Décision

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Jacques et CSSS de Bécancour-Nicolet-Yamaska

2010 QCCLP 21

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Sherbrooke

Le 5 janvier 2010

 

Région :

Mauricie-Centre-du-Québec

 

Dossier :

338991-04-0801-R

 

Dossier CSST :

132036401

 

Commissaire :

Luce Boudreault, juge administratif

 

Membres :

Alexandre Beaulieu, associations d’employeurs

 

Réjean Potvin, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Lise Jacques

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

CSSS de Bécancour-Nicolet-Yamaska

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 6 mars 2009, le CSSS de Bécancour-Nicolet-Yamaska (l’employeur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles afin de faire réviser une décision rendue le 14 juillet 2008 par cette instance.

[2]                Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles déclare que le trouble d’adaptation diagnostiqué par le médecin de madame Lise Jacques (la travailleuse) est relié à la lésion professionnelle survenue le 6 août 2007.

[3]                À l’audience tenue le 7 décembre 2009 à Trois-Rivières, les parties sont absentes mais le représentant de la travailleuse et le représentant de l’employeur ont soumis au tribunal un exposé de leurs prétentions conclusions recherchées. La procureure de la CSST a avisé de son absence à l’audience.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]                L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision rendue par cette instance et de déclarer que le trouble d’adaptation diagnostiqué par le médecin de la travailleuse n’est pas relié à la lésion professionnelle survenue le 6 août 2007.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]                Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs sont d’avis que la requête devrait être accueillie puisqu’un fait nouveau, qui était inconnu de l’employeur à l’époque de la décision, justifie de convoquer à nouveau les parties afin qu’une audience ait lieu avec une preuve complète concernant les antécédents psychiatriques de la travailleuse.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[6]                La Commission des lésions professionnelles doit décider s’il a été démontré un motif donnant ouverture à la révision de la décision rendue le 14 juillet 2008 par le tribunal.

[7]                L’article 429.49 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) prévoit qu’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel. Cependant, le législateur a prévu à l’article 429.56 que la Commission des lésions professionnelles peut, dans certaines circonstances, réviser une décision qu’elle a rendue :

429.56.  La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :

 

1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

[8]                Au soutien de sa requête, l’employeur soumet que celle-ci est déposée en vertu du paragraphe 1er de l’alinéa 1 de l’article 429.56 à savoir, l’existence d’un fait nouveau qui aurait pu entraîner une décision différente.

[9]                La jurisprudence a établi trois critères pour conclure à l’existence d’un fait nouveau au sens de l’article 429.56. Il s’agit de la découverte postérieure à la décision d’un élément de preuve, de la non-disponibilité de cet élément de preuve au moment de l’audience initiale et son caractère déterminant sur le sort du litige[2].

[10]           Dans la présente affaire, le premier juge administratif était entre autre saisi d’une contestation de la travailleuse à l’encontre d’une décision rendue le 28 janvier 2008 par la CSST à la suite d’une révision administrative. Par cette décision, la CSST confirmait des décisions initiales et déclarait d’une part que la travailleuse a subi un accident du travail le 6 août 2007, qui lui a causé une entorse dorsale et un spasme paravertébral gauche, et déclarait d’autre part que le nouveau diagnostic de trouble d’adaptation n’était pas relié à la lésion professionnelle.

[11]           Lors de l’audience tenue le 10 juin 2008, devant la Commission des lésions professionnelles, la travailleuse était présente et représentée. L’employeur avait avisé le tribunal de son absence à l’audience de même que la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), qui avait cependant soumis une argumentation écrite.

[12]           Concernant la question de la relation entre le trouble d’adaptation diagnostiqué par le médecin de la travailleuse et la lésion professionnelle du 6 août 2007, il appert qu’en lien avec cette question, les faits suivants ont été soumis et ressortaient du dossier tel que constitué :

[92]      Le 23 août 2007, le docteur Davidson retient le diagnostic d’entorse dorsale exacerbée avec spasme paravertébral gauche. Il ajoute un diagnostic de trouble d’adaptation et prescrit une psychothérapie. On peut lire dans ses notes «adaptation difficile à condition médicale (douleurs chroniques, diminution de la fonctionnalité)».

 

[93]      Madame Jacques témoigne qu’elle a ressenti un trop plein dans sa vie. Au départ, elle ne pouvait pas croire qu’elle était en dépression. Mais, après avoir discuté avec son médecin, elle a réalisé qu’elle devait faire quelque chose pour s’en sortir. Elle désire agir pour cesser de voir tout de façon dramatique. C’est pourquoi elle a entrepris une thérapie qu’elle suit d’ailleurs toujours au moment de l’audience.

 

[…]

 

[181]    Le diagnostic de trouble d’adaptation émis par le médecin de la travailleuse n’est pas contesté; il lie donc le tribunal.

 

[182]    Pour les motifs ci-après exposés, le tribunal en vient à la conclusion que ce diagnostic est en lien avec l’accident du travail survenu le 6 août 2007.

