Bénard et Hôpital Sacré-Coeur de Mtl-Qvt |
2009 QCCLP 498 |
______________________________________________________________________
______________________________________________________________________
330033-64-0710
[1] Le 12 octobre 2007, madame Véronique Bénard (la travailleuse) dépose, à la Commission des lésions professionnelles, une requête à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 9 octobre 2007, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle initialement rendue le 9 août 2007 et déclare qu'elle n'a pas à rembourser à la travailleuse les frais de garde d'enfants durant les périodes où elle a participé au programme d'évaluation de développement et d'intégration professionnelle (PEDIP).
351020-64-0806
[3] Le 13 juin 2008, la travailleuse dépose, à la Commission des lésions professionnelles, une requête à l’encontre d’une décision rendue par la CSST le 9 juin 2008, à la suite d’une révision administrative.
[4] Par cette décision, la CSST confirme celle rendue le 8 mai 2008, faisant suite à un avis rendu par un membre du Bureau d'évaluation médicale portant sur l'existence et la détermination d'une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles. La CSST déclare qu'elle est justifiée de poursuivre le versement de l'indemnité de remplacement du revenu jusqu'à ce qu'elle se prononce sur la capacité de la travailleuse d'exercer son emploi étant donné la présence de limitations fonctionnelles.
[5] La CSST confirme également une décision rendue le 12 mai 2008 déclarant que la travailleuse n'a pas droit à une indemnité pour préjudice corporel, considérant qu'il n'y a pas d'atteinte permanente supplémentaire.
[6] Le 24 novembre 2008, Me Marie-Pierre Dubé-Iza, représentante de la CSST, adresse une lettre à la Commission des lésions professionnelles pour informer le tribunal que la CSST ne sera pas représentée à l'audience prévue le 25 novembre 2008.
[7] À l’audience tenue à Saint-Jérôme le 25 novembre 2008, la travailleuse est présente et est représentée par Me Denis Mailloux. Hôpital Sacré-Cœur de Mtl-Qvt (l’employeur) n’est pas représenté.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
330033-64-0710
[8] La travailleuse demande que les frais de garde d'enfants soient remboursés par la CSST lorsqu’elle a participé au programme PEDIP.
351020-64-0806
[9] La travailleuse demande au tribunal d'appliquer les conclusions médicales du docteur Tremblay dans son évaluation du 7 décembre 2007, concluant en une augmentation de l'atteinte permanente (de 16 % à 23 %) et la présence de limitations fonctionnelles de classe IV de l’I.R.S.S.T.[1]
L’AVIS DES MEMBRES
330033-64-0710
[10] Le membre issu des associations d'employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d'avis que la requête de la travailleuse devrait être rejetée puisque les explications formulées par le procureur de la travailleuse au soutien de sa demande ne permettent pas au tribunal de renverser les motifs du refus de la CSST. Les membres estiment que la travailleuse doit défrayer les frais de garde engagés dans le cadre de ses traitements, comme toute autre personne ayant subi une lésion professionnelle.
351020-64-0806
[11] Le membre issu des associations d'employeurs est d'avis que la preuve médicale prépondérante démontre que la travailleuse demeure avec des limitations fonctionnelles de classe II/III, tenant compte des examens conduits par le docteur Ferron et le docteur Molina-Negro, membre du Bureau d'évaluation médicale. Les conclusions de ce dernier basées sur la preuve objective doivent ainsi être maintenues. La requête de la travailleuse dans ce dossier devrait être rejetée.
[12] Le membre issu des associations syndicales considère que l'opinion du docteur Tremblay doit prévaloir, considérant son témoignage à l'audience sur la capacité physique réelle de la travailleuse, sur les évaluations effectuées par les autres experts et sur les effets de la médication antidouleur de la travailleuse. La requête de la travailleuse devrait être accueillie.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[13] La travailleuse, infirmière chez l'employeur, est victime d'une lésion professionnelle, le 9 janvier 2002, à la suite d'un transfert d'un patient instable. Un diagnostic d'entorse lombaire est initialement posé.
[14] Dirigée auprès du docteur Maurais, orthopédiste, et à la suite de traitements conservateurs durant une période de quatre mois, une greffe L5-S1 (fusion postérieure) avec instrumentation est effectuée le 6 mai 2002. Une tomodensitométrie avait démontré une spondylolyse bilatérale à ce niveau avec une asymétrie facettaire associée et un début d'arthrose facettaire bilatérale, alors que la résonnance magnétique confirmait une spondylolyse, sans spondylolisthésis, avec arthrose facettaire à droite et une hypoplasie de la facette gauche.
[15] Cette lésion est consolidée le 2 juillet 2003 et le docteur Maurais indique, dans un Rapport d’évaluation médicale daté du 3 septembre 2003, que la travailleuse demeure avec une atteinte permanente de 16 % et les limitations fonctionnelles suivantes (classe II et classe III de l’I.R.S.S.T.) :
Ø Travail en position alternée assise et debout, sans lever des charges lourdes de plus de vingt livres ;
Ø Éviter les mouvements répétitifs de flexion/extension et de rotations répétitives du tronc et la position penchée par en avant pour de longues périodes ;
Ø Éviter de grimper ou de ramper ;
Ø Éviter la marche prolongée ;
Ø Éviter le travail où il y a la présence de vibrations à basse fréquence pouvant affecter la colonne lombaire.
[16] Le 28 juin 2004, la CSST détermine que la travailleuse est capable d'exercer l'emploi convenable d'infirmière auprès de patients autonomes. Cette décision est maintenue en révision administrative, le 3 mai 2006, au motif que la demande de révision est déposée près d'un an après l'expiration du délai. Un désistement sera produit à la Commission des lésions professionnelles dans ce dossier.
[17] Une nouvelle Réclamation du travailleur pour une récidive, rechute ou aggravation survenue le 3 juin 2005, en raison de douleurs accrues, est refusée par la CSST, le 7 octobre 2005. Ce refus est maintenu en révision administrative le 20 février 2006.
[18] Le médecin qui a charge débute la prise de Prozac (un antidépresseur) en octobre 2005.
[19] Par ailleurs, la CSST accepte, le 11 octobre 2005, la réclamation de la travailleuse pour une gastroentéropathie secondaire à la prise d'anti-inflammatoires en lien avec la lésion professionnelle initiale (hémorragie digestive et anémie subséquente).
