Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

M.P. et Société canadienne des postes

2013 QCCLP 4846

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Joliette

6 août 2013

 

Région :

Lanaudière

 

Dossier :

478937-63-1208

 

Dossier CSST :

129393989

 

Commissaire :

Daniel Pelletier, juge administratif

 

Membres :

Francine Melanson, associations d’employeurs

 

Claude Breault, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

M... P...

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Société canadienne des postes

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

R.H.D.C.C. Direction travail

            Partie intervenante

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 6 août 2012, madame M... P... (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 19 juillet 2012, à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 6 juillet 2012 et déclare que la travailleuse n’a pas droit à une allocation pour des besoins d’aide personnelle à domicile.

[3]           Une audience est tenue devant la Commission des lésions professionnelles à Joliette, le 6 juin 2013, en présence de la travailleuse et de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) qui sont représentées par procureur. La Société canadienne des postes (l’employeur) est absente à cette audience.

[4]           Le dossier est mis en délibéré en date du 6 juin 2013.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[5]           La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles (le tribunal) de lui reconnaître le droit à une aide personnelle à domicile afin qu’elle puisse bénéficier de la présence d’une personne pour l’aider à prendre soin d’elle-même la nuit, en l’absence de son conjoint.

L’AVIS DES MEMBRES

[6]           Le membre issu des associations d’employeurs ainsi que le membre issu des associations syndicales partagent le même avis. Ils estiment que la preuve est prépondérante pour démontrer que la travailleuse a droit à l’aide personnelle réclamée puisqu’elle nécessite la présence d’une personne de son entourage la nuit lorsque son conjoint est au travail. Ils sont également d’avis que le fait que la travailleuse n’ait pas personnellement besoin d’aide pour faire ses tâches domestiques le jour n’est pas une entrave à son droit à l’aide réclamée.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[7]           Le tribunal doit donc décider si la travailleuse est en droit de bénéficier d’une aide personnelle en raison du fait qu’elle est incapable de prendre soin d’elle-même la nuit.

[8]           La travailleuse occupe un emploi de commis aux postes pour le compte de l’employeur depuis le mois d’août 2000.

[9]           Le 20 février 2006, la travailleuse travaille seule, de nuit, à la succursale A. Vers 23 h 40, un individu se présente à cet endroit et tente de défoncer la porte avant de la succursale. Étant incapable de pénétrer à l’intérieur, l’individu se rend à l’arrière de la succursale et tente de défoncer la porte arrière. Lorsque l’individu tente de pénétrer par la porte arrière, il aperçoit la travailleuse par la vitre de la porte. À ce moment, il l’injurie et lui fait des menaces de mort.

[10]        Le diagnostic retenu de cette lésion professionnelle est un désordre de stress post-traumatique.

[11]        Le 3 mars 2010, la travailleuse est évaluée par le docteur Grégoire, à la demande de l’employeur. Celui-ci retient un diagnostic de désordre de stress post-traumatique chronicisé. Il considère que la lésion est consolidée et que la travailleuse demeure avec une atteinte permanente correspondante au groupe 2 des névroses qui entraînent un DAP de 15 %.

[12]        Le docteur Grégoire est d’avis que la travailleuse a conservé les limitations fonctionnelles suivantes qui seront permanentes à savoir : incapacité de travailler dans un bureau de poste, incapacité de travailler à un endroit où il y aurait un potentiel d’agression, incapacité de travailler dans les foules et incapacité de conduire son véhicule si la circulation est trop lourde.

[13]        Le 21 avril 2010, la docteure Giguère produit un rapport complémentaire dans lequel elle consolide la lésion professionnelle en date du 20 avril 2010 et se dit en accord avec le docteur Grégoire au sujet des limitations fonctionnelles. En ce qui concerne l’atteinte permanente, elle précise que l’évaluation du déficit anatomophysiologique devra être effectuée par la docteure Lalanda.

[14]        Le 22 avril 2010, la docteure Lalanda produit, à son tour, un rapport complémentaire dans lequel elle se dit d’accord avec la date de consolidation suggérée par le docteur Grégoire. En ce qui concerne le déficit anatomophysiologique, elle estime qu’il doit être établi à 45 % pour une névrose de groupe 3.

[15]        Le 25 mai 2010, la docteure Giguère remplit un formulaire d’information médicale complémentaire à la demande du docteur Claude Morel, du bureau médical de la CSST. Dans ce formulaire, elle se dit d’accord avec le pourcentage du déficit anatomophysiologique établi par la docteure Lalanda.

