Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

1er décembre 2003

 

Région :

Outaouais

 

Dossier :

189305-07-0208

 

Dossier CSST :

116704636

 

Commissaire :

Me Mireille Zigby

 

Membres :

Raymond Groulx, associations d’employeurs

 

Martin Lebeau, associations syndicales

 

 

Assesseur :

Dr Ronald Dufresne

______________________________________________________________________

 

 

 

Claude Beauchamp

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Ville de Gatineau

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 20 août 2002, monsieur Claude Beauchamp (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue le 24 juillet 2002 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.

[2]                Cette décision confirme une décision initialement rendue par la CSST en date du 28 mars 2001 et déclare que le travailleur n’a pas subi de récidive, rechute ou aggravation de sa surdité professionnelle le ou vers le 18 septembre 2000. La même décision déclare également que le travailleur n’a pas droit au remboursement de prothèses auditives numériques.

[3]                L’audience s’est tenue le 14 mai 2003 en présence du travailleur et de sa procureure. Ville de Gatineau (l’employeur) et la CSST n’étaient pas représentées. La CSST a toutefois avisé de son intention de produire une argumentation écrite. La procureure du travailleur a demandé la permission de compléter sa preuve par le dépôt, après l’audience, d’un rapport complémentaire de la docteure Renée Dionne. Cette expertise a été reçue le 26 mai 2003 et un délai a été accordé à la CSST pour produire son argumentation, laquelle a été reçue le 17 juin 2003. La réplique du travailleur a été reçue le 26 juin 2003. C’est à cette dernière date que l’affaire a été prise en délibéré.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                La contestation du travailleur ne porte que sur le droit à des prothèses auditives numériques. Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision qui a été rendue le 24 juillet 2002 à cet égard et de déclarer qu’il a droit au remboursement du coût de prothèses auditives numériques en raison de sa surdité professionnelle.

LES FAITS

[5]                Le 16 novembre 1999, la CSST reconnaît que le travailleur est atteint de surdité professionnelle.

[6]                Le 17 novembre 1999, la CSST rend une autre décision par laquelle elle reconnaît que le travailleur a droit à une indemnité pour dommages corporels ainsi qu’au remboursement du coût de prothèses auditives. On peut lire en ce qui concerne les prothèses auditives :

« […]

 

De plus, vous pouvez vous procurer des prothèses auditives sur ordonnance médicale. La CSST en remboursera elle-même, à l’audioprothésiste, le prix et les frais d’ajustement selon les normes et le tarif de la Régie de l’assurance-maladie du Québec. »

 

 

[7]                Ces deux décisions ne sont pas contestées.

[8]                L’évaluation médicale de la docteure Renée Dionne, oto-rhino-laryngologiste, sur la base de laquelle les décisions de la CSST ont été rendues, établit que le travailleur est atteint d’une surdité neurosensorielle bilatérale asymétrique.

[9]                Sur la recommandation de l’audioprothésiste, François Sasseville, le travailleur présente une demande à la CSST, le 13 décembre 1999, dans le but d’obtenir des prothèses auditives numériques.

[10]           Le 11 janvier 2000, l’audioprothésiste justifie le choix de prothèses numériques auprès de la CSST. Il écrit :

« […]

 

Voici l’information concernant l’acquisition des prothèses auditives de Monsieur Claude Beauchamp. Nous avons établis lors de l’ajustement des prothèses précédentes que celles-ci n’était pas adéquates pour la perte auditive du patient. C’est pourquoi nous vous transmettons ici un estimé d’appareillage numérique.

 

[…]

 

Les prothèses retenues sont de technologie numérique. Le bruit de fond est vraiment réduit par rapport à la technologie conventionnelle. Elles offrent aussi la possibilité de réglage sur 4 canaux afin de mieux combler les besoins particuliers liés à la perte auditive atypique de M. Beauchamp. 

