95011723
COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE MONTRÉAL
No: 500-09-001884-907
(500-05-001136-900)
Le 18 juillet 1995.
CORAM: LES HONORABLES BISSON
BROSSARD
DELISLE, JJ.C.A.
COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU
TRAVAIL,
APPELANTE - intimée,
c.
HENRI LALONDE,
INTIMÉ - requérant,
et
CORPORATION OUTILS QUÉBEC,
MISE EN CAUSE - intimée,
et
COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS
PROFESSIONNELLES,
et
ALAIN SUICCO,
MICHELINE PAQUIN,
CLAUDE GROLEAU,
JEAN-MARC DUBOIS,
MIS EN CAUSE - mis en cause.
______________LA COUR, statuant sur l'appel d'un jugement rendu le 22
novembre 1990 par la Cour supérieure du district de Montréal
(l'honorable Paul Trudeau), qui a accueilli la requête de l'intimé
en révision de deux décisions de la mise en cause, Commission
d'appel en matière de lésions professionnelles, l'une en date du
5 février 1988, l'autre en date du 13 décembre 1989;
Après étude du dossier, audition et délibéré;
Pour les motifs exposés à l'opinion ci-annexée de
monsieur le juge Jacques Delisle, à laquelle souscrivent messieurs
les juges Claude Bisson et André Brossard:
ACCUEILLE l'appel;
INFIRME le jugement de première instance;
REJETTE la requête;
AVEC DÉPENS devant les deux Cours en faveur de
l'appelante seulement et SANS FRAIS quant aux autres parties.
CLAUDE BISSON, J.C.A.
ANDRÉ BROSSARD, J.C.A.
JACQUES DELISLE, J.C.A.
Me Daniel Malo
Me Jean-Marie Robert
Avocats de l'appelante
Me Laurent Roy
Avocat de l'intimé
Me Claude Verge
Avocat de la Commission d'appel en
matière de lésions professionnelles
Date de l'audition: le 2 mars 1995
COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE MONTRÉAL
No: 500-09-001884-907
(500-05-001136-900)
CORAM: LES HONORABLES BISSON
BROSSARD
DELISLE, JJ.C.A.
COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU
TRAVAIL,
APPELANTE - intimée,
c.
HENRI LALONDE,
INTIMÉ - requérant,
et
CORPORATION OUTILS QUÉBEC,
MISE EN CAUSE - intimée,
et
COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS
PROFESSIONNELLES,
et
ALAIN SUICCO,
MICHELINE PAQUIN,
CLAUDE GROLEAU,
JEAN-MARC DUBOIS,
MIS EN CAUSE - mis en cause.
OPINION DU JUGE DELISLE
_______________________
L'appelante se pourvoit contre un jugement de la Cour
supérieure qui a accueilli la requête de l'intimé en révision de
deux décisions rendues par la mise en cause Commission d'appel en
matière de lésions professionnelles (ci-après appelée CALP), la
première, le 5 février 1988, et l'autre, le 13 décembre 1989.
LES FAITS______
a) Le 6 juin 1972, l'intimé est victime d'un accident
du travail; il s'inflige une hernie discale pour laquelle la
Commission des accidents du travail, dont la compétence sera
assumée par la suite par la Commission de la santé et de la
sécurité du travail (ci-après appelée CSST), lui reconnaît un
déficit anatomo-physiologique de 12% et lui verse, en conséquence,
la rente prévue par l'article
38
de la
Loi sur les accidents du
travail, L.R.Q., c. A-3.
b) Cinq mois après son accident, l'intimé retourne au
travail, sans aucune restriction médicale.
c) Le 15 février 1985, l'intimé subit une nouvelle
lésion professionnelle, de la même nature que celle ayant résulté
de l'accident du 6 juin 1972; l'intimé reprend le travail le 2 mai
1985, mais il est affecté à une tâche moins exigeante.
d) Le 19 août 1985, entre en vigueur la
Loi sur les
accidents du travail et les maladies professionnelles (ci-après
appelée LATMP).