[16]        Le 2 juillet 2010, la CSST rend une décision par laquelle elle détermine que la travailleuse conserve un déficit anatomophysiologique de 60,75 % à la suite de sa lésion professionnelle du 20 février 2006.

[17]        Le 6 octobre 2010, la travailleuse revoit la docteure Giguère qui produit un rapport médical sur lequel elle retient toujours le diagnostic d’état de stress post-traumatique. Elle prescrit un arrêt de travail et précise qu’elle estime que la travailleuse est incapable d’être en contact avec le public ou de se retrouver dans un nouvel endroit lorsqu’elle est seule.

[18]        La docteure Giguère rédige également un nouveau rapport complémentaire le 7 octobre 2010, dans lequel elle reconnaît de nouvelles limitations fonctionnelles à la travailleuse, soit qu’il est difficile d’envisager un travail que la travailleuse serait en mesure d’accomplir, étant donné son incapacité de suivre une formation et d’être en contact avec le public.

[19]        Le 9 décembre 2010, la travailleuse consulte à nouveau la docteure Lalanda qui diagnostique une rechute symptomatique sévère de son état de stress post-traumatique, après la tentative de réinsertion professionnelle.

[20]        Le 8 mars 2011, la travailleuse rencontre la docteure Suzanne Benoit, membre du Bureau d’évaluation médicale, qui émet un avis au sujet des limitations fonctionnelles que conserve la travailleuse à la suite de sa lésion professionnelle du 20 février 2006. Elle retient les limitations suivantes :

Madame ne pourra plus retourner travailler pour Postes Canada, elle ne pourra plus travailler en relation avec le public, elle ne pourra plus se déplacer en voiture dans des périodes de circulation dense, elle ne peut plus travailler dans un endroit où il y aurait un potentiel d’agression.

 

 

[21]        Le tribunal souligne le passage suivant du rapport de la docteure Benoit et qui concerne l’aggravation de la symptomatologie de la travailleuse qui serait survenue dans les mois précédents :

[…] Elle a tenté beaucoup de s’exposer, dit-elle, de se désensibiliser, mais elle a eu une rechute quand elle est allée suivre un stage comme préposée aux bénéficiaires. Toute les améliorations qu’elle avait présentées à ce moment-là, sa capacité à sortir seule, aller de plus en plus loin, à rester de plus en plus longtemps dans les endroits publics, a régressé.

 

[…]

 

Madame tient à préciser que lors de son stage d’immersion au travail comme préposée aux bénéficiaires, elle avait peur de tout le monde, elle était incapable d’endurer des gens derrière elle, elle était toujours dos au mur. Il fallait qu’elle voie tout le monde sinon elle paniquait. Quand elle panique, elle se met à trembler, à manquer d’air, elle a des palpitations cardiaques, à des bouffées de chaleur, a des nausées, et il faut absolument qu’elle sorte sinon cela devient trop intolérable. [sic]

 

 

[22]        Le 7 avril 2011, la travailleuse revoit la docteure Lalanda qui produit un rapport médical sur lequel elle précise que l’état de stress post-traumatique s’est aggravé depuis l’échec de retour au travail. Elle mentionne que l’anxiété, les troubles paniques et l’irritabilité ont augmenté. Enfin, elle émet l’avis qu’aucun retour au travail n’est envisageable dans ces conditions et qu’un suivi psychologique est indiqué.

[23]        La CSST et la révision administrative refusent cette réclamation pour récidive, rechute ou aggravation et la travailleuse conteste ces décisions.

[24]        Le 29 avril 2011, la CSST et la révision administrative rendent des décisions par lesquelles elles retiennent un emploi convenable de commis à la saisie de données. Elles déterminent également que la travailleuse est apte à occuper cet emploi à compter du 29 avril 2011. La travailleuse conteste cette décision.

