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[1] Le 2 juillet 2004, monsieur Richard Poirier (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 25 juin 2004 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 21 avril 2004 et déclare que le travailleur n’a pas subi une lésion professionnelle le 11 mars 2003.
[3] L’audience s’est tenue le 19 octobre 2004, le 8 septembre 2005, ainsi que le 6 octobre 2005 en présence du travailleur et de son procureur. La compagnie Macco Organiques inc. (l’employeur) et la CSST sont également représentées, sauf pour la journée du 6 octobre 2005 où le procureur de la CSST est absent. La cause a été prise en délibéré le 6 octobre 2005.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande de reconnaître qu’il a subi une lésion professionnelle le 11 mars 2003, à savoir un trouble d’adaptation découlant d’un conflit l’ayant opposé à un collègue de travail.
MOYEN PRÉALABLE
[5] L’employeur demande au tribunal de déclarer la réclamation du travailleur irrecevable parce qu’il n’a pas produit de rapports médicaux sur les formulaires prescrits par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [1] (la loi) attestant de la lésion qu’il aurait subie.
[6] Le tribunal, au moyen d’une conférence téléphonique ayant eu lieu le 2 décembre 2004, informe les parties qu’il rejette la requête de l’employeur et que les motifs allaient suivre avec la décision au fond.
[7] Les faits pertinents à la requête de l’employeur sont les suivants. Le 12 septembre 2003, le travailleur produit une réclamation à la CSST alléguant qu’il a subi une lésion professionnelle le ou vers le 11 mars 2003. Il produit avec sa réclamation les notes de consultations du docteur Jean-Pierre Yelle et du docteur François Bastien.
[8] Le travailleur est vu par le docteur Yelle le 11 mars 2003 qui émet un billet médical intitulé « justification d’absence » où il y est indiqué que le travailleur sera absent du travail pour une période de temps indéterminée pour des raisons médicales. Un rapport similaire est rempli par le docteur François Bastien en date du 24 mars 2003, alors qu’en date du 8 avril 2003, le même médecin remplit un autre billet médical mentionnant encore une fois que le travailleur est absent pour une durée indéterminée en précisant cette fois-ci le diagnostic de trouble d’adaptation avec humeur mixte, ainsi que diabète de type II.
[9] Ces documents ont été remis au préalable dès le mois de mars 2003 à l’employeur, puisque le dossier est traité initialement en vertu de la politique d’indemnisation en cas d’absence maladie en vigueur chez l’employeur.
[10] Le 1er mai 2003, toujours dans le cadre de la réclamation du travailleur à l’employeur, ce dernier demande au travailleur de se présenter pour un examen médical auprès d’un de ses médecins, soit en l’occurrence le docteur Marc Guérin. Ce dernier indique ce qui suit au sujet des documents qu’il a en sa possession émanant des médecins du travailleur :
On m’a transmis copie des certificats émis depuis le début du présent arrêt de travail par les docteurs Jaques Pierre Yelle et François Bastien. Ces deux médecins ont d’abord recommandé un arrêt de travail sans précision de diagnostic et en date du 8 avril 2003, le docteur Bastien retenait celui de trouble d’adaptation avec humeur mixte.
[11] L’employeur refuse d’indemniser le travailleur en vertu de sa politique d’absence pour cause de maladie étant d’avis que les rapports produits par le travailleur étaient faits de complaisance, ce qui amène le travailleur à produire la présente réclamation à la CSST.
[12] L’employeur prétend maintenant que le défaut de produire un certificat médical sur le formulaire prescrit par la loi constitue un vice de fond rendant irrecevable la réclamation du travailleur. Il soumet plusieurs jurisprudences à l’appui.
[13] À l’analyse de cette jurisprudence, on constate qu’elles réfèrent toutes à des situations où il y a absence totale de rapport médical complété par un professionnel de la santé, soit en l’occurrence, un médecin.
