LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE
DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES
QUÉBEC MONTRÉAL, le 29 octobre 1993
DISTRICT D'APPEL DEVANT LE COMMISSAIRE: Thérèse Giroux
DE MONTRÉAL
RÉGION: LANAUDIERE ASSISTÉ DE L'ASSESSEUR: Muguette Dagenais, médecin
DOSSIER: 15046-63-8910
DOSSIER CSST: 9303 2613 AUDITION TENUE LE: 18 septembre 1992
DOSSIER BR: 6028 2136PRIS EN DÉLIBÉRÉ LE: 18 mai 1993
À: Montréal
MONSIEUR IOANNIS PAPADEAS
9117, rue Godbout
app. 1
Lasalle (Québec)
H8R 2H7
PARTIE APPELANTE
et
LE RESTAURANT PRIMO
(Faillite)
PARTIE INTÉRESSÉE
D É C I S I O N
Le 25 octobre 1989, monsieur Ioannis Papadeas (le travailleur) en appelle auprès de la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d'appel) d'une décision rendue par le bureau de révision de l'Île-de-Montréal le 24 juillet 1989 et transmise à la demanderesse le 29 août 1989.
Par cette décision unanime, le bureau de révision confirme deux décisions rendues par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) et déclare que le travailleur n'a pas droit à des frais de résidence à Montréal de même qu'à des frais de déplacement réclamés en relation avec une lésion professionnelle subie le 20 août 1985.
Bien que dûment convoqué, Le Restaurant Primo (l'employeur) n'était pas présent à l'audience.
OBJET DE L'APPEL
Le travailleur demande à la Commission d'appel de reconnaître son droit au paiement d'un logement à Montréal de même qu'aux frais de déplacement encourus pour aller visiter sa famille à Québec. Il demande que ces frais lui soient payés jusqu'au 30 septembre 1989.
LES FAITS
Le 19 août 1985, le travailleur est victime d'un accident d'automobile alors qu'il est dans l'exécution de ses fonctions de livreur et sa réclamation auprès de la Commission est acceptée.
Le diagnostic porté à la suite de l'accident est celui de polytraumatisme avec multiples fractures et le travailleur subit plusieurs interventions chirurgicales (visage, chevilles et épaule gauche) le 20 août 1985 et une intervention au niveau de la hanche gauche le 3 septembre 1985, avec révision le 10 septembre suivant. Le travailleur est alors sous les soins du Dr André Beaupré, chirurgien.
Suivant la preuve faite, le travailleur a souhaité changer de médecin à compter d'avril 1986 et a tenté, sans succès, de trouver un autre médecin à Québec.
À l'automne 1986, il consulte le Dr Hadjipavlou à Montréal et prend un logement à Montréal pour se faire traiter par lui. Il conserve cependant un pied-à-terre à Québec, où habite ses enfants.
À l'audition devant le bureau de révision, le travailleur a mentionné que son déménagement à Montréal avait fait l'objet de discussions avec son responsable de dossier à Québec et que cela ne semblait pas poser de problèmes. Il y avait, selon lui, une volonté de la Commission d'assumer ses frais de logement et elle les a dans les faits assumés pendant huit mois. Le travailleur a déposé, à l'audience devant la Commission d'appel, un bordereau de paiement de la Commission qui en témoignerait. Ce bordereau indique le paiement d'une somme de 2 748,20 $ le 2 juillet 1987 pour des frais divers pour la période du 1er octobre 1986 au 31 mai 1987. Une consultation des notes évolutives au dossier ne révèle, par ailleurs, aucune trace de discussion de ces questions en 1986. Elles révèlent cependant des discussions à compter d'avril 1987. Ainsi, à cette époque, on peut lire la note suivante :
«[...]
Nous croyons qu'il est justifié d'autoriser au travailleur le coût du remboursement de son loyer à Mtl qui nous apparaît très raisonnable, soit 300$ + 75$ électricité ou autres frais depuis le 8/12/86. Sera remboursable sur production de reçus de location et facture de compte d'électricité [...] »
En ce qui concerne les déplacements à Québec pour visiter sa famille, le travailleur a dit devant le bureau de révision que lorsqu'il voyage en transport en commun, il est pris de panique, développe des nausées et des vomissements. Il a soumis qu'il y avait eu entente avec la Commission selon laquelle il pouvait utiliser son véhicule personnel à raison de 0,245 $/km et que la Commission assumerait un coût de 35 $ par jour pour la personne qui l'accompagnerait, ce qui est confirmé par les notes évolutives de la même date que celles citées plus haut, dans les termes suivants :
«[...] 1 déplacement Mtl-Québec autorisé pour voir sa famille par mois incluant $35/jour pour accompagnateur + 1 repas accompagnateur + .245¢/km.
[...]»