[20] Une médication narcotique lourde est introduite à cette époque (Fentanyl[2] et Dilaudid[3]).
[21] Une scintigraphie osseuse, réalisée le 12 décembre 2005, démontre une activité augmentée pouvant s'interpréter comme une pseudoarthrose à la jonction L5-S1 (post-fusion et instrumentation).
[22] Le 13 février 2006, la CSST accepte la survenance d'une récidive, rechute ou aggravation, qui s'est manifestée le 18 janvier 2006, pour un diagnostic de pseudarthrose L5-S1.
[23] Le 17 février 2006, le docteur Maurais procède à une reprise de fusion L5-S1 et à la pose d'un neuro-stimulateur.
[24] Le 25 mai 2006, la travailleuse est examinée par la docteure Bégo, psychiatre, qui diagnostique une dépression majeure sur des douleurs chroniques invalidantes liées à une fracture [sic] L5-S1.
[25] Le 6 juillet 2006, la CSST reconnaît que le diagnostic de dépression majeure est en relation avec l'événement du 18 janvier 2006.
[26] Le 26 octobre 2006, une tomodensitométrie est interprétée par la docteure Kaplan, radiologiste. Cette dernière est d'opinion qu'il y a des séquelles de chirurgie de la fusion postérieure de la jonction lombo-sacrée, la greffe du côté gauche n'étant pas aussi solide que celle du côté droit.
[27] À la suite d'une scintigraphie réalisée le 20 février 2007, le docteur Veilleux, nucléiste, est d'opinion qu'il y a de légers remaniements d'allure ostéo-dégénérative à L5.
[28] Le 3 avril 2007, le docteur Lelièvre, psychiatre traitant, conclut que la travailleuse présente une « possibilité de dépression majeure en rémission partielle avec un diagnostic différentiel de trouble de l'adaptation avec humeur anxio-dépressive ». Il y a, de plus, un « trouble douloureux chronique mixte avec facteurs somatiques et psychologiques », la présence de traits de personnalité borderline possible avec, à l'axe IV, la présence de douleurs chroniques.
[29] Le 24 avril 2007, le docteur Maurais procède à l'exérèse de l'instrumentation électro-spinale.
[30] Un Rapport final est produit le 31 octobre 2007, par le docteur Maurais, ce dernier signalant la présence d'une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles, mais suggérant une évaluation par un autre médecin.
330033-64-0710
[31] Le 11 juin 2007, par lettre de son procureur, la travailleuse demande à la CSST le remboursement des frais de garde de ses enfants.
[32] Il est mentionné que la travailleuse doit participer à un programme de réadaptation physique et devra faire garder ses enfants, étant donné que son conjoint travaille à plein temps et ne peut assumer cette garde. Cette demande est effectuée en vertu des articles 164 et, subsidiairement, 184,5 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[4] (la loi). Il est soumis que le paiement de ces frais rendra la travailleuse plus disponible pour assurer adéquatement sa participation à ce programme de réadaptation physique.
[33] À l'audience, le procureur de la travailleuse expose que celle-ci est absente du marché du travail depuis sa lésion professionnelle. Elle n'a donc pu inscrire ses enfants en garderie. Comme elle doit participer au programme PEDIP, elle a dû, à pied levé, faire garder ses enfants à ses propres frais, sans pouvoir planifier à l'avance cette garde. Elle devrait ainsi être remboursée des frais engagés.
[34] Le dossier démontre que la travailleuse a été référée initialement au programme PEDIP, par la conseillère en réadaptation de la CSST, en date du 31 janvier 2007. Toutefois, considérant la situation médicale du moment, ce n'est qu'à compter du 28 mai 2007 qu'un contrat est octroyé. Il est alors prévu que la travailleuse participe à ce programme jusqu’au 28 septembre 2007, à raison d'une fois/semaines pour un maximum de 20 rencontres.
[35] Dans les faits, selon le rapport final du comité de suivi, la travailleuse a participé aux diverses activités à raison de 8 à 11 heures par semaine, réparties sur 4-5 jours, comprenant de la physiothérapie (1 hre/semaine), de la piscine (1 à 3 hres/semaine), des traitements de psychologie (1 hre/semaine) et des traitements d'ergothérapie (2 hre/jour, 4-5 jours/semaine).
[36] Ce programme s'est déroulé du 2 juillet 2007 jusqu’au 30 octobre 2007.
[37] Concernant les frais de garde d'enfants, c’est l'article 164 de la loi qui trouve application. Cet article s'énonce ainsi :
164. Le travailleur qui reçoit de l'aide personnelle à domicile, qui accomplit une activité dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation ou qui, en raison de sa lésion professionnelle, est hébergé ou hospitalisé dans une installation maintenue par un établissement visé au paragraphe 2° de l'article 162 peut être remboursé des frais de garde d'enfants, jusqu'à concurrence des montants mentionnés à l'annexe V, si :
1° ce travailleur assume seul la garde de ses enfants;
2° le conjoint de ce travailleur est incapable, pour cause de maladie ou d'infirmité, de prendre soin des enfants vivant sous leur toit; ou
3° le conjoint de ce travailleur doit s'absenter du domicile pour se rendre auprès du travailleur lorsque celui-ci est hébergé ou hospitalisé dans une installation maintenue par un établissement ou pour accompagner le travailleur à une activité que celui-ci accomplit dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation.
__________
1985, c. 6, a. 164; 1992, c. 21, a. 80.
[38] Le tribunal constate que cet article de loi se situe dans le chapitre touchant la réadaptation sociale.
[39] Or, au moment de la participation de la travailleuse à ce programme, la lésion professionnelle n'était toujours pas consolidée, puisque le Rapport final n'est émis que le 31 octobre 2007 par le docteur Maurais.
[40] Le tribunal partage en cela l'avis de la CSST, en révision administrative, voulant que dans ces circonstances le programme PEDIP, qui comprend un suivi psychologique et des mesures thérapeutiques par l'administration de traitements en physiothérapie et en ergothérapie, de façon conjointe, constitue une assistance médicale au même titre que d'autres soins ou traitements administrés avant la consolidation de la lésion professionnelle.
[41] Sur cette base, l'article 164 de la loi ne saurait trouver application.
