008, le docteur Lecours indique que le travailleur a « besoin d’aide à domicile vu l’odeur de nettoyants » puisque celui-ci rapporte avoir lavé sa literie avec le savon Tide et avoir été dans l’obligation de dormir au salon sur le divan durant trois jours, soit le temps que l’odeur du savon se dissipe, et ce, après avoir étendu la literie à l’extérieur.
[39] Le 11 novembre 2008, le travailleur indique à la docteure Rioux qu’il ne constate aucune amélioration avec Neurontin et rapporte des crises migraineuses ++ suite à l’administration d’un traitement antirouille sur son automobile. L’examen neurologique demeure superposable au précédent. La docteure Rioux recommande un suivi en oto-rhino-laryngologie, l’arrêt de Neurontin et introduit Lyrica, médicament de remplacement dont la CSST acceptera éventuellement de défrayer les coûts.
[40] Le lendemain, 12 novembre 2008, le travailleur communique avec un agent de la CSST et l’informe qu’il « serait en rechute, récidive ou aggravation selon ses médecins » et inapte au travail en raison d’une rechute de rhinite.
[41] Le 17 novembre 2008, un agent de la CSST communique à son tour avec le travailleur afin de recueillir plus d’informations relativement à la rechute, récidive ou aggravation alléguée. Le travailleur déclare une augmentation de ses symptômes depuis l’été 2008, mais dit ignorer qu’il devait compléter une réclamation, ce qu’il fait dès le lendemain. Il écrit entre autres que sa condition l’oblige à demander de l’aide pour effectuer son entretien ménager. Sa fille s’occupait auparavant de ces travaux, mais ne demeure plus avec lui compte tenu de son état de santé qui lui rendait la vie insupportable. Ce fut ensuite au tour de sa sœur, mais demeurant à l’extérieur et ayant ses propres responsabilités, celle-ci n’est désormais plus en mesure de lui venir en aide. Devant l’impossibilité pour lui d’être en contact avec des produits chimiques, le travailleur requiert donc de l’aide pour ses travaux d’entretien ménager.
[42] Le 16 décembre 2008, les notes du docteur Lecours ne font état d’aucune amélioration de la condition du travailleur.
[43] Le 13 janvier 2009, le médecin régional de la CSST mandate l’oto-rhino-laryngologiste Grenier afin qu’il examine le travailleur et détermine s’il y a un changement au niveau des séquelles permanentes depuis son examen précédent du 5 décembre 2006. Le docteur Grenier examine donc le travailleur à cette fin le 18 mars 2009.
[44] Le travailleur rapporte au docteur Grenier une détérioration de sa condition survenue durant son année de formation et que son problème le plus incommodant était de fréquentes migraines. L’examinateur écrit que le travailleur présente essentiellement une hypersensibilité à tout produit irritant qui provoque divers symptômes au niveau oculaire et nasal. Il a de plus une hyposmie importante avec dysgueusie. L’examen objectif révèle un septum médian au niveau des fosses nasales ainsi qu’une amputation partielle du cornet inférieur gauche. L’oropharynx présente un érythème diffus et la cavité buccale est sans particularités. Au terme de son examen, le docteur Grenier n’accorde aucune atteinte permanente supplémentaire. Il indique que le travailleur continue de présenter une symptomatologie oculaire et nasale favorisée par des produits irritants, engendrant des migraines difficiles à contrôler médicalement, cela « basé essentiellement » sur l’histoire clinique racontée par celui-ci. Il doit donc continuer d’éviter tout produit irritant.
[45] Le 19 janvier 2009, la CSST informe le travailleur qu’elle refuse de lui accorder de l’aide pour ses travaux d’entretien ménager malgré la recommandation de son médecin de ne pas faire usage de produits irritants domestiques ou industriels à cette fin. La décision de la CSST énonce que le travailleur peut faire usage de produits ménagers écologiques et sans danger (Lemieux, Biovert, etc.) en vente dans les épiceries ou encore se procurer des livres qui expliquent la façon de fabriquer ses propres produits de nettoyage non toxiques à l’aide de produits alimentaires de base, décision dont le travailleur demande la révision le 29 janvier suivant.
[46] Le 28 mars 2009, le docteur Lecours effectue une revue du dossier du travailleur et inscrit que la réponse de la CSST du 19 janvier est « inappropriée pour ce type de patient » présentant une hypersensibilité chronique avec déclenchement de migraines.