[25]        Le 26 avril 2012, la Commission des lésions professionnelles rend une décision[1] par laquelle elle conclut que la travailleuse a subi une lésion professionnelle, le 7 avril 2011, sous la forme d’une récidive, rechute ou aggravation de la lésion du 20 février 2006 et conclut qu’il est prématuré de disposer de la question de la capacité à exercer l’emploi convenable de commis à la saisie de données étant donné que la récidive, rechute ou aggravation n’est toujours pas consolidée. Toutefois, la Commission précise ce qui suit :

[61] En terminant, la Commission des lésions professionnelles tient à souligner à la CSST qu’elle devra reprendre le processus de réadaptation professionnelle lorsque la nouvelle lésion professionnelle sera consolidée. Bien entendu, ce processus devra tenir compte de l’évaluation de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles que conservera la travailleuse à la suite de cette récidive, rechute ou aggravation. Pour sa part, le tribunal note que le déficit anatomo-physiologique actuellement reconnu est de 45 % (névrose du groupe 3) et que la CSST devrait donc s’interroger sur la pertinence de déclarer la travailleuse inapte à tout emploi puisqu’un tel pourcentage correspond, selon le Règlement sur le barème des dommages corporels5, à ce qui suit :

Le syndrome névrotique est envahissant et conduit alors à une nette détérioration du rendement social et personnel. Il s’accompagne de modifications sérieuses et constantes des relations interpersonnelles : isolement ou besoin d’être encouragé et réconforté. Les activités quotidiennes sont bouleversées et le sujet a besoin de surveillance ou de l’assistance de son entourage. La composante psychosomatique peut s’accompagner de lésions pathologiques tissulaires plus ou moins réversibles.

 

______________

5              R.R.Q., c. A-3.001, r. 2.

 

[notre soulignement]

 

 

[26]        Le 31 mai 2012, la docteure Lalanda rédige un rapport final dans lequel elle indique que la récidive, rechute ou aggravation du 7 avril 2011 est consolidée à cette même date avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.

[27]        Le 13 juin 2012, la CSST rend une décision affirmant qu’il est actuellement impossible de déterminer un emploi convenable que la travailleuse serait capable d’exercer à temps plein et, qu’en conséquence, la CSST continuera à lui verser l’indemnité de remplacement du revenu. L’employeur conteste cette décision qui sera maintenue par la révision administrative le 19 septembre 2012 et il se désistera de sa requête contestant cette dernière décision qui est devenue finale et sans appel.

[28]        Le 18 juillet 2012, la docteure Lalanda rédige un rapport d’évaluation médicale relativement aux limitations fonctionnelles en lien avec la lésion professionnelle. Elle mentionne :

Elle ne peut sortir seule le soir et même si elle sort accompagnée, elle est très anxieuse et tendue; elle présente une hyper vigilance très importante ainsi qu’une diaphorèse. Elle évite les émissions de télévision qui peuvent présenter des signes de violences ou d’agressivité. Elle présente une diminution de la résistance à l’effort, une diminution des capacités de concentration et d’attention, une fatigabilité importante.

 

Par ailleurs madame est incapable de dormir quand elle est seule car elle a peur. Son conjoint actuel travaille de nuit et madame s’endort finalement au retour de celui-ci.

 

[…]

 

Par conséquent en raison de ses atteintes fonctionnelles, madame ne présente pas de capacité de faire un travail régulier, même à temps partiel et est donc à mon avis à toutes fins pratiques inemployable.

 

En ce qui concerne les séquelles, madame garde donc les symptômes de stress post-traumatique chroniques avec un trouble anxieux et des attaques de panique importante, Le pourcentage de DAP a déjà été attribué à 45 % par la CSST.

 

[notre soulignement]

 

 

[29]        La travailleuse témoigne lors de l’audience. Elle reconnaît qu'elle n'a pas besoin d’aide à domicile pour effectuer ses tâches domestiques le jour, pour s’habiller ou pour se laver, etc. Cette reconnaissance résulte surtout du fait que c’est son conjoint qui réalise l’ensemble des tâches domestiques qu’elle réalisait auparavant. C’est lui qui prépare les repas, utilise la cuisinière, etc.

[30]        Laissée à elle-même, la travailleuse est incapable d’utiliser seule les appareils d’usage courant. Elle craint d’utiliser la cuisinière, parce qu’elle a peur d’oublier un rond du poêle allumé et de mettre le feu. Elle craint de manipuler des couteaux, elle a peur d’elle-même. Elle ne peut préparer des repas élaborés, c’est son conjoint qui le fait. S’il mange trop tôt et qu’elle n’a pas faim, elle va grignoter des mets déjà préparés. Elle ne peut faire la commande seule. Elle ne va pas dans les centres d’achats le jour. Elle craint les foules.

