Des Sources Dodge Chrysler ltée |
2010 QCCLP 3074 |
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[1] Le 7 janvier 2009, Des Sources Dodge Chrysler ltée (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 27 novembre 2008, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 21 mai 2008 et « déclare que l’employeur doit assumer la totalité du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par le travailleur [Monsieur Edward Wahba] le 24 février 2005 », dans l’exercice de sa fonction de vendeur d’automobiles[2].
[3] L’employeur a renoncé à l’audience prévue pour le 3 novembre 2009, à Montréal. Sa procureure en a avisé le tribunal par lettre datée du 30 octobre 2009. Une argumentation écrite y était jointe, de même que des documents additionnels dont, notamment, une opinion médicale en date du 5 octobre 2009 souscrite par le docteur Alain Bois (pièce E-1) et deux extraits de littérature médicale à son soutien.
[4] Le soussigné a demandé à l’employeur de déposer une opinion médicale complémentaire émanant du docteur Bois. Cela a été fait le 4 mars 2010. L’affaire a été mise en délibéré à compter de cette date.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] L’employeur demande de déclarer que le travailleur était déjà handicapé au moment où sa lésion professionnelle s’est manifestée et qu’en conséquence, il «a droit à un partage de l’imputation des coûts de l’ordre de 15 % à son dossier financier et 85 % aux employeurs de toutes les unités ».
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6]
En matière d’imputation, la règle générale est énoncée au premier alinéa
de l’article
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
[…]
__________
1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.
L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.
[7] Pour obtenir gain de cause, l’employeur requérant doit donc d’abord exercer son recours avant l’expiration de la troisième année qui suit celle de la lésion professionnelle, tel que prescrit par le second alinéa de l’article 329 précité. C’est le cas en l’occurrence, puisque la demande de partage a été déposée le 21 septembre 2007 alors que la lésion professionnelle date du 24 février 2005.
[8] Sur le fond, la preuve de la présence chez la victime d’un handicap préexistant à la manifestation de la lésion professionnelle doit être fournie.
[9] Un travailleur sera considéré avoir été déjà handicapé au sens de l’article 329 précité, s’il était porteur, lors de sa lésion professionnelle, d’une insuffisance ou d’une déficience significative (congénitale ou acquise) de ses capacités physiques ou mentales, nonobstant le fait qu’elle se soit manifestée auparavant ou non :
La première étape consiste donc à vérifier si le travailleur présente une déficience physique ou psychique. Sur ce point, il est utile de se référer à la Classification internationale des handicaps élaborée par l’Organisation mondiale de la santé (Paris, CTNERHI-Inserm, 1988) parce que ce manuel a l’avantage de représenter un consensus de la communauté médicale internationale sur ce que constitue un handicap. Selon cet ouvrage, une déficience constitue une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique et correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale. Cette déficience peut être congénitale ou acquise. Finalement, pour reprendre le courant de jurisprudence avec lequel la soussignée adhère, la déficience peut ou non se traduire par une limitation des capacités du travailleur de fonctionner normalement. La déficience peut aussi exister à l’état latent, sans qu’elle se soit manifestée avant la survenance de la lésion professionnelle[3].
[10] La déviation par rapport à une norme biomédicale doit être prouvée de manière prépondérante[4] ; le fait qu’elle existait déjà au moment de la manifestation de la lésion professionnelle, aussi.
[11] Le diagnostic de la lésion professionnelle reconnu par la CSST est celui d’« entorse lombaire et syndrome facettaire avec discopathie L4-L5-S1 (condition personnelle) ». La lésion est survenue lorsque le travailleur a glissé dans un stationnement enneigé.
[12] Au soutien de sa demande, l’employeur invoque la présence chez le travailleur d’une condition personnelle préexistante à la lésion professionnelle, à savoir un «pincement L4-L5-S1» tel que noté par le docteur Hany Daoud, chirurgien orthopédiste, dans ses notes cliniques du 16 mars 2005 ainsi que dans son Rapport d’évaluation médicale du 14 juillet 2005, sous la rubrique numéro 6[5].