[42] Nonobstant cette remarque, le tribunal constate également que la preuve n'établit pas avec prépondérance que l'aide à domicile dont bénéficiait la travailleuse à compter du 16 mai 2006 demeurait toujours en vigueur en juillet 2007. De plus, la preuve n’établit pas, comme l'exigent les dispositions de l'article 164, que la travailleuse assumait seule la garde de ses enfants, que son conjoint était incapable pour cause de maladie ou d'incapacité de prendre soin des enfants ou qu'il devait accompagner la travailleuse dans une activité accomplie dans le cadre de son programme de réadaptation. Dans les faits, il est plaidé que le conjoint de la travailleuse ne pouvait assumer la garde des enfants au motif qu'il devait travailler.
[43] De ces faits, il est donc clair que les dispositions de l'article 164 n’auraient pas été satisfaites, même si la prémisse de base l'avait été.
[44] Le procureur de la travailleuse plaide l'application des dispositions de l'article 184 de la loi qui mentionne :
184. La Commission peut :
1° développer et soutenir les activités des personnes et des organismes qui s'occupent de réadaptation et coopérer avec eux;
2° évaluer l'efficacité des politiques, des programmes et des services de réadaptation disponibles;
3° effectuer ou faire effectuer des études et des recherches sur la réadaptation;
4° prendre toute mesure qu'elle estime utile pour favoriser la réinsertion professionnelle du conjoint d'un travailleur décédé en raison d'une lésion professionnelle;
5° prendre toute mesure qu'elle estime utile pour atténuer ou faire disparaître les conséquences d'une lésion professionnelle.
Aux fins des paragraphes 1°, 2° et 3°, la Commission forme un comité multidisciplinaire.
__________
1985, c. 6, a. 184.
[45] Dans le présent dossier, ce sont les dispositions du 5e alinéa dont il s'agit.
[46] La lecture de la décision rendue en révision administrative laisse croire que la CSST a refusé d'appliquer ces dispositions, considérant le libellé qui suit :
Par ailleurs, l'article 185 (5) de la loi accorde à la CSST un pouvoir discrétionnaire qui, de l'avis de la révision administrative, ne peut, dans les circonstances, amener la CSST à rembourser à la travailleuse les frais de garde demandés.
[47] Le tribunal est ainsi d'avis qu'il dispose de la compétence voulue pour examiner la question, puisque la CSST a utilisé son pouvoir discrétionnaire pour refuser d'appliquer ces dispositions. Bref, la CSST s'est prononcée sur cette question et le tribunal peut alors vérifier l'application de cet article au présent dossier.
[48] Le tribunal ne retrouve, toutefois, aucun motif particulier qui l'amènerait à faire de la présente demande un cas d'exception, justifiant l'application d'un pouvoir qualifié de discrétionnaire dévolu à la CSST et, par conséquent, au tribunal.
[49] L'article 164 prévoit les conditions pour bénéficier du remboursement des frais de garde. Il s'agit de la disposition légale applicable au cas.
[50] Le présent dossier ne démontre pas de circonstances exceptionnelles ou particulières nécessitant l'intervention du tribunal, en vertu de cet article, pour corriger une situation qui causerait un préjudice important à la travailleuse, qui entraînerait des conséquences plus que fâcheuses ou une injustice telle qui justifierait l'intervention du tribunal de passer outre à l'application de la disposition spécifique par le biais d'un pouvoir discrétionnaire pour remédier à la situation.
[51] Le tribunal estime que le raisonnement développé par la révision administrative doit prévaloir au dossier :
Lorsqu’une travailleuse est au travail, elle assume elle-même ses frais de garde d'enfants. La responsabilité de la travailleuse blessée qui, incapable de travailler reçoit des indemnités de remplacement du revenu, est de se présenter à ses visites et traitements médicaux, ceci remplace sa présence au travail. Il serait illogique que la CSST rembourse à la travailleuse les frais de garde d'enfants alors qu'elle a l'obligation de se présenter à ses soins ou traitements tout comme elle a l'obligation de se présenter au travail lorsqu’elle n'est pas blessée.
[52] Pour le tribunal, le fait que cette présence obligatoire au programme PEDIP soit survenue alors que la travailleuse n'a pu s'organiser pour placer ses enfants à la garderie, comme le prétend la travailleuse, ne constitue pas un motif causant un préjudice suffisamment important pour engendrer une iniquité justifiant d'appliquer les dispositions de l'article 184,5.
[53] Le tribunal constate que des discussions sur la participation de la travailleuse à ce programme avaient cours en avril et en mai 2007. Ainsi, la travailleuse était, dès lors, au courant des exigences de ce programme. Elle avait alors le loisir de se préparer en conséquence.
[54] Le tribunal est donc d'avis que, dans les présentes circonstances, c’est à bon droit que la CSST a refusé d'utiliser son pouvoir discrétionnaire prévu à l'article 184 de la loi.
[55] Il en découle que la travailleuse n'a pas droit au remboursement des frais de garde d'enfants engagés pour sa participation au programme PEDIP dans le cours de sa lésion professionnelle.
351020-64-0806
[56] Le tribunal doit décider de l'atteinte permanente et des limitations fonctionnelles découlant de la récidive, rechute ou aggravation survenue le 18 janvier 2006 et pour laquelle la travailleuse a été opérée une seconde fois en février 2006 et une troisième fois en avril 2007.
[57] Pour ce faire, le tribunal dispose des informations médicales suivantes :
Ø Le Rapport d’évaluation médicale du docteur Maurais daté du 3 septembre 2003 (déficit anatomo-physiologique de 16 % et limitations fonctionnelles de classe II/III) ;
Ø Les évaluations en physiothérapie et en ergothérapie lors de la participation de la travailleuse au programme PEDIP entre juillet et octobre 2007 ;
Ø Le Rapport d’évaluation médicale du docteur Tremblay, orthopédiste, daté du 7 décembre 2007 (déficit anatomo-physiologique de 23 % et limitations fonctionnelles de classe IV) ;
Ø L'expertise du docteur Ferron, orthopédiste, qui examine la travailleuse à la demande de la CSST, le 16 janvier 2008 (déficit anatomophysiologique de 11 % et limitations fonctionnelles de classe II/III) ;
Ø L'avis du docteur Molina-Negro, neurochirurgien, et membre du Bureau d'évaluation médicale, qui a examiné la travailleuse le 27 mars 2008 (déficit anatomo-physiologique de 16 % et limitations fonctionnelles de classe II/III) ;
Ø Le témoignage du docteur Tremblay à l'audience et les notes cliniques de la docteure Boulanger, anesthésiste à la clinique de la douleur du CHUM[5], ainsi que la liste des médicaments actuellement pris par la travailleuse.