[47] Le 30 mars 2009, la docteure Kim produit un rapport médical où elle note la survenance d’une aggravation de la rhinite professionnelle du travailleur et pour laquelle elle prévoit l’existence de séquelles permanentes. Son examen démontre des cornets avec inflammation et présence de sécrétions mucoïdes +++.
[48] Le 2 avril 2009, le travailleur produit une réclamation à la CSST pour une rechute, récidive ou aggravation en date du 30 mars 2009.
[49] Le 16 avril 2009, le docteur Lecours produit un Rapport d’évaluation médicale en fonction d’un diagnostic de dyschromatopsie (trouble de vision des couleurs), diagnostic qui devait faire l’objet d’une évaluation comme il a déjà noté au rapport précédent du 16 mai 2006. Comme le travailleur ne peinture plus, il ne présente pas de difficulté avec l’agencement des couleurs, mais selon les résultats des tests, il aurait eu de la difficulté avec des nuances de rouge perlé. Il ne devrait donc plus être exposé à des agents neurotoxiques. Les résultats de l’examen sont compatibles avec une surexposition aux solvants. Il ne peut maintenant plus faire usage d’une bonne perception des couleurs. Le docteur Lecours suggère une évaluation pour hyposmie et accorde une atteinte permanente de 0,5 % pour trouble de vision des couleurs objectivé selon le code 215662 du barème.
[50] Le lendemain 17 avril 2009, le docteur Lecours produit un autre Rapport d’évaluation médicale, celui-là en fonction d’un diagnostic d’hyposmie, investigué initialement en octobre 2006, mais dont le rapport n’avait toujours pas été produit. Hyposmie notée aussi par le docteur Grenier le 18 mars 2009. L’examen révèle donc une hyposmie sévère pour laquelle il ne devrait plus y avoir d’exposition à des agents neurotoxiques. Comme le travailleur ne peut par ailleurs faire usage d’une bonne olfaction, il ne pourrait être dans des conditions où un bon sens de l’olfaction est exigé. Le docteur Grenier accorde une atteinte permanente de 1 % code 209437 du barème. Il recommande de plus que le travailleur soit évalué pour trouble d’adaptation/dépression.
[51] Le 20 avril 2009, le médecin régional de la CSST note que le docteur Grenier n’accorde aucune atteinte permanente supplémentaire à la suite de son évaluation et émet l’opinion que le tableau clinique demeure donc inchangé.
[52] Le 21 avril 2009, la CSST informe le travailleur du refus de sa réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation survenue le 11 novembre 2008 puisqu’il n’y a pas de détérioration objective de son état de santé, décision dont le travailleur demande la révision le 14 mai suivant.
[53] Le 28 avril 2009, à la suite d’une révision administrative, la CSST confirme sa décision rendue le 19 janvier 2009, mais pour d’autres motifs. Elle y précise que le travailleur ne peut bénéficier du remboursement relié à ses frais d’entretien ménager puisque la loi prévoit le remboursement de frais d’entretien courant du domicile, ce qui n’inclut pas les travaux d’entretien ménager qui eux correspondent davantage à des tâches dites domestiques. Comme ce type de tâches est visé par une autre mesure de réadaptation, soit l’aide personnelle à domicile, et que le travailleur n’y a pas droit, il ne peut réclamer le remboursement demandé, décision que le travailleur conteste devant la Commission des lésions professionnelles le 14 mai donnant ouverture au dossier 378345-05-0905.
[54] Le 11 mai 2009, le médecin régional de la CSST est d'avis que le travailleur n’est plus exposé aux substances et que les deux expertises du docteur Lecours n’amènent aucun élément nouveau témoignant d’une détérioration de la condition du travailleur.
[55] Le 12 mai 2009, le travailleur dit se porter mieux. Dans ses notes, le docteur Lecours écrit qu’après une revue de l’année 2007, il conclut à une aggravation de céphalées à l’école.
[56] Le 17 juin 2009, la CSST informe le travailleur qu’à la suite de sa lésion professionnelle du 25 août 2005, son atteinte permanente a été évaluée par son médecin à 1,5 %.
[57] Le 9 juillet 2009, à la suite d’une révision administrative, la CSST confirme sa décision rendue le 21 avril 2009 et déclare que le travailleur n’a pas subi de rechute, récidive ou aggravation. Elle en modifie cependant la date pour celle du 26 juin 2008 et non le 11 novembre 2008, décision que conteste le travailleur le 5 août 2009 devant la Commission des lésions professionnelles et dont le dossier porte le numéro 385586-05-0908.
