Décision

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Modèle de décision CLP - juin 2011

Lopraino et Systèmes de contrôle Goodrich ltée

2012 QCCLP 8195

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Gatineau

28 décembre 2012

 

Région :

Laval

 

Dossier :

450736-61-1110-R

 

Dossier CSST :

130010770

 

Commissaire :

Suzanne Séguin, juge administrative

 

Membres :

Jean Litalien, associations d’employeurs

 

Richard Fournier, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

David Lopraino

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Systèmes de Contrôle Goodrich ltée

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 12 juillet 2012, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision d’une décision rendue le 29 mai 2012 par la Commission des lésions professionnelles.

[2]           Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles accueille en partie la requête de monsieur David Lopraino (le travailleur), modifie la décision rendue par la CSST le 15 septembre 2011 et déclare que la lésion professionnelle subie par le travailleur le 21 juillet 2006 est consolidée le 12 décembre 2008; que les soins et traitements étaient justifiés jusqu’au 12 décembre 2008; que le travailleur conserve une atteinte permanente à l'intégrité physique et psychique de 2,20 % lui donnant droit à une indemnité pour préjudice corporel de 1 783,54 $ et les intérêts et que le travailleur conserve les limitations fonctionnelles suivantes :

Le travailleur doit éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquente les activités qui impliquent de :

-         Soulever, porter, pousser, tirer des charges de plus de 25 kilogrammes;

-         Effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, extension ou de torsion de la colonne lombaire.

 

 

[3]           Par la même décision, la Commission des lésions professionnelles rejette la requête du travailleur dans le dossier 389651-61-0909 qui ne fait pas l’objet de la présente requête en révision ou en révocation. Elle confirme la décision rendue par la CSST le 12 août 2009 et déclare que le travailleur est apte à occuper l’emploi convenable de commis au service à la clientèle, et ce, à compter du 23 avril 2009.

[4]           L’audience sur la présente requête s’est tenue le 8 novembre 2012 à Laval en présence du travailleur qui n’est pas représenté. Système de Contrôle Goodrich ltée (l’employeur) a informé la Commission des lésions professionnelles qu’il ne serait ni présent ni représenté à l’audience. Quant à la CSST, elle y est représentée par procureur. La cause est mise en délibéré à la date de l’audience, soit le 8 novembre 2012.

[5]           Afin de rendre la présente décision, la soussignée a pris connaissance du dossier, a écouté l’enregistrement de l’audience du 9 février 2012, a pris connaissance des documents de la clinique médicale obtenus par le tribunal le 9 mars 2012 à la suite d’une ordonnance et des commentaires du procureur de la CSST reçus le 4 avril 2012 concernant le présent dossier, mais ayant été classés dans le dossier portant le numéro 389651-61-0909 joint au présent dossier lors de l’audience du 9 février 2012.

[6]           La soussignée a aussi pris en considération les argumentations des parties et la jurisprudence déposée par la CSST.

 

 

 

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[7]           La CSST demande de réviser la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 29 mai 2012 et de déclarer que la lésion professionnelle subie par le travailleur le 21 juillet 2006 est consolidée le 29 septembre 2008 ou, subsidiairement, le 27 mars 2009 avec suffisance de soins et de traitements et que la lésion professionnelle entraîne une atteinte permanente à l'intégrité physique et psychique dont le déficit anatomo-physiologique est de 0 % pour une entorse lombaire sans séquelle fonctionnelle objectivée.

 

L’AVIS DES MEMBRES

[8]           Le membre issu des associations d’employeurs accueillerait la requête de la CSST puisque, selon lui, le premier juge administratif a commis une erreur manifeste et déterminante en concluant que la lésion professionnelle est consolidée le 12 décembre 2008, que les soins et traitements étaient nécessaires jusqu’à cette date et que la lésion professionnelle entraîne une atteinte permanente à l'intégrité physique et psychique dont le déficit anatomo-physiologique est de 0 % pour une entorse lombaire sans séquelle fonctionnelle objectivée.

[9]           Quant au membre issu des associations syndicales, il est d’avis contraire. Il estime que la CSST n’a pas démontré, par une preuve prépondérante dont le fardeau lui incombe, que le premier juge administratif a commis une erreur manifeste et déterminante pouvant donner lieu à la révision de sa décision. Il estime qu’il s’agit de l’appréciation de la preuve qui incombe au premier juge administratif.

 

LES FAITS ET LES MOTIFS

[10]        La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a lieu de réviser ou de révoquer la décision rendue le 29 mai 2012.

[11]        L’article 429.49 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) prévoit qu’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel :

429.49.  Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.

 

Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.

 

La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[12]        Par ailleurs, une décision de la Commission des lésions professionnelles pourra être révisée ou révoquée selon les conditions strictes de l’article 429.56 de la loi :

429.56.  La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :

 

1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[13]        Cet article permettant la révision ou la révocation d’une décision a une portée restreinte et doit être interprété restrictivement en tenant compte des objectifs visés à l’article 429.49 de la loi afin d’assurer la stabilité juridique des décisions rendues par le tribunal[2].

