Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Laval

28 juin 2004

 

Région :

Laval

 

Dossier :

227586-61-0402

 

Dossier CSST :

105944284

 

Commissaire :

Ginette Morin

 

Membres :

Alain Allaire, associations d’employeurs

 

Gaétan Forget, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Michel Barette

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

C.H. Ste-Jeanne-D’Arc (Fermé)

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 20 février 2004, le travailleur, monsieur Michel Barette, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 15 janvier 2004 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 24 juillet 2003 et déclare que monsieur Barette n’a pas droit au remboursement des frais engagés au cours de l’année 2003 pour faire exécuter la tonte de sa pelouse.

[3]                Monsieur Barette est présent à l’audience tenue à Laval le 2 juin 2004 et il n’est pas représenté. L’employeur, C. H. Ste-Jeanne D’Arc, a cessé ses opérations.

L’OBJET DE LA CONTESTATION[1]

[4]                Monsieur Barette demande de déclarer qu’il a droit au remboursement des frais qu’il a dû engager au cours de l’année 2003 pour faire exécuter la tonte de sa pelouse parce qu’il est incapable d’effectuer lui-même ce travail en raison des séquelles permanentes qu’il conserve de sa lésion professionnelle du 9 septembre 1993.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]                Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis que la requête de monsieur Barette doit être rejetée.

[6]                Ils estiment que la notion d’« atteinte permanente grave » retrouvée à l’article 165  de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles1 (la loi) doit s’analyser en regard des limitations fonctionnelles que conserve un travailleur en raison de sa lésion professionnelle et de la compatibilité de celles-ci avec les exigences physiques des travaux d’entretien courant du domicile dont le remboursement des frais est réclamé. Ils estiment que, compte tenu des limitations fonctionnelles reconnues par les docteurs Séguin et Lefrançois et des exigences physiques requises pour la tonte du gazon, on ne peut, eu égard à ce travail, conclure à l’existence d’une atteinte permanente grave chez monsieur Barette.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[7]                Monsieur Barette travaille comme infirmier lorsqu’il subit un accident du travail le 9 septembre 1993 au cours duquel il se blesse à la région lombaire. Un diagnostic d’entorse lombaire est posé et la lésion est consolidée le 21 juin 1994, sans séquelles permanentes.

[8]                Dans le contexte d’une première récidive, rechute ou aggravation survenue le 22 juillet 1994, le médecin traitant de monsieur Barette retient le diagnostic de hernie discale L4-L5 et il procède à une discectomie. Il consolide la lésion le 17 mai 1995, avec une atteinte permanente à l’intégrité physique de 8,05 % et des limitations fonctionnelles.

[9]                Dans le contexte d’une seconde récidive, rechute ou aggravation survenue le 30 avril 1999, le médecin traitant de monsieur Barette retient les diagnostics de hernies discales L4-L5 et L5-S1 et de pachyméningite de la racine L5 droite et il effectue une autre chirurgie. Il consolide la lésion le 17 janvier 2001, avec une atteinte permanente à l’intégrité physique additionnelle de 6,35 % et des limitations fonctionnelles.

[10]           En raison des séquelles permanentes qu’il conserve de cette dernière récidive, rechute ou aggravation, monsieur Barette est admis en réadaptation et la CSST identifie pour lui un emploi convenable d’infirmier coordonnateur qu’il est capable d’exercer à compter du 1er juin 2001.

[11]           Monsieur Barette explique qu’il occupe avec beaucoup de difficulté son emploi d’infirmier chef puisqu’il demeure affecté par d’importantes douleurs lombaires pour lesquelles il fait l’objet d’un suivi médical dans une clinique de la douleur. Il explique aussi que sa condition douloureuse l’empêche d’effectuer les travaux d’entretien courant de son domicile, dont la tonte de la pelouse, parce que cette activité exige des mouvements de flexion antérieure, de soulever des charges et de maintenir les bras en position d’élévation antérieure pour diriger la tondeuse. Il explique également que son père effectuait cette tâche pour lui mais que son âge avancé ne lui permet plus de le faire et qu’il considère qu’il doit maintenant être remboursé des frais qu’il doit engager pour faire exécuter ce travail par quelqu’un d’autre.