[13] Il est probable que le docteur Daoud fait référence aux clichés de radiographie simple pratiquée, le 4 mars 2005, au Centre de radiologie West Island, car il s’agit là, selon le dossier constitué, du seul examen radiologique subi par le travailleur en rapport avec cette lésion professionnelle.
[14] Dans le susdit rapport radiologique, le docteur E. Sanchez-Arroyo, radiologiste, interprète cependant les clichés comme illustrant un rachis lombosacré normal : «the lumbo-sacral spine is radiologically normal».
[15] Le tribunal en retient que le docteur Daoud ne partage pas l’interprétation du docteur Sanchez-Arroyo et est plutôt d’avis que l’imagerie médicale en question montre la présence d’un «pincement» au niveau des espaces intervertébraux L4-L5-S1.
[16] Dans le rapport d’expertise E-1, le docteur Bois estime qu’il faut préférer l’interprétation retenue par le docteur Daoud à celle du docteur Sanchez-Arroyo :
Il a subi, à cette date, des radiographies simples de son rachis lombaire qui ont été interprétées comme étant normales par le Dr Sanchez-Arroyo, médecin radiologiste.
Cependant, le Dr Daoud, qui est chirurgien orthopédiste, a interprété lui-même les films radiologiques et, dans sa note du 16 mars 2005, il fait état d’un pincement L4-L5-S1, et c’est probablement ce qui lui fait diagnostiquer une entorse lombaire sur une discopathie L4-L5-S1. Ce diagnostic oriente probablement le traitement puisqu’il suggère une épidurale.
Ceci est repris dans le Rapport d’évaluation médicale (REM) que le Dr Daoud a rédigé, et il donne à nouveau son interprétation des films radiologiques en parlant d’un pincement L4-L5-S1. Il fait toujours état d’un diagnostic d’entorse lombaire et d’un syndrome facettaire lombaire sur une discopathie L4-L5-S1.
À mon avis, malgré le rapport du médecin radiologiste, il n’y a pas lieu de douter de l’opinion et de l’expérience du Dr Daoud dans l’interprétation des films radiologiques de la colonne lombaire.
(Le tribunal souligne)
[17] Le tribunal n’a pas à décider si l’interprétation de clichés radiologiques d’un orthopédiste doit prévaloir ou non sur celle d’un radiologiste.
[18] Par ailleurs, il est raisonnable de penser que dans son interprétation des clichés, un chirurgien orthopédiste, surtout s’il est le médecin traitant comme en l’espèce, tiendra compte du contenu clinique de son dossier, car sa démarche a pour but de déterminer l’orientation future de son plan thérapeutique.
[19] À l’opposé, le radiologiste s’en remettra d’abord à la comparaison entre eux des divers espaces inter somatiques apparaissant sur les clichés et, ensuite, à son expérience experte en matière d’interprétation qui lui permet de se forger une opinion quant à la « normalité » du rachis du patient concerné par rapport à tous les autres qu’il a vus auparavant.
[20] Dans le présent cas, les deux interprétations fournissent donc des indices valables et utiles quant à l’état véritable du rachis du travailleur en cause.
[21] Le tribunal tient donc pour avéré le fait que le travailleur présentait un pincement intervertébral L4-L5-S1, dont la sévérité n’est cependant pas décrite, d’aucune façon, par le docteur Daoud.
[22] Le tribunal retient aussi que le pincement en question n’était pas d’une telle importance que le docteur Sanchez-Arroyo juge nécessaire d’en faire mention dans son rapport et déclare que le rachis du travailleur avait un aspect anormal.
[23] Le docteur Bois poursuit son rapport d’expertise en affirmant que tel pincement trahit un processus pathologique anormal :
De tels pincements au niveau lombaire correspondent à un phénomène dégénératif de type pathologique. Ceci n’est pas normal chez un travailleur, même de 54 ans. On ne devrait pas retrouver des pincements intervertébraux à cet âge. La hauteur des disques devrait être préservée. La publication des auteurs Milette et Fardon sur la pathologie discale lombaire est très claire à ce sujet. Également, une conférence du Dr Milette à la Société des médecins experts du Québec est très claire là-dessus, à l’effet qu’on ne devrait pas retrouver des pincements des disques intervertébraux au niveau lombaire à cet âge. Ceci trahit un processus dégénératif de type pathologique. Un vieillissement physique et normal des disques n’entraîne pas de pincement de l’espace intervertébral lombaire.
