Décision

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Cormier c

Cormier c. Commission des lésions professionnelles

2009 QCCS 730

 

JP1124

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

 

N° :

200-17-009443-086

 

 

 

DATE :

  12  février 2009

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

RAYMOND W. PRONOVOST, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

LAURETTE CORMIER

Demanderesse

c.

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

Défenderesse

et

COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ

DU TRAVAIL

Mise en cause

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]                Il s’agit d’une requête en révision. Le 27 mai 1982, la demanderesse a subi une entorse au pied gauche qui eut comme conséquence, le 29 mai 1982, une thrombophlébite profonde. La Commission de la santé et de la sécurité du travail[1] a reconnu cet accident comme un accident de travail et l’a indemnisée pour la période du 29 mai 1982 au 6 septembre 1982.

[2]                Le 13 octobre 1982, la demanderesse a subi une nouvelle thrombophlébite profonde et une autre rechute le 12 septembre 1983.

[3]                Les rechutes du 13 octobre 1982 et du 12 septembre 1983 ne sont pas retenues par la CSST. Le 31 mars 1988, le commissaire, Guy Beaudoin, rejette l’appel de la demanderesse voulant que l’événement du 2 octobre 1985 soit reconnu comme une rechute de l’accident du 27 mai 1982.

[4]                À la suite des prétendues rechutes de la demanderesse, ses périodes d’incapacité se détaillent comme suit :

- du 13-10-82 au 31-01-83

- du 12-09-83 au 14-02-84

- du 02-10-85 au 13-09-88

[5]                Le 14 septembre 1988, la demanderesse soumet une nouvelle réclamation qui sera initialement refusée par la CSST pour finalement être acceptée par la défenderesse le 9 septembre 1995, comme une rechute de l'accident du 27-05-1982.

[6]                Le 5 octobre 1991, la demanderesse subit une nouvelle rechute qui est acceptée par la CSST. Le 21 décembre 1999, la demanderesse soumet une nouvelle réclamation pour une rechute survenue le 10 septembre 1999 qui est refusée par la CSST et confirmée par la défenderesse, le 18 mars 2003.

[7]                Mais le 27 janvier 2004, la CSST accepte de verser l’indemnité pour une incapacité totale temporaire pour la période du 12 septembre 1983 au 14 février 1984. En effet, en vérifiant les dossiers, on a remarqué dans les notes évolutives (MC-4) du 2 mai 2004 qu’il y avait une erreur et que la CSST aurait dû payer cette période de réclamation, car il était écrit :

« ITT septembre 1983 à 14 février 1984 acceptée. »

[8]                Par la suite, le 2 avril 2004, la CSST et la demanderesse concluent une entente (MC-5) par laquelle la CSST paie la période d’invalidité du 13 octobre 1982 au 31 janvier 1983 en contrepartie d’un montant de 10 050,88 $ et d’une somme forfaitaire de 5 000 $.

[9]                Ce qui ressort de tous ces événements c’est qu’à la suite d’une révision des notes évolutives, la CSST a accepté de payer, pour les deux périodes d’incapacité du 13 octobre 1982 au 31 janvier 1983 et du 12 septembre 1983 au 14 février 1984, en 2004. Pour la période du 13 octobre 1982 au 31 janvier 1983, rien n’indique pour quelle raison la CSST a décidé de payer ce montant.

[10]            La réclamation faisant l’objet de la présente requête en révision est pour la période du 2 octobre 1985 au 13 septembre 1988.

[11]            Donc, en 2004, plus de 20 ans après l’événement, la CSST a payé. À la suite de la réception de ce paiement, le 9 mai 2005, la demanderesse écrit à la CSST pour réclamer une indemnités pour la période du 2 octobre 1985 au 13 septembre 1988.  On peut lire dans cette lettre :

«Cette lettre, de Me Gagnon, mentionnait aussi que le processus de réévaluation administrative n’était pas le processus légal et que cette méthode de faire m’a induit en erreur et m’a privée d’un droit de révision et d’appel, durant ces années.

La période de 1985-1988, comprise dans ce litige, n’a pas été touchée par cette décision administrative de 2004, puisque Me Sonia Grenier, représentante de la CSST et attachée à mon dossier ne réglait que la partie comprise sous l’ancienne loi, la LAT. Il ne reste, maintenant, que cette période, ci-haut mentionnée, à finaliser puisque celle de 1988 à 1996 fut réglée suite à l’audition à la CALP, maintenant la CLP.