[58] Lors des consultations des 25 juin et 13 août 2009, le travailleur ne rapporte aucune amélioration de sa condition et dit avoir de la difficulté à supporter la chaleur. Il dit de plus avoir développé une céphalée après avoir manipulé le savon Lemieux. Par la suite, le docteur Lecours fait état d’une condition stable lors des consultations des 15 septembre, 20 octobre et 22 décembre et il pose alors le diagnostic de céphalées chroniques.
[59] Le 30 novembre 2009, la Conclusion d’une tomographie axiale de la tête du travailleur se lit :
Sténose des méats maxillaires droit et gauche par de petites formations polypoïdes sans rétention sinusienne.
[60] Le docteur Lecours indique le 9 février 2010 que le travailleur a eu un épisode de céphalée déclenché par l’odeur dégagée par le tapis fraichement nettoyé dans le corridor de son logement et que ce dernier manifeste le désir de déménager.
[61] Le 23 avril 2010, la docteure Kim écrit qu’en 2007, le travailleur fût exposé au polyuréthane dans le cadre de sa formation de commis aux pièces et qu’il a alors ressenti une augmentation de la rhinorrhée avec étouffement, congestion nasale, picotement nasale et aux yeux. La rhynopharyngoscopie a démontré une augmentation d’hypertrophie des cornets inférieurs avec des sécrétions mucoïdes +++. La tomographie axiale a quant à elle démontré une aggravation au niveau des cornets moyens et inférieurs. La docteure Kim conclut donc à une aggravation de la rhinite professionnelle en présence de signes cliniques et radiologiques.
[62] En lien avec sa lettre du 23 avril 2010, la docteure Kim produit un nouveau Rapport d’évaluation médicale le 17 mai 2010 où elle pose le diagnostic de rhinite chronique détériorée. Elle indique que le travailleur a besoin d’aide pour les travaux ménagers et qu’il ne peut prendre les transports en commun en raison de sa condition. Il ne doit donc pas être exposé à des irritants comme produits ménagers, oxyde de carbone, parfums (agents neurotoxiques). Elle accorde une atteinte permanente additionnelle de 7 %.
[63] Le 20 octobre 2010, le docteur Grenier examine le travailleur à la demande de la CSST afin de déterminer s’il existe des changements au niveau des séquelles permanentes comparativement à celles déterminées en 2009 et de connaître son opinion quant aux conclusions de la docteure Kim à la suite de son évaluation du 17 mai 2010.
[64] Le docteur Grenier écrit que le travailleur se plaint d’une hypersensibilité à tout produit irritant qui provoque divers symptômes au niveau oculaire et nasal. Ce qui l’incommode le plus est le problème de migraines. Le travailleur décrit une congestion ainsi qu’une inflammation nasale et un écoulement nasal postérieur. Après examen, le docteur Grenier conclut qu’il doit être ajouté aux séquelles déjà reconnues les atteintes permanentes suivantes :
Code 209447 Anosmie objectivée 5 %
Code 208714 Troubles trophiques locaux 1 %
Code 208723 Troubles trophiques à distance 1 %
[65] Quant aux limitations fonctionnelles, le docteur Grenier écrit que le travailleur a continué à présenter une hypersensibilité à des produits irritants, de même que des parfums, ce qui semble engendrer des migraines avec une symptomatologie oculaire et nasale. Il doit donc continuer d’éviter tout produit irritant.
[66] Le 31 décembre 2010, le docteur Lecours se dit en accord avec les conclusions du docteur Grenier.
[67] Le 11 mars 2011, la CSST informe le travailleur qu’elle conclut qu’il y a relation entre les nouveaux diagnostics d’anosmie et de troubles trophiques locaux et à distance et sa lésion professionnelle du 25 août 2005.
[68] Lors de l’audience du 18 mars 2011, le travailleur raconte au tribunal les débuts insidieux de sa maladie ainsi que les circonstances de l’apparition et les différentes manifestations de sa symptomatologie par la suite. Il réfère de plus à la période durant laquelle se déroulent sa formation ainsi que celle qui suit en relatant en détail les différents épisodes de céphalées qu’il a éprouvés par la suite ainsi que leurs conséquences, ce qui, de façon générale, correspond aux notes médicales des docteurs Lecours et Rioux pour la même période.