e) Le 4 novembre 1985, l'intimé ressent une douleur au
dos en faisant un travail de routine en position penchée. Un
diagnostic de lombo-sciatalgie gauche est posé et des
recommandations sont faites pour des examens plus poussés. L'intimé
présente une réclamation à la CSST qui l'accepte et lui verse,
entre le 4 novembre 1985 et le 20 mai 1986, date de consolidation
de sa lésion, une indemnité de remplacement du revenu sous forme
de rente, en vertu de l'article
44
de la LATMP.
f) À compter du 20 mai 1986, la CSST cesse de verser
toute indemnité de remplacement du revenu bien que l'intimé soit
incapable de reprendre son travail. La CSST justifie sa décision
par le fait que l'incapacité de l'intimé à exercer son emploi n'est
pas reliée à sa lésion du 4 novembre 1985. La CSST avise également
l'intimé qu'il ne peut bénéficier des mesures de réadaptation
prévues par l'article
145
de la LATMP.
g) L'intimé conteste devant un bureau de révision
paritaire (art.
358
LATMP) cette décision de la CSST de lui refuser
la réadaptation. Voici comment le bureau de révision décrit l'objet
de la demande qui lui est soumise:
Le travailleur conteste la décision de la Commission à l'effet
de lui refuser la réadaptation sociale en vertu de l'article
145
de la Loi sur les accidents du travail et les maladies
professionnelles.
L'intimé ne remet donc pas alors en cause la décision de la CSST
de cesser le paiement de l'indemnité de remplacement du revenu. Ce
n'est que plus tard, à l'étape décrite au paragraphe j) ci-après,
qu'il sera de nouveau question du droit à cette indemnité.
h) Le 18 novembre 1986, le bureau de révision confirme
la décision de la CSST.
i) En vertu de l'article
359
LATMP, l'intimé interjette
appel devant la CALP de la décision du bureau de révision. Cet
appel est entendu par le commissaire Dubois (art.
403
LATMP);
celui-ci rejette l'appel au motif que l'intimé "ne conserve pas une
atteinte permanente à son intégrité physique en raison de la lésion
professionnelle dont il a été victime le 4 novembre 1985 et qu'iln'a conséquemment pas droit à la réadaptation prévue à la Loi sur
les accidents du travail et les maladies professionnelles".
j) L'intimé demande la révision de cette décision de la
CALP (art.
406
LATMP) et celle-ci, formée alors des commissaires
Suicco, Paquin et Groleau, entend l'affaire le 14 décembre 1988.
Par décision majoritaire rendue le 13 décembre 1989, le commissaire
Groleau étant dissident, la CALP rejette la demande de révision.
k) L'intimé attaque les deux décisions de la CALP
devant la Cour supérieure par requête en révision. Le juge Paul
Trudeau accueille la requête de l'intimé au motif que la CALP a
excédé sa compétence en errant, dans ses deux décisions, "sur
l'interprétation des dispositions transitoires de la [LATMP],
notamment au chapitre de l'applicabilité de cette loi au
travailleur qui [a] été antérieurement victime d'un accident de
travail et [a] produit une réclamation". En conséquence, le juge
déclare que l'intimé a droit aux mesures de réadaptation prévues
par les articles
145
et suivants de la LATMP et au paiement d'une
indemnité de remplacement de revenu établie par les articles 44 et
suivants de la même loi. D'où le présent appel.
LA QUESTION EN LITIGE
Il s'agit de déterminer si la CALP a commis une erreur
susceptible de révision judiciaire.
ANALYSE
Dans sa requête en révision judiciaire, l'intimé
plaide, à son allégation 22, que la CALP lui a refusé
l'applicabilité de la LATMP plutôt que son application. Il s'agit
là d'un argument astucieux, dont il faut cependant éviter
l'attrait.
La CALP n'a jamais mis en cause l'applicabilité de la
LATMP. Elle a plutôt considéré que cette loi, par son article 555,
était applicable à l'intimé; la CALP a toutefois décidé que, comme
l'intimé ne satisfaisait pas aux conditions donnant ouverture aux
indemnités de réadaptation et de remplacement de revenu, il ne
pouvait y avoir droit.