(Le tribunal souligne)
[24] Le soussigné a pris connaissance des études publiées auxquelles le docteur Bois réfère dans l’extrait précité de son opinion.
[25] Dans l’étude intitulée Nomenclature and Classification of Lumbar Disc Pathology[6], les auteurs mentionnent d’emblée que la dégénérescence discale peut se manifester de diverses façons, dont la diminution de l’espace intervertébral ou pincement discal, et qu’il convient alors de distinguer la condition résultant d’un processus de vieillissement normal (la "spondylosis deformans") de celle consécutive à une pathologie franche (la "intervertebral osteochondrosis")[7] :
Degeneration may include any or all of real or apparent desiccation, fibrosis, narrowing of the disc space, diffuse bulging of the anulus beyond the disc space, extensive fissuring (i.e., numerous anular tears), and mucinous degeneration of the anulus, defects and sclerosis of the endplates, and osteophytes at the vertebral apophyses. A disc demonstrating one or more of these degenerative changes can be further qualified into two subcategories: spondylosis deformans, possibly representing changes in the disc associated with a normal aging process ; or intervertebral osteochondrosis, possibly the consequences of a more clearly pathologic process (Figure 2).
[26] Les auteurs fournissent les précisions suivantes quant à la différenciation des deux conditions mentionnées précédemment[8] :
Resnick and Niwayama35 emphasized the differentiating features of two degenerative processes involving the intervertebral disc, which had been previously described by Schmorl and Junghanns37: “spondylosis deformans”, which affects essentially the anulus fibrosus and adjacent apophyses, and “intervertebral osteochondrosis”, which affects mainly the nucleus pulposus and the vertebral body endplates, but also includes extensive fissuring (numerous tears) of the anulus fibrosus, which may be followed by atrophy (Figure 2). Although Resnick and Niwayama stated that the cause of the two entities was unknown, other scientific studies suggest that spondylosis deformans is the consequence of normal aging, whereas intervertebral osteochondrosis, sometimes also called “deteriorated disc”, results from a clearly pathologic, although not necessarily symptomatic, process.32,36,37,40,41
With normal aging, fibrous tissue replaces nuclear mucoid matrix, but the disc height is preserved and the disc margins remain regular.22
[…]
Radiographically, intervertebral osteochondrosis is characterized by narrowing of the intervertebral space, irregular disc contour often associated with bulging, multidirectional osteophytes often involving the central spinal canal and foramina, endplate erosions with reactive osteosclerosis, and chronic vertebral body bone marrow changes. […] The distinction is made at the time of the reading and does not imply that early manifestations of a pathologic process are always distinguishable from the changes of normal aging.
(Le tribunal souligne) (Références en notes de bas de page omises)
[27] Les définitions de chacune des deux conditions font ressortir leurs caractéristiques respectives[9]:
Intervertebral osteochondrosis Degenerative process of the spine involving the vertebral body endplates, the nucleus pulposus, and the annulus fibrosus, which is characterized by disc narrowing, vacuum phenomenon, and vertebral body reactive changes. Syn: deteriorated disc, chronic discopathy, osteochondrosis.
Spondylosis deformans Degenerative process of the spine involving essentially the anulus fibrosus and characterized by anterior and lateral marginal osteophytes arising from the vertebral body apophyses, while the intervertebral disc height is normal or only slightly decreased. See: degeneration, spondylosis.