[69] Il explique que la seconde partie de sa formation s’est déroulée à compter de septembre 2007 dans un endroit différent et qu’à compter de ce moment, ses symptômes se sont amplifiés suffisamment pour que le docteur Lecours le considère inapte au travail. Il ajoute enfin avoir essayé les produits écologiques recommandés par la CSST (qu’il apporte d’ailleurs à l’audience) afin d’effectuer lui-même ses travaux d’entretien ménager, comme il les faisait avant le déclenchement de sa maladie, mais avoir malgré tout éprouvé des épisodes de migraines et être incapable de les manipuler en raison des odeurs et des réactions qu’ils entrainent pour lui.
L’AVIS DES MEMBRES
Dossier 378345-05-0905
[70] La membre issue des associations syndicales ainsi que la membre issue des associations d'employeurs sont toutes deux d’avis d’accueillir la contestation du travailleur. Elles sont d’accord pour dire que la preuve démontre de façon prépondérante que le travailleur est atteint d’une atteinte permanente grave et qu’il ne peut plus, comme auparavant, effectuer lui-même ses travaux d’entretien ménager. Elles sont aussi d’avis que de tels travaux sont compris dans l’expression travaux d’entretien courant du domicile et que le travailleur a donc droit au remboursement des frais reliés à ceux-ci.
Dossier 385586-05-0908
[71] Les membres sont aussi d’avis d’accueillir la contestation du travailleur dans ce dossier puisque la preuve médicale démontre qu’il a bel et bien subi une rechute, récidive ou aggravation le 26 juin 2008, soit une augmentation graduelle de ses symptômes, et ce, notamment à la suite de l’exposition involontaire dont il fut l’objet durant sa période de formation.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
Dossier 378345-05-0905
[72] Dans ce dossier, la Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a droit au remboursement des frais reliés aux travaux d’entretien ménager de son domicile.
[73] À cet égard, le travailleur prétend qu’il s’agit de travaux d’entretien courant du domicile et qu’il se qualifie pour en demander le remboursement, contrairement à la CSST qui y voit là des tâches de nature domestique pour lesquelles le travailleur ne se qualifie pas.
[74] Pour prétendre au remboursement de frais d’entretien courant du domicile, un travailleur doit s’être d’abord vu reconnaître le droit à la réadaptation, lequel est prévu à l’article 145 de la loi :
145. Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.
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1985, c. 6, a. 145.
[75] Puisque le travailleur est porteur d’une atteinte permanente, il s’est effectivement vu reconnaître ce droit par la CSST le 16 janvier 2007.
[76] Quant au droit au remboursement de frais d’entretien courant du domicile, c’est à l’article 165 de la loi qu’il faut référer :
165. Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.
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1985, c. 6, a. 165.
[77] Le droit au remboursement des frais engagés pour de tels travaux implique non seulement qu’un travailleur doit être porteur d’une atteinte permanente, mais encore faut-il que celle-ci soit grave. À cet égard, le taux de l’atteinte n’est pas nécessairement l’élément déterminant. Pour conclure qu’une atteinte permanente est grave, la jurisprudence du tribunal enseigne qu’il faut aussi tenir compte de la capacité résiduelle du travailleur à effectuer le type de travaux visés à l’article 165 de la loi[3].
[78] Compte tenu de l’importance des séquelles de la maladie professionnelle dont est atteint le travailleur, soit une hypersensibilité à tout produit irritant, céphalées, nausées, sono-phobie, photophobie, dyschromatopsie, dysgueusie, hyposmie ainsi que les conséquences qu’elles entrainent dans la vie de tous jours pour lui, comme le démontre la preuve de façon prépondérante, il est manifeste, et le tribunal n’a aucune hésitation à conclure en ce sens, que le travailleur a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique à la suite de sa lésion professionnelle du 25 août 2005.
[79] Avant la survenance de la lésion professionnelle, la preuve démontre que le travailleur effectue lui-même l’entretien ménager de son domicile et que n’eût été de celle-ci, il le ferait toujours. Dans les circonstances, le travailleur peut donc prétendre au remboursement de frais pour des travaux d’entretien courant du domicile.
[80] Cette notion de travaux d’entretien courant du domicile correspond à des travaux qui doivent être faits périodiquement ou encore selon les saisons afin de maintenir ou conserver les lieux en bon état. Il doit cependant s’agir de travaux ordinaires et habituels du domicile, par opposition à des travaux d’entretien inhabituels ou extraordinaires[4]. La jurisprudence du tribunal foisonne d’exemples de ce que représentent de tels travaux[5].