[58] À l'audience, la travailleuse explique que les chirurgies n'ont aucunement amélioré sa condition médicale et qu’elle vit des douleurs constantes[6] de L4 à S1 qui irradient dans les deux jambes jusqu'à la cheville (droite>gauche) avec engourdissements. Elle ressent des spasmes[7] au site opératoire, lors d'activités et même en dormant[8], et elle a de la difficulté à poser le talon droit par terre, éprouvant une sensation d'un tendon qui s'étire.
[59] La vie au quotidien est ainsi décrite :
Ø Le soir, elle se couche vers 22 h et réussit à dormir jusqu'à minuit. Elle prend alors un médicament pour relaxer et dort environ trois heures. Elle se lève et bouge un peu. Elle parvient alors à dormir à nouveau. Elle doit utiliser un coussin chauffant avec un ventilateur et peut ainsi dormir par périodes de quinze minutes.
Ø Le matin, elle se lève vers 7 h pour voir ses enfants[9] quitter pour l'école. Elle effectue certaines activités de la vie quotidienne, selon sa condition du moment, tout en prenant une médication (entre-doses). En après-midi, elle se rend à ses nombreux rendez-vous médicaux[10] et effectue à l'occasion des activités bénévoles à l'école, sur une période d'au plus une heure, ses douleurs augmentant.
Ø Sa douleur est constante et ne diminue jamais en deçà de 5-6/10. En matinée, la douleur est évaluée à 6/10 et augmente tout au cours de la journée, alors que, dans la soirée, elle se situe à près de 9/10.
[60] En 2003, le docteur Maurais retrouvait les pertes suivantes dans les amplitudes articulaires du rachis : 60º dans la flexion antérieure et 20º dans tous les autres mouvements du rachis, les rotations étant cependant normales à 30º.
[61] En janvier 2008, le docteur Ferron retrouvait une perte de 30º à la flexion antérieure, de même qu'une perte de 10º à l'extension. Les rotations sont normales et les flexions latérales sont évaluées à 25º. Le déficit anatomo-physiologique devenait ainsi de 11 % en comparaison du déficit anatomo-physiologique antérieur de 16 %.
[62] Le docteur Molina-Negro rapporte, pour sa part, une flexion à 50º, une extension à 25º et des inclinaisons droite et gauche à 25º, les rotations demeurant normales à 30º. Il indique que, somme toute, son examen demeure superposable à celui du docteur Ferron, notant qu'à l'évaluation du docteur Tremblay ce dernier relevait une aggravation dramatique en ce qui concerne les amplitudes articulaires.
[63] En effet, le docteur Tremblay retrouve à son examen du mois de décembre 2007 une flexion antérieure limitée à 30º, l'extension ne dépassant pas la position neutre. Les inclinaisons sont limitées à 10º de chaque côté alors que les rotations sont notées à 15º.
[64] Concernant l'évaluation du docteur Ferron, le docteur Tremblay relève que l'examen actif démontre une flexion limitée par la travailleuse à 40º. Les autres mesures articulaires ne sont pas directement évaluées si ce n'est que le docteur Ferron mentionne que c’est par un moyen détourné, lorsque la travailleuse se déshabille et se rhabille aux différents changements de position dans la salle d'examen que ces amplitudes articulaires sont évaluées. À son avis, ces mesures doivent être écartées.
[65] Le procureur de la travailleuse soumet que ces conclusions ne doivent pas être retenues, considérant que le docteur Ferron ne tient pas compte du phénomène douloureux qui peut limiter la travailleuse dans l'exécution de ses mouvements. De plus, une évaluation visuelle dans la salle d'attente ou lorsque la travailleuse s’habille ne constitue pas une évaluation pertinente permettant de quantifier les véritables amplitudes articulaires que la travailleuse peut accomplir. Cette appréciation devrait ainsi être écartée.
[66] Selon le docteur Tremblay, il en est de même pour les manœuvres exécutées en position couchée qui se sont avérées impossibles à effectuer par le docteur Ferron puisque la patiente se contractait et refusait toute manœuvre à plus de 15º.
[67] Pour sa part, il retrouvait un signe du tripode positif à droite à 45º de flexion du genou et positif à gauche à 30º de flexion du genou pour une douleur se répercutant au membre inférieur droit. À son avis, si lors des tests du SLR et du tripode, conduits par le docteur Ferron, la patiente se contracte volontairement, l'examinateur doit procéder par méthode croisée, ce qui n'a pas été fait dans ce cas.
[68] Le procureur de la travailleuse plaide que la conclusion du docteur Ferron, à la suite de ces manœuvres, voulant que la travailleuse démontre certains signes discordants, doit être écartée. À son avis, il ne s'agit pas d'une cause dans laquelle la personne limite sciemment et volontairement ses efforts, refuse de collaborer ou limite sans cause connue sa mobilité lombaire. Les restrictions notées le sont à cause d'un phénomène douloureux présent.
[69] Concernant l'examen du docteur Molina-Negro, le docteur Tremblay relève une contradiction lorsque le docteur Molina-Negro mentionne que la travailleuse se déplace sur la pointe des pieds et sur les talons sans difficulté, alors qu'il constate que la marche s'effectue avec une boiterie et que la travailleuse ne dépose pas son pied droit d'aplomb, ne s'appuyant que sur le bout du pied. Il s'interroge comment la travailleuse peut marcher sur les talons normalement, si elle demeure incapable de poser le talon droit par terre.
[70] Le docteur Molina-Negro relève également une flexion antérieure à 50º alors que l'indice de « Schober » est de 12,5/10 ou de 19/15. Or, selon le docteur Tremblay, une flexion de 50º devrait correspondre à un indice de « Schober » de 13/15 à 13,5/15, alors qu'une la valeur de 12,5/15 correspond davantage à une flexion de 30º, bien que le docteur Tremblay n'a pas effectué lui-même ce test qui permettrait au tribunal de comparer leurs valeurs respectives.