[…]

Je vous demande, donc, de réexaminer cette période de 1985-1988 afin que ce règlement soit satisfaisant en regard de mes droits.»

[12]            Le 29 juillet 2005, la CSST répond à la demanderesse :

«Madame,

En réponse à la lettre adressée à la Commission de la santé et de la sécurité du travail, en date du 9 mai 2005, nous désirons vous informer qu’il nous est impossible d’accéder à votre demande.

En effet, nous sommes liés à la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 31 mars 1988, laquelle décision déclarait que vous n’aviez pas subi de lésion professionnelle le 2 octobre 1985.

Veuillez agréer, Madame, nos salutations distinguées.»

[13]            Le 8 août 2005, la procureure de la demanderesse à cette époque réécrit pour régler la période de 1985 à 1988 en faisant le rappel des démarches effectuées par la demanderesse et rappelle que la CSST a décidé de payer en 2004 des prestations prévues pour des rechutes de 1982 et 1983. Cette lettre est adressée au ministre du Travail.

[14]            Le 1er septembre 2005, la demanderesse conteste cette décision du 29 juillet 2005 et demande que celle-ci soit acheminée à la révision administrative de la CSST.

[15]            Le 24 janvier 2006, la CSST déclare irrecevable la demande. Le 10 mars 2006, la demanderesse dépose une requête en révision devant la Commission des lésions professionnelles[2]. La CSST présente une objection préliminaire alléguant que la lettre du 29 juillet 2005 n’est pas une décision, mais une simple lettre d’information se référant à la décision du 31 mars 1988.

[16]            Le 8 février 2007, le commissaire Me Maurice Sauvé (R-1) rejette le moyen préliminaire de la mise en cause en déclarant que la lettre du 29 juillet constituait une décision de la CSST, accueille la requête de la demanderesse et déclare que celle-ci a subi une lésion professionnelle le 2 octobre 1985.

[17]            Le 2 mars 2007, la CSST dépose une requête en révision à l’encontre de la décision rendue le 8 février 2007. Le 8 janvier 2008, le commissaire Me Alain Suicco (R-2) accueille la requête, révise la décision du 8 février 2007 et déclare que le 2 octobre 1985, la travailleuse n’a pas été victime d’une lésion professionnelle.

Position de la partie demanderesse

[18]            L’article 429.56 de la Loi sur les accidents de travail et des maladies professionnelles[3] permet de réviser lorsqu’il y a des faits nouveaux. La reconsidération par la CSST des événements de 1982 et de 1983 comme étant une rechute de l’accident du 27 mai 1982 est un fait nouveau. Le commissaire, Guy Beaudoin (MC-3) dans sa décision, considérait le fait que les événements du 13 octobre 1982 et du 12 septembre 1983 n’étaient pas des rechutes. Il manquait donc ainsi deux maillons importants pour qu’il puisse considérer l’événement de 1985 comme étant une rechute. Il aurait rendu une décision différente.

[19]            Lors de l’audition devant le commissaire Maurice Sauvé, la CSST n’a pas déposé de preuve médicale. Il n’y avait donc aucune preuve médicale à l’exception de celle déposée par la demanderesse. De plus, comme fait nouveau, il faut également tenir compte que la CSST a accepté le 26 février 1997 que la thrombophlébite profonde du 5 octobre 1991 est une rechute de l’incident du  27 mai 1982.

[20]            De plus, en vertu des articles 351 et 353 de la .L.A.T.M.P., la Commission doit rendre ses décisions suivant l’équité, la procédure ne doit pas permettre de rejeter une réclamation pour vice de fond ou d’irrégularité. C’est un système qui ne doit pas être rigide.

[21]            Comme l'écrit le commissaire, Maurice Sauvé, à son paragraphe 70[4], il s’agit ici d’un cas exceptionnel. La décision du commissaire mérite d’être maintenue. Le commissaire avait le pouvoir de prendre cette décision et il est raisonnable de conclure comme il l’a fait. La lettre du 29 juillet 2005 de la CSST est une décision de la CSST et non d’une simple lettre d’information. Sa décision sur l’objection est intelligente et intelligible.

[22]            La jurisprudence nous enseigne que dans ce genre de cas, il faut donner à la loi une interprétation large et libérale puisqu’il s’agit d’une loi sociale. De plus, lors de l’audience devant le commissaire Maurice Sauvé, il y avait un assesseur médical soit, le docteur Claude Sarra-Bournet, alors que lors de la décision du commissaire Alain Suicco (R-2) il n’y avait aucun assesseur médical.