[81] Cependant, en regard de l’entretien ménager, à la suite de la révision administrative du 28 avril 2009, la CSST considère qu’il s’agit plutôt là de tâches domestiques. Cette notion de tâches domestiques se retrouve à l’article 158 de la loi au chapitre de la réadaptation et se lit ainsi :
158. L'aide personnelle à domicile peut être accordée à un travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, est incapable de prendre soin de lui-même et d'effectuer sans aide les tâches domestiques qu'il effectuerait normalement, si cette aide s'avère nécessaire à son maintien ou à son retour à domicile.
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1985, c. 6, a. 158.
[82] Le droit au versement d’une allocation aux fins d’aide personnelle à domicile est conditionnel à deux conditions, à savoir ne pas être en mesure pour un travailleur de prendre soin de lui-même et d’effectuer ses tâches domestiques.
[83] C’est l’article 162 de la loi qui prévoit à quel moment s’éteint ce droit :
162. Le montant de l'aide personnelle à domicile cesse d'être versé lorsque le travailleur :
1° redevient capable de prendre soin de lui-même ou d'effectuer sans aide les tâches domestiques qu'il ne pouvait effectuer en raison de sa lésion professionnelle; ou
[…]
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1985, c. 6, a. 162; 1992, c. 21, a. 79; 1994, c. 23, a. 23.
[84] Comme le droit au versement de l’allocation est subordonné aux deux conditions prévues à l’article 158, ce droit s’éteint donc à compter du moment où un travailleur ne remplit plus l’une ou l’autre de ces conditions.
[85] Ce qui signifie, en clair pour le travailleur, que parce qu’il est en mesure de prendre soin de lui-même, il ne peut prétendre avoir droit au versement d’une allocation afin d’obtenir de l’aide pour effectuer ses tâches domestiques. Qui plus est, comme ces tâches domestiques (ou entretien ménager) ne sont pas considérées par la CSST à titre de travaux d’entretien courant du domicile, cela signifie en clair que la loi ne prévoit aucune forme d’aide dans un cas comme celui du travailleur, c'est-à-dire un travailleur aux prises avec une maladie professionnelle qui, sans l’empêcher physiquement de manipuler les produits nettoyants habituellement utilisés afin d’assurer l’entretien ménager d’un domicile, ne peut malgré tout le faire puisqu’il ne doit tout simplement pas y être exposé, nécessitant ainsi l’embauche d’une autre personne pour les effectuer pour lui.
[86] Le présent tribunal doute très fortement, malgré les expressions utilisées, que ce soit là une intention bien arrêtée de la part du législateur au moment d’édicter les articles 158, 162 et 165 de la loi que de priver un tel travailleur atteint d’une maladie professionnelle et qui subit une atteinte permanente grave à la suite de celle-ci du droit au remboursement des coûts de la main-d’œuvre reliés à l’exécution de travaux d’entretien ménager.
[87] Quant à la qualification d’entretien ménager, à titre de travaux courants d’entretien du domicile, une décision du tribunal[6] traite précisément de cette question et il y lieu encore cette fois d’en citer de larges extraits :
[24] La travailleuse ne conteste pas le fait qu’elle est maintenant capable de prendre soin d’elle-même. La jurisprudence a déjà interprété ce fait comme mettant effectivement fin au droit à l’aide personnelle à domicile :
« Comme les articles d’une loi doivent s’interpréter les uns par rapport aux autres, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que les termes de l’article 162 viennent éclairer l’interprétation qu’il faut accorder à l’article 158. L’article 162 de la loi se lit ainsi :
162. Le montant de l'aide personnelle à domicile cesse d'être versé lorsque le travailleur :
1o redevient capable de prendre soin de lui même ou d'effectuer sans aide les tâches domestiques qu'il ne pouvait effectuer en raison de sa lésion professionnelle; ou
[…]
La Commission des lésions professionnelles est d’avis que les conditions d’ouverture du droit au versement de l’aide personnelle à domicile doivent s’interpréter, en cas de doute, en relation avec les circonstances qui font perdre ce même droit.
Or, le paragraphe 1° de l’article 162 de la loi ne prête guère à interprétation et l’aide personnelle à domicile doit cesser si le travailleur redevient capable de prendre soin de lui-même ou, et non « et », d’effectuer sans aide les tâches domestiques qu’il ne pouvait effectuer en raison de sa lésion professionnelle.
Ainsi, aussitôt qu’une des deux circonstances ci-haut énoncées est rencontrée, le droit à l’aide personnelle à domicile cesse. Un tel contexte ne peut évidemment qu’amener à conclure que l’obtention de telle aide doit également satisfaire aux deux mêmes conditions et que le mot « et » qui réunit ces deux conditions à l’article 158 de la loi est ainsi conjonctif1. »
[25] Cette interprétation logique doit s’appliquer au présent cas. Ce faisant, la travailleuse n’a pas droit à l’aide personnelle à domicile.