Tel que souligné plus haut, la LATMP est entrée en
vigueur le 19 août 1985. Elle remplaçait la Loi sur les accidents
du travail; celle-ci continuait cependant à s'appliquer aux
personnes ayant subi un accident du travail avant l'entrée envigueur de la LATMP, sauf en cas de récidive, rechute ou
aggravation, auquel cas la personne devenait assujettie à la LATMP.
Cette loi contient entre autres, à son Chapitre XVI,
les dispositions particulières suivantes:
476. Sous réserve de l'article 478, la présente loi remplace
la Loi sur les accidents du travail (L.R.Q., chapitre A-3).
478. La Loi sur les accidents du travail, modifiée par les
articles 479 à 483, et les règlements adoptés en vertu de
celle-ci demeurent en vigueur aux fins du traitement des
réclamations faites pour des accidents du travail et des décès
qui sont survenus avant la date de l'entrée en vigueur de la
présente loi et des réclamations faites avant cette date pour
des maladies professionnelles, sauf s'il s'agit d'une
récidive, d'une rechute ou d'une aggravation visée dans le
premier alinéa de l'article 555. [...]
555. Une personne qui, avant la date de l'entrée en vigueur
du chapitre III, a été victime d'un accident du travail ou a
produit une réclamation pour une maladie professionnelle en
vertu de la Loi sur les accidents du travail et qui subit une
récidive, une rechute ou une aggravation, à compter de cette
date devient assujettie à la présente loi.
Cependant, cette personne n'a pas droit à une indemnité de
remplacement du revenu si, lors de la récidive, de la rechute
ou de l'aggravation, elle n'occupe aucun emploi et elle:
10 est âgée d'au moins 65 ans; ou
20 reçoit une rente pour incapacité totale permanente, en
vertu de la Loi sur les accidents du travail, quel que soit
son âge.
En l'espèce, l'intimé a été victime d'un accident du
travail avant le 19 août 1985, soit avant l'entrée en vigueur dela LATMP. Il a subi une rechute, récidive ou aggravation après le
19 août 1985; il est donc devenu assujetti à cette loi.
L'article
1
de la LATMP énumère ce que comprend le
processus de réparation des lésions corporelles:
1. La présente loi a pour objet la réparation des lésions
professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour
les bénéficiaires.
Le processus de réparation des lésions professionnelles
comprend la fourniture des soins nécessaires à la
consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale
et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le
paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités
pour dommages corporels et, le cas échéant, d'indemnités de
décès.
La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au
chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur
victime d'une lésion professionnelle.
(J'ai souligné)
Pour pouvoir bénéficier de ce qu'offre le processus de
réparation, une personne doit démontrer qu'elle en respecte les
conditions d'admissibilité. En l'occurrence, l'intimé réclame le
droit à la réadaptation (art. 145) et le droit à l'indemnité de
remplacement du revenu (art. 44).
DROIT À LA RÉADAPTATION
L'article
145
LATMP se lit comme suit:
145. Le travailleur qui, en raison de la lésion
professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte
permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans
la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation
que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et
professionnelle.
La CALP, appliquant cette disposition au cas de
l'intimé, retient qu'il doit y avoir démonstration:
1.- d'une atteinte permanente à l'intégrité physique ou
psychique de la personne; et
2.- que cette atteinte a été subie en raison de la
lésion professionnelle que constitue la rechute, la récidive ou
l'aggravation.
L'article
2
LATMP définit ainsi l'expression "lésion
professionnelle":
... une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou
à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie
professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou
l'aggravation;
(J'ai souligné)
Selon la CALP,
... l'accident du travail de 1972 n'est pas une lésion
professionnelle au sens de la Loi sur les accidents du travail
et les maladies professionnelles puisque l'article 555 de
cette loi précise que seulement les récidives, rechutes ou
aggravations survenus à compter du 19 août 1985 sont des
lésions professionnelles au sens de la nouvelle loi.
Or, comme en l'espèce il n'y a pas eu d'atteinte
permanente qui est résultée de la lésion de novembre 1985, - il y
a une admission de l'intimé sur ce point - la CALP conclut que
celui-ci ne peut réclamer un droit à la réadaptation prévue par
l'article
145
LATMP.
