DÉCISION
[1] Le 30 avril 2002, monsieur Daniel Letiecq (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) rendue le 19 mars 2002 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 4 décembre 2001 et déclare que la CSST était justifiée de mettre fin aux allocations d’aide personnelle à domicile à compter du 30 novembre 2001.
[3] Bien que dûment convoqué, l’employeur n’est pas représenté à l’audience. Le travailleur est présent et est représenté, à l’audience tenue devant la Commission des lésions professionnelles.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il avait droit à de l’aide personnelle à domicile suivant le 30 novembre 2001.
L'AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que le travailleur a droit à de l’aide personnelle à domicile en vertu de l’article 358 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) en ce qu’il a fait la démonstration de la nécessité d’une aide partielle pour effectuer le ménage léger et la tâche de l’approvisionnement et d’une aide partielle à totale pour les ménages lourds. Il est également d’avis que cette incapacité à effectuer les tâches domestiques constitue une incapacité pour le travailleur à prendre soin de lui-même en vertu de l’article 158 de la loi et que cet article doit être interprété à la lumière des articles 1 et 151 de loi.
[6] La membre issue des associations d’employeurs est d’avis que la requête du travailleur devrait être rejetée en ce qu’il ne rencontre pas les conditions prévues à l’article 158 de la loi exigeant qu’il soit incapable de prendre soin de lui-même et d’effectuer les tâches domestiques qu’il effectuerait normalement. La preuve voulant que le travailleur soit tout à fait capable de prendre soin de lui-même fait en sorte qu’il ne remplit pas la première condition d’admissibilité à l’aide personnelle à domicile prévue par l’article 158 de la loi.
LES FAITS
[7] Le travailleur est âgé de 34 ans lorsqu’il est victime d’un accident du travail le 31 août 2000, alors qu’il fait une chute de son camion en replaçant une courroie de la toile de son chargement et devient paraplégique en s’infligeant une fracture de la vertèbre L1 et des blessures aux vertèbres D - 12 à L-2. Le 14 septembre 2000, la CSST accueille la réclamation du travailleur. Le 1er novembre 2000, elle accorde au travailleur le remboursement des frais d’entretien courant de son domicile en vertu de l’article 165 de la loi, pour la tonte de sa pelouse et son déneigement.
[8] Le 13 novembre 2000, la CSST accueille la réclamation du travailleur à titre d’aide personnelle à domicile pour la période du 11 novembre au 31 décembre 2000, au montant de 77,36 $ par deux semaines. Le 4 décembre 2000, elle reconsidère cette décision et majore le montant de l’allocation à 91,44 $ par deux semaines. Le 15 décembre 2000, elle accepte de payer les travaux d’adaptation du domicile du travailleur. Le 16 janvier 2001, la CSST rend une nouvelle décision en matière d’aide personnelle et augmente l’allocation du travailleur pour la période du 21 décembre 2000 au 1er juin 2001 à 126,14 $ par deux semaines. Le 8 juin 2001, la CSST maintient à 126,14 $ les besoins d’aide personnelle à domicile du travailleur pour la période du 3 juin 2001 au 2 novembre 2001.
[9] Les notes évolutives au dossier révèlent que les coûts d’adaptation du domicile du travailleur étaient évalués par la CSST à 94 000 $. Considérant le fait que le travailleur ne désirait pas faire adapter la résidence qu’il occupait, la CSST de concert avec le travailleur, décide de faire construire une nouvelle maison adaptée aux besoins du travailleur et d’en assumer le coût de 94 000 $, sur un coût total d’environ 130 000 $. Le 20 novembre 2001, le travailleur intègre sa nouvelle maison.
[10] Le 30 novembre 2001, l’agente d’indemnisation à la CSST effectue une visite du domicile du travailleur afin d’évaluer la nécessité d’une aide personnelle à domicile. Celle-ci constate que le travailleur est entré dans sa nouvelle résidence et que toutes les adaptations identifiées par l’architecte sont effectuées. Elle constate que le travailleur n’a plus de besoins pour s’occuper de lui-même.
[11] Le 4 décembre 2001, la CSST conclut que l’état de santé du travailleur et sa situation personnelle se sont améliorés de telle sorte que l’allocation d’aide personnelle à domicile prend fin au 30 novembre 2001. Le 8 janvier 2002, le travailleur conteste cette décision. Le 19 mars 2002, la révision administrative confirme la décision initialement rendue le 4 décembre 2001. Le 30 avril 2002, le travailleur conteste cette décision, d’où le présent recours.