[26] Ce que la travailleuse demande cependant, c’est l’application de l’article 165 précité et elle soutient que l’entretien ménager qu’elle ne peut plus faire en raison des deux chirurgies au niveau lombaire, (passer l’aspirateur, laver les planchers, nettoyer les salles de bain, les vitres, etc.) constitue des « travaux d’entretien courant du domicile ».
[27] La représentante de la CSST soutient le contraire, et à ce sujet, dépose une décision rendue par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) en 19972. Dans celle-ci, le commissaire fait une distinction entre les « travaux d’entretien courant du domicile » (art. 165) et « les tâches domestiques » (art. 158). Après avoir fait état des définitions des mots « domestique » et « entretien » par le dictionnaire Petit Robert, le commissaire conclut ainsi :
« À la lumière des définitions précitées, la Commission d’appel est d’avis que le déplacement de meubles et de lavage de planchers se retrouvent davantage dans la catégorie des tâches domestiques et qu’il apparaît difficile de les relier à des soins, réparations ou dépenses qu’exige le maintien en bon état d’un bien. En somme, il s’agit de travaux requis pour la propreté, le confort et la commodité des lieux et qui ne se justifient pas au titre du maintien en bon état physique d’un bien.
(…) »
[28] Avec égard, la soussignée ne partage pas cette interprétation étroite de la notion de « travaux d’entretien courant du domicile ». Revoyons les définitions courantes et usuelles des mots « domestique » et « entretien «, que l’on retrouve au Larousse:
« Domestique : 1. Qui concerne la maison, le ménage.
Entretien : 1. Action de maintenir une chose en bon état, de fournir ce qui est nécessaire pour y parvenir3. »
[29] La Commission des lésions professionnelles estime que l’on doit également examiner la définition du mot « courant » afin de préciser de quel genre de travaux d’entretien on parle à l’article 165 :
« Courant, e : 1. Qui est habituel; ordinaire, banal. Les dépenses courantes. C’est un mot tellement courant ! Un modèle courant. »
[30] Le tribunal ne peut conclure, comme le fait le commissaire Roy, que l’entretien ménager participe uniquement à « la propreté, le confort et la commodité des lieux ». Qu’il suffise d’imaginer un intérieur mal entretenu, des planchers et des tapis sales et poussiéreux, des salles de bain encrassées, des vitres et des miroirs qui ne sont pas nettoyés régulièrement, une cuisinière et un réfrigérateur malpropres pour se convaincre qu’il ne s’agit pas ici seulement de confort ou de commodité. Si un entretien régulier n’est pas fait, il est manifeste que le domicile ne sera pas « maintenu en bon état ». Il lui faut donc des soins réguliers, habituels, ordinaires, courants.
[31] Même si, à l’article 158, on parle de travaux domestiques, il faut comprendre que cette disposition s’applique à « l’aide personnelle à domicile », qui inclut certes ce genre de travaux, mais qui vise plutôt des situations beaucoup plus graves en terme de conséquences immédiates, puisqu’on associe cette aide au fait qu’un travailleur soit incapable de prendre soin de lui-même dans des activités de base comme se laver, aller à la toilette, etc. On a qu’à examiner la grille d’évaluation pour constater que l’on vise ici des cas lourds.
[32] L’article 165, quant à lui, n’est pas conditionnel à l’impossibilité de prendre soin de soi-même mais vise plutôt les cas où un travailleur demeure avec une atteinte permanente grave et, généralement, avec des limitations fonctionnelles importantes, qui l’empêchent de reprendre certaines activités pré-lésionnelles qu’il effectuait auparavant, soit des travaux d’entretien courant. De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, cette interprétation va dans la logique de la loi, qui « a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent pour les bénéficiaires4 ».
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[1] Commission de la santé et de la sécurité du travail et Fleurent, [1998] C.L.P. 360 , p. 366.
[1] Roy et Brasserie Channy inc., 78743-03-9604, 97-06-20 J.-G. Roy, commissaire.
[1] Il est intéressant de noter que la définition de « entretenu » donne l’exemple suivant : Tenu en bon état, tenu en état : maison mal entretenue ».
[1] Article 1 , LATMP.
[88] L’analyse faite dans cette dernière affaire est entièrement partagée par le tribunal.