 

[185]    Rien dans la preuve ne démontre que la travailleuse présente des antécédents de nature psychologique ou une condition personnelle de cette nature. La preuve ne démontre pas non plus une autre cause qui pourrait être à l’origine de la condition psychologique de la travailleuse.

 

[186]    Au contraire, le médecin de la travailleuse relie dans ses notes médicales cette condition à l’adaptation difficile aux douleurs chroniques et à la baisse de fonctionnalité. Un peu plus tard, il est noté que la travailleuse demeure en arrêt de travail et ne voit pas comment elle pourrait y retourner prochainement.

 

[187]    Alors que la travailleuse était retournée au travail en juillet 2007, elle s’est blessée de nouveau en août 2007. Le médecin de la CSST, dans le cadre de son analyse médicale du dossier, rapporte que la travailleuse fait état de problèmes psychologiques en raison de la perte de capacités à la suite de l’événement de février 2006 et que l’événement d’août 2007 serait «la goutte qui a fait déborder le vase».

 

[188]    Par ailleurs, toujours dans le cadre de son analyse médicale, le médecin de la CSST mentionne que les symptômes reliés au deuxième événement apparaissent être plus importants que lors de la première lésion.

 

[189]   Il apparaît donc au tribunal que c’est davantage les conséquences de la lésion professionnelle qui sont la cause du trouble d’adaptation que les tracasseries administratives, tel que le soumet la CSST.

 

[190]    Tous ces éléments mènent le tribunal à la conclusion que le trouble d’adaptation est relié à la lésion professionnelle survenue le 6 août 2007 et à ses conséquences.

 

(Notre soulignement)

[13]           Ce diagnostic de trouble d’adaptation étant accepté, l’employeur demande une évaluation médicale le 13 novembre 2008, évaluation faite par le docteur Yvan Gauthier, psychiatre. Dans son rapport, le docteur Gauthier décrit ainsi les antécédents :

ANTÉCÉDENTS :

 

Les antécédents psychiatriques seraient négatifs. Au niveau des antécédents psychosociaux, Madame Jacques dit avoir bénéficié en 1987-1988 d’un suivi familial d’au moins 6 mois auprès de Madame Sylvie Lapointe, travailleuse sociale du CLSC de Fortierville dans un contexte de séparation et de prise en charge de 2 jeunes enfants. Les antécédents familiaux et légaux seraient négatifs. Au niveau des antécédents médicaux/chirurgicaux, Madame Jacques se plaint d’une dorsalgie qui serait évolutive depuis 2005 et nous dit avoir subi 2 chirurgies à l’épaule gauche en 1997 et en 1998.

 

(Notre soulignement)

[14]           Ce rapport d’expertise a été transmis au médecin qui a charge de la travailleuse, le docteur Steve Gagnon, lequel a fait parvenir à la CSST un rapport complémentaire le 13 janvier 2009. Le docteur Gagnon écrit :

Les pathologies de Mme Jacques sont complexes et une seule consultation par un spécialiste même chevronné ne peut saisir toute l’ampleur et l’enchevêtrement des problématiques. Je dois vous rappeler que lorsque j’ai connu la patiente au début des années 90, elle était sous une lourde médication psychiatrique comprenant entre autre un IMAO, le fameux Nardil, qu’elle me disait qu’un psychiatre lui avait dit qu’elle devrait le prendre toute sa vie durant. Au cours des années qui suivirent, nous avons réussi à sevrer le Nardil et ainsi permettre à  Madame de vivre plus normalement et sans dépression. Une suite d’événements et d’accidents, de travail entre autre, ont affecté le moral de madame au cours des années, jusqu’à ce qu’un nouvel état dépressif soit diagnostiqué comme conséquence de ses problèmes douloureux à l’été 2007. Si madame n’a pas paru déprimée lors de l’évaluation, c’est qu’elle est contrôlée et que son humeur est stabilisée, entre autre grâce à la médication. Il n’y a donc pas lieu de consolider madame pour l’instant et seul un suivi sérieux et régulier pourra répondre à cette interrogation. La meilleure maîtrise du syndrome douloureux aidera.

 

(Nos soulignements)

[15]           L’employeur prend connaissance du rapport complémentaire du docteur Gagnon en date du 23 février 2009 et apprend donc alors, pour la première fois, l’existence d’antécédents psychiatriques.

[16]           Dans sa requête, l’employeur allègue que s’il avait eu vent de la problématique antérieure de la travailleuse, il aurait contesté le diagnostic de trouble d’adaptation dès le début et il aurait fait des représentations devant la Commission des lésions professionnelles lors de l’audience du mois de juin 2008 pour contester l’admissibilité de ce diagnostic comme étant en lien avec la lésion professionnelle reconnue.

[17]           Le représentant de la travailleuse soumet de son côté qu’effectivement, il n’avait pas connaissance des antécédents présentés par la travailleuse mais estime que le dossier est incomplet et ne permet pas d’évaluer de façon adéquate si les antécédents sont assez significatifs pour conclure à l’absence de lien entre le trouble d’adaptation diagnostiqué et la lésion professionnelle reconnue du 6 août 2007. Il estime qu’il serait plutôt opportun de convoquer à nouveau les parties afin qu’une preuve complète puisse être faite sur cette question.