[23]            Le 29 juillet 2005, quand la CSST décide de ne pas payer, il s’agit d’une décision. Tous les gestes que la CSST pose sont appelables. La décision du commissaire Maurice Sauvé (R-1) est raisonnable, elle est bien fondée, elle est bien motivée. La CSST, lors de l’audience devant le commissaire Maurice Sauvé, ne s’est jamais opposée à la preuve médicale.

[24]            Quant à la décision du commissaire Alain Suicco (R-2) elle est limitée par l’article 429.56 de ladite loi. Quand le commissaire Alain Suicco prétend que le paiement effectué en 2004 (paragraphe 64[5]) et le rapport du docteur Pedro Molina-Negro de septembre 1994 (paragraphe 65[6]) ne sont pas des faits nouveaux, il se trompe.

[25]            Bien sûr que le paiement et l’expertise ne sont pas un fait nouveau, mais ce qui est le fait nouveau c’est qu’au moment où le commissaire Guy Beaudoin prend sa décision, il tient pour acquis que les récidives de 1982 et 1983 ne sont pas des récidives reliées à l’événement du 27 mai 1982. Alors qu’en réalité, elles le sont. Mais elles deviennent des réalités que par la décision de la CSST de payer. C’est là qu’est le fait nouveau, et c’est là que le commissaire, Alain Suicco, se trompe. La décision est déraisonnable.

[26]            Dans son expertise, le docteur Molina-Negro parle de trois rechutes, 1982, 1983 et 1985, bien qu’il a été produit pour la rechute de 1991, ce rapport nous démontre clairement qu’il y a erreur par la CSST lorsque la décision a été prise en 1988.

[27]            De plus, la CSST ne s’est pas opposée à sa production, elle ne peut aujourd’hui changer son fusil d’épaule. Devant le commissaire Alain Suicco, il n’y a rien qui lui permettait d’intervenir.

Prétentions de la CSST

[28]            La transaction intervenue le 2 avril 2004 (MC-5) était pour régler un imbroglio administratif. En effet, la rechute de 1983 avait été acceptée dès le 2 mai 1984, mais n’avait jamais été payée. Il est faux de prétendre ce que le commissaire Maurice Sauvé, écrit à son paragraphe 50[7] que la conclusion du docteur Molina-Negro a amené la CSST à reconsidérer sa position et indemniser pour les rechutes de 1982 et 1983. Parce que la rechute avait été déjà reconnue en 1983 et en 1984.

[29]            Le commissaire Maurice Sauvé a également fait une erreur en s’appuyant sur la minorité pour décider que la lettre de 2005 était une décision de la CSST et non pas une simple lettre d’information. La juge Claire L’Heureux-Dubé qui parle pour la majorité dans cette décision[8] écrit :

« Contrairement à l’argument que soutient l’appelant devant nous, l’intimée, qui a certes le pouvoir d’agir comme agent d’indemnisation aux termes de la Loi et des règlements qui la gouvernent, et à ce titre de rendre des décisions, n’agissait pas en cette qualité lorsqu’elle donnait suite, comme elle le précise, à la décision du Bureau de révision. En effet, l’intimée n’agissait alors que dans sa capacité administrative pour donner effet à la décision du Bureau de révision, et ce faisant, a commis une erreur. Par la lettre du 27 juin 1983, elle corrigeait non pas une erreur d’une décision qu’elle avait rendue, mais une erreur commise dans une autre lettre, adressée elle aussi en sa capacité purement administrative. Il ne s’agit pas ici de la correction d’une erreur matérielle dans une décision, ce qui est aussi possible même en droit administratif.

S’il fallait ajouter quelque autre commentaire à ce qui me paraît relever du sens commun, je ne vois pas comment l’appelant peut prétendre qu’alors qu’était en appel la décision du Bureau de révision, en l’absence de fait nouveau, demande quelconque de sa part ou de la part de son employeur ou audition, l’agent d’indemnisation pouvait s’autoriser de réviser la décision du Bureau de révision.»

[30]            De plus, contrairement à ce que prétend toujours le commissaire Maurice Sauvé, aux paragraphes 81 et 82 de sa décision (R-1), il n’y avait pas d’impossibilité d’agir pour la demanderesse dans ce cas-ci. Entre 2004 et 2005, la demanderesse a attendu un an sans jamais l’expliquer, pourtant elle a toujours été représentée par avocat durant cette période.