[14] Dans l’affaire Laliberté et Novabus corporation[2], le tribunal conclut qu’il ne pouvait prendre en considération la réclamation en rapport avec une lésion buccale, car le seul document qui accompagnait la demande est un plan de traitement où il manque : « un élément indispensable : aucun professionnel de la santé n’y identifie la présence chez le travailleur d’une lésion déterminée qu’il estime avoir été causée par une activité reliée au travail. »[3]
[15] Dans l’affaire Antonacci et Honeywell Aérospatiale inc.[4], le tribunal considère qu’il ne peut donner suite à une réclamation fondée uniquement sur des rapports produits par un audiologiste au motif qu’il n’est pas un médecin au sens des articles 199 et suivants de la loi.
[16] Finalement, dans l’affaire Lauzon et Transcobec (1987) inc.[5], le travailleur produit une réclamation en janvier 2000 alléguant avoir subi un accident du travail en décembre 1999, alors qu’il n’a consulté aucun médecin, ni à l’époque, ni au moment où il produit la réclamation. En somme, aucune attestation d’une consultation médicale n’était produite au soutien de sa réclamation, ce qui amène le tribunal à conclure qu’elle est irrecevable.
[17] Le présent tribunal convient qu’une réclamation doit être appuyée par une consultation médicale dont l’attestation provient d’un médecin décrivant l’essence de la lésion et que l’absence d’un tel document médical constituerait un vice de fond amenant le rejet de la réclamation pour ce motif. Par contre, en l’espèce, ce n’est pas l’absence d’attestations de consultations médicales qui est en cause, mais bien le fait qu’elles n’ont pas été consignées de la manière prescrite par le législateur aux articles 199 et 200 de la loi qui se lisent comme suit :
199. Le médecin qui, le premier, prend charge d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle doit remettre sans délai à celui-ci, sur le formulaire prescrit par la Commission, une attestation comportant le diagnostic et:
1° s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée dans les 14 jours complets suivant la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la date prévisible de consolidation de cette lésion; ou
2° s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée plus de 14 jours complets après la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la période prévisible de consolidation de cette lésion.
Cependant, si le travailleur n'est pas en mesure de choisir le médecin qui, le premier, en prend charge, il peut, aussitôt qu'il est en mesure de le faire, choisir un autre médecin qui en aura charge et qui doit alors, à la demande du travailleur, lui remettre l'attestation prévue par le premier alinéa.
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1985, c. 6, a. 199.
200. Dans le cas prévu par le paragraphe 2° du premier alinéa de l'article 199, le médecin qui a charge du travailleur doit de plus expédier à la Commission, dans les six jours de son premier examen, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport sommaire comportant notamment:
1° la date de l'accident du travail;
2° le diagnostic principal et les renseignements complémentaires pertinents;
3° la période prévisible de consolidation de la lésion professionnelle;
4° le fait que le travailleur est en attente de traitements de physiothérapie ou d'ergothérapie ou en attente d'hospitalisation ou le fait qu'il reçoit de tels traitements ou qu'il est hospitalisé;
5° dans la mesure où il peut se prononcer à cet égard, la possibilité que des séquelles permanentes subsistent.
Il en est de même pour tout médecin qui en aura charge subséquemment.
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1985, c. 6, a. 200.
[18] Ce défaut, de l’avis du tribunal, constitue plutôt un défaut de forme. Or, le législateur, à l’article 353 de la loi édicte qu’aucune procédure ne peut être déclarée nulle, ou en d’autre terme irrecevable, pour un défaut de forme :
353. Aucune procédure faite en vertu de la présente loi ne doit être rejetée pour vice de forme ou irrégularité.
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1985, c. 6, a. 353; 1999, c. 40, a. 4.
[19] Le tribunal procède maintenant à statuer sur le fond de la requête du travailleur.