[71] De même, le docteur Tremblay constate, dans l'examen du docteur Molina-Negro, une valeur de 12/15 de cet indice, lorsque la travailleuse est en position assise, les jambes pendantes et le tronc à la verticale. Lorsque le docteur Molina-Negro demande à la travailleuse d'allonger les jambes, celle-ci ne peut le faire au complet et, dans cette position, lorsque le docteur Molina-Negro demande à la travailleuse de pencher le tronc vers l'avant, il obtient un indice de 13/10.
[72] Le docteur Tremblay s'interroge sur cette valeur. En pliant les jambes, il y a obligatoirement une augmentation de l'indice puisque la peau est en continue et qu'on augmente automatiquement la distance cutanée dans le dos. Or, le docteur Molina-Negro n'obtient qu’une valeur de 13/10, ce qui lui apparaît fort improbable. À la lumière de ces informations, la valeur de 50º retrouvée à la flexion antérieure lui apparaît suspecte.
[73] La travailleuse démontre-t-elle une augmentation de son atteinte permanente à la suite de ces examens ?
[74] Même en tenant compte du témoignage du docteur Tremblay, le tribunal estime que non.
[75] Le tribunal constate que la flexion antérieure retrouvée par le docteur Tremblay, à son propre examen, correspond à la valeur retrouvée en 2003. Par ailleurs, les pertes de mouvements retrouvées par le docteur Tremblay dans les autres axes ne s'avèrent pas constantes, comme le dénotent les examens du docteur Ferron et du docteur Molina-Negro.
[76] Il apparaît pour le moins surprenant que le docteur Tremblay constate une baisse dans les rotations alors qu'aucun autre examinateur n'a mis en évidence, même en 2003, une telle diminution. À l'audience, le docteur Tremblay signale qu'il a évalué les rotations à trois reprises et que ce constat s'impose. Toutefois, le docteur Molina-Negro retrouvait, pour sa part, des rotations normales.
[77] Même en ne retenant pas les conclusions du docteur Ferron pour les motifs invoqués par le procureur de la travailleuse, il n'en demeure pas moins que l'examen du docteur Molina-Negro demeurait sensiblement le même que celui du docteur Ferron.
[78] Par ailleurs, les flexions latérales droite et gauche retrouvées par le docteur Tremblay sont essentiellement les mêmes que celles de 2003.
[79] Somme toute, outre l'extension nulle et la perte notées aux rotations par le docteur Tremblay et qui ne sont pas reproduites au dossier, la condition de la travailleuse demeure sensiblement la même qu'en 2003 au plan des amplitudes articulaires du rachis lombaire.
[80] Le tribunal estime ainsi que la preuve prépondérante milite donc en la reconduction des conclusions mentionnées par le docteur Molina-Negro quant à la détermination de l'atteinte permanente découlant des séquelles fonctionnelles.
[81] Le tribunal conclut qu'il n'y a pas d'augmentation de l'atteinte permanente découlant de la récidive, rechute ou aggravation survenue le 18 janvier 2006. Puisqu'il n'y a aucune atteinte permanente supplémentaire, la travailleuse n'a donc pas droit à une indemnité pour préjudice corporel, selon les dispositions des articles 83 et 84 de la loi.
[82] Par ailleurs, le fait qu'il n'y ait pas augmentation de l'atteinte permanente permet-il de conclure automatiquement en l'absence d'une augmentation dans les limitations fonctionnelles ? Le tribunal ne le croit pas.
[83] Il est de jurisprudence qu’il est possible de conclure à la présence de limitations fonctionnelles en l'absence d'atteinte permanente, lorsque la preuve démontre l'existence de séquelles susceptibles de restreindre le travailleur dans son emploi ou dans ses activités quotidiennes. La présence de séquelles douloureuses en l'absence d'une atteinte permanente peut justifier, dans certains cas, l'octroi de limitations fonctionnelles[11].
[84] De même, un syndrome douloureux peut donner lieu à la reconnaissance de séquelles permanentes, et ce, même en présence d'un examen objectif normal. Cependant, il faut démontrer que la douleur est réelle et incapacitante[12].
[85] Également, bien qu’un examen objectif n’ait pas révélé de séquelle fonctionnelle objectivée, si tous les médecins reconnaissent que le travailleur présente des douleurs chroniques qui varient selon les activités, ce dernier peut conserver des limitations fonctionnelles causées par les douleurs chroniques rendues symptomatiques par son accident du travail[13].
[86] Enfin, il est aussi possible de conclure à la présence de limitations fonctionnelles en l'absence d'un déficit anatomo-physiologique sur le plan neurologique ou articulaire. La preuve doit toutefois démontrer l'existence de séquelles douloureuses susceptibles de restreindre le travailleur dans son emploi ou ses activités quotidiennes. Dans un tel cas, les douleurs chroniques doivent être suffisamment objectivées par des moyens indirects, notamment par une description constante par le travailleur de ses douleurs aux médecins examinateurs qui en font état dans leurs rapports et la mise en relief des douleurs lors des examens[14].
[87] Dans le présent dossier, la demande de la travailleuse de faire reconnaître des limitations fonctionnelles de classe IV, en lieu de celles attribuées par le membre du Bureau d'évaluation médicale, repose davantage sur la présence et l'objectivation de douleurs qui demeurent continuelles au point d'entraver la reprise de tout travail régulier à cause de la présence de douleurs chroniques.
[88] En effet, selon l'échelle de restrictions pour la colonne lombo-sacrée de l'I.R.S.S.T., la classe III, constituant des restrictions sévères, est ainsi définie :
En Plus des restrictions des classes 1 et 2, éviter les activités qui impliquent de :
Ø Soulever, porter, pousser, tirer de façon répétitive ou fréquente des charges dépassant environ 5 kg ;
Ø Marcher longtemps ;
Ø Garder la même posture (debout, assis) plus de 30 à 60 minutes ;
Ø Travailler dans une position instable (ex. : dans des échafaudages, échelles, escaliers)
Ø Effectuer des mouvements répétitifs des membres inférieurs (ex. : actionner des pédales) ;
[89] Pour sa part, la classe IV, considérée comme des restrictions très sévères, est ainsi décrite :
En plus des restrictions des classes 1, 2 et 3 :
Ø Le caractère continu de la douleur et son effet sur le comportement et sur la capacité de concentration sont incompatibles avec tout travail régulier ;
Ø On peut toutefois envisager une activité dont l'individu peut contrôler lui-même le rythme et l'horaire.