[31]            Le commissaire Maurice Sauvé a pris cette tangente d’une révision dans son délibéré sans aviser personne. La règle audi alteram partem, bien que le commissaire Alain Suicco n’en ait pas parlé, a été brimée dans ce cas-ci. Le commissaire Alain Suicco a raison d’intervenir puisqu’il s’agissait d’un vice de fond et que pour la stabilité des décisions, les recours doivent être encadrés d’une certaine façon. Le commissaire Maurice Sauvé a changé le recours sans en parler aux parties.

[32]            Le commissaire Maurice Sauvé s’est trompé. Même si la reconnaissance des rechutes de 1982 et 1983 est un fait nouveau, ça n’a pas été déterminant dans la décision du commissaire Guy Beaudoin. Tant l’assureur que l’assuré doivent agir dans un délai raisonnable. Dans les deux cas de 1982 et 1983, il y a eu une erreur, l’assureur qui est la CSST a reconnu son erreur et a payé.

Décision

Norme de contrôle

[33]            Comme l'a souligné le procureur de la demanderesse en accord avec celui de la CSST, nous nous retrouvons en présence d’une clause privative. Il n’y a aucun doute que les décideurs possèdent une expertise spéciale qui est à l’intérieur d’un régime distinct et particulier mis en place par le législateur. Cela milite en faveur d’une grande déférence.

[34]            De plus, la nature de la question est exactement liée au domaine de l’expertise, les décideurs de la CLP doivent prendre des décisions dans un champ de compétence spécialisé.  Dans ce dossier, il s’agit de savoir si les décisions soit celle du commissaire Alain Suicco (R-2) et celle du commissaire Maurice Sauvé (R-1) respectent le critère d'intervention de décision raisonnable. Tous ces critères militent donc en faveur de la norme raisonnable tel que nous l’enseigne l’arrêt Dunsmuir[9].

Requête en révision

[35]            L’article 429.56 CLP permet dans certains cas de réviser ou de révoquer une décision qu’elle a déjà rendue. Cette disposition se lit comme suit :

« La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:

 

 1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

 2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

 3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.»

[36]            Dans le présent dossier, il y a deux décisions, celle du commissaire Maurice Sauvé (R-1) qui a été révoquée par celle du commissaire Alain Suicco (R-2).

[37]            La première question que le Tribunal doit décider est si la décision du commissaire Alain Suicco (R-2) est raisonnable lorsqu’il mentionne que la décision du commissaire Maurice Sauvé (R-1) est entachée d’un vice de fond ou de procédure qui est de nature à invalider cette décision?

[38]            Concernant ledit article 429.56, le juge Laurent Guertin[10] écrit :

« [25] Ainsi, un vice de fond est de nature à invalider la décision lorsqu'il constitue une « erreur fatale »,

Il faut se garder d'utiliser à la légère l'expression "vice de fond de nature à invalider " une telle décision.  La jurisprudence de notre Cour, sur laquelle je reviendrai, est à juste titre exigeante sur ce point.  La faille que vise cette expression dénote de la part du décideur une erreur manifeste, donc voisine d'une forme d'incompétence, ce dernier terme étant entendu ici dans son acception courante plutôt que dans son acception juridique.[…][11]

[…]

[28] La révision administrative pour un motif de « vice de fond » ne doit donc pas être un appel camouflé, ni un prétexte pour substituer une opinion à une autre. Cette révision ne sert strictement qu'à rectifier des erreurs qui peuvent être décrites avec les caractéristiques élaborées. »

[39]            De son côté, l’auteur Denis Lemieux[12] écrit :

« La révision ne sera toutefois possible que pour les seules causes prévues par le législateur. La notion de cause est objective et l‘organisme ne pourra donc procéder à une révision de ses propres décisions que pour un motif sérieux. Parmi ces motifs, on peut ranger l’illégalité de la première décision, la découverte postérieure de faits pertinents, une erreur grossière dans l’appréciation des faits et du droit. »

[40]            De son côté, l’auteur André-G. Roy[13] mentionne :

« On doit donc comprendre que l’intervention du deuxième commissaire en révision ne sera permise qu’une seule fois qu’il aura établi que l’interprétation attaquée constitue une erreur manifeste et déterminante. »

[41]            Finalement, l’auteur Patrice Garand[14] écrit :

« Lorsqu’il siège en révision de ses propres décisions, le Tribunal doit clairement situer son action dans le cadre unique et précis fixé par le législateur. S’il outrepasse les paramètres fixés par la loi, il commet alors une erreur de compétence. Il n’a pas à examiner le fond de la décision pour savoir si elle est raisonnable : « c’est donc le test de l’erreur simple ou de la décision correcte ».