[14]        Donc, afin de réussir dans son recours en révision ou en révocation, la partie devra démontrer, par une preuve prépondérante dont le fardeau lui incombe, l’un des motifs énumérés à l’article 429.56 de la loi.

[15]        Dans la présente affaire, la CSST invoque le troisième paragraphe de l’article 429.56, soit un vice de fond de nature à invalider la décision.

[16]        Dans l’affaire Bourassa[3], la Cour d’appel rappelle que la notion de vice de fond peut englober une pluralité de situations. Elle ajoute que :

[21]      La notion [de vice de fond] est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d'une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.

 

[22]      Sous prétexte d'un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d'ajouter de nouveaux arguments(4).

_______________

(4)    Yves Ouellette. Les tribunaux administratifs au Canada : procédure et preuve. Montréal : Éd. Thémis, 1997. P. 506-508 ; Jean-Pierre Villagi. « La justice administrative », dans École du Barreau du Québec. Droit public et administratif. Volume. 7 (2002-2003). Cowansville : Y.  Blais, 2002. P. 113, 127-129.

 

 

[17]        Le vice de fond de nature à invalider une décision a été interprété par la Commission des lésions professionnelles comme étant une erreur manifeste de fait ou de droit ayant un effet déterminant sur l’objet de la contestation. Il peut s’agir, entre autres, d’une absence de motivation, d’une erreur manifeste dans l’interprétation des faits lorsque cette erreur constitue le motif de la décision ou qu’elle joue un rôle déterminant, du fait d’écarter une règle de droit qui est claire ou du fait de ne pas tenir compte d’une preuve pertinente[4].

[18]        Dans l’affaire Franchellini précitée, la Commission des lésions professionnelles précisait que « la révision pour cause n’est pas un appel et il n’est pas permis à un commissaire qui siège en révision de substituer son appréciation de la preuve à celle qui a été faite par le premier commissaire »; ce recours ne peut constituer un appel déguisé étant donné le caractère final des décisions du tribunal.

[19]        La jurisprudence énonce aussi que ce recours en révision pour vice de fond ne doit pas être l’occasion pour une partie de compléter ou de bonifier la preuve ou l’argumentation déjà soumise[5].

[20]        La Cour d’appel souligne que la décision attaquée pour motif de vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision[6]. Elle invite donc la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d’une très grande retenue, c’est ce que souligne la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Louis-Seize et CLSC-CHSLD de la Petite-Nation[7] alors qu’elle s’exprime ainsi :

[22]      Toutefois, l’invitation à ne pas utiliser la notion de vice de fond à la légère et surtout l’analyse et l’insistance des juges Fish et Morrissette sur la primauté à accorder à la première décision et sur la finalité de la justice administrative, invitent et incitent la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d’une très grande retenue. La première décision rendue par la Commission des lésions professionnelles fait autorité et ce n'est qu'exceptionnellement que cette décision pourra être révisée. Pour paraphraser le juge Fish dans l’affaire Godin16, que ce soit pour l’interprétation des faits ou du droit, c’est celle du premier décideur qui prévaut.

__________

16           Précitée, note 8

 

 

[21]        Par ailleurs, une divergence d’opinions quant à l’interprétation du droit ne constitue pas un motif de révision[8].

[22]        Avant d’analyser les reproches invoqués par la CSST, rappelons brièvement les faits du présent litige et les conclusions du premier juge administratif.

[23]        Le travailleur subit un accident du travail le 21 juillet 2006 qui entraîne une entorse lombaire. Le 18 juin 2007, il est évalué par le docteur Jacques Toueg à la demande de la CSST qui recommande des traitements de physiothérapie et d’ergothérapie. Le docteur Jean-Pierre Paquette, médecin ayant pris charge du travailleur, se range à cette suggestion.

[24]        Par ailleurs, le travailleur commence un programme de reconditionnement à l’emploi le 14 juillet 2008 recommandé par la CSST. Ce programme est dispensé conjointement par des physiothérapeutes, des ergothérapeutes et des kinésiologues. Ceux-ci produisent des rapports toutes les quatre semaines.

[25]        Le 29 septembre 2008, le travailleur est examiné par le docteur Paul Moïse à la demande de la CSST. Les amplitudes articulaires sont normales et le docteur Moïse conclut que la lésion professionnelle est consolidée sans nécessité de soins et de traitements tout en étant d’avis que le travailleur devrait suivre un programme d’exercices de renforcement en raison de son déconditionnement lombaire. Il estime que la lésion professionnelle n’entraîne ni atteinte permanente à l'intégrité physique et psychique ni limitations fonctionnelles.

[26]        Le rapport d’évolution du programme de reconditionnement à l’emploi du 12 décembre 2008 démontre une amélioration des mouvements de la charnière lombaire, mais une limitation de la rotation gauche et de la flexion antérieure.

[27]        Le travailleur est évalué, le 27 mars 2009, par le docteur Alain Jodoin, membre du Bureau d’évaluation médicale. Ce dernier constate une absence d’ankylose du rachis lombaire et conclut que la lésion professionnelle est consolidée le 29 septembre 2008; que les traitements administrés sont suffisants et qu’il n’y a pas d’indication qu’ils soient poursuivis; que la lésion professionnelle entraîne une atteinte permanente à l'intégrité physique et psychique, dont le déficit anatomo-physiologique est de 0 % pour une entorse lombaire sans séquelles fonctionnelles objectivées, et des limitations fonctionnelles.

