Saulnier et Norcast inc. |
2010 QCCLP 7101 |
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[1] Le 21 mai 2010, monsieur Gilles Saulnier (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 16 avril 2010 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 11 février 2010 et déclare qu’elle est justifiée d’autoriser au travailleur une somme de 1479 $ pour les travaux reliés à la peinture intérieure de son domicile.
[3] L’audience s’est tenue à Rimouski le 9 septembre 2010, en présence du travailleur. Bien que dûment convoqué, l’employeur ne s’est pas présenté.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a droit à un montant supérieur à ce que la CSST lui a accordé pour les frais de la peinture intérieure de sa résidence.
LES FAITS
[5] Le 6 septembre 1997, le travailleur est victime d’un accident du travail alors qu’il reçoit une pièce très lourde sur le genou droit. Le diagnostic retenu est un traumatisme direct au niveau de la rotule droite par un arrachement d’une partie du cartilage de la rotule.
[6] Le 21 septembre 1998, le travailleur subit une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion initiale. Il conserve de ses deux lésions professionnelles une atteinte permanente de 15,25 % ainsi que des limitations fonctionnelles.
[7] Au mois de juin 2009, le travailleur informe la CSST de son désir de faire peinturer son domicile, car il ne peut plus effectuer ces travaux.
[8] Le 23 septembre 2009, l’agente de la CSST informe le travailleur qu’il doit présenter deux soumissions pour les travaux d’entretien et qu’elles seront analysées. L’agente fournit également des explications de ce qui doit se retrouver sur les soumissions si ce n’est pas une entreprise, mais un particulier.
[9] Le 28 septembre 2009, la CSST informe le travailleur qu’elle accepte de payer les frais suivants d’entretien de son domicile : déneigement du stationnement et de la galerie-patio, peinture intérieure (tous les cinq ans) du hall d’entrée, des deux salons, de la cuisine, de la salle à manger, des deux salles de bain, des trois chambres à coucher et du bureau, ainsi que la peinture (tous les deux ans) de la galerie-patio ainsi que du petit pignon de l’entrée. Cette décision n’a pas été contestée.
[10] Le 6 novembre 2009, la CSST accepte de rembourser au travailleur la somme de 332 $ pour les frais de déneigement de l’entrée de son domicile.
[11] Le 16 novembre 2009, l’entreprise Finitions Expert transmet au travailleur une soumission pour les travaux de peinture intérieure de sa résidence. Il en coûterait 2886 $ pour la peinture du rez-de-chaussée et 2994 $ pour la peinture du sous-sol, pour un total de 5880 $, plus les taxes applicables.
[12] Le 21 janvier 2010, un particulier, monsieur Roger Bouffard, produit une soumission pour la peinture intérieure de la résidence. Pour le rez-de-chaussée, il en coûterait 2700 $ et pour le sous-sol, le montant s’élève à 2800 $, pour un total de 5500 $.
[13] Le 3 février 2010, l’agente de la CSST communique avec les deux soumission-naires. Monsieur Carol Théberge de l’entreprise Finitions Expert l’informe qu’il faut trois jours à deux peintres pour peinturer le rez-de-chaussée. Le taux horaire qu’il charge est de 62 $.
[14] De son côté, monsieur Bouffard informe l’agente qu’il lui faut environ une grosse semaine pour peinturer le sous-sol. Il explique qu’il est seul pour faire ce travail et qu’il est à la retraite. Il mentionne ne pas avoir calculé un nombre d’heures et qu’il a fixé un prix global pour faire le travail.
[15] Le 4 février 2010, l’agente de la CSST analyse les deux soumissions. Elle rapporte une conversation téléphonique avec le travailleur :
J’explique au T que les soumissions qu’il nous a fait parvenir sont élevées et qu’avec le déneigement, cela dépassera le montant maximal autorisé des TE pour l’année. Il me dit que pour ce qui est des entrepreneurs, ils exigent des prix élevés et que l’autre soumissionnaire, il ne fait pas ce TE plus bas que ce montant. Il me dit de vérifier et qu’une personne faisant ce travail, il en a pas trouvé à Rimouski. Il dit qu’il ne veut pas prendre quelqu’un qui demande « moins cher », mais qui ne sait pas travailler. Je lui explique que je fais des vérifications et que je le rappelle.