[42]            Le commissaire Alain Suicco, pour infirmer la décision de son collègue, le commissaire Maurice Sauvé, interprète la notion de fait nouveau. Et sa décision sur cette question se résume aux paragraphes suivants :

[63]            « Dans le présent cas, le fait que la CSST ait payé à la travailleuse en 2004, l’indemnité de remplacement du revenu pour la période du mois d’octobre 1982 au mois de septembre 1983, ne constitue pas un « fait nouveau » au sens du paragraphe premier de l’alinéa premier de l’article 429.56 de la loi, telle qu’interprétée par la jurisprudence précitée.

[64]            En effet, l’audience qui est à l’origine de la décision rendue par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles le 31 mars 1988, a été tenue le 1er septembre 1987. Ainsi le paiement effectué en 2004, ne constitue pas un fait qui existait au moment où la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles a disposé de l’appel de la travailleuse en 1988. Comme le fait qui est allégué être « nouveau » doit avoir ainsi existé avant qu’une démonstration de son impossibilité d’avoir été connu ne soit effectuée, le soussigné est d’avis que dans le présent dossier, les motifs rapportés aux paragraphes 73 à 78 de la décision rendue le 8 février 2007, constituent une erreur déterminante. D’ailleurs, la jurisprudence qui y est rapportée[15], confirme la nécessaire existence du fait allégué être « nouveau », avant la décision pour laquelle une révision est demandée. Tel n’est pas le cas dans le présent dossier.

[65]            Il en est de même de l’expertise effectuée au mois de septembre 1994 par le docteur Pedro Molina-Negro, à laquelle réfèrent entre autres les paragraphes 65 et 66 de la décision rendue le 8 février 2007. À cet égard, le soussigné réfère aux mêmes motifs que ceux qu’il a élaborés concernant la question de l’indemnisation pour la période du mois d’octobre 1982 au mois de septembre 1983. En effet, cette expertise du docteur Molina-Negro ne peut être tenue pour compte, puisqu’elle n’existait pas au moment de l’audience et de la décision rendue en 1988 par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles. Cette preuve médicale ne constitue pas non plus un « fait nouveau ».

[66]            Le tribunal est d’avis que le paragraphe 73 de la décision rendue le 8 février 2007 comporte une erreur manifeste et déterminante en indiquant que « le dossier révèle une condition permettant la requête en révision de la décision C.A.L.P. », à savoir «  l’existence d’un fait nouveau qui, s’il avait été connu, aurait pu justifier une décision différente ». La Commission des lésions professionnelles référait alors à l’indemnisation par la CSST pour la période des mois d’octobre 1982 à septembre 1983.

[67]            Le tribunal est donc d’avis que même s’il admettait que la requête déposée par la travailleuse le 10 mars 2006 constituait une requête en révision, cette requête aurait dû être rejetée. Pour ce seul motif, le tribunal est d’avis que la requête en révision, déposée par la CSST, doit être accueillie et la décision rendue par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles,  le 31 mars 1988, doit être rétablie.»

(soulignements du soussigné)

[43]            Comme cette décision est basée sur l’interprétation donnée au fait nouveau, regardons comment l’auteur Jean-Pierre VilIaggi[16] définit un fait nouveau :

« En pratique, les paragraphes 1o et 2o du premier alinéa des articles 154 L.j.a. et 429.56 L.A.T.M.P. ne posent guère de difficultés d’interprétation. Ainsi, découvrir un fait nouveau au sens du paragraphe 1 de ces articles signifie que l’on découvre pour la « première fois » après l’audience un fait nouveau, et ce, malgré des démarches adéquates. Découvrir un fait nouveau ne signifie donc pas « obtenir » après l’audience une information pertinente. De plus, découvrir un fait nouveau ne veut pas dire découvrir un témoignage de plus au sujet d’un fait déjà discuté au procès. En fait, trois éléments sont nécessaires pour que l’on puisse parler de la découverte d’un fait nouveau : « 1o la découverte, postérieure à la décision, d’un fait nouveau; 2o la non-disponibilité de cet élément au moment de l’audition; 3o le critère déterminant qu’aurait eu cet élément sur le sort du litige, s’il eût été connu en temps utile ». Soulignons ainsi qu’une nouvelle interprétation jurisprudentielle n’est pas un fait nouveau au sens du paragraphe 1 de ces articles. Ne serait pas non plus un fait nouveau que d’invoquer un nouvel argument de droit. »