LES FAITS
[20] Le travailleur est à l’emploi de l’employeur depuis le 9 mars 1967. Au moment de la lésion professionnelle alléguée, il occupe le poste d’opérateur de chariot-élévateur depuis 11 ans.
[21] Le 22 octobre 2002, le travailleur est de retour au travail à la suite d’une absence de six mois pour une lésion professionnelle n’ayant aucun lien avec la présente affaire. Le retour se fait non sans heurt, car ses collègues de travail contestent sa façon de travailler et en particulier monsieur André Gagné.
[22] Le travailleur travaille sur des quarts de douze heures, de 7 h 00 à 19 h 00, alors que monsieur Gagné travaille sur des quarts de huit heures, de 7 h 30 à 16 h 00. De plus, monsieur Gagné ne travaille pas les fins de semaines.
[23] Le travailleur fait équipe avec deux manœuvres, dont monsieur Gagné, où ils interagissent de la façon suivante. Le travailleur est responsable d’aller chercher la marchandise, palette par palette et de les apporter au quai d’embarquement. Les manœuvres sont responsables de consigner dans un registre les produits qui sont chargés dans les camions et d’aider au chargement. Le chargement des camions se fait de deux façons dépendant des exigences du client. La première méthode consiste à charger le camion palette par palette, ce qui est fait par le travailleur au moyen d’un chariot-élévateur. Cette méthode de travail ne cause pas de problème dans le présent dossier.
[24] La deuxième façon de faire consiste à charger les camions poche par poche. Chaque poche pèse entre 25 et 30 kilos et le chargement se fait de la façon suivante. Les manœuvres consignent les produits devant être chargés dans le camion dans un registre. Les produits se trouvent sur une plate-forme conçue pour être manipulée à l’aide du chariot-élévateur. Les deux manœuvres se placent de chaque côté des produits sur la plate-forme. La plate-forme est par la suite amenée à l’intérieur du camion pour être déchargée. À mesure que les poches sont empilées dans le camion, la plate-forme sur laquelle les manoeuvres se trouvent est élevée de façon proportionnelle afin qu’ils soient toujours au même niveau, le tout bien sûr afin d’éviter les mouvements de flexion du dos.
[25] Les reprochent que monsieur Gagné fait au travailleur sont de deux ordres. Dans un premier temps, monsieur Gagné lui reproche d’apporter trop de produits à la fois près du quai d’embarquement. Selon monsieur Gagné, ceci fait en sorte qu’il y a risque de confusion sur la consignation des produits dans le registre, ce qui peut avoir comme conséquence que les manœuvres soient obligés de tout décharger. Deuxièmement, le fait d’apporter plus d’une palette à la fois entraîne une cadence de travail trop élevée, empêchant les manœuvres d’avoir un temps de répit.
[26] La procédure prônée par l’employeur est consignée dans un rapport intitulé « Préparation d’une commande pour l’expédition » où on retrouve, entre autres, ce qui suit dans la version de novembre 2002 :
(…) Pour éviter les erreurs lors du chargement en vrac (avec ou sans palette dans les conteneurs), le matériel est acheminé au quai de chargement une palette à la fois, pui enregistré sur la FEUILLE D’EXPÉDITION PRODUITS FINIS LER-15-01 par le chauffeur de chariot-élévateur ou le manœuvre d’entrepôt au moment du chargement.
[27] Le travailleur ne nie pas qu’il travaille de la façon décrite par monsieur Gagné. Il prétend par contre, qu’il respecte la procédure de l’employeur. Il ne voit rien dans la procédure qui l’empêche d’apporter des palettes de produits autour du quai d’embarquement pour ensuite amener une palette à la fois proche du quai de chargement. Le travailleur explique que sa façon de faire est plus efficace et permet aux gens de terminer plus tôt. Il ne comprend pas le problème de monsieur Gagné puisqu’il peut se reposer à sa guise, aucune cadence n’étant imposée par l’employeur.