 

[…] »

 

 

[11]           Lors d’un entretien téléphonique, en date du 20 janvier 2000, la CSST informe le travailleur qu’elle n’assumera pas le coût de prothèses numériques en l’absence de malformation anatomique et parce que son emploi actuel n’est pas à risque.

[12]           Le 4 octobre 2000, le travailleur est de nouveau évalué par la docteure Dionne. L’audiogramme montre une légère aggravation que la docteure Dionne estime non significative et qui ne donne pas lieu à une augmentation de l’atteinte permanente. La docteure Dionne recommande, toutefois, le port de prothèses auditives numériques qu’elle justifie ainsi :

« […]

 

11.     Selon toute probabilité, la surdité neurosensorielle avec des chutes de 2KHZ à 4KHZ  est probablement secondaire à une surexposition aux bruits. Cependant, on note à l’oreille gauche que nous avons également une surdité dans les basses fréquences qui pourrait être secondaire à un hydrops, une surdité subite ou une atteinte otologique en bas âge secondaire aux infections. La pathologie n’est donc pas définie de ce côté actuellement. Il est important de noter qu’il existe quand même une pente dans les hautes fréquences aux deux oreilles. Ce patient pourrait bénéficier d’appareils auditifs bilatéralement. Actuellement, nous aimerions faire bénéficier au patient une prothèse numérique bilatéralement. Celle-ci pourrait être justifiée à droite étant donné la chute dans les hautes fréquences à 3KHZ, 4KHZ et 8KHZ où nous avons une surdité de modérée à sévère. À l’oreille gauche, nous avons une surdité aux basses fréquences mais une atteinte aux hautes fréquences beaucoup moins marquée. La prothèse numérique permettrait d’accommoder ce patient de façon plus adéquate étant donné la surdité qui est en pente afin d’améliorer peu les basses fréquences et d’améliorer de façon substantielle les hautes fréquences et ce principalement à droite. Nous notons effectivement une surdité en pente à l’oreille gauche dans les hautes fréquences mais beaucoup moins marquée qu’à l’oreille droite et également une surdité aux basses fréquences qui elle n’est pas reliée aux bruits. […] »

 

 

[13]           Le travailleur présente une réclamation pour récidive, rechute ou aggravation. Sa réclamation a essentiellement pour but de pouvoir se procurer des prothèses auditives numériques plutôt que conventionnelles.

[14]           Dans une décision du 28 mars 2001, la CSST refuse la réclamation du travailleur qui en demande la révision. La décision de la CSST est confirmée le 24 juillet 2002 à la suite d’une révision administrative d’où la présente contestation devant la Commission des lésions professionnelles, laquelle ne porte que sur le droit à des prothèses auditives numériques.

[15]           Témoignant à l’audience, le travailleur déclare qu’il ne porte pas de prothèses auditives actuellement parce que c’était pire de porter les prothèses conventionnelles que de ne pas en porter du tout. Il explique que malgré de nombreux ajustements au niveau de ces appareils, il y avait trop de bruit environnant. Il dit que sa condition a des répercussions importantes au niveau de sa vie quotidienne, l’incitant au retrait social et à l’isolement.

[16]           Le travailleur est à la retraite depuis janvier 2001.

[17]           Un rapport de la docteure Dionne, en date du 21 mai 2003 et reçu à la Commission des lésions professionnelles le 26 mai 2003, complète la preuve. Dans ce rapport, la docteure Dionne explique de nouveau pourquoi la prothèse auditive numérique est la mieux adaptée dans le cas du travailleur :

« […]

 

2.   Dans le cas de M. Beauchamp, quelle est la prothèse la mieux adaptée à ses besoins et pourquoi?

 

      Dans le cas de M. Beauchamp, nous sommes en présence d’une surdité neurosensorielle très légère aux basses et moyennes (5KHZ, 1KHZ, 2KHZ) fréquences avec une chute marquée (de plus de 25 décibels entre 2KHZ et 3KHZ) aux hautes fréquences, et ce, à l’oreille droite. À gauche, nous sommes en présence d’une surdité neurosensorielle légère à modérée aux basses fréquences, une audition normale aux moyennes fréquences suivi d’une chute aux hautes fréquences.