[44]            Donc, il est exact comme le souligne le commissaire, Alain Suicco, qu’un fait nouveau doit avoir existé au moment de la première audience. Mais, respectueusement pour l’opinion contraire et contrairement aux prétentions du commissaire, Alain Suicco, le fait nouveau n’est pas le paiement effectué en 2004 par la CSST, le fait nouveau est qu’en 2003, les parties ont appris que l’événement du 12 septembre 1983 était considéré comme une rechute de l’accident du 27 mai 1982.

[45]            Ce fait était dans les dossiers de la CSST, mais inconnu tant de la demanderesse que de la CSST elle-même. Comme le dit le commissaire, Maurice Sauvé[17], ce n’est qu’en 2003 que la représentante de la travailleuse a reçu les documents de meilleure qualité lui permettant tant à elle qu’à la CSST de voir leur erreur. Donc, au moment de l’audience, il existait un fait soit la reconnaissance qu’il s’agissait d’une rechute que ni la CSST ni la demanderesse n’étaient au courant. Il s’agit comme l’auteur Villaggi l’a dit, la découverte d’un fait nouveau postérieur à la décision. Ce fait nouveau n’était pas disponible au moment de l’audition, car ni la CSST ni la demanderesse n’étaient au courant.

[46]            Il s’agit donc d’un fait qui existait au moment de l’audition du 1er septembre 2007, mais qui était inconnu et impossible à connaître puisque la CSST elle-même ne le savait pas selon ce qu’elle a écrit. Donc, il n'était pas disponible.

[47]            Il reste maintenant le troisième critère établi par les auteurs : est-ce que ce fait nouveau était déterminant que s’il avait été connu, il aurait modifié le sort du litige. Le commissaire, Maurice Sauvé, a raison de mentionner que « si ce fait nouveau avait été connu, il aurait pu justifier une décision différente », car comme le souligne le commissaire Maurice Sauvé, le commissaire Guy Beaudoin écrit :

« De plus, la commission d’appel retient la preuve que les thrombophlébites du 13 octobre 1982 et du 13 septembre 1983 n’ont jamais été reconnues comme des lésions professionnelles par la commission malgré tous les efforts que la travailleuse a déployés pour obtenir cette reconnaissance de la commission… »

[48]            Les trois critères pour que le tout soit un fait nouveau sont satisfaits.

[49]            Respectueusement pour l’opinion contraire, c’est le commissaire, Alain Suicco, qui a commis une erreur dans l’interprétation d’un fait nouveau. Cette erreur est déterminante et manifeste, ce qui permet à la Cour d’intervenir et de rétablir la décision du commissaire, Maurice Sauvé.

[50]            Il est vrai que l’expertise de septembre 1994 du docteur Pedro Molina Negro n’est pas un fait nouveau puisque cette expertise n’existait pas au moment de l’audition du 1er septembre 1987. Par contre, la reconnaissance par la CSS,T des événements de 1983 et de 1984, est suffisante pour conclure qu’il s’agit d’un fait nouveau donnant ouverture à la juridiction du commissaire, Maurice Sauvé, dans le présent dossier.

[51]            La CSST reproche également au commissaire, Maurice Sauvé, d’avoir mal interprété la lettre du 29 juillet 2005 en concluant qu’il s’agit d’une décision de la CSST donc révisable en se basant sur l’opinion minoritaire d’une décision de la Cour d’appel. Mais peut-on prétendre que cette interprétation n’est pas raisonnable?

[52]            Il faut remettre le tout dans son contexte. Les faits sont loin d’être identiques à ceux de la Cour d’appel. Ici, la CSST reconnaît une erreur de plus de 20 ans. C’est à la suite de cette reconnaissance d’erreur que la demanderesse demande une nouvelle opinion à la CSST concernant l’événement de 1985.