(Le tribunal souligne)
[28] Dans la conférence intitulée Le dossier secret de la discopathie lombaire que le docteur Pierre C. Milette a prononcé à la Société des médecins experts du Québec[10] et que le docteur Bois dépose également au soutien de son opinion, l’auteur résume la situation comme suit :
En résumé, il existe deux entités très différentes : 1) Le disque complètement détérioré et atrophié avec pincement marqué de l’espace inter-somatique (dégénérescence pathologique) ; 2) Le disque qui s’est remanié, avec l’âge, sur le plan histologique, mais qui a conservé sa hauteur normale (vieillissement physiologique).
(Le tribunal souligne)
[29] De ces lectures, le soussigné a retenu notamment que la dégénérescence de type pathologique comporte plusieurs caractéristiques, autres que le seul pincement discal, qui en signent l’existence. D’autre part, dans ce type de dégénérescence, le pincement discal est « marqué », pour reprendre l’expression de l’auteur Milette, ou autrement dit, l’espace inter somatique y est plus que légèrement diminué ("slightly decreased") comme le déclarent Fardon et Milette.
[30] Cela a induit le soussigné à demander des explications additionnelles à la procureure de l’employeur dans une lettre du 6 janvier 2010 dont il convient de citer ici l’extrait suivant :
En conséquence, veuillez demander à votre médecin expert, le docteur Alain Bois, d’élaborer sur les sujets suivants :
· Le dossier du travailleur révèle-t-il, en outre de la diminution des espaces intervertébraux L4-L5-S1 que le docteur Daoud aurait constatée, la présence de fissures radiaires, de gaz intra discal ou de toute autre altération du noyau pulpeux, de pourtours discaux irréguliers, avec ou sans bombements, ou de toute autre altération de l’anneau fibreux, d’ostéophytes multidirectionnels vers le canal spinal et les foramens, d’érosion des plateaux vertébraux avec ostéosclérose réactionnelle et de changements chroniques de la moelle osseuse au niveau correspondant du rachis ?
· Un «pincement» non mesuré ni quantifié ni même qualifié (léger, modéré ou sévère) [alors qu’un radiologiste a conclu que le segment du rachis sous étude est «normal»] suffit-il, en soi, pour conclure à la présence d’ostéochondrose intervertébrale pathologique (par opposition à une spondylose déformante caractéristique d’un vieillissement normal) chez un individu de 54 ans?
[31] Dans sa lettre du 1er mars 2010, le docteur Bois répond comme suit à ces deux questions :
À la 1ère question posée par le juge, je réponds qu’il n’a pas été identifié dans la condition lombaire du travailleur des fissures radiaires, du gaz intradiscal, de modification du noyau pulpeux, des pourtours discaux irréguliers avec ou sans bombement et de toute autre altération de l’anneau fibreux de même que d’ostéophyte multidirectionnel vers le canal spinal et les foramens de même que des érosions des plateaux vertébraux avec ostéosclérose réactionnelle et de changement chronique de la moelle osseuse.
La seule anomalie notée par le docteur Daoud est un pincement des disques intervertébraux. C’est la seule anomalie qu’il a identifiée sur les radiographies.
À la 2e question, je réponds qu’un pincement tel que décrit par le docteur Daoud ne peut nous faire conclure qu’il y a présence d’une ostéochondrose intervertébrale pathologique.
[32] Par ces réponses, le docteur Bois confirme que le contenu du dossier soumis au tribunal ne permet pas d’affirmer que la condition dégénérative du travailleur en était une de type pathologique (ostéochondrose intervertébrale) et non une qui résulte simplement d’un processus de vieillissement normal (spondylose déformante).
[33]
Or, comme le rappelait la Commission des lésions professionnelles dans
une décision récente[11], cette distinction est fondamentale
dans le cadre d’un recours exercé en vertu de l’article
[73] À cette question, il répond par la négative. Même si selon les définitions, entre 15 et 45 % de la population peut être atopique, le tribunal conclut que l’atopie comme telle constitue une déficience en ce que même si elle est présente dans une bonne proportion de la population, l’atopie répond à cette notion de déficience parce que précisément, il s’agit d’une anomalie immunitaire, laquelle peut être associée au développement de l’asthme professionnel comme en l’espèce. Ici, il faut faire une distinction avec les altérations de structure ou de fonction qui sont associées principalement au vieillissement de l’individu, comme l’arthrose ou la dégénérescence discale par exemple, de celles qui correspondent à un défaut inhérent à l’individu.
