Décision

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Marticotte et Fermes St-Vincent inc.

2010 QCCLP 8192

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec

10 novembre 2010

 

Région :

Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, Bas-Saint-Laurent et Côte-Nord

 

Dossier :

401664-01B-1002

 

Dossier CSST :

130871932

 

Commissaire :

Jean-François Clément, juge administratif en chef

 

Membres :

Ginette Denis, associations d’employeurs

 

Rémi Dion, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Gilles Marticotte

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Fermes St-Vincent inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 4 février 2010, monsieur Gilles Marticotte (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 29 janvier 2010 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a rendue le 26 novembre 2009 et déclare que le travailleur doit, préalablement à l’exécution de travaux, faire parvenir à la CSST deux soumissions détaillées de contractants différents indiquant les services à rendre ainsi que certains autres détails. Le tout s’inscrit dans le cadre de la lésion professionnelle subie le 7 janvier 2007 par le travailleur chez les Fermes St-Vincent inc. (l’employeur).

[3]           Une audience était prévue à Gaspé le 13 août 2010, mais le travailleur a demandé de procéder sur dossier à l’aide d’une argumentation écrite qui a été reçue par le tribunal le 1er octobre 2010. L’employeur a avisé par lettre du 28 juillet 2010 qu’il ne serait pas à l’audience et qu’il ne produirait pas de représentations.

[4]           Le 5 novembre 2010, la procureure de la CSST avisait le tribunal qu’aucune représentation particulière ne serait faite de sa part.

[5]           C’est donc le 5 novembre 2010 que le délibéré a débuté.

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[6]           Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a droit au paiement des frais d’entretien déjà acceptés sur production seulement de factures ou de reçus sans avoir à fournir de soumission préalable.

 

L’AVIS DES MEMBRES

[7]           Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs partagent le même avis.

[8]           Ils estiment qu’il y a lieu de se rallier à la jurisprudence presque unanime de la Commission des lésions professionnelles voulant que la CSST ne puisse, en vertu des dispositions de l’article 165 de la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), exiger de soumissions ni les numéros de la taxe sur les produits et services (T.P.S.) et de la taxe de vente du Québec (T.V.Q.) des fournisseurs.

 

LES FAITS ET LES MOTIFS

[9]           La Commission des lésions professionnelles doit décider si la CSST a raison d’exiger deux soumissions détaillées de contractants différents avant l’exécution des travaux déjà autorisés, incluant les numéros d’enregistrement pour fins fiscales (TPS-TVQ) de ces contractants.

[10]        La CSST accepte dans sa décision initiale du 26 novembre 2009 de payer les frais d’entretien suivants :

1.    Le déneigement de deux voies de sortie du domicile (2 portes et galeries).

2.    La tonte du gazon.

3.    L’utilisation du coupe-bordures.

4.    Le ratissage du terrain une fois par année.

5.    La peinture intérieure tous les cinq ans.

6.    La peinture extérieure des murs de la maison tous les cinq ans.

[11]        Ce que le travailleur conteste, c’est l’exigence formulée par la CSST au 2e paragraphe de sa décision initiale :

«Afin de vous préciser les montants qui pourront être remboursables, vous devez, avant toute exécution de travaux, nous faire parvenir deux soumissions détaillées de contractants différents. Les soumissions doivent indiquer les services à rendre ainsi que les numéros de T.P.S. et de T.V.Q. de vos fournisseurs.»

 

 

[12]        Ces travaux ont été autorisés en vertu du volet social de la réadaptation prévue à la loi. Il y a lieu de reproduire certains articles pertinents :

151.  La réadaptation sociale a pour but d'aider le travailleur à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s'adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l'accomplissement de ses activités habituelles.

__________

1985, c. 6, a. 151.

 

 

152.  Un programme de réadaptation sociale peut comprendre notamment :

 

1° des services professionnels d'intervention psychosociale;

 

2° la mise en oeuvre de moyens pour procurer au travailleur un domicile et un véhicule adaptés à sa capacité résiduelle;

 

3° le paiement de frais d'aide personnelle à domicile;

 

4° le remboursement de frais de garde d'enfants;

 

5° le remboursement du coût des travaux d'entretien courant du domicile.

__________

1985, c. 6, a. 152.

 

 

165.  Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.

__________

1985, c. 6, a. 165.

 

 

[13]        La nécessité de produire des soumissions n’est aucunement prévue à la loi mais plutôt dans une politique interne de la CSST.

[14]        Il est établi depuis très longtemps que bien que la CSST soit liée par ses propres politiques, il n’en va pas ainsi pour la Commission des lésions professionnelles[2].