[53]            Dans la décision de la juge Claire L'Heureux-Dubé citée par le procureur de la CSST, celle-ci dit :

« S’il fallait ajouter quelque autre commentaire à ce qui me paraît relever du sens commun, je ne vois pas comment l’appelant peut prétendre qu’alors qu’était en appel la décision du Bureau de révision, en l’absence de fait nouveau, demande quelconque de sa part ou de la part de son employeur ou audition, l’agent d’indemnisation pouvait s’autoriser de réviser la décision du Bureau de révision. »

(soulignements du soussigné)

Ici, il y a présence d’un fait nouveau.

[54]            De plus, à la lecture des articles 351 [18] et suivants de L.A.T.M.P., et considérant ces faits particuliers du dossier, le Tribunal ne peut conclure que la décision du commissaire Maurice Sauvé, sur ce point n’est pas raisonnable et ne peut donc intervenir. À l’étape de la révision, le Tribunal n’a pas à imposer ses propres vues, mais à analyser si la décision du commissaire est raisonnable. Dans le présent cas, cette décision est raisonnable.

[55]            L’autre élément soulevé est le délai. Encore là, rétablissons les faits. Tout ce dossier a comme base une erreur faite de bonne foi, mais quand même une erreur de la CSST. Il s’agit d’un long débat. La demanderesse a demandé plusieurs fois des révisions et dans la majorité des cas, elle a eu gain de cause.

[56]            Lorsqu’on parle d’équité, tel que prévoit l’article 351 L.A.T.M.P., comment la CSST peut-elle aujourd’hui se plaindre des délais. Ce serait plutôt à la demanderesse de se plaindre de ce long délai, des longues batailles qu’elle a dû faire pour réussir à gagner son point de vue. En équité, comment peut-on prétendre que du moment de l’événement jusqu’en 1991, tous les événements à l’exception de 1985 soient des rechutes? Pourquoi la CSST est-elle si préoccupée par la procédure alors que le mérite est clair?

[57]            Il faut que les organismes administratifs cessent d’être plus rigides que les tribunaux de droit commun quant à la procédure. Rarement devant un tribunal ordinaire, un justiciable perd un droit à cause de la procédure. L’article 352 de ladite loi permet de prolonger un délai lorsqu’on a des motifs raisonnables. Tout cet imbroglio dans lequel se trouve la demanderesse n’est-il pas un motif raisonnable? La décision du commissaire Maurice Sauvé (R-1) est raisonnable et le Tribunal ne doit pas intervenir.

[58]            CONSIDÉRANT que la partie demanderesse devait prouver que la décision du commissaire Alain Suicco n’était pas raisonnable;

[59]            CONSIDÉRANT que l’interprétation d’un fait nouveau donné par le commissaire, Alain Suicco, est une erreur manifeste et déterminante;

[60]            CONSIDÉRANT que la décision du commissaire Alain Suicco ne respecte pas le critère de décision raisonnable d'une décision en révision par le même organisme administratif;

[61]            CONSIDÉRANT que la CSST n’a pas réussi à démontrer que la décision du commissaire Maurice Sauvé (R-1) n’est pas raisonnable;

[62]            CONSIDÉRANT qu’au contraire, eu égard à l’analyse des faits, la décision du commissaire Maurice Sauvé doit être maintenue;

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL

[63]            ACCUEILLE la requête en révision;

[64]            CASSE ET ANNULE la décision (R-2) rendue par le commissaire Alain Suicco, le 8 janvier 2008;

[65]            RÉTABLIT la décision (R-1) rendue par le commissaire Maurice Sauvé, le 8 février 2007;

[66]            DÉCLARE que la demanderesse a été victime d’une lésion professionnelle (rechute le 2 octobre 1985);

[67]            ORDONNE à la Commission de la santé et de la sécurité du travail d’indemniser la demanderesse en conséquence;

[68]            CONDAMNE la Commission de la santé et de la sécurité du travail aux entiers dépens;

 

 

__________________________________

RAYMOND W. PRONOVOST, J.C.S.

 

Me Marc Bellemare, avocat (casier #87)

Procureur de la demanderesse

 

Me Claude Verge

Levasseur, Verge, avocats

Procureurs de la défenderesse

 

Me Pierre-Michel Lajeunesse (casier #187)

Panneton, Lessard, avocats

Procureurs de la mise en cause

 

Date d’audience :

12 décembre 2008

 



[1]     Ci-après appelée la « CSST ».

[2]     Ci-après appelée la « CLP ».