(Le tribunal souligne)
[34] À moins qu’il ne soit « démontré que la sévérité de la condition dégénérative, compte tenu de l'âge du travailleur concerné, revêt un certain caractère d'anomalie par rapport à l'ensemble de la population ou dépasse véritablement la norme reconnue à cet égard », l’altération d'une structure anatomique qui résulte d'un phénomène dégénératif lié à l'âge ne sera pas considérée comme répondant à la notion de déficience, mais plutôt comme étant le fruit d’un processus de vieillissement normal[12].
[35] Dans le présent cas, cette démonstration dont le fardeau incombe à l’employeur n’a pas été faite.
[36] Certes, le docteur Bois affirme que le pincement de l’espace intervertébral lombaire présenté par le travailleur correspond « à un phénomène dégénératif de type pathologique. Mais, tel que démontré précédemment, cette affirmation n’est pas soutenue par la littérature médicale qu’il a lui-même citée.
[37] En outre, le docteur Bois affirme qu’« un vieillissement physique et normal des disques n’entraîne pas de pincement de l’espace intervertébral ». Il s’appuie en cela sur les énoncés suivants de l’auteur Milette : « les disques lombaires de la majorité des patients âgés (70 ans et plus) maintiennent une hauteur normale » et, suivant les constatations rapportées par les auteurs Twomey et Taylor, « chez des patients de 60 ans et plus, 72 % des disques lombaires avaient maintenu leur hauteur normale ».
[38] Devant des affirmations aussi catégoriques, le soussigné a demandé au docteur Bois de commenter d’autres études publiées après celles mentionnées au paragraphe précédent, le tout tel qu’il appert de l’extrait suivant de sa lettre du 6 janvier 2010 adressée à la procureure de l’employeur :
Dans l’article du docteur Pierre C. Millette (publié en février 1994) déposé au soutien de l’opinion du docteur Bois, il est mentionné que « les disques lombaires de la majorité des patients âgés (70 ans et plus) maintiennent une hauteur normale » et, plus loin, que les auteurs Twomey et Taylor (1987) rapportent avoir constaté que « chez des patients de 60 ans et plus, 72 % des disques lombaires avaient maintenu leur hauteur normale ».
En regard de ces affirmations, veuillez commenter les résultats et conclusions des études suivantes :
Boden et al, JBJS, 72-A : 3 : 403, 1990 —- Abnormal Magnetic-Resonance Scans of the Lumbar Spine in Asymptomatic Subjects;
Greenberg J.O. et al., J Neiroimag 1991 : 1 : 2, 1991 —- Magnetic Resonance Imaging of the Lumbar Spine in asymptomatic adults;
Savage, R.A. et al., Eur Spine J, 6 :106, 1997 —- The relationship between the magnetic resonance imaging appearance of the lumbar spine and low back pain, age and occupation in males;
Weishaupt, D. et al., Radiology, 209 : 661, 1998 —- MR Imaging of the Lumbar Spine prevalence of intervertebral disk extrusion and sequestration, nerve root compression, end plate abnormalities, and osteoarthritis of the facet joints in asymptomatic volunteers;
Kjaer, P., Spine, 30 : 1173, 2005 —- Magnetic Resonance Imaging and Low Back Pain in adults : A diagnostic imaging study of 40 year-old men and women;
Jarvick, JJ et al., The longitudinal assessment of imaging and disability of the back (LAIDBack) Study : baseline data, Spine, 26 :1158, 2001.
[39] Il est vrai que l’étude de Boden et Al ne portait que sur 67 sujets, comme le souligne le docteur Bois dans sa réponse du 1er mars 2010. Elle n’en révèle pas moins qu’un diagnostic radiologique de dégénérescence discale[13] a été posé chez 34% des sujets âgés entre 20 et 39 ans et chez 59% de ceux âgés entre 40 et 59 ans.