[90] Dans ces circonstances, le tribunal ne doit donc pas limiter son analyse à la seule présence de séquelles fonctionnelles relevant de l'attribution d'un déficit anatomo-physiologique et d'une atteinte permanente, mais procéder à une analyse plus approfondie du dossier, en vue d'établir et d'objectiver la présence continue de douleurs qui entraînent une modification du comportement et la capacité de concentration de la travailleuse, comme l'exige les critères de l'I.R.S.S.T.
[91] Le procureur soumet que le docteur Molina-Negro met beaucoup d'emphase sur la prise de médicaments et de son utilité dans le traitement de la condition de la travailleuse. Selon le procureur, il s'agit d'une analyse théorique et davantage une critique à l'égard des médecins traitants, autant envers le docteur Maurais que le docteur Lelièvre et le docteur Boulanger, qui prescrivent cette médication analgésique.
[92] Dans le présent dossier, à la suite de trois interventions médicales, il soumet que le membre du Bureau d'évaluation médicale néglige le principe juridique de la réparation intégrale et le procureur de la travailleuse estime que l'on ne peut minimiser l'état actuel de la travailleuse qui se doit d'être traité par cette médication lourde.
[93] Le tribunal constate en effet que la travailleuse consomme quotidiennement les médicaments suivants : Méthadone[15], Duragésic[16] et Dilaudid[17], et ce, à des doses que le docteur Tremblay considère fort importantes[18], tenant compte du poids et des caractéristiques anthropométriques de la travailleuse.
[94] Le tribunal retient l'opinion du docteur Tremblay exprimée à l'audience voulant que l'ensemble du dossier milite en la reconnaissance de limitations fonctionnelles de classe IV de l'I.R.S.S.T. chez la travailleuse.
[95] Le docteur Tremblay témoigne que la travailleuse éprouve le caractère continu de la douleur qui influence son comportement et qui nécessite qu'elle contrôle son horaire. La douleur est constante, variant entre 6-9/10, jamais moindre, et qui demeure mal contrôlée, considérant les doses d'analgésiques que doit prendre la travailleuse.
[96] Il note au passage que le Fentanyl possède une puissance de 50 fois supérieure à celle notée pour de la morphine habituelle, alors que celle du Dilaudid correspond à une puissance de cinq fois supérieure à celle de la morphine.
[97] Il constate que le docteur Molina-Negro mentionne que la douleur influence le comportement de la travailleuse, notant également un état dépressif. Il est d'avis que la travailleuse souffre d'une sciatalgie importante, avec douleurs sévères et constantes de type neuropathique, qui a également un caractère mécanique, variant selon les activités physiques, et de nature inflammatoire, puisque la douleur est toujours constante, malgré la cessation des activités.
[98] Le docteur Tremblay poursuit en soulignant, bien que le docteur Molina-Negro puisse souhaiter une diminution de cette médication, que la travailleuse est médicamentée depuis plus de quatre ans et qu'il y a eu peu de gain à remplacer un type de médicament par un autre. La travailleuse est actuellement traitée à la Méthadone, sans amélioration notable, de telle sorte qu'il ne peut envisager une diminution de cette médication, sans influencer davantage l'aspect psychologique de la travailleuse à cause de l'intensité des douleurs.
[99] À sa lecture du dossier, le docteur Tremblay calcule que la prise de Méthadone par la travailleuse correspond à un équivalent en sulfate de morphine de 1 000mg [sic]. À cette dose, il faut ajouter celle du Fentanyl qui correspond à une dose de 5 000mg de morphine [sic], auxquels s'ajoute la prise de Dilaudid qui correspond à 100 mg de morphine [sic].
[100] À cette dose qu'il qualifie de « catastrophique », il est d'avis que l'on ne pourra jamais la diminuer, sans qu'il ne s'ensuive de symptômes subséquents. Il est d'opinion qu'à cette dose, en considérant le poids et la taille de la travailleuse, celle-ci ne peut occuper de fonction en raison de l'influence de ces médicaments sur son jugement et ses réflexes.
[101] Il est ainsi d'avis que les limitations fonctionnelles de classe II/III retenues par le docteur Ferron et reconduites par le docteur Molina-Negro ne correspondent pas à la réalité du dossier. Avec ce type de limitations fonctionnelles, la travailleuse ne pourra effectuer un travail sur plus de deux jours consécutifs.
[102] À son avis, le dossier démontre certainement la présence de signes objectifs d’une sciatalgie active, qui est importante, même si l'ampleur des douleurs déborde ce que l'on devrait normalement retrouver pour une sciatalgie pure. Le dossier de la travailleuse représente la définition même d’une classe IV, notamment avec la présence d'une condition douloureuse et avec la médication qui lui est administrée pour la contrôler.
[103] Le dossier démontre effectivement que la travailleuse consomme une quantité importante de médicaments de nature opioïdes en vue de contrôler ses douleurs. Le tribunal se réfère également aux notes de la docteure Boulanger, de la clinique de la douleur, qui confirme une modulation dans l'administration de cette médication[19] et qui est également d'avis que la travailleuse devrait « être déclarée invalide ».
[104] Le tribunal s'interroge sur les équivalences en sulfate de morphine de la médication prise par la travailleuse et soulignée par le docteur Tremblay à l'audience. Le tribunal constate que la travailleuse consommerait un équivalent de 6 000 mg de sulfate de morphine, selon les calculs du docteur Tremblay. Prenant connaissance que le sulfate de morphine par administration orale est disponible en comprimés de 10 à 60 mg par jour, selon le Compendium des produits pharmaceutiques[20], il s'ensuit que la dose calculée par le docteur Tremblay correspondrait à la prise quotidienne de 600 (à la dose de 10mg/co.) à 100 comprimés (à la dose de 60mg/co.), ce qui apparaît nettement exagéré.
[105] Même si la dose exacte peut varier en fonction de la liste des médicaments déposée à l'audience et actuellement pris par la travailleuse[21], il n'en demeure pas moins que l'opinion du docteur Tremblay sur le fait que la travailleuse consomme une dose importante de médicaments de nature opioïdes demeure, comme en fait également foi les notes de la docteure Boulanger. Cet élément du dossier est donc retenu.