[3]     Ci-après appelée «L.A.T.M.P.».

[4]     «70. La Commission des lésions professionnelles, devant la situation exceptionnelle qui  prévaut dans ce dossier, devant la demande à l’audition par la représentante de la travailleuse de traiter la question en litige selon la procédure que la Commission des lésions professionnelles croit la plus appropriée, c’est-à-dire en décidant sur la base de la contestation de la décision du 29 juillet 2005 ou encore en décidant en vertu de l’article 429.20 ou encore en décidant en vertu de l’article 429.56, la Commission des lésions professionnelles privilégie cette dernière voie.»

[5]     «64. En effet, l’audience qui est à l’origine de la décision rendue par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles  le 31 mars 1988, a été tenue le 1er septembre 1987. Ainsi le paiement effectué en 2004, ne constitue pas un fait qui existait au moment où la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles  a disposé de l’appel de la travailleuse en 1988. Comme le fait qui est allégué être « nouveau » doit avoir ainsi existé avant qu’une démonstration de son impossibilité d’avoir été connu ne soit effectuée, le soussigné est d’avis que dans le présent dossier, les motifs rapportés aux paragraphes 73 à 78 de la décision rendue le 8 février 2007, constituent une erreur déterminante. D’ailleurs, la jurisprudence qui y est rapportée[5], confirme la nécessaire existence du fait allégué être « nouveau », avant la décision pour laquelle une révision est demandée. Tel n’est pas le cas dans le présent dossier.»

[6]     «65. Il en est de même de l’expertise effectuée au mois de septembre 1994 par le docteur Pedro Molina-Negro, à laquelle réfèrent entre autres les paragraphes 65 et 66 de la décision rendue le 8 février 2007. À cet égard, le soussigné réfère aux mêmes motifs que ceux qu’il a élaborés concernant la question de l’indemnisation pour la période du mois d’octobre 1982 au mois de septembre 1983. En effet, cette expertise du docteur Molina-Negro ne peut être tenue pour compte, puisqu’elle n’existait pas au moment de l’audience et de la décision rendue en 1988 par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles. Cette preuve médicale ne constitue pas non plus un «fait nouveau».»

 

[7]     «50. Cette conclusion du docteur Molina-Negro appuyée sur une analyse exhaustive du dossier amènera ultérieurement la CSST à reconsidérer sa position et à indemniser les récidives, rechutes ou aggravations de septembre 1982 et octobre 1983, tout en refusant d’indemniser la travailleuse pour la demande de reconnaissance de récidive pour la lésion du 2 octobre 1985 (période 1985-1988).»

 

[8]     Guy Pelletier c. Gisèle St-Georges et la Commission de la santé et sécurité au travail, C.A. 200-09-000894-837, 10 décembre 1984.

[9]     David Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008], CSC 9.

[10]    A. De La Chevrotière Ltée c. Commission des lésions professionnelles & al, 2006 QCCS 3618 .

[11]    Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Fontaine, précité, note 4, par. 41.

[12]    Contrôle judiciaire de l’action gouvernementale CCH . 23 septembre 2008, p. 2440.

[13]    La révision selon 429.56 d’hier à aujourd’hui, Développements récents en droit de la santé et sécurité au travail, Éditions Yvon Blais, Service de la formation permanente du Barreau du Québec, 2006, vol. 239, p. 103.

[14]    Droit administratif, 5e édition 2004, p. 117.

[15]    [1999] C.L.P. 1096 (C.S.), C.L.P. 107558-73-9811, 17 mars 2000, A. Vaillancourt, C.L.P. 128181-08-9911, 27 septembre 2004, C. Bérubé.

[16]    Droits publics et administratifs, Collection de droit 2008-2009, École du Barreau du Québec, Vol. 7, 2008. p 143.

[17]    Voir R-1, paragr. 52.

[18]    «351.  La Commission rend ses décisions suivant l'équité, d'après le mérite réel et la justice du cas.

Elle peut, par tous les moyens légaux qu'elle juge les meilleurs, s'enquérir des matières qui lui sont attribuées.

352.  La Commission prolonge un délai que la présente loi accorde pour l'exercice d'un droit ou relève une personne des conséquences de son défaut de le respecter, lorsque la personne démontre un motif raisonnable pour expliquer son retard.

353.  Aucune procédure faite en vertu de la présente loi ne doit être rejetée pour vice de forme ou irrégularité.»

 

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