Sur le plan médical, le travailleur est donc pris en charge par le Dr Hadjipavlou à compter de l'automne 1986. Il est hospitalisé au Jewish General Hospital du 22 janvier 1987 au 19 mars 1987 où il subit de nouvelles interventions chirurgicales. Son chirurgien est alors le Dr Martin Kerner. Du 19 mars au 9 juillet 1987, le travailleur est admis au centre hospitalier de convalescents et du début de septembre 1987 à la fin d'octobre 1987, il est de nouveau hospitalisé.
Le 11 février 1988, la Commission rend la décision relative aux frais de résidence à l'origine du présent appel. Par cette décision, la Commission refuse de rembourser ces frais au travailleur au motif principal qu'aucun élément ne justifie l'entretien de deux logements.
Le 14 mars 1988, la Commission rend la décision relative aux frais de déplacement à l'origine du présent appel. Elle se lit comme suit :
«[...] Lors de visite à la famille, les frais de déplacement compensables seront ceux prescrits par réglementation, par l'utilisation de transports en commun, soit 49,90 $ (aller simple) par le service d'autobus Voyageur, soit 56,00 $ (aller simple) par le service du train Via Rail. Ces deux services fournissent l'aide nécessaire pour les transports et mobilisation.
[...]»
Le 23 mars 1988, le travailleur demande la révision de ces deux décisions et le 7 février 1989, le bureau de révision entend les parties sur ces demandes.
Le 24 juillet 1989, le bureau de révision rejette les deux demandes de révision et confirme les décisions rendues par la Commission. Essentiellement, le bureau de révision estime que la décision du travailleur de se faire traiter à Montréal relevait d'un choix personnel et qu'en conséquence, il n'a pas droit aux frais qu'il réclame.
ARGUMENTATION DES PARTIES
Se référant aux notes évolutives acceptant de payer au travailleur un loyer de 300 $ par mois et des frais de déplacement à Québec, la procureure soumet que la Commission avait déjà reconnu que le déménagement du travailleur à Montréal n'était pas un choix personnel. Elle plaide de plus que la Commission a déjà payé huit mois de loyer au travailleur et qu'elle ne pouvait par la suite revenir sur sa décision. Quant aux frais de déplacement, elle rappelle le témoignage rendu par le travailleur devant le bureau de révision et soumet que la Commission devait respecter l'entente qu'elle avait prise avec lui.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La Commission d'appel doit décider si le travailleur a droit au remboursement de ses frais de logement à Montréal et de ses frais de déplacement en automobile à Québec.
L'article 192 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la Loi) consacre le droit d'un travailleur au médecin de son choix :
192. Le travailleur a droit aux soins du professionnel de la santé de son choix.
L'article 188 consacre quant à lui le droit à l'assistance médicale, qui est défini à l'article 189 :
188. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à l'assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion.
189. L'assistance médicale comprend:
1E les services de professionnels de la santé;
2E les soins hospitaliers;
3E les médicaments et autres produits pharmaceutiques;
4E les prothèses et orthèses au sens de la Loi sur la protection de la santé publique (chapitre P-35), prescrites par un professionnel de la santé et disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie de l'assurance-maladie du Québec ou, s'il s'agit d'un fournisseur qui n'est pas établi au Québec, reconnu par la Commission;
5E les autres soins ou frais déterminés par la Commission.
L'article 194 vient compléter ces dispositions de la manière suivante :
194. Le coût de l'assistance médicale est à la charge de la Commission.
Aucun montant ne peut être réclamé au travailleur pour une prestation d'assistance médicale à laquelle il a droit en vertu de la présente loi et aucune action à ce sujet n'est reçue par une cour de justice.
Comme la Commission d'appel l'a déjà reconnu[2], le droit de choisir librement son médecin est un droit absolu et il emporte celui de voir la Commission assumer tous les coûts reliés aux services et soins visés à l'article 189 et ceci quelque soit l'endroit où le travailleur désire les recevoir. Il appert d'ailleurs, dans l'espèce, que la Commission a effectivement assumés tous les frais reliés aux soins reçus par le travailleur à Montréal, frais d'assistance médicale s'entend. Ceci étant, les frais réclamés ici par le travailleur ne sont pas des frais d'assistance médicale, tels qu'énumérés à l'article 189 de la Loi. Ces frais sont plutôt prévus à l'article 115 de la Loi, qui se lit comme suit :
115. La Commission rembourse, sur production de pièces justificatives, au travailleur et, si son état physique le requiert, à la personne qui doit l'accompagner, les frais de déplacement et de séjour engagés pour recevoir des soins, subir des examens médicaux ou accomplir une activité dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation, selon les normes et les montants qu'elle détermine et qu'elle publie à la Gazette officielle du Québec.
Tel que le prévoit cette disposition, la Commission a adopté un règlement sur les Normes et montants de frais de déplacement et de séjour. Ce règlement fut d'abord adopté en 1985[3] et modifié en octobre 1987[4].
En ce qui concerne les frais de séjour, le règlement en vigueur jusqu'au 7 octobre 1987 prévoyait ce qui suit :
«[...]