[15]        Dans l’affaire Letendre et Relizon Canada inc.[3], le juge administratif Diane Lajoie s’exprimait comme suit :

«Le tribunal ne nie pas le pouvoir de la CSST d’adopter des politiques d’application de la loi. Toutefois, il ne peut être lié par une politique lorsque celle-ci impose des critères d’admissibilité à une mesure de réadaptation qui ne sont pas prévus par la loi ni par un règlement adopté en vertu de la loi et qui vont au-delà de ce qu’exige la loi2

_______________________

2           Rioux et Abitibi-Consolidated inc., C.L.P., 179171-04-0202, 10 juin 2002, J.-F. Clément

 

 

[16]        Une étude de la jurisprudence permet de constater que celle-ci détermine de façon nettement majoritaire, voire presque unanime, que la CSST ne peut exiger de soumissions ni de numéros d’enregistrement de T.P.S. ou de T.V.Q. d’un travailleur puisque pareilles exigences ne figurent pas à la loi.

[17]        Cette jurisprudence fait ressortir que lorsqu’il requiert la production de soumissions, le législateur s’exprime clairement comme aux articles 154 et 156 de la loi, ce qu’il ne fait pas à l’article 165 :

154.  Lorsque le domicile d'un travailleur visé dans l'article 153 ne peut être adapté à sa capacité résiduelle, ce travailleur peut être remboursé des frais qu'il engage, jusqu'à concurrence de 3 000 $, pour déménager dans un nouveau domicile adapté à sa capacité résiduelle ou qui peut l'être.

 

À cette fin, le travailleur doit fournir à la Commission au moins deux estimations détaillées dont la teneur est conforme à ce qu'elle exige.

__________

1985, c. 6, a. 154.

 

 

156.  La Commission ne peut assumer le coût des travaux d'adaptation du domicile ou du véhicule principal du travailleur visé dans l'article 153 ou 155 que si celui-ci lui fournit au moins deux estimations détaillées des travaux à exécuter, faites par des entrepreneurs spécialisés et dont la teneur est conforme à ce qu'elle exige, et lui remet copies des autorisations et permis requis pour l'exécution de ces travaux.

__________

1985, c. 6, a. 156.

 

 

[18]        On peut penser que l’absence d’obligation de présenter des soumissions à l’article 165 découle notamment du fait que les travaux prévus à cet article sont de moindre envergure que ceux visés aux articles 154 et 156 et que la limite annuelle de 1500$ fait en sorte que les montants en cause sont moins importants.

[19]        À la connaissance du tribunal, la première décision rendue par la Commission des lésions professionnelles dans le sens des prétentions du travailleur l’a été dans le dossier Bastien et CHSLD Plateau Mont-Royal[4].

[20]        La Commission des lésions professionnelles affirme dans cette décision que les conditions d’ouverture en matière de remboursement pour des travaux d’entretien courant du domicile sont prévues à l’article 165 de la loi de façon exhaustive.

[21]        Cette décision a été suivie de plusieurs autres confirmant cette approche.

[22]        Ainsi, dans Lemieux et Projet de préparation à l’emploi[5], la juge administrative Lucie Nadeau conclut que l’exigence de soumissions ajoute au texte de loi et constitue plus qu’une modalité puisqu’elle limite le droit de soumettre une demande. Les exigences relatives aux soumissions ne sont pas prévues à la loi.

[23]        Dans Grenier et Manac inc.[6], la Commission des lésions professionnelles retient que la jurisprudence majoritaire établit que les dispositions prévues à l’article 165 de la loi n’obligent nullement le travailleur à fournir deux soumissions comme le requiert la politique de la CSST.

[24]        Plusieurs autres décisions rendues plus récemment ont confirmé cette interprétation[7].

[25]        À la connaissance du tribunal, la seule décision retenant une approche différente est l’affaire Saulnier et Norcast inc.[8].

[26]        Le juge administratif dans cette affaire ne souscrit pas à la jurisprudence majoritaire suivant laquelle la CSST ne peut exiger de soumissions préalables du travailleur au motif que la loi ne l’exige pas. Il juge approprié sur le plan administratif de demander de telles soumissions afin d’éviter des abus et des coûts astronomiques que la CSST serait autrement tenue de payer moyennant la simple production d’une facture ou d’un reçu.

[27]        Selon lui, la CSST est chargée de l’administration du régime et à ce titre elle doit gérer adéquatement les deniers publics. Bien que la Commission des lésions professionnelles ne soit pas liée par des politiques internes ou les grilles d’analyse de la CSST, il est approprié que cette dernière en adopte dans le but de favoriser une application uniforme de la loi et d’éviter des cas d’abus potentiels.

[28]        Le tribunal remarque par ailleurs que dans l’affaire Gadoua précitée, bien que le juge administratif se rallie à la jurisprudence majoritaire, il qualifie de « pratique saine » le fait pour un travailleur de fournir deux soumissions.