[28] Le travailleur ne nie pas non plus que l’employeur l’a avisé à plusieurs reprises de changer sa méthode de travail. Monsieur Simon Rinella, responsable de l’entrepôt, est venu témoigner qu’il a régulièrement eu à intervenir auprès du travailleur au fil des ans sans grand succès. Il avoue qu’il aurait dû le réprimander, mais que de telles actions ne faisaient pas partie de la culture de l’entreprise.
[29] Les autres reproches de monsieur Gagné concernent la façon dont le travailleur manipule la plate-forme avec le chariot-élévateur. On l’accuse de monter trop haut ou de descendre trop bas ou encore de descendre les fourches de façon saccadée.
[30] Le travailleur met ça sur le compte du fait que monsieur Gagné est d’une stature beaucoup plus grande que l’autre manœuvre avec qui il travaillait, de telle sorte qu’il était difficile pour lui d’ajuster la hauteur de la plate-forme. Par ailleurs, il est vrai qu’il pouvait y avoir une certaine hésitation dans l’action des fourches du chariot-élévateur, mais que c’était tout à fait normal pour ce type de machinerie.
[31] Toujours est-il que le travailleur et monsieur Gagné s’accrochaient verbalement environ deux à trois fois par jour pour les raisons ci-haut mentionnées. Monsieur Gagné, en visant le travailleur, disait « qu’il y a des claques sur la gueule qui se perdent » alors que le travailleur le traitait de « petit crotté ». Le ton était agressif de part et d’autre.
[32] Le travailleur prétend que cette situation l’a rendu anxieux, au point où il avait de la difficulté à dormir. Il décide de faire une plainte officielle auprès de l’employeur en fin de journée du 4 mars 2003 alléguant qu’il était victime de harcèlement. La plainte s’adresse plus généralement à l’ensemble de ses collègues de travail, mais il admet que les altercations les plus corsées avaient eu lieu avec monsieur Gagné.
[33] La direction fait une enquête du 5 au 7 mars 2003, en rencontrant six employés appelés à travailler en compagnie du travailleur dont monsieur Gagné, ainsi que les trois superviseurs à qui le travailleur pouvait avoir à répondre, soit André Leduc, Yves Lecomtois et Émile Viens, en plus du directeur de production, monsieur Simon Rinella.
[34] La conclusion à laquelle arrive l’employeur est à l’effet que le conflit découle principalement du fait que le travailleur ne respecte pas la méthode de travail prônée par l’employeur. Par ailleurs, tout le monde est averti de cesser les abus de langage.
[35] La direction rencontre le travailleur le 7 mars 2003 pour lui faire part des conclusions de son enquête, lesquelles ne font évidemment pas son affaire. Après avoir tenté, sans succès, dans un ultime effort, de convaincre l’employeur qu’il avait raison, il menace de partir en congé maladie, ce qu’il fait d’ailleurs à compter du 11 mars 2003 après avoir consulté le docteur Yelle.
[36] Les notes évolutives de cette rencontre indiquent que le travailleur a un problème au travail, qu’il est dépressif et que son médicament d’exfor qu’il prenait à cette date devait être augmenté. Il remet à l’employeur une note de justification d’absence qui indique qu’il est incapable de travailler pour cause de maladie. Le diagnostic devient plus précis lors de la rencontre avec le docteur Bastien le 8 avril 2003 où il pose celui de trouble d’adaptation avec humeur mixte.