[12] La grille d’évaluation des besoins d’aide personnelle à domicile utilisée par la CSST prévoit un tableau d’évaluation des besoins d’assistance dans 16 activités, soit :
1. Le lever ;
2. Le coucher ;
3. L’hygiène corporelle ;
4. L’habillage ;
5. Le déshabillage ;
6. Les soins médicaux ;
7. Les soins intestinaux ;
8. L’alimentation ;
9. L’utilisation des commodités du domicile ;
10. La préparation du déjeuner ;
11. La préparation du dîner ;
12. La préparation du souper ;
13. Le ménage léger ;
14. Le ménage lourd ;
15. Le lavage du linge ;
16. L’approvisionnement.
[13] Le 17 juin 2003, l’ergothérapeute, madame Linda Fournier, effectue l’évaluation des besoins d’aide personnelle à domicile du travailleur à sa demande. Elle conclut que le travailleur est autonome pour le lever, le coucher, l’hygiène personnelle, l’habillage et le déshabillage, les soins médicaux et intestinaux, l’alimentation, l’utilisation des commodités du domicile et la préparation des repas. Elle est toutefois d’avis que le travailleur nécessite de l’aide partielle pour le ménage léger, soit pour sortir les ordures, l’époussetage dans des endroits non accessibles pour lui et ramasser la poussière au sol. Elle est également d’avis qu’il nécessite de l’aide partielle à totale pour le ménage lourd, soit pour le nettoyage du réfrigérateur, le lavage des fenêtres et le grand ménage annuel. Elle est finalement d’avis qu’il a besoin d’une aide partielle pour la tâche de l’approvisionnement.
LES MOTIFS
[14] L’article 158 de la loi prévoit que l’aide personnelle à domicile peut être accordée à un travailleur dans certaines conditions. Cet article édicte ce qui suit :
158. L'aide personnelle à domicile peut être accordée à un travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, est incapable de prendre soin de lui‑même et d'effectuer sans aide les tâches domestiques qu'il effectuerait normalement, si cette aide s'avère nécessaire à son maintien ou à son retour à domicile.
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1985, c. 6, a. 158.
[15] L’article 162 de la loi prévoit que le montant d’aide personnelle à domicile cesse d’être versé lorsque le travailleur redevient capable de prendre soin de lui-même ou d’effectuer sans aide les tâches domestiques qu’il ne pouvait effectuer en raison de sa lésion professionnelle ou lorsqu’il est hébergé ou hospitalisé dans un établissement visé par la loi sur les services de santé et les services sociaux. Cet article édicte ce qui suit :
162. Le montant de l'aide personnelle à domicile cesse d'être versé lorsque le travailleur :
1 redevient capable de prendre soin de lui‑même ou d'effectuer sans aide les tâches domestiques qu'il ne pouvait effectuer en raison de sa lésion professionnelle; ou
2 est hébergé ou hospitalisé dans une installation maintenue par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S‑4.2) ou par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S‑5).
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1985, c. 6, a. 162; 1992, c. 21, a. 79; 1994, c. 23, a. 23.
[16] Le montant de l’aide personnelle à domicile est déterminé selon les normes et les barèmes que la CSST adopte par règlement en vertu de l’article 160 de la loi. Le règlement[2] ne fait pas la distinction entre ce qui correspond aux soins et aux tâches domestiques, tel que le prévoit l’article 158 de la loi. Toutefois, la jurisprudence[3] a définit que le soin réfère à toute activité de la vie quotidienne reliée à la personne même, alors qu’une tâche domestique est celle qui permet le fonctionnement normal du travailleur dans son domicile et que les activités énumérées à la grille d’évaluation qui font partie de la notion de soins sont : le lever, le coucher, l’hygiène corporelle, l’habillage et le déshabillage, les soins médicaux et intestinaux, l’alimentation et l’utilisation des commodités du domicile. Les autres activités qui correspondent aux tâches domestiques sont la préparation des repas, le ménage, le lavage et l’approvisionnement.
[17] Ainsi, pour que le travailleur ait droit à de l’aide personnelle à domicile en vertu de l’article 158 de la loi, il doit être incapable en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, de prendre soin de lui-même, d’effectuer sans aide les tâches domestiques qu’il effectuerait normalement, et que cette aide s’avère nécessaire à son maintien ou à son retour à domicile. En l’instance, des trois conditions ci-devant énumérées et exigées pour être admissible à de l’aide personnelle à domicile en vertu de 158, seule la première fait défaut, soit être incapable de prendre soin de soi-même. En effet, la jurisprudence majoritaire et constante de la Commission des lésions professionnelles et de la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles établit que le travailleur doit être à la fois incapable de prendre soin de lui-même et d’effectuer sans aide une tâche domestique, et que le terme « et » qui réunit ces deux conditions est conjonctif. Le principal motif d’une telle interprétation s’appuie sur l’article 162 de la loi qui prévoit que le droit à de l’aide personnelle en vertu de l’article 158 cesse lorsque le travailleur redevient capable de prendre soin de lui-même ou d’effectuer sans aide ses tâches domestiques. Ainsi, dès qu’une des deux circonstances est rencontrée, le droit à de l’aide personnelle à domicile prend fin.
[18] Lorsque le travailleur redevient capable de s’occuper de lui-même, il ne peut plus bénéficier de l’aide à domicile, car il ne rencontre plus les conditions d’admissibilité du programme prévu à l’article 158. Ainsi, bien que la preuve révèle que le travailleur a effectivement besoin d’une aide partielle ou totale pour certaines des tâches domestiques, il n’en reste pas moins que la preuve est également à l’effet qu’il est tout à fait capable de prendre dorénavant soin de lui-même dans tous les aspects de ses soins personnels[4]. Il en est ainsi malgré le fait qu’il ait toujours besoin d’une aide partielle ou totale pour son ménager léger, pour son ménage lourd et son approvisionnement.