[16] L’agente de la CSST rapporte au dossier un nouvel appel avec le travailleur fait le 5 février 2010 :
J’explique au T que j’ai vérifié. Je lui explique la situation (ex. : montant de la soumission de l’entreprise dépasse le montant maximal autorisé pour TE en 2010/la soumission du particulier est également élevé). Je lui explique que nous ne pouvons payer un particulier à des prix aussi élevés que des contracteurs et qu’il y a certaines balises auxquelles nous pouvons nous référer (travaux effectués par des particuliers). Je lui explique que suite aux explications données par les 2 soumissionnaires pour le temps nécessaire (qui est plutôt semblable), je lui explique le montant autorisé (6 jours (7 heures), à 17 $/ heure = 714 $ pour rez-de-chaussée et 765 $ pour sous-sol) car heures de plus pour pièces fermées). Je lui explique que je peux autoriser 1479 $ au total pour la peinture intérieure.
[sic]
[17] Le 11 février 2010, la CSST rend une décision par laquelle elle accepte de payer les frais de peinture intérieure au montant de 714 $ pour les pièces du rez-de-chaussée et de 765 $ pour les pièces du sous-sol de la résidence du travailleur.
[18] Cette décision est confirmée le 16 avril 2010 à la suite d’une révision administrative.
[19] Le travailleur en appelle devant la Commission des lésions professionnelles. Il considère que la somme accordée pour les travaux reliés à la peinture intérieure de son domicile est inférieure au prix coûtant du marché.
[20] Le 3 mai 2010, le travailleur dépose au tribunal une soumission d’un autre entrepreneur - Beaulieu Décor - qui effectuerait les travaux de peinture pour le prix de 2640 $ pour le rez-de-chaussée et 2200 $ pour le sous-sol, plus les taxes applicables. Cet entrepreneur évalue à 48 heures le nombre d’heures nécessaires pour le rez-de-chaussée et de 40 heures pour le sous-sol au taux horaire de 55 $.
[21] Le travailleur témoigne à l’audience qu’il n’est plus en mesure d’effectuer les travaux de peinture depuis son accident du travail. Avant cet événement, il effectuait lui-même ces travaux. Il précise que le prix demandé ne comprend que les travaux de main d’œuvre pour peinturer et qu’il n’y a aucune retouche de plâtrage à effectuer. Il déclare ne pas comprendre les critères tenus par la CSST pour établir le coût des travaux à 17 $ l’heure et qu’à ce prix, aucun entrepreneur ne voudra effectuer les travaux.
L’AVIS DES MEMBRES
[22] Le membre issu des associations syndicales et celui issu des associations d’employeurs sont tous deux d’avis que la requête du travailleur devrait être accueillie en partie. Ils considèrent que le montant alloué par la CSST n’est pas suffisant. Ils estiment que le travailleur a le choix de faire effectuer les travaux par la personne de son choix, un particulier ou un entrepreneur. Par contre, ils estiment que la soumission du particulier est beaucoup trop élevée, son taux horaire étant presque égal à celui chargé par un entrepreneur.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[23] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a droit au remboursement d’un montant plus élevé que ce que la CSST lui a accordé pour les frais reliés à la peinture intérieure de sa résidence.
[24] Le droit au remboursement des travaux courants d’entretien du domicile est prévu au chapitre de la réadaptation sociale de la Loi sur les accidents du travail et maladies professionnelles[1] (la loi). L’article 151 mentionne ce qui suit :
151. La réadaptation sociale a pour but d'aider le travailleur à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s'adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l'accomplissement de ses activités habituelles.
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1985, c. 6, a. 151.
[25] L’article 165 prévoit les conditions auxquelles la CSST accepte de rembourser le coût de certains travaux :
165. Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.
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1985, c. 6, a. 165.
[26] Considérant l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles que conserve le travailleur de ses lésions professionnelles, la CSST a reconnu le 28 septembre 2009 qu’il avait droit au remboursement de certains frais d’entretien courant de son domicile, dont la peinture intérieure. Cette décision n’a pas été contestée. D’ailleurs, le seul objet en litige est le montant alloué pour ces travaux.
[27] Toutefois, la CSST considère que les deux soumissions soumises par le travailleur sont beaucoup trop élevées. Elle a donc établi qu’elle rembourserait au travailleur les frais de peinture sur la base d’un taux horaire de 17 $. Le tribunal constate qu’elle n’indique aucun critère sur lequel elle s’est basée pour en arriver à ce montant. De plus, le tribunal souligne qu’il n’existe aucun règlement fixant les montants pour de tels travaux.