[18]           Considérant l’ensemble de la preuve, la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision estime qu’il a été établi les trois critères permettant de conclure à l’existence d’un fait nouveau, qui, s’il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente.

[19]           En effet, le dossier médical de la travailleuse existait avant que la décision soit rendue et il révèle, contrairement aux affirmations de la travailleuse lors de la première audience et lors de ses rencontres avec les médecins évaluateurs, qu’elle a déjà eu des antécédents psychiatriques avant le diagnostic émis de trouble d’adaptation. Il appert que la travailleuse a été suivie par un psychiatre dans les années 90, pour une condition qui est non identifiée pour le moment et qu’elle a eu une médication qui fut prescrite à long terme.

[20]           L’existence de ces antécédents révèle donc des éléments nouveaux qui contredisent certains faits retenus par le premier juge administratif pour rendre sa décision. Bien que le dossier médical existait avant que la décision ne soit rendue, l’employeur ne l’avait pas en sa possession, et à la lumière des affirmations de la travailleuse, il n’avait pas cru bon d’investiguer davantage dans la recherche d’éléments reliés à ce dossier. Par ailleurs, il est connu que le dossier médical de la travailleuse n’est disponible que si la CSST ou l’employeur obtient son autorisation. C’est seulement lors de la réception du rapport médical complémentaire du docteur Gagnon que l’employeur a pris connaissance des antécédents présentés par la travailleuse. L’employeur a fait les démarches nécessaires pour présenter la présente requête et entend obtenir un complément de dossier afin qu’une décision éclairée soit rendue sur la question du lien entre le diagnostic de trouble d’adaptation et la lésion professionnelle.

[21]           La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision estime qu’il y a existence d’un fait nouveau qui existait avant que la décision soit rendue mais qui était non disponible pour l’employeur.

[22]           Reste maintenant à déterminer si ce fait nouveau a un caractère déterminant sur le sort du litige et qui aurait pu entraîner une décision différente.

[23]           Dans la décision visée, comme il a été cité précédemment, le premier juge administratif écrit que rien dans la preuve ne démontre que la travailleuse présente des antécédents de nature psychologique ou une condition personnelle de cette nature, ce qui est manifestement inexact.

[24]           Il appert également que le premier juge administratif en a fait un élément pertinent et significatif dans la solution du litige.

[25]           La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision estime que si le premier juge administratif avait pris connaissance du rapport complémentaire du docteur Gagnon, il aurait certainement demandé un complément de dossier et à la lumière de celui-ci, que nous ne connaissons pas, aurait pu rendre une décision différente, nuancée. Mais en l’absence de ce dossier psychiatrique, de la connaissance de son contenu, il est certes difficile d’évaluer quel aurait été le sort du litige.

[26]           Compte tenu de ce qui précède, la Commission des lésions professionnelles estime qu’il y a lieu de réviser la décision puisqu’il a été démontré l’existence d’un fait nouveau qui aurait pu justifier une décision différente s’il avait été connu en temps utile. D’autre part, l’employeur ne doit pas être privé de son droit de faire une preuve sur cette question à la lumière des nouvelles informations obtenues du médecin traitant. La Commission des lésions professionnelles estime cependant qu’elle ne peut rendre la décision qui aurait dû être rendue puisque le dossier en question est incomplet et que les démarches ont été entreprises afin de le compléter. Pour que le droit d’être entendu de toutes les parties soit pleinement respecté, il est préférable de convoquer à nouveau les parties lorsque le dossier sera complet afin qu’une nouvelle audience soit tenue uniquement sur la question de la relation entre le diagnostic de trouble d’adaptation et la lésion professionnelle du 6 août 2007.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête en révision déposée par CSSS de Bécancour-Nicolet-Yamaska, l’employeur;

RÉVISE la décision rendue le 14 juillet 2008 par la Commission des lésions professionnelles;

CONVOQUERA à nouveau les parties à une audience sur la contestation déposée par la travailleuse le 31 janvier 2008 à l’encontre de la décision rendue le 28 janvier 2008 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative.

 

 

 

__________________________________

 

Luce Boudreault

 

 

 

 


 

Me Yvan Malo

C.S.N.

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Marc-André Germain

HEENAN, BLAIKIE

Représentant de la partie intéressée

 

 

Me Annie Veillette

PANNETON, LESSARD

Représentante de la partie intervenante

 



[1]           L.R.Q., c. A-.3001.

[2]          Subaihi et Société Asbestos ltée, C.L.P. 110633-72-9902, 22 décembre 1999, D. Lévesque; Simard et C.S.S.T., C.L.P. 87854-31-9704, 19 avril 2000, C. Lessard; Pietrangelo et Construction NCL, C.L.P. 107558-71-9811, 17 mars 2000, Anne Vaillancourt; Soucy et Groupe RCM inc., C.L.P. 143721-04-0007, 22 juin 2001, M. Allard, (01LP-64).

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