[37] Le travailleur est vu en évaluation au CLSC par monsieur Marc-André Ste-Marie ou il présente le problème vécu au travail comme suit :
Depuis 6 mois, le client vit des difficultés avec deux de ses collègues en particulier. L’un de ses collègues, aurait un casier judiciaire pour violence conjugale. L’autre, qui est celui qui le harcèle le plus, est un jeune homme plutôt costaud qui influence le groupe de travail. Ce dernier convoiterait le poste de Monsieur Poirier étant donné qu’il est son remplaçant immédiat au besoin. Le client dit être constamment réprimandé par ces derniers tout en étant insulté voir même menacé mais toujours de façon subtile. (sic)
Cette situation a affecté son fonctionnement au travail ce que n’a pas apprécié la direction de l’entreprise. Il dit s’être isolé de ses collègues non seulement à cause de la situation mais parce qu’il n’a pas les mêmes intérêts que des jeunes hommes dans la vingtaine. Comme exemple, pourquoi irais-je aux danseuses avec mes collègues après le travail quand ce n’est plus de mon âge et que je peux être en plus le père de ces filles ?
[38] Spécifions tout de suite que la preuve à l’audience contredit ces affirmations du travailleur, notamment celle où il prétend que monsieur Gagné convoitait son poste. En effet, la preuve démontre que si le poste du travailleur devenait libre, monsieur Gagné n’aurait pas l’ancienneté requise pour l’occuper. En outre, aucune preuve n’a été faite concernant le casier judiciaire de l’autre collègue sans compter que la pertinence de ce fait serait fort discutable dans le contexte de la présente affaire.
[39] Le travailleur est vu à une seule autre reprise au CLSC, soit le 29 avril 2004, par monsieur Serge Beauchesne où on retrouve ce qui suit à son rapport :
Monsieur travaille comme conducteur de monte-charge pour le même employeur depuis trente-six ans. L’ensemble de sa carrière s’est bien déroulée jusqu’au moment où il aurait pris parti pour la tête de Turc du groupe. Cette prise de position lui aurait attiré plusieurs ennemis dont les deux leaders plutôt négatifs. Il semble que dans ses rapports de force avec ces derniers que l'employeur se positionne indirectement contre le bénéficiaire en croyant possiblement qu’il provoquerait certains conflits afin d’obtenir des congés maladie. Présentement, Richard aurait engagé un avocat afin de réclamer certaines compensations de son employeur afin de remédier à cette situation.
[40] Le travailleur ne produit pas à l’origine de réclamation à la CSST. Il demande plutôt d’être indemnisé en vertu de la politique de l’employeur traitant des absences pour cause de maladie. L’employeur, étant d’avis que les rapports médicaux qu’il a produits étaient faits de complaisance, refuse d’indemniser le travailleur, ce qui amène un conflit entre le travailleur, l’Association des travailleurs et l’employeur. Le travailleur décide de rentrer au travail le 23 juin 2003 sans qu’il y ait eu résolution de ce conflit. L’employeur n’a jamais indemnisé le travailleur pour la perte de revenu découlant de cet arrêt de travail.
[41] L’employeur avait fait expertisé le travailleur dès le début de cette affaire en le faisant examiné par le docteur Marc Brunet, psychiatre, le 30 avril 2003. Cette rencontre est consignée dans un rapport daté du 1er mai 2003. Le docteur Brunet est incapable d’arriver à la conclusion que le travailleur souffre d’un trouble d’adaptation. Il est plutôt d’avis que le travailleur « rapporte essentiellement avoir présenté quelques symptômes anxieux, lesquels auraient provoqué un certain débalançement de son diabète ».
[42] Le travailleur pour sa part dépose une expertise du docteur Jacques Bouchard, également psychiatre, datée du 7 février 2005, laquelle fait suite à une entrevue qui a eu lieu le même jour.
[43] Le docteur Bouchard résume la situation comme suit :
RÉSUMÉ DE LA SITUATION
Il s’agit d’un homme sans antécédents psychiatriques, qui a vécu des tensions dans son milieu de travail à partir d’octobre 2002, à son retour d’une longue absence. La nature de ces tensions fait l’objet de controverse. Monsieur Poirier s’est senti critiqué, menacé par un collègue de travail, alors que la version retenue par l'employeur à la suite d’une enquête veut que ce soit monsieur Poirier lui-même qui soit à l’origine des conflits. Lorsqu’il a été expertisé par le docteur Guérin le 1er mai 2003, monsieur Poirier ne présentait plus de trouble d’adaptation, et il a d’ailleurs pu effectuer un retour au travail le mois suivant. Je crois toutefois qu’il avait présenté un trouble d’adaptation et que celui-ci s’était résolu entretemps.