[28]        Le premier juge administratif écarte les opinions des docteurs Moïse et Jodoin et retient les constatations des physiothérapeutes qui apparaissent dans le rapport d’évolution du programme de reconditionnement à l’emploi du 12 décembre 2008. Il en conclut que la lésion professionnelle est consolidée à cette date et que les soins et traitements étaient nécessaires jusqu’à cette date. Il en conclut aussi que la lésion professionnelle entraîne une atteinte permanente à l'intégrité physique et psychique, dont le déficit anatomo-physiologique est de 2 % pour une entorse lombaire avec séquelles fonctionnelles objectivées, étant donné les pertes d’amplitude articulaires constatées par les physiothérapeutes.

[29]        Devant le présent tribunal siégeant en révision, la CSST reproche au premier juge administratif d’avoir omis d’appliquer une règle de droit et d’avoir décidé en l’absence totale de preuve médicale. Elle allègue également une erreur quant à l’interprétation des faits et, finalement, elle prétend que le premier juge administratif a omis de tenir compte d’un élément de preuve, qu’en est-il?

Omission d’appliquer une règle de droit et absence totale de preuve médicale

[30]        La CSST prétend que la décision du premier juge administratif de fixer la date de consolidation de la lésion professionnelle au 12 décembre 2008 et d’évaluer l’atteinte permanente à l'intégrité physique et psychique à 2,2 % est entachée d’un vice de fond manifeste en ce qu’il omet d’appliquer une règle de droit et que la décision est prise en l’absence totale de preuve médicale la supportant tout en écartant la preuve médicale disponible.

[31]        Essentiellement, la CSST plaide que la Commission des lésions professionnelles ne peut en arriver à ces conclusions si aucun médecin n’a émis d’opinion en ce sens. Elle s’inspire des articles 204, 209 et 212 de la loi et de la définition du terme « professionnel de la santé » prévue à son article 2.

[32]        Les articles 204, 209 et 212 de la loi se lisent ainsi :

204.  La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion. Le travailleur doit se soumettre à cet examen.

 

La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article  115 .

__________

1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.

 

 

209.  L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut exiger que celui-ci se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'il désigne, à chaque fois que le médecin qui a charge de ce travailleur fournit à la Commission un rapport qu'il doit fournir et portant sur un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article  212 .

 

L'employeur qui se prévaut des dispositions du premier alinéa peut demander au professionnel de la santé son opinion sur la relation entre la blessure ou la maladie du travailleur d'une part, et d'autre part, l'accident du travail que celui-ci a subi ou le travail qu'il exerce ou qu'il a exercé.

__________

1985, c. 6, a. 209; 1992, c. 11, a. 14.

 

 

212.  L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants :

 

1° le diagnostic;

 

2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;

 

3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;

 

4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;

 

5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.

 

L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.

__________

1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.

 

 

[33]        L’article 2 de la loi définit le « professionnel de la santé » comme étant un professionnel de la santé au sens de la Loi sur l’assurance maladie[9] qui édicte qu’il s’agit de tout médecin, dentiste, optométriste ou pharmacien légalement autorisé à fournir des services assurés.

[34]        La CSST s’inspire aussi du Règlement sur le barème des dommages corporels[10] qui prévoit que c’est un professionnel de la santé qui fait l’évaluation du pourcentage de l’atteinte permanente à l'intégrité physique et psychique.

[35]        La CSST plaide qu’en basant sa décision sur des constatations faites par des physiothérapeutes et en écartant le rapport médical du docteur Moïse et l’avis du docteur Jodoin, membre du Bureau d’évaluation médicale, le premier juge administratif a commis une erreur de droit.

[36]        Pour appuyer cette affirmation, elle dépose la décision Société d’électrolyse et de chimie Alcan limitée (SECAL) et Girard[11]. Le présent tribunal estime que cette décision est de peu d’utilité dans le débat, puisque la Commission des lésions professionnelles devait statuer sur le pourcentage d’atteinte permanente à l'intégrité physique et psychique établi par le médecin ayant pris charge du travailleur et qui n’avait pas été contesté selon la procédure de contestation médicale prévue à la loi.

[37]        Ce n’est pas le cas en l’espèce alors que la procédure de contestation médicale a été suivie et que l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale a été dûment contesté.

[38]        Les faits de la présente affaire se distinguent aussi des faits à l’origine de la décision Courrier Purolator ltée et Paquin[12] déposée par la CSST. Dans cette affaire, le médecin traitant écrit dans un Rapport médical du 15 juin 1993 que la lésion professionnelle sera consolidée le lendemain. Le travailleur témoigne que son médecin aurait indiqué que sa capacité de travail serait décidée par la chiropraticienne. La Commission d’appel en matière de lésions professionnelles conclut que le médecin du travailleur ne pouvait pas « déléguer » à la chiropraticienne la responsabilité prévue à la loi au chapitre de la procédure d’évaluation médicale. Le tribunal n’était pas saisi d’une contestation d’un avis du membre du Bureau d’évaluation médicale.