[31]        La travailleuse ne peut utiliser le téléphone que partiellement, surtout le soir où elle s’assure de filtrer ses appels pour ne pas parler à des inconnus. Elle ne peut prendre de douche le soir parce qu’elle fait des crises de panique lorsqu’elle est enfermée dans la douche. Elle ne prend pas de bain parce qu’elle doit entendre tout ce qui se passe.

[32]        Le conjoint de la travailleuse quitte la résidence pour son travail à 18 h. Elle pleure dès que son conjoint passe la porte, elle l’appelle une dizaine de fois la nuit parce qu’elle panique. Elle a peur des bruits qu’elle entend soit à l’intérieur, soit à l’extérieur de sa résidence. Elle craint une invasion de son domicile, motif pour lequel elle a acheté un condo au premier étage pour pouvoir sortir par une autre porte en cas d’invasion.

[33]        La travailleuse tente d’aller se coucher vers 1 h le matin. Elle sursaute dès qu’elle est sur le point de s’endormir. Elle réussit à dormir quand le soleil se lève et que ça commence à bouger à l’extérieur. Son conjoint doit la prévenir avant d’entrer dans la chambre le matin, sinon elle panique. Elle a toujours peur d’être attaquée. Sa peur se concentre la nuit. La nuit, elle se renferme. Quand son mari est présent la nuit, ça va. Elle peut dormir. Elle sent qu’il y a quelqu’un pour la protéger.

[34]        Le 4 décembre 2012, la travailleuse est expertisée par le docteur Serge Gauthier, psychiatre, qui témoigne également à l’audience. Il confirme le fait que la travailleuse est inemployable et que sa condition exige la poursuite de la médication antidépressive. Il conclut son expertise ainsi :

Par ailleurs, en raison de la persistance des problèmes d’anxiété, de reviviscences et de paniques nocturnes, je recommande la présence d’une accompagnatrice, durant la nuit, les jours de travail du conjoint de Madame.

 

 

[35]        Le docteur Gauthier est d’avis que la travailleuse a un besoin d’une surveillance marquée pour le contrôle de soi puisqu’elle est envahie par l’anxiété et la crainte d’être à nouveau agressée, anxiété qu’elle ne peut contrôler.

 

 

[36]        Le contrôle de soi est défini ainsi dans le Règlement sur les normes et barèmes de l'aide personnelle à domicile[2] (le règlement) comme étant :

Contrôle de soi : la capacité de se comporter adéquatement en fonction des lieux, des personnes, de contrôler son impulsivité ou ses inhibitions pour éviter de se mettre ou mettre un tiers en situation dangereuse ou socialement inacceptable.

 

 

[37]        Selon le docteur Gauthier, la travailleuse ne peut se faire à manger, se laver ou dormir le soir à cause de l’anxiété qui l’habite. Elle a également peur d’elle-même si elle manipule la cuisinière ou des couteaux et elle a peur d’être agressée à nouveau. La nuit, elle devient dysfonctionnelle. Elle se perçoit en danger. Elle craint d’oublier un rond allumé ou de mettre sa vie en danger en manipulant des couteaux. Elle est incapable de contrôler cette anxiété et de trouver le sommeil la nuit, motif pour lequel elle a besoin d’une surveillance la nuit. Selon lui, la travailleuse présente un besoin de surveillance marquée pour le contrôle de soi la nuit. Il s’appuie sur la définition de ce concept que l’on retrouve dans le règlement :

            A : Besoin d’une surveillance marquée

L’événement a altéré cette fonction cérébrale supérieure et le travailleur doit habituellement être sous surveillance soutenue à l’exception de certaines situations quotidiennes où il peut être laissé seul.

 

 

[38]        Le docteur Gauthier est d’opinion que l’événement vécu par la travailleuse a altéré sa fonction cérébrale au point où sa condition exige maintenant qu’elle soit sous surveillance continue. Le jour, ça ne pose pas de problème puisque son conjoint est présent. La nuit il y a un problème et une nécessité que la travailleuse bénéficie d’une surveillance afin qu’elle puisse récupérer par de bonnes nuits de sommeil.

[39]        La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[3] (la loi) énonce les conditions pour bénéficier de l’aide personnelle à domicile et ce qu’elle comprend :

158.  L'aide personnelle à domicile peut être accordée à un travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, est incapable de prendre soin de lui-même et d'effectuer sans aide les tâches domestiques qu'il effectuerait normalement, si cette aide s'avère nécessaire à son maintien ou à son retour à domicile.