[106] Concernant l’opinion du docteur Tremblay sur la présence d'une sciatalgie importante et invalidante, le tribunal relève que le docteur Tremblay ne décrit aucune boiterie à son examen physique, que les réflexes rotuliens sont présents et symétriques, comme le mentionnent tous les observateurs[22], et qu'il demeure le seul à ne pas retrouver des réflexes achilléens, ceux-ci étant impossibles à obtenir selon lui. Le docteur Tremblay ne retrouve aucun déficit sensitif et la force musculaire de dorsiflexion et de flexion plantaire, d'inversion et d'éversion des deux pieds est symétrique témoignant de l'absence d'une diminution de la force musculaire.
[107] Par ailleurs, il témoigne, bien que cette sciatalgie n'apparaît pas typique, qu'elle demeure malgré tout démontrée au dossier.
[108] Le tribunal constate que le docteur Ferron ne retrouvait aucun signe clinique signant la présence d'une telle sciatalgie lors de son examen en janvier 2008. Le docteur Molina-Negro, à son examen d'avril 2008, ne décrit aucun signe clinique d'une irritation radiculaire.
[109] Malgré ces constats, le tribunal retient que la travailleuse souffre d'une sciatalgie présente et invalidante démontrée par des signes d'irritation radiculaire objectifs, avec douleurs neuropathiques, extrêmement importantes chez la travailleuse.
[110] À la mesure de tripode, le docteur Molina-Negro obtient une mesure de 60º, ce qui correspond, de l'avis du docteur Tremblay, à une mesure positive démontrant la présence d'une irritation radiculaire. Il en est de même de la mesure lorsque la travailleuse est couchée sur le dos, alors que l'extension de la jambe droite est de 45º, et que lors d'une deuxième manœuvre de Lasègue, après avoir fléchi la jambe sur la cuisse, la valeur retrouvée est de 60º à droite et 80º à gauche. Ces constats du docteur Molina-Negro signent, selon le docteur Tremblay, une mesure positive de tension radiculaire.
[111] Ainsi, selon le docteur Tremblay, l'examen conduit par le docteur Molina-Negro permet de retrouver des signes d’irritations radiculaires importantes et une forte indication d'une sciatalgie, avec douleurs neuropathiques, extrêmement importante chez la travailleuse.
[112] À cet effet, l'examen de la docteure Boulanger effectué en avril 2008 démontre, de façon contemporaine, que la travailleuse ne pouvait effectivement poser le talon droit au sol (en raison d'une augmentation de la douleur) et marchait avec une boiterie, bien qu’elle puisse s'appuyer sur la pointe du pied droit. La flexion de la travailleuse était alors très limitée et les réflexes rotuliens présents bilatéralement à 3/4 et les achilléens à 2/4. Par ailleurs, malgré une force normale, le signe du tripode devenait rapidement positif à droite et à gauche.
[113] Les examens subséquents de la docteure Boulanger font mention d'une patiente de plus en plus souffrante, malgré une augmentation de la médication. La docteure Boulanger trouve ainsi justifiée de procéder à un transfert à la méthadone avec une dose « visée » entre 75 et 90 mg/jour en septembre 2008, la travailleuse prenant toujours du Duragésic et du Dilaudid. Cette dose a d'ailleurs été augmentée récemment en octobre 2008[23].
[114] De l'ensemble de ces éléments, le tribunal conclut qu'il y a une cause physique objectivable à l'origine des douleurs vécues par la travailleuse dans son quotidien.
[115] Le tribunal constate également au dossier que le docteur Lelièvre, psychiatre traitant, relevait, le 3 avril 2007, que la travailleuse souffre d'un trouble douloureux chronique mixte avec facteurs somatiques et psychologiques, ce dont convient également le docteur Legault, psychiatre qui examine la travailleuse à la demande de la CSST le 25 février 2008.
[116] D’ailleurs, le docteur Legault notait une démarche témoignant d'une boiterie objectivable. Le docteur Legault concluait, à son diagnostic principal, en une problématique dépressive constatée et qui accompagne le syndrome douloureux qui s'inscrit lui-même dans un désordre de somatisation probable. Les éléments stresseurs sont de plusieurs ordres et relatifs aux maux physiques de la travailleuse, attribuant une atteinte permanente de 15 %, alors que les limitations fonctionnelles tirent leur origine principalement de la condition douloureuse de la travailleuse.
[117] Le tribunal constate également au dossier que le rapport d'évaluation rédigé le 30 octobre 2007 par l’ergothérapeute du programme PEDIP mentionne que la travailleuse gère sa douleur via la prise d'une médication, avec prise d'entre-doses durant la journée, la chaleur, l'alternance de position et le port d'un corset. La travailleuse prend de fréquentes pauses, généralement lorsqu’elle est « à bout » ou lorsque la tâche est terminée.
[118] Selon la conclusion de ce rapport, la travailleuse a été en mesure, en ergothérapie, de faire des tâches de travail de type sédentaire pour des périodes de 90 à 145 minutes consécutives, en alternant les positions de travail assise et debout au besoin et en manipulant des charges de 5 kg. Il est noté que « les horaires pour réaliser le projet ont nécessité de la souplesse en fonction des symptômes de douleur ». De plus, la travailleuse était généralement en mesure de se présenter, selon l'horaire négocié chaque semaine, mais qu'elle ne réussissait pas à être productive le nombre d'heures prévues. Elle a généralement fonctionné dans la limite de ce qu'elle se sentait capable de faire. Il est également noté que la travailleuse s'est engagée dans les projets choisis et a offert un travail de qualité, qui a dépassé les attentes thérapeutiques, et que l'engagement est facilité par une souplesse de l'horaire lui permettant de faire les tâches de travail, lorsque la douleur est plus supportable.
[119] Cette conclusion de l'ergothérapeute chargée d'évaluer les capacités fonctionnelles de la travailleuse milite également en la reconnaissance de limitations fonctionnelles de classe IV. Le tribunal constate que la travailleuse s'est également investie dans ce programme et ne peut être taxée d'un manque de collaboration. Il ressort nettement de ce rapport que la travailleuse peut être active dans certaines activités, mais que celles-ci doivent respecter un horaire particulier que la travailleuse est en mesure de contrôler en fonction de l'intensité de ses douleurs. Cela correspond à la définition même des limitations fonctionnelles de classe IV.