[39]        La CSST dépose également à l’appui de sa prétention la décision Centre Bell et Gagnon[13] dans laquelle la Commission des lésions professionnelles s’exprime ainsi :

[37]      Au même titre que le diagnostic et le pronostic, l’élaboration d’un plan thérapeutique, sa mise en œuvre et le suivi médical qui en découle, lequel implique, entre autres, l’évaluation continue de l’état de santé du patient, sont des actes nécessitant des connaissances médicales.  Ils requièrent notamment que la condition du sujet concerné soit comparée à des normes biomédicales reconnues, absolues et universelles dans leur essence.  Cette analyse est complète en soi, via les examens cliniques et para cliniques.

 

[38]      En vertu des dispositions pertinentes de la Loi, l’accomplissement de cette tâche est exclusivement réservée à des médecins, celui qui a charge du travailleur en premier lieu, et les autres, désigné par l’employeur et membre du Bureau d’évaluation médicale, ensuite, au cas de divergence d’opinion.

 

[…]

 

[42]      Pour ces motifs, aux fins de rendre sa décision, le tribunal choisit de s’en tenir à cette portion de la preuve offerte, relevant du cadre médical, qui offre une garantie de fiabilité suffisante en raison des fondements objectifs sur lesquels elle s’appuie.

 

[Soulignement ajouté]

 

[40]        La CSST dépose aussi la décision Chabot et Sel Warwick inc.[14]. Dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles écrit que l’espoir d’amélioration de l’état d’un travailleur doit s’appuyer sur des règles médicales objectives. La Commission des lésions professionnelles se réfère au jugement de la Cour supérieure dans l’affaire CSN Construction, Fédération des employées et employés de service public CSN et Confédération des syndicats nationaux c. C.L.P.[15], jugement maintenu par la Cour d’appel qui souscrit au motif de la Cour supérieure.

[41]        Dans cette dernière affaire, la Commission des lésions professionnelles avait statué que la lésion professionnelle de nature psychologique n’était pas consolidée en se basant sur l’opinion du médecin traitant de la travailleuse voulant que la consolidation n’ait lieu que lorsqu’on aura fini de régler de l’ensemble du dossier et sur l’opinion du psychiatre traitant selon lequel la reconnaissance des torts causés à la travailleuse et le recouvrement de sa dignité sont des conditions de sa guérison.

[42]        La Cour supérieure est d’avis que la « consolidation » ne peut être attachée qu’à des éléments de nature médicale et que l’espoir d’amélioration doit être fourni par un avis de nature médicale.

[43]        Avec respect, la soussignée estime que, par cette décision, la Cour supérieure n’a pas énoncé que, pour établir une date de consolidation, il faut à tout prix obtenir une opinion d’un médecin à cet effet, mais que la preuve doit être de « nature médicale ». Les conclusions des physiothérapeutes, des ergothérapeutes et des kinésiologues sont des éléments de « nature médicale ».

[44]        Dans la présente affaire, le premier juge administratif évalue la preuve médicale, dont les rapports des physiothérapeutes, et conclut que la lésion professionnelle n’est pas consolidée. Il s’exprime ainsi :

[52]      Est-ce que la preuve médicale supporte cette conclusion selon laquelle l’entorse lombaire subie par le travailleur était guérie à cette date ou qu’elle était stabilisée sans possibilité d’amélioration prévisible ?

 

[53]      La Commission des lésions professionnelles ne le pense pas. En effet, à cette date, le travailleur avait bénéficié d’un programme de reconditionnement à l’emploi s’étant échelonné sur une période de quatre semaines, soit du 14 juillet au 12 août 2008. À la fin de cette période de quatre semaines, les intervenants du programme constataient toujours des ankyloses du rachis lombaire et recommandaient la poursuite du programme pour une période supplémentaire de quatre semaines à raison de cinq demi-journées par semaine. La prolongation de ce programme a finalement été autorisée par la CSST le 30 octobre 2008.

 

[54]      Dans le rapport d’évolution dudit programme de reconditionnement à l’emploi produit le 12 décembre 2008, les intervenants mentionnent qu’il y a eu une amélioration des mouvements de la charnière lombaire depuis l’évaluation du 12 août 2008. En effet, l’évaluation du 12 décembre 2008 démontre que seules [sic] une limitation de la flexion antérieure ainsi qu’une limitation de la rotation gauche persistent à cette date. Les ankyloses au niveau de l’extension et de la flexion latérale gauches s’étant, quant à elles, résorbées depuis l’évaluation du 12 août 2008.

 

[55]      Dans les circonstances, la Commission des lésions professionnelles conclut que la lésion du travailleur n’était pas stabilisée sans possibilité d’amélioration le 29 septembre 2008 puisque la preuve révèle que l’état du travailleur a continué à s’améliorer durant la deuxième partie du programme de reconditionnement à l’emploi, qui s’est échelonnée sur les mois de novembre et décembre 2008.