__________

1985, c. 6, a. 158.

 

 

 

159.  L'aide personnelle à domicile comprend les frais d'engagement d'une personne pour aider le travailleur à prendre soin de lui-même et pour effectuer les tâches domestiques que le travailleur effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion.

 

Cette personne peut être le conjoint du travailleur.

__________

1985, c. 6, a. 159.

 

 

[40]        Quant à l’évaluation, la loi prévoit les modalités suivantes :

161.  Le montant de l'aide personnelle à domicile est réévalué périodiquement pour tenir compte de l'évolution de l'état de santé du travailleur et des besoins qui en découlent.

__________

1985, c. 6, a. 161.

 

 

162.  Le montant de l'aide personnelle à domicile cesse d'être versé lorsque le travailleur :

 

1° redevient capable de prendre soin de lui-même ou d'effectuer sans aide les tâches domestiques qu'il ne pouvait effectuer en raison de sa lésion professionnelle; ou

 

2° est hébergé ou hospitalisé dans une installation maintenue par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5).

__________

1985, c. 6, a. 162; 1992, c. 21, a. 79; 1994, c. 23, a. 23.

 

 

163.  Le montant de l'aide personnelle à domicile est versé une fois par deux semaines au travailleur.

 

Ce montant est rajusté ou annulé, selon le cas, à compter de la première échéance suivant l'événement qui donne lieu au rajustement ou à l'annulation.

__________

1985, c. 6, a. 163.

 

 

[41]        Le règlement contient d’autres dispositions sur le sujet :

3.  Les mesures d'assistance visent, selon les besoins du travailleur, à aider celui-ci à prendre soin de lui même et à effectuer les tâches domestiques qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion.

 

Décision 97-12-03, a. 3.

 

4.  Les mesures de surveillance visent à aider le travailleur à prendre soin de lui-même durant les périodes comprises entre l'exécution de ses activités personnelles et de ses tâches domestiques, définies à l'article 2.1 de l'annexe 1, lorsqu'il a une atteinte permanente entraînant des séquelles neurologiques ou psychiques et qu'il a des besoins d'assistance suivant les normes établies à la grille d'évaluation des besoins d'aide personnelle à domicile prévue à cette annexe.

 

Décision 97-12-03, a. 4.

 

ÉVALUATION DE L'AIDE PERSONNELLE À DOMICILE

5.  Les besoins d'aide personnelle à domicile sont évalués par la Commission de la santé et de la sécurité du travail en tenant compte de la situation du travailleur avant la lésion professionnelle, des changements qui en découlent et des conséquences de celle-ci sur l'autonomie du travailleur.

 

Ces besoins peuvent être évalués à l'aide de consultations auprès de la famille immédiate du travailleur, du médecin qui en a charge ou d'autres personnes-ressources.

 

Cette évaluation se fait selon les normes prévues au présent règlement et en remplissant la grille d'évaluation prévue à l'annexe 1.

 

Décision 97-12-03, a. 5.

 

 

[42]        La CSST dépose une grille d’évaluation des besoins d’aide personnelle de la travailleuse. Le document indique que l’évaluation initiale aurait été effectuée le 1er mars 2012, que l’évaluation a été faite pour un diagnostic de Syndrome de stress post-traumatique et qu’il n’y a pas de nécessité d’adapter le domicile de la travailleuse. Le document indique ce qui suit :

            2- Évaluation des besoins d’assistance personnelle et domestique

2.1 Tableau d’évaluation des besoins d’assistance

Le lever

C - Aucun besoin d’assistance

0

Le coucher

C - Aucun besoin d’assistance

0

Hygiène corporelle

C - Aucun besoin d’assistance

0

Habillage

C - Aucun besoin d’assistance

0

Déshabillage

C - Aucun besoin d’assistance

0

Soins vésicaux

C - Aucun besoin d’assistance

0

Soins intestinaux

C - Aucun besoin d’assistance

0

Alimentation

C - Aucun besoin d’assistance

0

Utilisation des commodités du domicile

C - Aucun besoin d’assistance

0

Préparation du petit déjeuner

C - Aucun besoin d’assistance

0

Préparation du dîner

C - Aucun besoin d’assistance

0

Préparation du souper

C - Aucun besoin d’assistance

0

Ménage léger

C - Aucun besoin d’assistance

0

Ménage lourd

C - Aucun besoin d’assistance

0

Lavage du linge

C - Aucun besoin d’assistance

0

Approvisionnement

C - Aucun besoin d’assistance

0

Total

 