[29]        Les motifs élaborés dans l’affaire Saulnier ne sont pas sans intérêt mais il s’agit d’une décision isolée. Ni la CSST ni l’employeur n’ont produit d’argumentation dans le présent dossier pour appuyer cette décision et les principes qui y sont retenus. De plus, les craintes énoncées par le juge administratif saisi de ce dossier peuvent être atténuées par d’autres moyens que l’exigence de deux soumissions, comme on le verra plus loin.

[30]        Ceci étant dit, le soussigné, à titre de président de la Commission des lésions professionnelles, est responsable de la cohérence décisionnelle.

[31]        C’est ce que prévoit l’article 418 de la loi :

418.  Outre les attributions qui peuvent lui être dévolues par ailleurs, le président est chargé de l'administration et de la direction générale de la Commission des lésions professionnelles.

 

Il a notamment pour fonctions :

 

1° de favoriser la participation des commissaires à l'élaboration d'orientations générales de la Commission des lésions professionnelles en vue de maintenir un niveau élevé de qualité et de cohérence des décisions;

 

[…]

__________

1985, c. 6, a. 418; 1997, c. 27, a. 24.

 

 

[32]        Ce devoir de tendre vers la cohérence s’applique aussi au président du tribunal lorsqu’il rend lui-même une décision. En l’espèce, le soussigné ne voit pas de motifs de s’écarter de la jurisprudence quasi-unanime de la Commission des lésions professionnelles, surtout que cette jurisprudence contient des motifs sérieux justifiant pourquoi la CSST ne peut exiger la production de soumissions.

[33]        Au surplus, comme le tribunal l’a déjà mentionné, ni la CSST ni l’employeur n’ont présenté d’argumentation pour expliquer au tribunal pourquoi il devrait s’écarter de cette position quasi-unanime. Le soussigné adhère donc aux motifs élaborés par cette jurisprudence.

[34]        Cela étant dit, il est clair que la CSST n’est pas obligée de payer sans mot dire toutes les factures qui lui sont produites. Elle a en effet l’obligation en vertu de l’article 181 de la loi de retenir la solution appropriée la plus économique en matière de réadaptation. Elle peut donc questionner la véracité ou l’adéquation des factures qu’elle reçoit tout comme elle peut elle-même demander des soumissions pour démontrer l’exagération éventuelle des factures soumises par un travailleur. Au surplus, la limite annuelle de 1500$ fait en sorte de limiter les sommes qu’un travailleur pourrait exiger abusivement.

[35]        Toutefois, dans le présent dossier, le recours du travailleur ne concerne que la nécessité de produire des soumissions à la CSST et il n’y a pas lieu de déborder de cette question.

 

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de monsieur Gilles Marticotte, le travailleur;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 29 janvier 2010 quant à la question de l’exigence des soumissions et des numéros de T.P.S. et T.V.Q. ;

DÉCLARE que le travailleur n’avait pas à faire parvenir à la CSST deux soumissions détaillées de contractants différents indiquant les services à rendre et les numéros de T.P.S. et de T.V.Q. des fournisseurs avant l’exécution des travaux.

 

 

 

__________________________________

 

            Jean-François Clément

 

 

 

 

Me Jacques Ricard

RICARD LEBEL, AVOCATS

Procureur de la partie requérante

 

 

Me Sonia Dumaresq

VIGNEAULT THIBODEAU GIARD

Procureure de la partie intervenante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]      Glaxo Smithkline Biologicals, 334462-03B-0711, 08-06-02, J.-F. Clément; Hôpital général juif Mortimer B. Davis, 334541-71-0711, 08-07-18, Y. Lemire.

 

[3]           235551-04B-0406, 21 mars 2005, D. Lajoie

[4]           226220-71-0401, 15 juillet 2004, L. Couture

[5]           206523-61-0304 et al, 25 février 2005, L. Nadeau

[6]           297919-04-0608, 16 mai 2007, A. Gauthier

[7]           Voir Millaire inc. et Sport motorisé Millaire inc., 252156-64-0412, 14 novembre 2005, F. Poupart; Piché et Forrage Dominik 1981 inc., 322769-08-0707, 21 janvier 2008, F. Daigneault; Dontigny et Service de gestion Quantum ltée, 289915-62-0605 et al, 20 février 2008, D. Beauregard; Gadoua et Acier CMC inc., 287335-62-0604, 10 mars 2008, R. Baudoin; Rainville et MGR fabrication et réparation inc., 339535-04B-0802, 20 juin 2008; M. Watkins; Pouliot et Supermarché Lambert inc., 361844-62B-0810, 5 août 2009, M. D. Lampron.

[8]           410967-01A-1005, 28 septembre 2010, N. Michaud

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