[12]           C’est l’article 165 de la loi qui prévoit la possibilité pour un travailleur d’être remboursé des frais qu’il doit engager pour faire exécuter des travaux d’entretien courant de son domicile. Cet article se lit comme suit :

165. Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.

__________

1985, c. 6, a. 165.

 

 

[13]           En vertu de cet article, un travailleur peut donc être remboursé des frais qu’il engage pour faire exécuter des travaux d’entretien courant de son domicile dans la mesure où il démontre d’une part, qu’une atteinte permanente « grave » à son intégrité physique résulte de sa lésion professionnelle et d’autre part, qu’il est incapable d’effectuer les travaux d’entretien courant de son domicile qu’il effectuerait normalement lui-même si ce n’était de sa lésion.

[14]           Suivant la jurisprudence bien établie du tribunal relativement à la première condition d’admissibilité, l’analyse du caractère « grave » d’une atteinte permanente à l’intégrité physique ne doit pas se faire en regard du pourcentage de cette atteinte permanente, mais plutôt en regard de la capacité résiduelle du travailleur à exercer les travaux visés par l’article 165 compte tenu des limitations fonctionnelles qui lui ont été reconnues. La Commission des lésions professionnelles s’exprime comme suit à ce sujet dans l’affaire Lalonde et Mavic Construction et CSST[2] :

« [46] La jurisprudence majoritaire de la Commission des lésions professionnelles et de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles a établi que l’analyse du caractère grave d’une atteinte permanente à l’intégrité physique doit s’effectuer en tenant compte de la capacité résiduelle du travailleur à exercer les activités visées par l’article 165 de la loi². Dès lors, le pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique n’est pas le critère unique et déterminant à tenir compte. Il faut s’interroger sur la capacité du travailleur à effectuer lui-même les travaux en question compte tenu de ses limitations fonctionnelles. Soulignons que les limitations fonctionnelles mesurent l’étendue de l’incapacité résultant de la lésion professionnelle. […].

____________________

 

2  Chevrier et Westburne ltée, CALP 16175-08-8912, 1990-09-25, M. Cuddihy; Bouthillier et Pratt & Whitney Canada inc., [1992] CALP 605 ; Gasthier inc. et Landry, CLP 118228 - 63 9906, 1999‑11‑03, M. Beaudoin; Dorais et Développement Dorais enr., CLP 126870-62B-9911, 127060‑62B-9911, 2000-07-11, N. Blanchard; Allard et Plomberie Lyonnais inc., CLP 141253‑04B‑0006, 2000-12-11, H. Thériault; Thibault et Forages Groleau (1981), CLP 131531‑08‑0001, 130532-08-0001, 2001-03-23, P. Simard »

 

 

[15]           De plus, suivant la position adoptée dans les affaires Bouchard et Casse-Croûte Lemaire et CSST[3] et Liburdi et Les spécialiste d’acier Grimco[4], il faut prendre en considération le fait que des travaux d’entretien courant du domicile peuvent ne pas contrevenir aux limitations fonctionnelles et ce, compte tenu du caractère occasionnel et non urgent de certains d’entre eux qui permet au travailleur de les exécuter à son propre rythme ou encore, compte tenu de la possibilité de les exécuter en adaptant les méthodes de travail habituellement employées.

[16]           Ainsi, selon ces règles posées par la jurisprudence, il sera possible de conclure à l’existence d’une atteinte permanente grave à l’intégrité physique eu égard à une des activités visées par l’article 165 et non pas eu égard à une autre de ces activités puisque le caractère grave d’une telle atteinte repose sur l’analyse de la compatibilité des limitations fonctionnelles du travailleur avec les exigences physiques propres à chacun des travaux d’entretien courant.