0/48

 

3.1 Tableau d’évaluation des besoins de surveillance

Mémoire

C- Aucun besoin de surveillance

0

Orientation dans le temps

C- Aucun besoin de surveillance

0

Orientation dans l’espace

C- Aucun besoin de surveillance

0

Communication

C- Aucun besoin de surveillance

0

Contrôle de soi

C- Aucun besoin de surveillance

0

 

[43]        Ce document n’est pas signé, mais il est indiqué que l’évaluation a été faite par madame Édith Simard, conseillère en réadaptation. Les notes évolutives contemporaines nous indiquent ce qui suit, relativement à la demande de la travailleuse d’avoir une personne pour la surveiller la nuit :

[…]

 

En ce qui concerne notre évaluation des besoins de surveillance, selon le descriptif des éléments évalués de notre grille et de l’évaluation de la psychiatre, nous ne pouvons conclure que la cliente a besoin d’aide. De plus, sa demande ne cadre pas dans les sphères évaluées.

 

[…]

 

5) Contrôle de soi : Aucun besoin. Pour identifier un besoin d’assistance pour cette fonction, nous devons considérer que le fait de dormir seule peut mettre la travailleuse ou mettre un tiers en situation dangereuse ou socialement inacceptable. Ce n’est pas le cas dans ce dossier.

 

 

[44]        Le tribunal s’est questionné sur l’évaluation psychiatrique à laquelle réfère ce commentaire de la conseillère. Le procureur de la CSST considère que la seule évaluation psychiatrique considérée dans ce dossier est celle de la docteure Lalanda qui concluait au besoin de surveillance la nuit afin que la travailleuse puisse dormir.

[45]        Le tribunal considère qu’il doit répondre à deux questions pour solutionner ce litige. La première est le fait que la travailleuse ne puisse dormir seule, la met-elle en situation dangereuse ou socialement inacceptable?

[46]        La preuve révèle que la travailleuse est incapable de dormir si elle est seule la nuit. Elle souffre d’anxiété, fait de l’angoisse et a une peur panique. Elle pleure et appelle son conjoint à environ dix reprises au cours de la nuit. De l’avis du tribunal, le fait pour un individu d’être privé de sommeil durant de longues périodes le met dans une situation dangereuse pour sa santé. Le fait de déranger son conjoint par des appels répétés tout au long de la nuit à cause de ses crises d’angoisse est une situation socialement inacceptable. De l’avis du tribunal, la réponse à la première question est affirmative.

 

[47]        La deuxième question à résoudre réfère à la fameuse conjonction « et » que l’on retrouve à l’article 158 de la loi, tel que l’expose la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Marcotte et Chemin de Fer Nationaux du Canada.[4]

[68] Pour avoir droit à l’aide personnelle à domicile, un travailleur doit satisfaire à trois conditions :

 

1) être incapable de prendre soin de lui-même et;

2) être incapable d’effectuer sans aide les tâches domestiques qu’il effectuerait normalement;

3) l’aide doit s’avérer nécessaire à son maintien ou à son retour à domicile.

[69]      La jurisprudence3 établit clairement que le « et » est conjonctif, ce qui fait en sorte que les deux premières conditions sont indissociables l’une de l’autre en ce qu’elles doivent être rencontrées simultanément et de façon cumulative pour donner ouverture au droit.

 

______________

3           CSST et Fleurent, [1998] C.L.P. 360; Côté et DL Sanitation enr., [2007] C.L.P. 1457; Chapados et Camp Louis-Georges Lamontagne, C.L.P. 349183-01A-0805, 19 mars 2009; Transelec / Common inc. et Desjardins, 2011 QCCLP 6705.

 

 

[48]        Dans l’affaire René et Mittal Canada inc.[5], la Commission des lésions professionnelles a décidé qu’on pouvait contourner cette exigence de la conjonction « et » en transposant les besoins d’aide personnelle qui ne pourraient être réalisés sans l’aide d’une personne-ressource. La Commission des lésions professionnelles s’exprime ainsi sur la question :

[120] […] Elle précise que, bien que le travailleur n’ait pas de difficultés physiques pour poser les gestes nécessaires à son hygiène personnelle, son habillement, son alimentation ou la préparation des repas, il faut lui rappeler de les faire en raison de ce qu’elle qualifie de manque d’initiative. Mme Curadeau écrit d’ailleurs dans son rapport que le travailleur nécessite un rappel et une supervision étroite.