 

     

Compte tenu de sa situation, M. Beauchamp pourrait bénéficier d’une prothèse analogique programmable ou d’une prothèse numérique. Ces deux types de prothèses permettent un ajustement plus adéquat de la surdité en fonction de la perte aux différentes fréquences. Les deux prothèses offrent la possibilité d’ajuster via l’ordinateur le gain à apporter selon la perte aux différentes fréquences. Je dois, cependant, faire remarquer que la prothèse numérique demeure supérieure en ce qui concerne la réduction du bruit environnant et favorise un meilleur traitement vocal (de la parole). On ne retrouve pas ces deux options dans la prothèse programmable analogique puisqu’il n’y a pas de logiciel à cet effet. »

 

 

L’AVIS DES MEMBRES

[18]           Conformément à l’article 429.50 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), la soussignée a obtenu l’avis des membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs.

[19]           Les deux membres sont d’avis qu’il y a lieu d’accueillir la contestation du travailleur et de reconnaître qu’il a droit à des prothèses auditives numériques. Ils estiment que la preuve a démontré que des prothèses auditives numériques étaient justifiées dans le cas particulier du travailleur à cause de son atteinte auditive asymétrique.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[20]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a droit au remboursement du coût de prothèses auditives numériques en raison de sa surdité professionnelle.

[21]           Les articles 188, 189, 194 et 198.1 de la loi prévoient ce qui suit :

188. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à l'assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion.

__________

1985, c. 6, a. 188.

 

 

189. L'assistance médicale consiste en ce qui suit:

 

1°   les services de professionnels de la santé;

 

2°   les soins ou les traitements fournis par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5);

 

3°   les médicaments et autres produits pharmaceutiques;

 

4°   les prothèses et orthèses au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes, des tissus, des gamètes et des embryons, les services ambulanciers et la disposition des cadavres (chapitre L-0.2), prescrites par un professionnel de la santé et disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie de l'assurance maladie du Québec ou, s'il s'agit d'un fournisseur qui n'est pas établi au Québec, reconnu par la Commission;

 

5°   les soins, les traitements, les aides techniques et les frais non visés aux paragraphes 1° à 4° que la Commission détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.

__________

1985, c. 6, a. 189; 1992, c. 11, a. 8; 1994, c. 23, a. 23; 1999, c. 89, a. 53; 2001, c. 60, a. 166.

 

 

194. Le coût de l'assistance médicale est à la charge de la Commission.

 

Aucun montant ne peut être réclamé au travailleur pour une prestation d'assistance médicale à laquelle il a droit en vertu de la présente loi et aucune action à ce sujet n'est reçue par une cour de justice.

__________

1985, c. 6, a. 194.

 

 

198.1. La Commission acquitte le coût de l'achat, de l'ajustement, de la réparation et du remplacement d'une prothèse ou d'une orthèse visée au paragraphe 4° de l'article 189 selon ce qu'elle détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.

 

Dans le cas où une orthèse ou une prothèse possède des caractéristiques identiques à celles d'une orthèse ou d'une prothèse apparaissant à un programme administré par la Régie de l'assurance maladie du Québec en vertu de la Loi sur l'assurance maladie (chapitre A-29) ou la Loi sur la Régie de l'assurance maladie du Québec (chapitre R-5), le montant payable par la Commission est celui qui est déterminé dans ce programme.

__________

1992, c. 11, a. 11; 1999, c. 89, a. 53.

 

 

[22]           Dans le cas qui nous occupe, il est reconnu que le travailleur a droit au remboursement de prothèses auditives. La question consiste seulement à savoir s’il a droit à des prothèses auditives numériques plutôt que conventionnelles.

[23]           À maintes reprises, la Commission des lésions professionnelles a reconnu le droit du travailleur atteint de surdité professionnelle à l’obtention de prothèses auditives numériques lorsque les circonstances le justifiaient. La procureure du travailleur a déposé à l’audience certaines de ces décisions[2] qui illustrent un courant jurisprudentiel largement majoritaire auquel la soussignée souscrit entièrement.