7. La Commission rembourse le travailleur et la personne qui l'accompagne des frais de séjour effectivement engagés dans un établissement hôtelier, jusqu'à concurrence des sommes maximales admissibles, lorsque le déplacement est requis pour recevoir des soins, subir des examens médicaux ou accomplir une activité dans le cadre du plan individualisé de réadaptation.
8. Le travailleur et la personne qui l'accompagne qui, au cours d'un déplacement autorisé, logent ailleurs que dans un établissement hôtelier, reçoivent un montant forfaitaire.
Le travailleur est remboursé en outre pour le kilométrage effectué pour s'y rendre jusqu'à concurrence de trente-deux (32) kilomètres aller et retour, s'il est autorisé à utiliser son véhicule personnel.
[...]»
Comme on peut le voir, ce règlement ne prévoit pas le remboursement par la Commission du coût d'un loyer. Tout ce qu'il prévoit, c'est le paiement d'une allocation quotidienne maximale pour un coucher à l'hôtel ou le paiement d'un montant forfaitaire quotidien, sans pièces justificatives, pour un coucher chez un parent ou un ami.
Le seul fondement juridique possible des frais de logement réclamés par le travailleur est la disposition de l'Annexe I relative au paiement d'une allocation quotidienne sans pièces justificatives pour un coucher chez un parent ou un ami. Cette allocation était de 13,35 $ avant le 7 octobre 1987 et de 13,85 $ après cette date. L'article 1 du règlement, tel qu'amendé au 7 octobre 1987, prévoit par ailleurs que le remboursement des frais s'effectue selon la solution appropriée la plus économique.
Dans l'espèce, la Commission d'appel retient de la preuve faite que la Commission a effectivement remboursé au travailleur le coût de son loyer à raison de 300 $ par mois du mois d'octobre 1986 au mois de juin 1987. Le témoignage du travailleur est à cet effet et, sans être confirmé de façon explicite par l'avis de paiement produit à l'audience, il est compatible avec ce document et il concorde avec les notes évolutives apparaissant au dossier en avril 1987.
La Commission d'appel estime qu'en effectuant ce paiement, la Commission a reconnu implicitement que le déplacement du travailleur à Montréal était requis pour recevoir des soins. Elle ne pouvait, par la suite, remettre en question cette décision implicite.
Ceci étant, et même si la Commission a, dans les faits, remboursé le coût d'un loyer, les indemnités que pouvait légitimement réclamer le travailleur ne pouvaient dépasser ce que permettait le règlement.
Comme nous l'avons vu, la seule indemnité de séjour à laquelle pouvait avoir droit le travailleur en vertu du règlement était une allocation quotidienne sans pièce justificative de 13,35 $ avant le 7 octobre 1987 et de 13,85 $ après cette date et ceci, de l'avis de la Commission d'appel, pour les seules périodes où il n'était pas hospitalisé. Rien dans le règlement ne permet en effet de rembourser le travailleur pour des frais de séjour alors que celui-ci est hospitalisé. En vertu de l'article 1 du règlement tel que modifié au 7 octobre 1987, la Commission pouvait toutefois rembourser le travailleur suivant la formule la plus économique, à savoir, lui donner 300 $ par mois, si ce montant était inférieur à l'allocation quotidienne maximale reportée sur un mois.
La Commission d'appel conclut donc que le travailleur avait droit au paiement de frais de séjour pour les périodes où il n'était pas hospitalisé seulement, et ceci, sur la base de l'allocation quotidienne maximale permise ou sur la base du loyer encouru, selon la solution la plus économique.
En ce qui concerne les frais de déplacement entre Montréal et Québec pour permettre au travailleur de visiter sa famille à Québec, l'article 115 précité de la Loi ne prévoit pas le remboursement de tels frais. Il ne prévoit le remboursement de frais de déplacements que pour recevoir des soins, subir des examens médicaux, accomplir une activité dans le cadre d'un programme de réadaptation. Le travailleur n'a donc pas droit au remboursement de ces frais. La reconnaissance de facto de la justification du déménagement du travailleur n'a pas pour effet, par ailleurs, de lui donner des droits que le règlement n'inclut pas, non plus que les notes évolutives laissant croire que de telles dépenses auraient été autorisées à une certaine époque.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION D'APPEL EN MATIERE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES:
ACCUEILLE en partie l'appel du travailleur, monsieur Ioannis Papadeas;
DÉCLARE que le travailleur a droit au remboursement de frais de séjour pour les périodes où il n'était pas hospitalisé, et ceci, sur la base de la solution la plus économique entre l'allocation maximale permise par le règlement ou le coût du loyer réellement encouru par lui; et
DÉCLARE que le travailleur n'avait pas droit au remboursement de ses frais de déplacement pour aller visiter sa famille à Québec.
Thérèse Giroux
Commissaire
Me JACINTHE SAVOIE
2, Place Alexis-Nihon
Bureau 816
Westmount (Québec)
H3Z 3C1
(représentante de la partie appelante)
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.