[17]           Dans la présente affaire, eu égard à la tonte du gazon, la Commission des lésions professionnelles estime que monsieur Barette ne conserve pas une atteinte permanente « grave » de sa lésion professionnelle et qu’il n’a en conséquence pas droit au remboursement des frais qu’il a dû engager au cours de l’année 2003 pour faire exécuter ce travail.

[18]           Les limitations fonctionnelles résultant de la première récidive, rechute ou aggravation qu’a subie monsieur Barette le 22 juillet 1994, sont celles déterminées par le docteur Mario Séguin dans son rapport d’évaluation médicale du 20 mai 1999 :

« Il est préférable pour monsieur Barette qu’il puisse s’orienter vers un travail qui ne rende pas nécessaire d’avoir à soulever des patients. Sa réorientation dans le secteur administratif des soins infirmiers paraît souhaitable. Il faudrait que son travail ne rende pas nécessaire d’avoir à pousser, soulever ou tirer des charges supérieures à 15 kg. Il ne devrait pas avoir à maintenir la posture assis ou debout prolongée sans pouvoir se reposer. Il devrait pouvoir éviter d’avoir à circuler sur des surfaces irrégulières en véhicule motorisé. »

 

 

[19]           Les limitations fonctionnelles résultant de la seconde récidive, rechute ou aggravation qu’a subie monsieur Barette le 30 avril 1999, sont celles déterminées par le docteur Robert Lefrançois dans son rapport d’évaluation médicale du 17 janvier 2001 :

« Éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquente les activités qui impliquent de :

 

·         soulever, porter, pousser, tirer des charges de plus de 5 à 15 kg;

·         travailler en position accroupie;

·         ramper, grimper;

·         effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire;

·         effectuer des mouvements répétitifs ou fréquents de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire même de faible amplitude;

·         subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale;

·         monter fréquemment plusieurs escaliers;

·         marcher en terrain accidenté ou glissant. »

 

 

[20]           De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, ces limitations fonctionnelles ne sont pas incompatibles avec les exigences physiques requises dans le cas de monsieur Barette pour la tonte de son gazon.

[21]           Selon les explications qu’il a fournies à une conseillère en réadaptation de la CSST le 23 juillet 2003 et lors de son témoignage, monsieur Barette possède un terrain plat d’une superficie de 4 000 pieds carrés doté de surfaces gazonnées situées à l’avant et à l’arrière de sa maison située sur ce terrain.

[22]           Bien que monsieur Barette ne connaisse pas la portion du terrain qui est occupée par sa maison, il demeure que les surfaces gazonnées ne sont certes pas d’une dimension particulièrement importante, de sorte que la tonte du gazon ne contrevient pas à la limitation fonctionnelle reconnue par le docteur Séguin concernant la position debout prolongée. De plus, puisqu’il s’agit d’un terrain plat, ce travail respecte les limitations fonctionnelles reconnues par le docteur Lefrançois concernant la marche en terrain accidenté.

[23]           Par ailleurs, monsieur Barette possède une tondeuse alimentée à l’essence et munie d’un sac servant à recueillir le gazon coupé et, même s’il doit se pencher pour démarrer cette tondeuse et vider son sac lorsque rempli de gazon, la Commission des lésions professionnelles estime que cela ne contrevient pas à ses limitations fonctionnelles.

[24]           En effet, selon les limitations fonctionnelles déterminées par le docteur Lefrançois, ce sont les mouvements répétitifs ou fréquents de flexion lombaire que monsieur Barette ne peut effectuer et de tels mouvements ne sont pas requis pour démarrer la tondeuse.

[25]           Monsieur Barette ne doit pas non plus se pencher de façon répétitive ou fréquente pour vider le sac de la tondeuse et ce, prenant en considération la dimension peu importante des surfaces gazonnées de son domicile, la fréquence à laquelle la tonte du gazon doit normalement être effectuée et le fait qu’il s’agit d’un travail qui peut être exécuté à son propre rythme et de manière fractionnée. De plus, monsieur Barette peut éliminer les mouvements de flexion lombaire pour retirer et vider le sac de la tondeuse en adoptant plutôt la position accroupie pour ce faire sans que cela contrevienne à ses limitations fonctionnelles puisque le docteur Lefrançois a retenu que celui-ci ne peut « travailler en position accroupie », ce qui vise une activité de travail prolongée effectuée dans cette position.