 

[121] Mme Curadeau conclut que les besoins du travailleur, qu’elle transpose sur la Grille des besoins d’aide personnelle du règlement, se situent à un pointage de 21.5 sur 48 points14.

 

[122] La conjointe du travailleur affirme que, depuis sa lésion professionnelle, le travailleur souffre d’insécurité, est souvent confus et qu’il a besoin de surveillance constante à défaut de quoi il oublie de poser des gestes importants pour sa sécurité et celle des autres tels éteindre la cuisinière ou le moteur de sa voiture ou fermer les portes de la maison. Selon son témoignage, le travailleur a besoin de surveillance depuis son retour à la maison en octobre 1998, de sorte que les besoins évalués en 2010 par Mme Curadeau à la Grille d’évaluation des besoins d’assistance personnelle et domestique sont les mêmes depuis le début. Qu’il s’agisse de l’hygiène corporelle, de l’habillage, du déshabillage ou de l’alimentation, bien qu’il soit capable de poser les gestes, par exemple de s’alimenter, il faut lui rappeler de le faire.

 

[123] Le tribunal constate que le témoignage de la conjointe du travailleur concernant les besoins d’assistance et de surveillance du travailleur au chapitre des activités de la vie quotidienne, est corroboré par les rapports des Drs Roux et Lachapelle, tout au moins à compter du mois de juin 2001.

 

____________

14          Voir la Grille d’évaluation des besoins d’aide personnelle à domicile au paragraphe 55 de la présente décision.

 

 

[49]        C’est évidemment une solution que l’on pourrait importer dans le présent dossier puisqu’il est évident que, sans l’aide de son conjoint, la travailleuse est incapable d’opérer la cuisinière, de se préparer un déjeuner, dîner ou souper le moindrement élaboré, d’utiliser des couteaux, etc. Mais, de l’avis du soussigné, cette gymnastique juridique n’est pas nécessaire dans les circonstances.

[50]        Dans un premier temps, le tribunal se questionne si la travailleuse peut effectivement se coucher sans assistance, lorsque la preuve révèle qu’elle ne peut trouver le sommeil si elle est seule dans sa résidence. Réfère-t-on ici uniquement au geste de s’étendre ou si l’on réfère à l’activité de se « coucher » qui a pour but de permettre le sommeil? Dans la deuxième hypothèse, on devrait conclure que la travailleuse a assurément besoin d’assistance puisque la preuve révèle qu’elle ne peut le faire sans assistance. Dans un tel cas, elle serait en droit de bénéficier de l’aide pour le besoin de surveillance pour le contrôle de soi puisqu’elle ne peut faire l’une des activités prévues au tableau des besoins d’assistance sans aide.

[51]        Mais avec égards pour ceux qui soutiennent une autre position, le tribunal ne considère pas que, pour bénéficier de l’aide personnelle reliée au contrôle de soi, il est nécessaire d’être incapable d’exécuter une tâche domestique. Quel lien y a-t-il entre le besoin de dormir la nuit et le fait d’être incapable de se préparer à déjeuner? Il s’agit de deux besoins indépendants qui n’ont pas de lien entre eux. Pourquoi ne pas accorder l’aide requise pour dormir la nuit dans un tel contexte?

[52]        Le tribunal rappelle les exigences énoncées par la loi, à son article premier :

1.  La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.

 

Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d'indemnités de décès.

 

La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 1; 1999, c. 40, a. 4.

 

 

[53]        Le fait que la travailleuse ait besoin de surveillance constante la nuit découle des conséquences de la lésion et elle doit être indemnisée au même titre que si elle avait besoin d’une aide pour l’aider à se laver ou à préparer ses repas.

[54]        En ce qui a trait à l’argument de texte fondé sur la conjonction « et » de l’article 158, le tribunal ne le retient pas. Il est d’avis que cet article prévoit deux situations indépendantes l’une de l’autre. Le travailleur, incapable de prendre soin de lui-même ou d'effectuer sans aide les tâches domestiques qu'il effectuerait normalement, si cette aide s'avère nécessaire à son maintien ou à son retour à domicile, a droit à l’aide. C’est une interprétation téléologique de la loi qui a pour but de réparer les conséquences de la lésion professionnelle.