[40] Il est également vrai que l’étude de Greenberg et Al ne fait aucune mention de la hauteur de l’espace inter somatique chez les sujets de l’étude. Par contre, pour qu’une condition soit considérée comme une maladie discale dégénérative ("Degenerative Disc Disease") aux fins de l’étude, il fallait qu’une disparition totale du signal ("complete loss of whiteness") soit observée à la résonance magnétique. Telle maladie discale dégénérative était alors interprétée comme représentant une perte du contenu en eau du disque. Il s’est avéré que 50 % des sujets âgés de 20 à 39 ans étaient porteurs de maladie discale dégénérative alors que tel était le cas chez 66 % des sujets âgés de 40 à 59 ans. Les auteurs mentionnaient en outre ce qui suit :
Our study supports the view of Modic and coworkers [8] that “degeneration of the intervertebral disc complex is a process that begins early in life and is a consequence of a variety of environmental factors as well as normal aging.” A signal loss at a lumbar intervertebral disc is associated with degenerative disc disease and appears to be part of the degenerative aging process.
(Le tribunal souligne) (Références en notes de bas de page omises)
[41] Dans ses commentaires, le docteur Bois omet d’expliquer comment un disque déshydraté au point de ne plus apparaître à la résonance magnétique pourrait tout de même encore occuper un volume intervertébral tel que la hauteur de ce dernier ne serait pas diminuée.
[42] De toute façon, le pincement intervertébral ne constitue en soi la condition pathologique au centre du débat ; il n’en est que l’indice. Ce que l’étude de Greenberg et Al révèle, comme de nombreuses autres, c’est que la majorité des sujets âgés de moins de 60 ans présentent déjà, à l’imagerie médicale, des signes de dégénérescence discale au niveau lombaire et que cette dégénérescence est généralement attribuée au vieillissement normal.
[43] L’Étude de Savage et Al est du même ordre. Tous les sujets étaient âgés de moins de 59 ans (20 à 58 ans). Il s’est avéré que 27 % des sujets âgés de moins de 30 ans étaient atteints de dégénérescence discale, alors que c’était le cas de 52 % de ceux âgés entre 31 et 58 ans.
[44] Les auteurs reconnaissent eux aussi que la très grande majorité des personnes âgées de plus de 50 ans présentent des signes de dégénérescence discale :
The increasing prevalence of disc degeneration with age [6,10] was confirmed, disc degeneration being significantly more common in older than younger subjects in this study. Many authors believe that disc degeneration is a normal consequence of ageing and that biochemical and structural changes occur simultaneously during ageing and degeneration. At autopsy, 85-90 % of individuals over the age of 50 years show evidence of disc degeneration [5].
(Le tribunal souligne) (Références en notes de bas de page omises)
[45] Weishaupt et Al ont étudié 60 sujets asymptomatiques âgés entre 20 et 50 ans. Des dégénérescences de grade 4 ou 5 [c’est-à-dire une résonance magnétique révélant une diminution modérée ("moderately decreased") ou sévère ("collapsed") d’une hauteur intersomatique] ont été observées chez 72 % des sujets.
[46] Les auteurs ajoutent ce qui suit :
Disk bulging and protrusion and high-signal-intensity zones are common findings in asymptomatic individuals younger than 50 years.
[47] L’étude de Kjaer et Al a porté sur 412[14] sujets symptomatiques[15], tous âgés de 40 ans précisément. La résonance magnétique a révélé la présence d’un pincement discal dans 53,1 % des cas.
[48] Jarvik et Al ont étudié 148 vétérans, dont 74 âgés de 35 à 52 ans, asymptomatiques dans les 4 mois précédant l’assemblage de la cohorte. Le tableau 6 de l’étude rapporte que 42 % des sujets âgés de moins de 45 ans ont présenté une diminution de la hauteur d’un disque ; cette proportion augmente à 51 %, dans le groupe des 45 à 55 ans, et à 66 %, dans celui des 55 à 65 ans.