[19] La Commission des lésions professionnelles conclut que le travailleur n’a pas droit à de l’aide personnelle à domicile en vertu de l’article 158 de la loi suivant le 30 novembre 2001.
[20] Par ailleurs, le tribunal souligne que l’article 165 de la loi prévoit qu’un travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d’une lésion professionnelle et qui est incapable d’effectuer des travaux d’entretien courant de son domicile qu’il effectuait normalement, peut être remboursé des frais qu’il engage pour faire exécuter ces travaux. La jurisprudence[5] a déjà décidé que même si un travailleur n’avait pas droit à de l’aide personnelle à domicile en vertu de l’article 158 parce qu’il était capable de prendre soin de lui-même, il avait droit au remboursement des frais engagés pour exécuter les travaux d’entretien ménagers de son domicile selon l’article 165. La jurisprudence[6] a également décidé que font partie des travaux d’entretien courant, le lavage des vitres, des murs, des plafonds et le grand ménage. En l’absence d’une décision sur le droit du travailleur au remboursement des frais engagés pour exécuter les travaux d’entretien ménagers de son domicile en vertu de l’article 165, la Commission des lésions professionnelles ne peut se prononcer sur cette question. Elle invite par conséquent le travailleur à adresser sa demande à la CSST.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête du travailleur, monsieur Daniel Letiecq, du 30 avril 2002 ;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 19 mars 2002, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur n’a pas droit à de l’aide personnelle à domicile en vertu de l’article 158 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles suivant le 30 novembre 2001.
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Me Francine Mercure |
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Commissaire |
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C.S.N. (Mme Sophie Robidas) |
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Représentante de la partie requérante |
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LAMA TRANSPORT & MANUTENTION (Mme Sophie Dubord) |
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Représentante de la partie intéressée |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Règlement sur les normes et barèmes de l’aide personnelle à domicile, A-3.001, r.1
[3] Espinosa et Air Nova inc., C.L.P. 192230-31-0210, 20 décembre 2002, H. Thériault; Cameron et Services de données Asselin [1998] C.L.P. 890 ; Nicolas et Centre d’hébergement de soins de longue durée de Cap‑Chat, C.L.P. 157485-01C-0103, 10 janvier 2003, R. Arseneau
[4] Grenier et Inter-Canadien, C.A.L.P. 72411-03-9508, 13 janvier 1997, M. Carignan; Roy et Brasserie Channy inc et CSST, C.A.L.P. 78743-03-9604, 20 juin 1997, J.-G. Roy; Fontaine et C.E.C.M. et CSST, C.A.L.P. 78803-062-9604 et 85230-62-9701, 22 août 1997, B. Lemay; CSST et Fleurent et Services de personnel Manpower Québec ltée, C.L.P. 91508‑03‑9710, 24 juillet 1998, J.-G.Roy; Frigault et Commission scolaire de Montréal, C.L.P. 142721‑61-0007, 25 mai 2001, L. Nadeau; Labrosse et Bell Canada, C.L.P. 150853‑61‑0011, 23 juillet 2001, S. Di Pasquale; Wilczynski et Centre hospitalier de Val d’Or, C.L.P. 163037-08-0106, 20 mars 2002, P. Prégent; Nicolas et Centre d’héberge de soins de longue durée de Cap-Chat, C.L.P. 157485-01C-0103. 10 janvier 2003, R. Arseneau; St-Pierre et (P.P.) Gisèle St-Pierre, C.L.P. 184950-07-0205, 24 janvier 2003, A.Suicco; Geoffroy et Fernand Gilbert ltée, C.L.P. 196984‑04‑0301, 20 mai 2003, J.-F. Clément
[5] Lebel et Municipalité Paroisse de Saint-Éloi, C.L.P. 124846-01A-9910, 29 juin 2000, L. Boudreault; Frigault et Commission scolaire de Montréal, C.L.P. 142721-61-0007, 25 mai 2001, L. Nadeau; Castonguay et Saint-Bruno Nissan inc., C.L.P. 137426-62B-0005, 21 novembre 2001, A. Vaillancourt
[6] Lévesque et Mines Northgate inc. [1990] C.A.L.P. 683 ; Boroday et Société canadienne des postes, C.L.P. 91417-62-9708, 21 juin 1999, L. Vallières; Castonguay et St-Bruno Nissan inc., C.L.P. 137426-62B-0005, 21 novembre 2001, A. Vaillancourt; Tardif et Alimentation Chez-vous, C.L.P. 29828-03-9106, 2 août 1993, J.-M. Dubois; Liburdi et Spécialistes d’acier Grimco, C.L.P. 124728‑63-9910, 9 août 2000, J.-M. Charrette; Rouette et Centre hospitalier Cooke, C.L.P. 141411‑04‑0006, 31 mai 2001, S. Sénéchal
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