[55]        Cet argument de texte est au surplus en contradiction avec la disposition de l’article 162 de la loi qui prévoit les circonstances dans lesquelles l’aide cesse :

162.  Le montant de l'aide personnelle à domicile cesse d'être versé lorsque le travailleur :

 

1° redevient capable de prendre soin de lui-même ou d'effectuer sans aide les tâches domestiques qu'il ne pouvait effectuer en raison de sa lésion professionnelle; ou

 

 

[56]        Dans cette disposition, le législateur utilise la conjonction « ou ». Ce qui signifie que l’aide pourrait être cessée si le travailleur redevient capable d’effectuer sans aide les tâches domestiques, mais maintenue s’il demeure incapable de prendre soin de lui-même pour, à titre d’exemple, le contrôle de soi.

[57]        Pourquoi dans ce contexte, le travailleur pourrait-il être indemnisé pour un besoin de surveillance pour le contrôle de soi alors qu’il n’a plus besoin d’aide pour ses tâches domestiques alors qu’un autre, qui n’avait pas besoin d’aide pour l’exécution de ses tâches domestiques, lors d’une première évaluation, ne bénéficierait pas de ce droit? Cette interprétation conduit à une certaine aberration que le législateur n’est pas présumé avoir voulu.

 

 

[58]        Il serait également illogique d’interpréter cet article en soutenant que le simple fait pour le travailleur, d’être en mesure de prendre soin de lui-même sur le plan du contrôle de soi, l’empêche d’avoir droit à une aide dans la réalisation de certaines tâches domestiques.

[59]        Un autre argument qui ne permet pas de soutenir cette interprétation de la loi est l’article 4 du règlement qui prévoit que les mesures de surveillance visent à aider le travailleur à prendre soin de lui-même durant les périodes comprises entre l'exécution de ses activités personnelles et de ses tâches domestiques, définies à l'article 2.1 de l'Annexe 1. Le règlement sur les besoins d’assistance prévoit clairement que les mesures de surveillance prennent place à l’extérieur des périodes consacrées aux tâches domestiques, ce qui est un élément additionnel qui devrait nous permettre de conclure qu’il s’agit d’un besoin distinct et sans lien avec les besoins d’assistance pour les tâches domestiques.

[60]        Bien qu’il ne soit pas lié par les admissions des parties, le tribunal souligne que le procureur de la CSST ne plaide pas cet argument de texte. Le tribunal retient enfin que cette recommandation de surveillance la nuit est contenue dans le rapport d’évaluation médicale du docteur Lalanda et s’apparente à un soin, comme le serait la prescription d’un service privé d’infirmière dans un établissement hospitalier. En l’occurrence, ce soin vise à pallier aux séquelles de la lésion professionnelle, soit au syndrome de névrose groupe 3 qui affecte la travailleuse.

[61]        Étant un soin prescrit par le médecin qui a charge, il lie la CSST si elle n’a pas fait une demande d’avis au Bureau d’évaluation médicale sur cette question, tel que le prévoit l’article 224 de la loi :

224.  Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.

__________

1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.

 

 

[62]        Pour ces divers motifs, le tribunal conclut que la travailleuse a besoin d’une surveillance marquée pour le contrôle de soi et qu’elle a droit à l’aide personnelle calculée selon le règlement, correspondant à ce besoin.

[63]        Quant à la période pour laquelle la travailleuse a droit à la détermination de ses besoins en fonction des représentations faites à l’audience, le tribunal considère qu’il est approprié de faire rétroagir le paiement de cette aide à la date de la demande de la travailleuse, soit au 13 juin 2012.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de madame M... P..., la travailleuse;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 19 juillet 2012, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la travailleuse a droit à une allocation d’aide personnelle à domicile depuis le 13 juin 2012, calculée selon le pointage accordé selon la Grille d’aide personnelle en considérant que la travailleuse a besoin d’une surveillance marquée pour le contrôle de soi.

 

 

 

 

 

Daniel Pelletier

 

 

 

 

Me Michel Cyr

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Geoffroy Lamarche

VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON

Commission de la santé et de la sécurité du travail

Représentant la partie intervenante

 



[1]              M.P. et Société canadienne des postes, 2012 QCCLP 2880.

[2]              R.R.Q., c. A-3.001, r. 9.

[3]               L.R.Q., c. A-3.001.

[4]               2012 QCCLP 3414.

[5]               2012 QCCLP 6192.

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