[120] Le tribunal constate également, à l'exception du docteur Ferron, qu'aucun médecin examinateur n'a mis en évidence des éléments qui remettraient en question la description des symptômes faite par la travailleuse et qu'il n'est pas fait mention de discordance entre les éléments objectifs et subjectifs. Tous les médecins reconnaissent l'existence de limitations fonctionnelles.
[121] Considérant la force probante au dossier voulant que la travailleuse souffre de douleurs chroniques importantes qui exigent une prise importante de médicaments de nature opioïdes[24], considérant les évaluations effectuées lors du programme PEDIP sur la capacité fonctionnelle réelle de la travailleuse, considérant l'opinion du docteur Tremblay et celle du docteur Boulanger de la clinique de la douleur, et tenant compte des opinions des docteurs Lelièvre et Legault, psychiatres, le tribunal estime que des limitations fonctionnelles de classe IV de l’I.R.S.S.T. doivent être reconnues dans le présent dossier et que la requête de la travailleuse sur cet aspect de son dossier doit être accueillie.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
330033-64-0710
REJETTE la requête déposée par madame Véronique Bénard ;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 9 octobre 2007, à la suite d’une révision administrative ;
DÉCLARE que madame Véronique Bénard n'a pas droit au remboursement des frais de garde d'enfants engagés durant les périodes où elle a participé au programme d'évaluation de développement et d'intégration professionnelle ;
351020-64-0806
ACCUEILLE en partie la requête déposée par madame Véronique Bénard ;
MODIFIE la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 9 juin 2008, à la suite d’une révision administrative ;
DÉCLARE qu'à la suite de la lésion professionnelle survenue le 18 janvier 2006, il n’y a pas d'augmentation dans le pourcentage reconnu de l'atteinte permanente antérieure ;
DÉCLARE que madame Véronique Bénard n'a pas droit à une indemnité pour préjudice corporel à la suite de la lésion professionnelle survenue le 18 janvier 2006 ;
DÉCLARE que la lésion professionnelle survenue le 18 janvier 2006 entraîne les limitations fonctionnelles suivantes :
Éviter les activités qui impliquent de :
Ø Soulever, porter, pousser, tirer de façon répétitive ou fréquente des charges dépassant environ 5 kg ;
Ø Travailler en position accroupie
Ø Ramper, grimper
Ø Effectuer des mouvements répétitifs ou fréquents de flexion, extension ou de torsion de la colonne lombaire même de faible amplitude ;
Ø Subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne lombaire ;
Ø Monter fréquemment plusieurs escaliers ;
Ø Marcher en terrain accidenté ou glissant ;
Ø Marcher longtemps ;
Ø Garder la même posture (debout, assis) plus de 30 à 60 minutes ;
Ø Travailler dans une position instable (ex. : dans des échafaudages, échelles, escaliers) ;
Ø Effectuer des mouvements répétitifs des membres inférieurs (ex. : actionner des pédales) ;
En plus de ces restrictions :
Ø Le caractère continu de la douleur et son effet sur le comportement et sur la capacité de concentration sont incompatibles avec tout travail régulier ;
Ø On peut toutefois envisager une activité dont l'individu peut contrôler lui-même le rythme et l'horaire ;
DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail est justifiée de poursuivre le versement de l'indemnité de remplacement du revenu jusqu'à ce qu'elle se prononce sur la capacité de madame Véronique Bénard d'exercer son emploi étant donné la présence de nouvelles limitations fonctionnelles.
|
|
|
Robert Daniel |
|
|
|
|
|
|
Me Denis Mailloux |
|
C.S.N. |
|
Représentant de la partie requérante |
|
|
|
|
|
Me Jean Beauregard |
|
Lavery, de Billy, avocats |
|
Représentant de la partie intéressée |
|
|
|
|
|
Me Marie-Pierre Dubé-Iza |
|
Panneton Lessard |
|
Représentante de la partie intervenante |
[1] Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail
[2] Analgésique opioïde
[3] Analgésique opioïde
[4] L.R.Q., c. A-3.001
[5] Centre hospitalier de l'université de Montréal
[6] Sous forme de pincements et de brûlures
[7] Tel un coup de poignard qui l'empêche de poursuivre l'activité entreprise.
[8] Et qui la réveille
[9] Que la travailleuse décrit comme autonomes (8 et 10 ans) pour leur préparation physique et pour la préparation de leur dîner.
[10] Auprès de ses médecins traitants (docteur Maurais, docteur Lelièvre et docteur Boulanger) et à la clinique de la douleur.
[11] Boulevard Dodge Chrysler Jeep 2000 et Bevilacqua, C.L.P. 207397-72-0305, 26 février 2004, Anne Vaillancourt
[12] Jomphe et Aciers Inoxydables Atlas (Slater), C.L.P. 251803-62B-0412, 11 janvier 2006, N. Blanchard
[13] Entreprises Arseneault inc. et Trottier, C.L.P. 254686-04B-0502, 22 novembre 2006, M. Carignan, (06LP-168)
[14] Automobiles Val Estrie et Tanguay, C.L.P. 271538-05-0509, 7 mars 2007, M. Allard
[15] Analgésique opioïde, 25mg/co, 1 co q.i.d.
[16] Analgésique opioïde (fentanyl), 25 mg/patch/R., 1 patch/die.
[17] Analgésique opioïde (chlorhydrate d’hydromorphone), 2mg/co, 1 à 2 co. q 4 hres, P.R.N.
[18] Qu'il a lui-même qualifié de « catastrophiques » à l'audience.
[19] Alors que la note du 6 octobre 2008 fait mention d'une augmentation de la dose de Méthadone à raison de 1½ co. 5 fois/jour, 10mg/co. et de Duragésic 50mg/h, die #15, tout en conservant le Dilaudid. [sic]
[20] ASSOCIATION DES PHARMACIENS DU CANADA, CPS 2008: Compendium des produits et spécialités pharmaceutiques,Ottawa, Association des pharmaciens du Canada, 2008, Pag. mult.
[21] Voir notes de bas de pages 15 à 17.
[22] Autant le docteur Ferron que le docteur Molina-Négro
[23] Voir note de bas de page 19
[24] Même si le tribunal ne retient pas les équivalences calculées par le docteur Tremblay à l'audience
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.