[28] Il appert du dossier que l’entreprise Finitions Expert a calculé sa soumission sur la base d’un taux horaire de 62 $, selon ce que son représentant a déclaré à l’agente. Il apparaît à la soumission de l’entreprise Beaulieu Décor qu’elle a utilisé un taux de 55 $ l’heure.
[29] Pour sa part, le particulier n’a pas indiqué de taux horaire. Toutefois, un simple calcul démontre que ce dernier a un taux horaire de 54 $ (2700 $ divisé par 50 heures) ou 45 $ si on divise ce montant par 60 heures, puisqu’il parle d’une grosse semaine de travail. Bien entendu, si le nombre d’heures diminue, le taux horaire augmente. Le tribunal considère que dans ce cas, ce taux horaire est nettement exagéré, pour ne pas dire abusif. En effet, le particulier n’a aucune charge administrative ou charge sociale à défrayer, contrairement à un entrepreneur inscrit qui doit payer en plus le salaire horaire de ses employés. Le tribunal trouve inconcevable que la CSST rembourse un tel taux horaire.
[30] À titre de comparaison et bien que cette convention ne s’applique pas au secteur résidentiel, le tribunal signale que selon la Convention collective du secteur résidentiel 2007-2010, communément appelé le Décret de la construction, le taux horaire d’un peintre oeuvrant dans le secteur résidentiel léger en date du 1er février 2010 est de 16,63 $ pour un apprenti classe 1 (ayant un certificat de compétence et moins de 2000 heures d’expérience), de 19,40 $ pour un apprenti classe 2 (comptant de 2000 à 4000 heures de travail) et de 23,56 $ pour un apprenti classe 3 (ayant entre 4000 et 6000 heures d’expérience). Pour sa part, un compagnon comptant plus de 6000 heures de travail gagne 27,72 $ l’heure.
[31] Le soussigné ne partage pas une certaine jurisprudence au sein de la Commission des lésions professionnelles voulant que la CSST ne puisse exiger des soumissions préalables de la part du travailleur puisque la loi ne le prévoit pas[2]. Il considère qu’il était approprié pour la CSST au niveau administratif de demander des soumissions préalables afin d’éviter des abus ou des coûts astronomiques qu’autrement, elle serait tenue de payer sur simple production d’une facture ou d’un reçu, et ce, bien que la loi ne l’exige pas. Le tribunal rappelle que la CSST est chargée de l’administration du régime d’indemnisation des travailleurs. À ce titre, elle doit gérer adéquatement les deniers publics.
[32] Bien que la Commission des lésions professionnelles ne soit pas liée par les politiques internes ou grilles d’analyse de la CSST, il n’en demeure pas moins qu’il est approprié que cette dernière en ait dans un but de favoriser une application uniforme de la loi et d’éviter certains cas d’abus potentiels.
[33] De plus, rembourser à un particulier un taux horaire égal ou presque à celui qu’un entrepreneur charge risquerait de créer des abus et faciliter le travail au noir ainsi que créer une concurrence déloyale aux entrepreneurs, quoique le soussigné ne prête aucune mauvaise intention au travailleur et au particulier qui a présenté une soumission.
[34] Le tribunal constate que le travailleur semble très intéressé à ce que le particulier qui a présenté une soumission effectue les travaux. Il n’a fait des démarches qu’auprès de celui-ci indiquant à l’agente qu’il est impossible de trouver quelqu’un de compétent pour effectuer les travaux de peinture.
[35] La Commission des lésions professionnelles a déjà statué que la CSST ne peut exiger que les travaux soient exécutés par un entrepreneur en règle et enregistré[3]. Le soussigné partage ce point de vue.
[36] Le travailleur a donc le choix de la personne par qui il fait exécuter les travaux d’entretien. Ainsi, s’il choisit de faire exécuter les travaux par un entrepreneur certifié ou inscrit, la CSST devra en acquitter le coût, et ce, même si le coût des travaux est plus élevé que si un particulier les avait effectués. Toutefois, le tribunal estime qu’il y a lieu de limiter le coût des travaux à la soumission produite la moins dispendieuse. En effet, l’esprit de la loi veut que la CSST adopte la solution la moins coûteuse. La CSST devra dans ce cas rembourser un montant maximal de 2640 $ pour la peinture du rez-de-chaussée et de 2200 $ pour le sous-sol, plus les taxes applicables, le tout bien entendu en tenant compte du montant maximal prévu par la loi pour les travaux d’entretien .