[44] Le docteur Bouchard retient le diagnostic de trouble d’adaptation qu’il relie entièrement au conflit qui a opposé le travailleur à monsieur Gagné et ceci pour le motif suivant :
Indépendant de la responsabilité de l’un ou l'autre, il est documenté qu’il y a eu des conflits dans le milieu de travail à l’époque où se trouble s’est présenté. L’histoire ne permet par ailleurs de mettre en évidence d’autres stresseurs qui puissent à l’origine de ce trouble d’adaptation. Finalement, l’histoire de monsieur Poirier révèle que celui-ci n'a pas d’antécédents au point de vue psychiatrique. Je conclu donc à la probabilité d’une relation de causalité entre les conflits survenus en milieu de travail et le trouble d’adaptation qui s’est développé à cette époque.
L’AVIS DES MEMBRES
[45] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis de rejeter la requête de l’employeur. Il est d’opinion que le travailleur n’a pas été victime d’harcèlement. La preuve est plutôt à l’effet qu’il y a eu une mésentente entre le travailleur et monsieur Gagné sur la méthode de travail largement causée par l’entêtement du travailleur à ne pas suivre la procédure préconisée par l’employeur.
[46] Quant au membre issu des associations syndicales, il est d'avis que le travailleur était la cible de remarques déplacées et offensantes de façon répétée assimilables à du harcèlement; que cette situation dépasse largement le cadre normal du travail et que celle-ci a causé le trouble d'adaptation diagnostiqué par le docteur Bastien. Il est donc d’avis d’accueillir la requête du travailleur.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[47] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a subi une lésion professionnelle le ou vers le 11 mars 2003.
[48] La notion de lésion professionnelle est définie comme suit à l’article 2 de la loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[49] En matière de lésion psychologique, c’est généralement sous l’angle de l'accident du travail que la réclamation est analysée. C’est d’ailleurs la seule prétention du travailleur.
[50] L’accident du travail est défini comme suit toujours à l'article 2 de la loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[51] Le travailleur plaide qu’à compter du mois d’octobre 2002, il a été placé dans une situation conflictuelle à son travail, laquelle a monté en épingle essentiellement en raison du fait que l’employeur n’a pas pris d’action positive pour faire cesser cette situation. Ce conflit, toujours selon le travailleur, est assimilable à un événement imprévu et soudain qu’on retrouve à la définition d’accident du travail. D’après le travailleur, c’est ce conflit qui a engendré un trouble d’adaptation diagnostiqué par le docteur Bastien le 8 avril 2003.
[52] La jurisprudence traitant des lésions à caractère psychologique assimile à l’événement imprévu et soudain les événements qui s’écartent du cadre habituel, normal et prévisible du travail[6]. Ces événements doivent être établis objectivement, c’est-à-dire ne pas découler uniquement de la perception subjective d’une personne.[7]
[53] Dans le cas sous étude, le tribunal conclut que le travailleur n’a pas fait la démonstration qu’il a été victime d’un événement imprévu et soudain.
[54] La preuve révèle que le conflit qui s’est développé entre le travailleur et monsieur Gagné découle uniquement de l’entêtement du travailleur à vouloir travailler à sa manière, laquelle est clairement contraire à la façon préconisée par l’employeur, et elle a des conséquences négatives sur le travail de ses collègues. En dépit des protestations de ses collègues de travail et des avertissements de ses superviseurs, le travailleur croyait fermement que sa méthode de travail était non seulement conforme, mais était même plus efficace.