[49] Dans la section réservée à la discussion de leurs résultats, les auteurs font certains commentaires dont il est opportun de citer ici les extraits suivants :
[…] Because bulges, desiccation, and loss of disc height are all related to aging and have a high prevalence in asymptomatic subjects, calling them “abnormalities” may be misleading.
[…]
One of the two experienced neuroradiologists interpreted the MRIs using standardized definitions, minimizing inter-observer variation. The radiologists may have under-reported abnormalities because they knew that subjects were asymptomatic, making our estimates of the prevalence of imaging findings conservative. However, this is unlikely given that our prevalence data agreed in general with previous studies.4, 6, 15, 27, 33, 40
Our study and others6 suggest that isolated disc degeneration represents part of the aging process and is of only modest value in diagnosis or treatment decisions.
(Le tribunal souligne) (Références en notes de bas de page omises)
[50] Cette revue - fort incomplète, il faut bien le reconnaître - de la littérature médicale ne permet pas au tribunal de considérer comme avérée l’opinion émise par l’auteur Milette et reprise par le docteur Bois selon laquelle la majorité des personnes maintient une hauteur discale normale jusqu'à l’âge de 70 ans et plus.
[51] En réalité, les études précitées indiquent plutôt que le processus de dégénérescence relié au vieillissement s’installe de façon beaucoup plus précoce et se manifeste souvent par une diminution notable de l’espace intervertébral, et ce, bien avant l’âge de 70 ans. Selon les auteurs, ce phénomène est tout aussi présent chez les sujets asymptomatiques.
[52] Ainsi, on ne saurait conclure qu’à lui seul, le pincement discal en cause - lequel a été rapporté par le docteur Daoud sans qu’il ait toutefois jugé utile de préciser s’il était « léger », « modéré » ou « sévère », et qui a été considéré comme normal par le docteur Sanchez-Arroyo - signe la présence chez le travailleur d’une condition de type pathologique assimilable à une déficience.
[53] En fait, l’ensemble de la preuve rend plus probable l’hypothèse selon laquelle ledit pincement discal était la conséquence d’un processus de vieillissement normal chez un individu âgé de 54 ans.
[54]
L’employeur n’a donc pas démontré, par prépondérance de preuve comme il
en avait le fardeau, que le travailleur était déjà handicapé, au sens de
l’article
[55] Dans ces circonstances, la requête de l’employeur ne peut être accueillie.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de l’employeur, Des Sources Dodge Chrysler ltée;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 27 novembre 2008, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que l’employeur doit assumer la totalité du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par monsieur Edward Wahba, le 24 février 2005.
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Jean-François Martel |
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Me Céline Servant |
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Béchard, Morin et associés |
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Procureure de la partie requérante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Au moment de l’accident, le travailleur était âgé de 54 ans.
[3] Municipalité Petite-Rivière St-François et C.S.S.T.- Québec,
[4] Clermont Chevrolet Oldsmobile inc.,
[5] Dans le formulaire standard de rapport, cette rubrique est intitulée Examens de laboratoire, radiographies ou autres examens utiles à l’évaluation
[6] Recommendations of the Combined Task Forces of the North American Spine Society, American Society of Spine Radiology, and American Society of Neurology, David F. Fardon & Pierre C. Milette, SPINE, Vol 26, Number 5, pp. E93 - E113
[7] Idem, aux pages E94 et E95
[8] Idem, à la page E99
[9] Idem, aux pages E108 et E110
[10] Dont le texte a été publié dans le Bulletin de cette société, Volume II, numéro 1, février 1994, pp.1-9
[11] Université McGill,
[12] Services de réadaptation l'Intégrale et CSST,
[13] Tel diagnostic était posé si l’imagerie médicale révélait une diminution de hauteur du disque associée à une perte de signal du noyau fibreux sur les images pondérées en T-2. Tous les sujets étaient asymptomatiques.
[14] Les auteurs notent, à la page 1175,que l’un des 413 sujets a été exclus de l’étude à cause d’une grave incapacité ("severe disability")
[15] Divisés en trois catégories : symptomatiques au cours de la dernière année, symptomatiques au cours du dernier mois et ayant consulté dans le cours de la dernière année
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.