 

[56]      La Commission des lésions professionnelles retient donc la date du dernier rapport d’évolution du programme de reconditionnement à l’emploi comme constituant la consolidation de la lésion professionnelle du travailleur, soit le 12 décembre 2008. En effet, la preuve ne permet pas de conclure que le travailleur a reçu de nouveaux traitements qui auraient permis une amélioration de son état de santé après cette date. Le travailleur admet d’ailleurs, dans le cadre de son témoignage, que sa condition est relativement stable depuis ce temps.

 

[Soulignement ajouté]

 

[45]        Il appert donc que le premier juge administratif a soupesé la preuve tant factuelle que médicale et qu’il en a conclut que la lésion professionnelle n’est pas consolidée. Il est donc au cœur de sa fonction d’adjudication. Le rôle de la Commission des lésions professionnelles ne peut se limiter à trancher entre deux opinions médicales. Elle doit prendre en considération l’ensemble de la preuve, l’évaluer et la soupeser afin de rendre la décision qui s’impose.

[46]        C’est en ce sens que conclut la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles dans l’affaire Le Grand Hôtel et Frazao[16] dans un cas où elle doit décider de la date de consolidation, de la nécessité des traitements, de l’existence ou non d’une atteinte permanente à l'intégrité physique et psychique et des limitations fonctionnelles :

Avant d’aborder le mérite des prétentions des parties, il convient de rappeler ici pour disposer des questions qui lui sont soumises, la Commission d’appel doit, de façon concomitante avec les affirmations du travailleur, analyser la preuve médico-administrative qui est versée au dossier, en extirper les éléments de faits et constatations médicales qui sont pertinentes et finalement en retenir les conclusions qui lui apparaissent les plus probantes. L’évaluation de la prépondérance de la preuve médicale s’établit non pas par un nombre d’expertises favorisant une thèse ou l’autre, mais bien plutôt par la force probante ou la crédibilité que la Commission d’appel accorde aux différentes expertises déposées par les médecins et spécialistes, au(x) témoignage(s) qu’elle recueille à l’audition et aux données médicales versées au dossier.

 

 

[47]        D’autre part, il est de jurisprudence constante que le tribunal n’est pas tenu de retenir la preuve d’un expert, même si cette preuve n’est pas contredite. C’est ce que nous rappelle la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Bermex International inc. et Rouleau[17] :

[54]      De plus, la commissaire assisté [sic] d’un médecin, est à même d’apprécier la vidéo du poste de travail, le témoignage de la travailleuse et l’ensemble de la preuve factuelle et médicale. Nous sommes ici au cœur de l’exercice de sa compétence spécialisée. Elle n’est pas liée par le témoignage des deux experts de l’employeur. Il lui appartient de les apprécier, ce qu’elle a fait de toute évidence. Écarter une opinion ne signifie pas pour autant que l’on substitue sa propre opinion à celle des experts.

[55]      Dans l’affaire Pelletier c. Commission des lésions professionnelles16, la Cour supérieure expose bien les principes applicables à ce sujet :

 

[38] L'appréciation du témoignage d'un expert médical est au cœur de la compétence de la CLP.

 

[39] Or, une preuve médicale peut être contredite ou nuancée par autre chose qu'une autre preuve médicale. Elle peut l'être par les faits mis en preuve qui peuvent venir corroborer, nuancer ou encore contredire l'opinion de l'expert.

 

[40] S'il fallait conclure, chaque fois qu'un tribunal ne retient pas l'opinion d'un expert, que c'est parce qu'il se fonde nécessairement sur une autre opinion d'expert (la sienne) qui serait irrecevable, cela aurait pour effet de forcer les tribunaux à retenir, dans tous les cas, une preuve d'expert unique qui lui serait présentée.

 

[41] Comme on le sait, un tribunal n'est jamais tenu de retenir l'opinion d'un expert, fût-elle non contredite. Dans l'arrêt Roberge[3], la juge L'Heureux-Dubé ne laisse pas de doute à cet égard :

 

Le juge, cependant, reste l'arbitre final et n'est pas lié par le témoignage des experts[4].

__________

            [3]    Roberge c. Bolduc, [1991] 1 R.C.S. 374

               [4]    Id., 430

 

 

[56]      Tout récemment la Cour supérieure reprenait avec approbation ces propos dans l’affaire Solaris Québec inc. c. Commission des lésions professionnelles17 dans laquelle elle rejette la requête en révision judiciaire d’un employeur qui reprochait à la Commission des lésions professionnelles d’avoir écarté la seule opinion médicale motivée portant sur la relation causale entre le travail du travailleur et la lésion.

 

[57]      La Commission des lésions professionnelles elle aussi a repris ces principes  dans le cadre d’une requête en révision dans Whitty et Centre hospitalier régional de Sept-Iles18:

 

            [Citation omise par le présent tribunal]

 

__________

                16          [2002] C.L.P. 207 (C.S.)

                17                   [2006] C.L.P. 295 (C.S.)