[55] Le 7 mars 2003, jour où l’employeur lui annonce les conclusions de son enquête, le travailleur tente toujours de le convaincre que son point de vue devait prévaloir avant de quitter en menaçant de tomber malade.
[56] Devant le tribunal, il a continué à prétendre qu’il avait raison lors d’un témoignage très peu convaincant où le tribunal a été à même de constater un entêtement acharné et irrationnel de sa part, au point où sa crédibilité en a été affectée de façon irrémédiable. La preuve révèle aussi que le travailleur a tendance à exagérer en plus de varier substantiellement sa version des faits selon l’opportunité du moment telle qu’on peut le constater aux déclarations faites aux intervenants du CLSC.
[57] Dans ces circonstances, le tribunal est d’avis que du point vue du travailleur, il était tout à fait prévisible que son attitude donne naissance à une situation conflictuelle, de telle sorte qu’il ne peut la qualifier d’événement d’imprévu et soudain.
[58] Il est vrai que l’employeur n’a pas aidé la situation en ne réprimandant pas le travailleur, mais cet état de fait n’ajoute rien à la façon dont le tribunal qualifie les événements, surtout considérant que la position de l’employeur avait été clairement exprimée au travailleur.
[59] Même en supposant qu’il s’agit d’un événement imprévu et soudain, le tribunal est d’avis que le travailleur n’a pas démontré de façon prépondérante que cet événement est la cause du trouble d’adaptation diagnostiqué par le docteur Bastien.
[60] Ce qui a amené le travailleur à réagir est plutôt le fait que l’employeur ne lui donne pas raison et non pas le fait qu’il s’était enlisé dans un conflit interpersonnel. C’est à l’annonce des conclusions de l’employeur qu’il menace de tomber malade et qu’il consulte le docteur Yelle engendrant dû coup, la réaction de l’employeur de refuser de l’indemniser en vertu de sa politique d’assurance-maladie.
[61] Finalement, la pauvreté du suivi médical à savoir, trois visites médicales et deux consultations au CLSC, le fait que le diagnostic n’est posé qu’à une seule reprise, le fait que le travailleur était déjà traité au moyen d’un antidépresseur, l’exfor, au moment de la lésion professionnelle alléguée amènent le tribunal à déterminer que le travailleur ne s’est pas déchargé de son fardeau de démontrer une relation causale entre la condition qui est diagnostiquée à compter du 11 mars 2003 et le conflit qui l’a opposé à ses collègues de travail du mois d’octobre 2002 au mois de mars 2003, à supposer, encore une fois, qu’il s’agit d’un accident.
[62] Le tribunal écarte l’opinion du docteur Bouchard, puisque son opinion est basée uniquement sur le fait que le trouble d’adaptation a été diagnostiqué à une époque où il subissait un conflit sur les lieux de travail vu l’absence d’antécédents du point de vue psychiatrique alors que la preuve démontre que le travailleur était déjà traité au moyen d’antidépresseur en date du 11 mars 2003.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de monsieur Richard Poirier, le travailleur;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 25 juin 2004 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur n'a pas subi une lésion professionnelle le ou vers le 11 mars 2003.
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Norman Tremblay |
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Commissaire |
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Me Sylvain B. Gingras |
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Gingras avocats |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Guy Lavoie |
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Fraser Milner Casgrain |
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Représentant de la partie intéressée |
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Me Pierre Bouchard |
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Panneton Lessard |
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Représentant de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] C.L.P. 163114-64-0106, 29 novembre 2001, J.-F. Martel
[3] Id, paragraphe. 26
[4] C.L.P. 173716-64-0111, 19 décembre 2002, R. Daniel
[5] C.L.P. 140975-64-0006, 8 février 2001, G. Perreault
[6] Roussel et Sûreté du Québec, 2003 [C.L.P.] 1294
[7] Drufovka et C.L.S.C. Châteauguay, C.L.P.184229-62C-0205, 2 décembre 2003, T. Giroux
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