[89] Les articles 158 et 165 visent un seul et même objectif, la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent pour les bénéficiaires (article 1 de la loi). Dans les circonstances de la présente affaire, refuser au travailleur le remboursement des coûts de la main-d’œuvre reliés à l’entretien ménager de son domicile irait à l’encontre de cet objectif.
[90] Le travailleur a de plus tenté d’opter pour la solution mise de l’avant par la CSST dans sa décision du 19 janvier 2010 en se procurant des produits d’entretien ménager dits écologiques, mais la preuve démontre que même cette solution, à première vue tout à fait sensée dans les circonstances, s’est avérée un échec compte tenu des conséquences de la lésion professionnelle du 25 août 2005.
[91] La Commission des lésions professionnelles juge que le travailleur a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison de sa lésion professionnelle du 25 août 2005 le rendant incapable d’effectuer l’entretien ménager de son domicile tel qu’il l’effectuait avant la survenance de cette lésion. Comme le présent tribunal est d’opinion que des travaux d’entretien ménager d’un domicile correspondent à la notion de travaux d’entretien courant du domicile au sens de l’article 165 de la loi, le travailleur a droit au remboursement des frais reliés qu’il engage pour les faire exécuter, et ce, jusqu’à concurrence du montant maximum annuel accordé par la loi.
Dossier 385586-05-0908
[92] La Commission des lésions professionnelles doit décider si, le 26 juin 2008, le travailleur a subi une lésion professionnelle, en l’occurrence une rechute, récidive ou aggravation de sa lésion professionnelle du 25 août 2005.
[93] La loi définit ainsi la lésion professionnelle :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[94] En vertu de la jurisprudence du tribunal[7], afin de démontrer l’existence d’une rechute, récidive ou aggravation, il doit y avoir présence d’une reprise évolutive, d’une réapparition ou d’une recrudescence d’une lésion ou de ses symptômes. Un travailleur doit d'abord démontrer à l’aide d’une preuve prépondérante une détérioration de son état de santé au moment de la récidive, rechute ou aggravation alléguée et ensuite, la relation avec la lésion d’origine. Afin d’établir cette relation, la jurisprudence du tribunal[8] est à l’effet de rechercher et d’analyser entre autres les critères suivants :
- la gravité de la lésion initiale;
- la continuité des symptômes;
- l’existence ou non d’un suivi médical;
- le retour au travail, avec ou sans limitations fonctionnelles;
- la présence ou l’absence d’une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique;
- la présence ou l’absence de conditions personnelles;
- la compatibilité entre les symptômes allégués au moment de la récidive, rechute ou aggravation avec la nature de la lésion initiale;
- le délai entre la récidive, rechute ou aggravation alléguée et la lésion initiale.
[95] C’est cependant la plupart du temps le portrait d’ensemble qui permet d’établir la relation avec la lésion d’origine. Quant à la preuve requise, le seul témoignage d’un travailleur est rarement suffisant et, de façon générale, une preuve de nature médicale est nécessaire.
[96] Tout d'abord, il apparaît important de souligner que le travailleur a témoigné calmement, avec conviction, sans faire preuve d’exagération et de façon précise avec, à quelques reprises, des pointes d’amertume et d’exaspération dans la voix en raison des conséquences de sa lésion professionnelle du 25 août 2005, ne le rendant que plus crédible. C’est pourquoi son témoignage est considéré fiable et probant, d’autant plus qu’il correspond à très peu de choses près aux notes médicales contenues à la volumineuse preuve documentaire.
[97] Ces notes médicales démontrent donc, outre une mention d’absence pour céphalées en avril 2007, que le travailleur rapporte une augmentation graduelle et importante de l’intensité de sa symptomatologie à compter du mois d’octobre 2007, soit un mois après avoir changé de locaux où se déroule sa formation, augmentation de la symptomatologie qui nécessite alors la prescription du médicament Isoptin par le docteur Lecours.
[98] Une fois sa formation terminée à la fin du mois de janvier 2008, le suivi médical du travailleur effectué à la fois par la docteure Rioux, qui augmente et/ou modifie sans cesse la médication afin d’atténuer ou à tout le moins de contrôler les symptômes de ce dernier, ainsi que le suivi simultané du docteur Lecours mettent en lumière et viennent objectiver en quelque sorte les plaintes subjectives du travailleur en regard de la détérioration alléguée de sa condition.