            18          C.L.P. 194088-09-0211, 17 août 2004, G. Marquis, (04LP-93)

 

 

[48]        Dans l’affaire Pièces d’Auto Cgn ltée et Martin[18], dont la décision est déposée par la CSST, la Commission des lésions professionnelles écrit que la décision portant sur la date de consolidation doit être fondée sur une preuve de « nature médicale » et non seulement sur les plaintes subjectives du travailleur. Elle précise également que « le premier juge administratif devait donc décider de la date de consolidation de la lésion professionnelle et bien qu’il pouvait choisir une date autre que celles mentionnées dans les expertises et les décisions au dossier, sa décision doit être fondée sur la preuve administrée. »

[Soulignement ajouté]

[49]        Le présent tribunal estime que la décision du premier juge administratif est fondée sur la preuve administrée et qu’il n’a pas dérogé à une règle de droit en déduisant de la preuve au dossier que la lésion du travailleur n’était pas stabilisée sans possibilité d’amélioration, puisque l’état du travailleur a continué à s’améliorer de façon objective[19] durant la deuxième partie du programme de reconditionnement à l’emploi qui s’est échelonné sur les mois de novembre et décembre 2008, et ce, même si le docteur Moïse estime que la condition du travailleur est normale le 29 septembre 2008. La conclusion du premier juge administratif repose sur la preuve et n’est pas irrationnelle; il s’agit d’une des issues possibles.

[50]        La CSST prétend, jurisprudence à l’appui[20], que les traitements reçus ne visaient pas à améliorer l’état de santé du travailleur, mais qu’il s’agit de mesures ayant pour but de développer sa capacité résiduelle pour atténuer ou faire disparaître les conséquences d’une lésion professionnelle.

[51]        Soulignons qu’il est écrit dans le Rapport d’évaluation initiale que le programme consiste en une approche multidisciplinaire incluant un programme de thérapie active incluant des activités fonctionnelles stimulant le renforcement du dos sans compensation et l’entraînement physique global.

[52]        Mais, peu importe la qualification des traitements reçus, le premier juge administratif a conclu que la lésion du travailleur n’était pas stabilisée sans possibilité d’amélioration le 29 septembre 2008 en se rapportant à la preuve.

[53]        Notons, que c’est aussi l’avis exprimé par le docteur Paquette, médecin ayant pris charge du travailleur, qui écrit dans le Rapport complémentaire qu’il rédige le 3 décembre 2008 : « déconditionnement pt. Amélioré en déc. 08 ».

[54]        Le présent tribunal estime aussi que, lorsque le premier juge administratif conclut que la lésion professionnelle entraîne une atteinte permanente à l'intégrité physique et psychique en retenant les pertes d’amplitude articulaire de la colonne lombaire constatées par les intervenants du programme de reconditionnement à l’emploi, il s’appuie sur la preuve qui lui est soumise; nous y reviendrons.

[55]        Mentionnons que le recours en révision n’est pas l’occasion pour une partie de soumettre une nouvelle argumentation et que le premier juge administratif a invité le représentant de la CSST à faire ses commentaires sur les constatations des intervenants du programme de reconditionnement au travail quant à l’amélioration des amplitudes articulaires entre le mois d’août 2008 et le 12 décembre 2008 et a demandé au représentant de la CSST comment il conciliait le rapport du 12 décembre 2008 et les rapports des docteurs Moïse et Jodoin.

[56]        Celui-ci plaidait alors que le tribunal devrait retenir les rapports des médecins d’autant plus que le docteur Jodoin est un chirurgien orthopédiste, mais il ne plaidait pas, comme il le fait maintenant, qu’il faille absolument que le tribunal retienne une conclusion émise par un médecin, soit un professionnel de la santé.

[57]        D’une part, il s’agit d’une interprétation de la loi et une divergence d’opinions quant à l’interprétation du droit ne constitue pas un motif de révision et, d’autre part, le recours en révision pour vice de fond ne doit pas être l’occasion de compléter ou de bonifier l’argumentation déjà soumise[21].

[58]        Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles estime que la CSST n’a pas démontré que le premier juge administratif a commis une erreur en omettant d’appliquer une règle de droit et en disposant du litige en l’absence totale de preuve médicale.

Erreur quant à l’interprétation des faits

[59]        La CSST plaide que le premier juge administratif a commis une erreur quant à l’interprétation des faits lorsqu’au paragraphe 61 de sa décision, il écrit que les examens des docteurs Moïse ou Jodoin se sont échelonnés sur quelques minutes seulement :

[61]      En effet, le tribunal est d’avis d’accorder une valeur probante aux constatations faites par les intervenants du programme de reconditionnement à l’emploi (ergothérapeute, physiothérapeute et kinésiologue) en ce qui concerne les limitations de mouvements de la colonne lombaire du travailleur. Ces intervenants ont eu l’occasion de suivre le travailleur de façon quotidienne pendant deux périodes de quatre semaines. La Commission des lésions professionnelles considère donc que leurs constatations apparaissent plus probantes que celles effectuées par les docteurs Moïse ou Jodoin lors d’un examen qui s’est échelonné sur quelques minutes seulement.

 

 

[60]        La soussignée a pu constater, lors de l’écoute de l’enregistrement de l’audience tenue devant le premier juge administratif et lors de la lecture de la preuve documentaire, que cette affirmation n’est pas basée sur la preuve, mais le présent tribunal estime que cette erreur n’est pas déterminante.