[26]           Par ailleurs, même si monsieur Barette n’a pas précisé le poids du sac de la tondeuse lorsqu’il est rempli de gazon, la Commission des lésions professionnelles estime que le fait pour ce dernier de devoir soulever ce sac pour le vider ne contrevient pas à ses limitations fonctionnelles.

[27]           Le docteur Séguin a, en mai 1999, retenu que monsieur Barette ne pouvait manipuler des charges supérieures à 15 kg et, en janvier 2001, le docteur Lefrançois a modifié cette restriction pour retenir que ce sont des charges de 5 à 15 kg que monsieur Barette ne peut soulever et ce, de façon répétitive ou fréquente.

[28]           Comme l’indique la conseillère en réadaptation de la CSST à ses notes évolutives du 23 juillet 2003, monsieur Barette peut adapter sa méthode de travail pour respecter cette limitation, soit vider le sac de la tondeuse avant qu’il ne soit plein et qu’il atteigne le poids qu’il ne peut manipuler.

[29]           En ce qui concerne la position d’élévation antérieure des membres supérieurs pour diriger la tondeuse, les docteurs Séguin et Lefrançois n'ont reconnu aucune limitation fonctionnelle à cet égard, de sorte que la Commission des lésions professionnelles ne peut retenir la prétention de monsieur Barette selon laquelle il ne peut tondre le gazon en raison des douleurs lombaires provoquées par cette position.

[30]           Dans ses lettres de contestation, monsieur Barette explique que l’atteinte permanente à l’intégrité physique et les limitations fonctionnelles déterminées par le docteur Lefrançois ne reflètent pas la réalité de sa condition physique parce qu’il a demandé à ce médecin de ne pas faire une évaluation trop sévère de ses séquelles permanentes afin de ne pas nuire à son retour au travail.

[31]           Conformément aux dispositions de l’article 224 de la loi, la Commission des lésions professionnelles est cependant liée par les conclusions du docteur Lefrançois relativement à l’atteinte permanente à l’intégrité physique et aux limitations fonctionnelles résultant de la récidive, rechute ou aggravation qu’a subie monsieur Barette le 30 avril 1999 et elle ne peut donc modifier ces conclusions notamment, en retenant les dires de ce dernier en ce qui concerne des limitations fonctionnelles plus importantes que celles décrites par ce médecin. Cet article se lit comme suit :

224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.

__________

1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.

 

 

[32]           Enfin, la Commission des lésions professionnelles n’est pas sans ignorer que la CSST a, le 27 octobre 2003, accepté de rembourser à monsieur Barette les frais engagés pour faire exécuter son déneigement.

[33]           Toutefois, cette décision repose sur une appréciation des exigences physiques propres à cette activité, lesquelles diffèrent de celles requises pour la tonte du gazon. Tel que déjà précisé, le caractère grave d’une atteinte permanente à l’intégrité physique doit s’analyser en tenant compte des limitations fonctionnelles du travailleur et des exigences physiques particulières de chacun des travaux d’entretien courant du domicile visés à l’article 165 de la loi.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête du travailleur, monsieur Michel Barette;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 15 janvier 2004 à la suite d’une révision administrative; et

 

 

DÉCLARE que monsieur Michel Barette n’a pas droit au remboursement des frais engagés au cours de l’année 2003 pour faire exécuter la tonte de son gazon.

 

 

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Ginette Morin

 

Commissaire

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1]         L.R.Q., c. A-3.001

[2]          C.L.P. 146710-07-0009, 28 novembre 2001, M. Langlois

[3]          C.A.L.P. 13003-09-8908, 27 mai 1993, R. Chartier

[4]          C.L.P. 124728-63-9910, 9 août 2000, J.-M. Charette

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