[24]           Dans son argumentation écrite, la CSST commente les décisions déposées par la procureure du travailleur. Elle plaide que l’ensemble des décisions qui accordent au travailleur le droit au paiement de prothèses numériques s’inscrit dans un contexte bien particulier de maintien en emploi ou encore de circonstances exceptionnelles (atteinte permanente importante, état de santé secondaire, risque pour la santé et la sécurité du travailleur) qui ne s’appliquent pas en l’espèce puisque le travailleur a pris sa retraite et que l’atteinte permanente qui lui a été reconnue est seulement de 1%. La CSST fait également remarquer que la docteure Dionne n’avait pas recommandé le port de prothèses numériques lors de sa première évaluation du travailleur en 1999. Ce n’est qu’à la suite du second audiogramme, dans son rapport du 19 octobre 2000, que la docteure Dionne recommande le port d’une telle prothèse alors que la condition du travailleur n’a pas changé entre 1999 et 2000. La CSST prétend que dans le cas du travailleur, il s’agit d’une question de confort et non de nécessité et que le port d’une prothèse numérique n'est aucunement justifié.

[25]           Le tribunal ne peut retenir les arguments de la CSST car il estime que la preuve a, au contraire, démontré que l’usage de prothèses auditives numériques était pleinement justifié dans le cas du travailleur. En effet, il est démontré que le travailleur est atteint d’une surdité neurosensorielle bilatérale qui est asymétrique. C’est à cause de cette asymétrie que la prothèse numérique permettrait d’accommoder le travailleur de façon plus adéquate comme l’a expliqué le docteur Dionne dans son rapport du 19 octobre 2000 et dans son rapport plus récent du 21 mai 2003. C’était aussi la recommandation de l’audioprothésiste en janvier 2000. Celui-ci mentionnait dans sa lettre à la CSST que les prothèses conventionnelles n’étaient pas adéquates pour la perte auditive atypique du travailleur. Enfin, le travailleur a témoigné à l’effet que le port de prothèses conventionnelles était pire que l’absence de prothèses à cause du bruit environnant. L’expérience a été tentée avec des prothèses conventionnelles et n’a pas donné de bons résultats. Il s’est avéré que les prothèses conventionnelles n’étaient d’aucune utilité pour le travailleur dont la qualité de vie est nettement diminuée à cause de son atteinte auditive.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la contestation du travailleur, monsieur Claude Beauchamp;

INFIRME en partie la décision qui a été rendue le 24 juillet 2002 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;

ET

DÉCLARE que monsieur Claude Beauchamp a droit à des prothèses auditives numériques dont le coût doit être assumé par la Commission de la santé et de la sécurité du travail.

 

 

 

__________________________________

 

Me Mireille Zigby

 

Commissaire

 

 

 

 

Me Maryse Lepage

BASTIEN, MOREAU

Procureure de la partie requérante

 

 

Me Isabelle Carpentier-Cayen

BEAUDRY & BERTRAND

Procureure de la partie intéressée

 

 

Me Julie Perrier

PANNETON LESSARD

Procureure de la partie intervenante

 



[1]          L.R.Q., c. A-3.001

[2]          Ramez c. Pierre Desmarais inc., C.L.P. 140074-72-0006, 19 juin 2001, H. Rivard; Bertrand et Produits chimiques Expro inc., C.L.P.  142326-62C-0006, 24 mai 2001, G. Robichaud; Pouliot et  Gérald Robitaille et Associés Ltée, C.L.P. 165805-03B-0107, 21 mars 2002, M. Cusson; Bush et Urgences Santé, C.L.P. 166957-64-0107, 12 novembre 2001, B. Lemay; Tremblay et Distribution Tremblay & Gagnon Inc., C.L.P. 191260-02-0209, 23 décembre 2002, M. Renaud

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