[61]        En effet, il appert de la lecture du paragraphe 61 de la décision du premier juge administratif qu’il estime que les constatations des intervenants du programme de reconditionnement à l’emploi sont plus probantes, non seulement à cause de la durée de la prise des mesures des amplitudes articulaires de la colonne lombaire, mais surtout parce que « ces intervenants ont eu l’occasion de suivre le travailleur de façon quotidienne pendant deux périodes de quatre semaines. »

[62]        La CSST affirme que chacune des trois évaluations a été effectuée par une physiothérapeute différente et que la façon de rapporter les mesures d’amplitude articulaires diffère de rapport en rapport.

[63]        Or, cette affirmation ne démontre pas en quoi le premier juge administratif aurait fait une erreur quant à l’interprétation des faits. Il en est de même de l’allégué de la CSST voulant qu’il est impossible de déterminer à quoi correspond les mesures d’amplitudes articulaires rapportées dans le rapport du 12 décembre 2008, puisque la physiothérapeute ne les rapporte pas en degrés.

[64]        D’ailleurs, le règlement prévoit qu’un déficit anatomo-physiologique de 2 % est accordé en présence d’une entorse lombaire avec séquelles fonctionnelles objectivées et ne fait pas référence d’un nombre de degrés d’amplitude articulaire perdus.

[65]        Alors, lorsque le premier juge administratif retient du rapport d’évolution du programme de reconditionnement à l’emploi qu’il persiste une limitation de 25 % de la rotation gauche ainsi qu’une légère limitation de la flexion antérieure et qu’il en conclut qu’il y a présence de séquelles fonctionnelles objectivées, il apprécie la preuve qui lui est soumise et le présent tribunal ne peut y substituer son appréciation.

[66]        La CSST ajoute que les professionnels rédigeant le rapport du 12 décembre 2008 ne se prononcent aucunement sur l’atteinte d’un plateau thérapeutique, mais la soussignée ne voit pas en quoi ce constat peut démontrer une erreur quant à l’interprétation des faits alors que le premier juge administratif conclut que le travailleur a continué à s’améliorer durant la deuxième partie du programme de reconditionnement à l’emploi et que « la preuve ne permet pas de conclure que le travailleur a reçu de nouveaux traitements qui auraient permis une amélioration de son état de santé après cette date. »

[67]        Dès lors, le présent tribunal estime que la CSST n’a pas démontré, par une preuve prépondérante dont le fardeau lui incombe, que le premier juge administratif a commis une erreur manifeste et déterminante dans l’appréciation des faits.

Omission de tenir compte d’un élément de preuve

[68]        De façon subsidiaire, la CSST plaide qu’après avoir conclu que la lésion professionnelle n’est pas consolidée le 29 septembre 2008, le premier juge administratif a commis une erreur manifeste et déterminante en omettant de tenir compte, pour décider de la date de consolidation et de l’évaluation de l’atteinte permanente à l'intégrité physique et psychique, du rapport d’expertise médicale du docteur Jodoin.

[69]        Le représentant de la CSST allègue maintenant que la preuve démontre que la condition du travailleur s’est améliorée le 27 mars 2009, puisque le docteur Jodoin constate que les amplitudes articulaires du rachis lombaire sont complètes à cette date. Or, le premier juge administratif a écarté cette conclusion.

[70]        Le juge administratif doit apprécier le rapport d’expertise médicale à la lumière de l’ensemble de la preuve et cette preuve ne doit pas être écartée de façon capricieuse, voire arbitraire, et sans motif[22]. Il se doit de motiver sa décision, tel que prévu à l’article 429.50 de la loi, et le défaut de motivation constitue une erreur de droit dans l’exercice de la compétence du tribunal qui n’aurait pas vidé une question[23].

[71]        Par contre, il faut distinguer entre l’absence totale de motivation et une motivation succincte ou abrégée pourvu que la décision soit intelligible et permette d’en comprendre les fondements[24]. La Commission des lésions professionnelles n’est pas tenue de commenter tous les faits ni de trancher tous les arguments, pourvu que le lecteur comprenne son raisonnement[25].

[72]        Or, le premier juge administratif a écarté l’opinion du docteur Jodoin et s’en est expliqué tant pour statuer sur la date de consolidation que pour évaluer les séquelles entraînées par la lésion professionnelle. Il n’a pas écarté cette preuve de façon capricieuse, voire arbitraire, et sans motif. Sa décision est claire à cet égard et est motivée.

[73]        Il appert que la CSST est insatisfaite des conclusions auxquelles le premier juge administratif en est arrivé, mais la soussignée ne peut substituer son appréciation de la preuve à la sienne.

[74]        Dès lors, la soussignée estime que les arguments de la CSST ne peuvent donner ouverture à la révision ou à la révocation de la décision de la Commission des lésions professionnelles du 29 mai 2012, la CSST n’ayant pas démontré que cette décision est entachée d’une erreur manifeste et déterminante; elle n’a pas fait la preuve d’un vice de fond de nature à invalider cette décision.