[99] Le tribunal est d’opinion que le changement de lieu de formation en septembre 2007 n’est cependant pas le seul élément à l’origine de la détérioration graduelle de la condition du travailleur, mais que celle-ci est plutôt le résultat d’un ensemble de facteurs. Bien qu’il soit plus que probable que le travailleur ait été exposé à un ou des produits irritants à compter du mois de septembre 2007, la preuve est cependant tout à fait muette sur la nature et la concentration de tels produits ainsi que sur la durée de la période d’exposition. De plus, la preuve démontre que la chaleur semble jouer un rôle tout aussi important au niveau de l’augmentation de la symptomatologie et la détérioration de la condition du travailleur comme en font foi les notes de consultation du docteur Lecours des 23 avril, 8 mai et 26 juin 2008 ainsi que celles de la docteure Rioux du 9 juillet suivant. Les notes du docteur Lecours, un an plus tard, les 25 juin et 13 août 2009, sont par ailleurs sensiblement au même effet, ce qui mènera d’ailleurs éventuellement au diagnostic de céphalées chroniques par le docteur Lecours à la fin de l’année 2009.
[100] Enfin, le témoignage du travailleur, jumelé au contenu du suivi médical précité, au contenu de la lettre de l’enseignante Cameron du 15 septembre 2008, à l’épisode du savon Tide d’octobre 2008, à la mention du docteur Grenier du 18 mars 2009 à l’effet de devoir se baser essentiellement sur l’histoire clinique racontée par celui-ci, aux résultats comparés des tomographies axiales des 12 février 2006 et 30 novembre 2009, au contenu de la lettre du 23 avril 2010 de la docteure Kim et des conclusions de son rapport d’évaluation médicale du 17 mai suivant et enfin de l’opinion du docteur Grenier du 20 octobre 2010, partagée par le docteur Lecours, démontrent de façon nettement prépondérante une détérioration de sa condition à tout le moins depuis le 26 juin 2008.
[101] Tenant compte notamment de la gravité de la lésion professionnelle d’origine, du suivi médical, de la présence d’une atteinte permanente grave ainsi que de la continuité et de la compatibilité de la symptomatologie constatée au moment de la détérioration de la condition du travailleur avec celle de la lésion initiale, le tribunal considère que la preuve démontre de façon prépondérante que la détérioration de la condition du travailleur à compter du 26 juin 2008 est en relation avec sa lésion professionnelle du 25 août 2005.
[102] En fonction de ce qui précède, la Commission des lésions professionnelles juge que le 26 juin 2008, le travailleur a subi une lésion professionnelle, plus particulièrement une rechute, récidive ou aggravation de sa lésion professionnelle du 25 août 2005.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Dossier 378345-05-0905
ACCUEILLE la contestation du travailleur, monsieur Benoît Côté;
INFIRME la décision rendue par la CSST le 28 avril 2009 à la suite d’une lésion professionnelle;
DÉCLARE que le travailleur a droit au remboursement des frais reliés à l’entretien ménager de son domicile à titre de travaux d’entretien courant du domicile, et ce, jusqu’à concurrence du maximum prévu à la loi.
Dossier 385586-05-0908
ACCUEILLE la contestation du travailleur;
INFIRME la décision rendue par la CSST le 9 juillet 2009 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le 26 juin 2008, le travailleur a subi une lésion professionnelle, en l’occurrence une rechute, récidive ou aggravation de sa lésion professionnelle du 25 août 2005;
DÉCLARE que le travailleur a droit aux prestations prévues à la loi en raison de cette lésion professionnelle.
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Jacques Degré |
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Me Pierre Thibodeau |
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GOSSELIN THIBODEAU BLAIS AVOCATS |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Isabelle Vachon |
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VIGNEAULT, THIBODEAU, GIARD |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] (1987) 119 G.O. II, 5576.
[2] L.R.Q., c. A-3.001.
[3] Chevrier et Westburn ltée, C.L.P. 16175-08-8912, 25 septembre 1990, M. Cuddihy.
[4] Lévesque et Mines Northgate inc., [1990] C.A.L.P. 683 .
[5] Paquet et Pavillon de l’Hospitalité inc., C.L.P. 142213-03B-0007, 12 décembre 2000, R. Savard.
[6] Lebel et Municipalité Paroisse de Saint-Éloi, C.L.P. 124846-01A-9910, 29 juin 2000, L. Boudreault.
[7] Lapointe et Compagnie minière Québec-Cartier, [1989] C.A.L.P. 38 .
[8] Boisvert et Halco inc., [1995] C.A.L.P. 19.