[37] Par contre, si le travailleur décide de faire effectuer les travaux par un particulier, le tribunal estime que la CSST peut établir un coût raisonnable qui peut et même devrait être moindre que dans le cas d’un entrepreneur.
[38] En l’espèce, le tribunal estime raisonnable d’accorder un taux horaire de 20 $ si les travaux de peinture sont exécutés par un particulier. Ce taux correspond à peu près au taux horaire d’un peintre apprenti classe 2, c’est-à-dire un peintre ayant un certificat de compétence et comptant entre 2000 et 4000 heures d’expérience. Le tribunal considère qu’il est sûrement possible de trouver quelqu’un de compétent dans la région pour effectuer les travaux à ce prix.
[39] Le tribunal évalue à environ 50 heures le nombre d’heures nécessaires pour peinturer le rez-de-chaussée selon la prépondérance de la preuve. En effet, l’entreprise Finitions Expert évalue la durée des travaux à trois jours à deux peintres. Sa soumission révèle 46,54 heures lorsqu’on divise 2886 $ par un taux horaire de 62 $. De son côté, Benjamin Moore évalue à 48 heures leur durée. Comme il est plausible qu’un particulier prenne un peu plus de temps pour exécuter le travail qu’un peintre professionnel, le tribunal estime raisonnable d’accorder 50 heures pour ce travail.
[40] Relativement à la peinture du sous-sol, le tribunal estime raisonnable d’allouer 50 heures pour les travaux. L’entreprise Finitions Expert estime à 48,3 heures le temps pour faire les travaux (2994 $ divisé par 62 $ l’heure). Benjamin Moore évalue le travail à 40 heures, tandis que le particulier parle d’une grosse semaine de travail.
[41] Par conséquent, si le travailleur opte de faire effectuer les travaux par un particulier, il aura droit à un remboursement maximal de 1000 $ pour le rez-de-chaussée et de 1000 $ pour le sous-sol. Toutefois, si les travaux sont exécutés par un entrepreneur inscrit, le travailleur aura droit au remboursement d’un montant maximal de 2640 $ pour la peinture à l’étage et de 2200 $ pour le sous-sol. Bien entendu, la CSST devra tenir compte du montant maximal annuel prévu par la loi pour les travaux d’entretien courant.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Gilles Saulnier, le travailleur;
MODIFIE la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail du 16 avril 2010 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur aura droit aux remboursements suivants :
- 1000 $ pour les frais de peinture du rez-de-chaussée s’il choisit de faire exécuter les travaux par un particulier sur présentation d’une facture payée sur laquelle apparaît la description des travaux ainsi que les coordonnées des personnes qui les ont effectués;
- 1000 $ pour les frais de peinture du sous-sol s’il choisit de faire exécuter les travaux par un particulier sur présentation d’une facture payée sur laquelle apparaît la description des travaux ainsi que les coordonnées des personnes qui les ont effectués;
- 2640 $ pour les frais de peinture du rez-de-chaussée s’il choisit de faire effectuer les travaux par un entrepreneur inscrit sur présentation d’une facture acquittée;
- 2200 $ pour les frais de peinture du sous-sol s’il choisit de faire effectuer les travaux par un entrepreneur inscrit sur présentation d’une facture acquittée.
Le tout sujet au montant maximal annuel prévu par la loi pour les travaux d’entretien courant du domicile.
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Normand Michaud |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Babeu et Boulangeries Weston Québec ltée, C.L.P. 166478-62B-0108, 16 janvier 2003, N. Blanchard; Bastien et CHSLD Plateau Mont-Royal, C.L.P. 226220-71-0401, 15 juillet 2004, L. Couture; Piché et Forage Dominik (1981) inc. C.L.P. 322769-08-0707, 21 janvier 2008, F. Daigneault.
[3] Millaire et Sport motorisé Millaire inc., C.L.P. 252156-64-0412, 14 novembre 2005, F. Poupart; Piché et Forage Dominick (1981) inc., note précitée 2.
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