Je ne vois, dans cette interprétation de la loi, aucune
erreur justifiant une intervention en vertu de l'article
33
C.p.c.
DROIT À L'INDEMNITÉ DE REMPLACEMENT DU REVENU
Pour avoir droit à cette indemnité, l'intimé devait
prouver son incapacité d'exercer son emploi en raison de sa lésion
professionnelle. Cela ressort de l'article
44
LATMP:
Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit
à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient
incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.
Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa
lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient
incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.
C'est à la suite de son appréciation de la preuve que
la CALP a conclu que rien n'indiquait que l'incapacité de l'intimé
de retourner au travail résultait de la rechute, récidive ou
aggravation subie après l'entrée en vigueur de la LATMP:
... la Commission d'appel retient de la preuve que bien que
l'opinion unanime de tous les médecins au dossier est à
l'effet que le travailleur ne peut retourner à son emploi et
qu'il est préférable qu'il soit "recyclé" dans un autre
travail, rien dans la preuve médicale au dossier ne démontre
que la capacité de travailler de monsieur Lalonde a été
affectée par l'incident du 4 novembre 1985; aucune atteinte
permanente, non plus qu'aucune limitation professionnelle
n'est indiquée comme étant conséquente à l'incident dont a été
victime le travailleur, le 4 novembre 1985.
La Commission d'appel retient à cet effet l'évaluation
médicale du docteur Lefrançois, datée du 17 février 1986, et
qui indique qu'il prévoit une date de consolidation pour le
1er mars 1986; le docteur Lefrançois indique également que le
scan lombaire ne démontre pas "
... de sténose spinale ou une
récidive de hernie discale lombaire". La Commission d'appel
retient également le rapport du docteur Poitras, daté du 2
avril 1987, et qui indique que quant au déficit anatomo-
physiologique, il ne croit pas ... qu'il puisse être modifié
à la suite du 4 novembre 1985, puisque [son] examen ...
n'apporte pas de phénomène objectif nouveau, comparé aux
examens médicaux [que le travailleur a] déjà subis".
Au même effet, la Commission d'appel retient enfin le
témoignage du docteur Trudeau qui déclare
"... que le
traumatisme subi le 4 novembre 1985 est un traumatisme léger
qui n'a permis de constater aucun changement de l'état de
santé [du travailleur] par rapport à ce qu'il était avant cet
accident".
Il relevait de la compétence de la CALP d'interpréter
la preuve et il n'appartient pas à un tribunal supérieur d'y
substituer la sienne.
CONCLUSION
La CSST a reconnu que la LATMP était applicable à
l'intimé, puisque la commission lui a versé, du 5 novembre 1985 au
26 mai 1986, date de consolidation de la rechute, récidive ou
aggravation, l'indemnité de remplacement du revenu prévue par
l'article
44
LATMP. La CSST a décidé qu'à compter de cette dernière
date l'intimé ne rencontrait plus les conditions pour recevoir
ladite indemnité et qu'au surplus l'atteinte dont l'intimé était
affecté ne donnait pas ouverture au droit à la réadaptation.
En révisant cette décision, confirmée auparavant par le
bureau de révision, la CALP, tant dans sa décision du 5 février
1988 que dans celle du 13 décembre 1989, a tenu pour acquis que la
LATMP s'appliquait à l'intimé, lui reconnaissant son droit à
l'indemnité de remplacement du revenu jusqu'au 26 mai 1986 et
statuant, dans le cas du droit à la réadaptation, que l'intimé n'en
remplissait pas les exigences d'octroi. La CALP n'a pas refusé
l'applicabilité de la loi à l'intimé mais uniquement l'application
des articles 44 et 145. Pour arriver à cette dernière conclusion,la CALP a eu à interpréter certaines dispositions de la LATMP et,
en ce faisant, elle n'a pas commis d'erreur qui permettait au juge
de première instance d'intervenir.
Je suis d'avis d'accueillir l'appel, d'infirmer le
jugement de première instance et de rejeter la requête de l'intimé
en révision, avec dépens devant les deux cours en faveur de
l'appelante seulement et sans frais quant aux autres parties.
JACQUES DELISLE, J.C.A.