[75]        Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles conclut que la requête en révision ou en révocation doit être rejetée.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête en révision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail.

 

 

 

__________________________________

 

Suzanne Séguin

 

 

Me Érik Sabbatini

Fasken Martineau DuMoulin, avocats

Représentant de la partie intéressée

 

Me Guillaume Lavoie

Vigneault Thibodeau Bergeron

Représentant de la partie intervenante

 


 

 

 

JURISPRUDENCE

DÉPOSÉE PAR LA CSST

 

 

 

Centre Bell et Gagnon, C.L.P. 352073-71-0806, 14 avril 2010, J.-F. Martel.

 

Société d’électrolyse et de chimie Alcan Limitée (Secal) et Girard., C.L.P. 124668-02-9910, 21 février 2001, P. Ringuet.

 

CSN Construction, Fédération des employées et employés de service public CSN et Confédération des syndicats nationaux c. C.L.P., [2000] C.L.P. 43 (C.S.), appel rejeté, C.A. Montréal, 500-09-009666-009, 14 janvier 2003, jj. Brossard, Morin, Rayle.

 

Chabot et Sel Warwick inc., C.L.P. 322636-04B-0707, 6 mars 2009, M. Watkins.

 

Pièces d’Auto Cgn ltée et Martin, 2012 QCCLP 1656 .

 

Placements Arden inc. et Dumas., C.L.P. 256877-04B-0503, 31 août 2005, J.-F. Clément.

 

Costco Marché Central (Division Entrepôt) et Estrada, 2012 QCCLP 3779 .

 

Courrier Purolator ltée et Paquin, C.A.L.P. 67585-60-9503, 14 juin 1996, A. Suicco.

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

 

[2]           Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783 .

[3]           Bourassa c. Commission des lésions professionnelles, [2003] C.L.P. 601 (C.A.).

[4]           Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 .

[5]           Voir notamment : Moschin et Communauté Urbaine de Montréal, [1998] C.L.P. 860 ; Lamarre et Day & Ross inc., [1991] C.A.L.P. 729 ; Sivaco et C.A.L.P., [1998] C.L.P.180; Charrette et Jeno Neuman & fils inc., C.L.P. 87190-71-9703, 26 mars 1999, N. Lacroix, Pétrin c. C.L.P. et Roy et Foyer d’accueil de Gracefield, C.S. Montréal 550-05-008239-991, 15 novembre 1999, j. Dagenais.

[6]           Tribunal administratif du Québec c. Godin, [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.); CSST c. Fontaine, [2005] C.L.P. 626 (C.A.); CSST c. Touloumi, [2005] C.L.P. (C.A.).

[7]           C.L.P. 214190-07-0308, 20 décembre 2005, L. Nadeau, (05LP-220).

[8]           Amar c. CSST, [2003] C.L.P. 606 (C.A.).

[9]           L.R.Q., c. A-29.

[10]         R.R.Q., c. A-3.001, r. 2.

[11]         C.L.P. 124668-02-9910, 21 février 2001. R. Ringet.

[12]         C.A.L.P. 67585-60-9503, 14 juin 1996, A. Suicco.

[13]         C.L.P. 352073-71-0806, 14 avril 2010, J.-F. Martel.

[14]         C.L.P. 322636-04B-0707, 6 mars 2009, M. Watkins.

[15]         [2000] C.L.P. 43 (C.S.), appel rejeté, C.A. Montréal, 500-09-009666-009, 14 janvier 2003, jj. Brossard, Morin, Rayle.

[16]         C.A.L.P. 72594-60-9508, 16 octobre 1997, B. Lemay.

[17]         C.L.P. 233846-04-0405, 19 mars 2007, L. Nadeau.

[18]         2012 QCCLP 1656 .

[19]         Placements Arden inc. (Les) et Dumas, C.L.P. 256877-04B-0503, 31 août 2005, J.-F. Clément.

[20]         Costco Marché Central (division entrepôt) et Estrada, 2012 QCCLP 3779 .

[21]         Jurisprudence précitée à la note 5.

[22]         Bouchard c. Commission des lésions professionnelles, C.S. Québec, 200-17-006717-060, 12 juillet 2006, j. Hardy-Lemieux; Rodrigue et Commission des lésions professionnelles, C.S. Montréal, 500-17-035647-075, 12 décembre 2007, j. Léger.

[23]         Cité de la santé de Laval et Heynemand, C.L.P. 69547-64-9505, 26 octobre 1999, Anne Vaillancourt.

[24]         Mitchell inc. c. Commission des lésions professionnelles, C.S. Montréal, 500-05-046143-986, 21 juin 1999, j. Courville, D.T.E. 99T-711 ; Beaudin et Automobile J.P.L. Fortier inc., [1999] C.L.P. 1065 , requête en révision judicaire rejetée, [2000] C.L.P. 700 (C.S.); Manufacture Lingerie Château inc. c. Commission des lésions professionnelles, C.S. Montréal 500-05-065039-016, 1er octobre 2001, j. Poulin, (01LP-92).

[25]         Langlois et C.L.S.C. Hochelaga-Maisonneuve, C.L.P. 89822-63-9706, 21 janvier 1999, C. Demers.

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